Les 3 Petits Cochons

nat28

Projet Bradbury - Semaine 10

Assis sur son lit, Lucas recompta la douzaine de pièces jaunes qu'il tenait précautionneusement dans sa main gauche. 10... 30... 50... 100... Déjà 1 euro. 20... 40... 50... Il ne restait plus que les pièces cuivrées. 5... 10... 12... 14... 15... 16... Le petit garçon se concentra pour additionner les 3 sommes. « Un euro soixante six ! » s'exclama-t-il finalement pour lui même après un intense effort de calcul mental. La semaine avait été plutôt bonne. D'habitude, lorsqu'il récoltait la menue monnaie de ses parents, Lucas ne dépassait pas la barre de l'euro. Aujourd'hui, il en avait presque 2 ! C'était sûrement parce que son père avait nettoyé la voiture familiale : il retrouvait toujours des pièces sous les sièges.


Lucas contempla son trésor pendant un instant, puis se tourna vers sa table de nuit, où trônait les 3 petits cochons que sa grand-mère lui avait offert pour son dernier anniversaire. « Avec 3 tirelires, tu auras l'impression d'être 3 fois plus riche ! » lui avait dit son aïeule en plaisantant. Son père, plus prosaïque, avait vu dans ce cadeau une occasion pour Lucas d'apprendre à « gérer son budget », une notion que le petit garçon de 8 ans n'avait pas vraiment compris. Ce qu'il avait retenu de la longue explication paternelle, c'est que l'argent qu'il mettrait dans le cochon bleu lui servirait à acheter des jouets, celui qui irait dans le cochon jaune serait consacré aux bonbons, et tout ce qui atterrirait dans le cochon rouge financerait les albums d'autocollants dont Lucas raffolait. Sa grand-mère avait trouvé l'idée très ingénieuse, et elle avait réparti les pièces jaunes qui se trouvaient dans son porte-monnaie dans les 3 tirelires. L'idée de se débarrasser de sa petite monnaie avait plu aux parents de Lucas qui s'étaient mis à délester leurs poches et leurs portefeuilles tous les dimanches soirs.


Le comptage de ses gains hebdomadaires et leur répartition dans les 3 cochons étaient devenu une sorte de rituel pour Lucas. La plupart du temps, et avec l'aide de sa mère, le petit garçon répartissait les pièces en 3 parts égales, estimant que les jouets, les bonbons, ; et les albums avaient la même importance.


Mais aujourd'hui, c'était différent. La veille, Lucas s'était gavé de gâteaux, de soda, et de sucreries à l'occasion de la fête d'anniversaire de Manon, une de ses camarades de classe. L'indigestion consécutive à son abus de sucre lui avait fait passer l'envie de manger des bonbons pour au moins une semaine. D'un autre côté, un nouvel album consacré aux dino-robots allait sortir, et lorsque Lucas secouait son cochon rouge, il se rendait bien compte qu'il était presque vide. Devait-il mettre tout l'argent de la semaine dans le cochon rouge ? Ou bien glisser une ou deux pièces dans les cochons bleu et jaune par sécurité ?


N'arrivant pas à se décider, le petit garçon commença à faire tomber des pièces dans la tirelire dédiée à l'achat des albums. Il continuait à réfléchir et, quand la moitié du tas eut disparu de sa main, il se dit qu'il mettrait bien 20 ou 30 centimes dans les autres tirelires. Il s'exécuta puis mit rapidement les pièces cuivrées dans le cochon rouge. Débarrassé de ses obligations financières dominicales, Lucas se glissa sous sa couette, éteignit sa lampe de chevet, et sombra dans un sommeil profond dont seuls les enfants ont le secret.


Le lendemain matin, la première chose que fit Lucas en se réveillant fût de secouer le cochon rouge. Le son des pièces qui s'entrechoquèrent à l'intérieur le mit de bonne humeur pour toute la journée. Quand son père le récupéra à l'école en fin d'après-midi, le petit garçon avait encore le sourire, malgré le contrôle de géographie que sa maîtresse leur avait fait passer. Ils rentrèrent à pieds, et son père s'arrêta à la Maison de la Presse pour acheter le journal du jour. Il glissa un deuxième article sous le quotidien, mais Lucas n'eut pas le temps de voir ce que c'était. Et le sourire complice du vendeur plongea le petit garçon dans la plus grande perplexité.


Son père cacha soigneusement ce qu'il avait acheté dans les plis du journal jusqu'à leur retour à la maison. Lucas brûlait de savoir ce que son père dissimulait à son regard, mais n'osait pas lui poser de question. A peine la porte d'entrée refermée, son père se tourna vers lui et lui tendit un album cartonné.

« Tiens, je t'ai pris les dino-robots. J'espère que ça te fait plaisir. »

« Merci papa ! » répondit Lucas avec des étoiles plein les yeux.

Son père fouilla dans sa poche et fit tomber quelques pièces dans la main de son fils.

« Et ça, c'est pour t'acheter les auto-collants ! »

Lucas fila dans sa chambre pour feuilleter son nouvel album... et mettre la petite monnaie dans son cochon rouge.

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