Léon, le berger de la mer
Joelle Eymery
Il était beau, Léon,
le berger de la mer.
Il gardait ses moutons
à l'écume des nuits,
seul comme un vieux loup
qui hurle sa meute
perdue aux soirs de pleine lune.
Son visage buriné
était plein de tendresse,
et en ses yeux bleus d'une pureté absolue,
j'avais décelé un petit je ne sais quoi d'espiègle.
Il avait du chagrin, Léon,
au fond de son cœur,
parce que pour lui,
l'aventure était finie.
Il noyait son regard loin, très loin,
bien au-delà de l'horizon,
en silence.
Quand il avait envie de raconter,
il racontait de sa voix
tendre et bourrue,
ses voyages au-delà des mers,
ses batailles avec les tempêtes,
ses rencontres au bout du monde …
C'était magique et je rêvais …
Quand j'étais un peu triste, c'est lui, qui,
malgré sa désespérance,
me réconfortait avec ses mots salés …
de marin.
Il vivait dans sa cabane,
au milieu de nulle part.
Un soir d'hiver, une lame lui fut fatale ;
acérée comme une épée elle le pourfendit
et l'entraîna au milieu des flots.
Peut-être avait-il espéré cela ?
On ne retrouva de lui au milieu des rochers
qu'une bouteille vide
au verre dépoli …
Son message s'en était allé …
De bouchon il n'avait point mis.
Tristement, l'âme endeuillée,
je vins un soir d'éclipse totale
caresser son ancre fichée
dans le sable.
Elle avait l'air d'une croix.
Je me mis à lire quelques vers,
et je priai pour mon Léon.
Très distinctement,
j'entendis dans le vent
sa voix qui chuchotait :
"Liberté … liberté …"
Alors mes larmes ont séché et j'ai regardé loin,
très loin, bien au-delà de l'horizon.
Et j'ai vu mon Léon, porté par des baleines,
qui s'enfuyait en clignant de l'œil,
vers un monde meilleur,
empli d'étoiles de mer.
(Joëlle Eymery - 2014)
(portrait Antoine Delesalle)