Les affreux dix yacks

pascal-forbes

ILe yack :

 

Mammifère ruminant de grande taille et à long pelage, le yack appartient à l’espèce Bos (Bos mutus/grunniens). Il vit dans les montagnes et les steppes désertiques d’Asie, notamment au Tibet entre 3800 et 6000 mètres d’altitude. Où il y est généralement utilisé comme animal de bât.Représentez-vous une énorme vache des alpages tibétains recouverte d’un paillasson à poil long, d’une épaisse moquette traînant copieusement dans la boue et qui, du fait, devient rapidement un gros enchevêtrement de nœuds, un fourbi phénoménal que l’on pourrait facilement assimiler à une quantité innombrable de dreadlocks.Avez-vous déjà essayé de démêler une dreadlocks ?Imaginez-vous alors debout, confronté à l’anarchie broussailleuse du bestiau, une brosse insignifiante à la main (vous savez, une de ces choses miniatures et métalliques utilisées pour dénouer le pelage de certains chiens à poil touffu tout aussi miniatures)… Donc, imaginez-vous avec cette ridicule brosse en main, face au colosse en question, avec la ferme intention, bien sûr dictée par un de vos supérieurs hiérarchiques - car, vous vous en seriez douté, cela ne traverserait pas l’esprit d’un Homme normalement constitué - de peigner soigneusement le mastodonte. Tout ça dans le but incongru de le rendre le plus "joli possible", et ce, pour qu’il fasse sensation, le lendemain, lors de sa présentation au défilé annuel du salon de l’agriculture. Il est sept heures et demi du matin, le soleil se lève, je suis face à Sacha (la gravure de mode concernée). Il est plutôt paisible, et sa placidité n’a, pour le moment, eu aucune faille… Mais comme me le répète tous les matins mon patron - éleveur de bovins de son état :« Attention mon p’tit, il est peut-être pépère l’Sacha, mais ça reste un gros taureau, un putain de gros taureau ! Alors le jour où il décidera de te charger, tu as intérêt à courir très vite, et sans te retourner ! »Il se veut donc très rassurant.Je travaille pour lui depuis deux ans déjà. Je ne me plains pas. Je n’ai pas fait d’étude, je n’ai même pas mon bac, et j’ai trouvé cette place par le biais d’un piston bien huilé. Au diable la redite : je ne me plains pas. Cela étant, c’est loin d’être une raison valable pour me demander de risquer ma petite existence, aussi minable soit-elle, en taquinant la sensibilité pileuse d’un animal d’une tonne, armé de deux cornes acérées d’un mètre chacune…« T’sais mon p’tit, Sacha est l’animal le plus représentatif de notre cheptel, et je compte sur toi pour le rendre le plus agréable possible à regarder. » Me disait donc, pour la énième fois, monsieur Bourru, ce matin même. Toutefois… un animal par nature très laid, encore plus laid qu’une vache mal lunée, sans plus d’expression qu’un poisson mort oublié trop longtemps au soleil, reste irrémédiablement laid. Et on a beau se casser le cul pour le rendre « mignon », on parviendra seulement - et après moult efforts - à camoufler la misère sous une couche monumentale de… je ne sais pas moi… en l’occurrence, heu… de laque.Et oui, en plus de cette ridicule brosse métallique, je suis armé, au creux de mon autre main, d’une bombe de deux litres de laque professionnelle fixation extrême effet "saut du lit". S’il n’y avait pas, juste en face de moi, Sacha la grosse vache et sa puanteur extrême, et si je n’avais pas cette très élégante paire de cuissardes, j’aurais pu me prendre pour un coiffeur huppé d’un salon parisien spécialisé dans la starlette peroxydée.Mais bon… les pauvres bêtes… il ne faut pas les accabler pour autant, après tout, ils leur arrivent de plaire à certains tordus (je parle des yacks hein)… Ces pauvres bêtes, elles ont bien tapé dans l’œil de Monsieur et Madame Bourru, le siècle dernier - je pourrais même dire le millénaire passé - lors d’un séjour organisé au Tibet, par un tour-opérateur qui depuis, je crois… a fait faillite.Ainsi… Le coup de cœur a poussé le couple Bourru à négocier avec un petit éleveur local, un certain Machupiccu - si je me rappelle bien -, qui leur a vendu deux mâles dans la fleur de l’âge, dont Sacha, et huit femelles nubiles. Le tout pour 6000 yuans ; somme qui ma fois… ne représente qu’une bouchée de pain en France - une bonne bouchée je l’admets (environ 600 euros) - mais qui correspond grosso modo à quelques années de besogne acharnée et d’arpentage des sentiers escarpés de l’Himalaya.Bon. Je ne vous raconte pas le parcours du combattant subi par ces sensibles bêtes - de plus de 3 mètres de long sur environ 2 mètres de haut - et par leurs nouveaux propriétaires lors du trajet vers nos contrés, respectivement en container et en première classe, sur les mêmes rails.Ce fut folklorique.Bref. Je suis devant Sacha depuis dix minutes et je n’ai toujours pas commencé. Il va bien falloir que je m’y mette. Disons, par la tête.Scratch…J’espère ne pas être trop énergique. Je n’y vais pas de main morte, la moitié des poils reste attachée à la brosse et forme une grosse masse informe.Scratch…Pour l’instant il a plutôt l’air d’apprécier… Même si je m’y prends un peu comme un pied.Scratch…Il est sympa Sacha…J’enchaîne avec le corps, c’est amusant, je peux me suspendre à la brosse les jambes recroquevillées, sans toucher terre, et sans un semblant de réaction de la part du pacha.Il est sympa Sacha…Je fini par la queue, quatre heures plus tard. En sueur, et dégoulinant de toutes parts…J’ai un tas d’au moins trente kilos de laine à mes côtés - largement de quoi fournir ma garde robe en pull-over pour l’hiver - et… une grosse fringale commence à me saisir les tripes à coup de borborygmes répétés...Il est temps pour moi d’aller déjeuner.Madame et Monsieur Bourru forment un couple de paysans du cru, typique du Limousin profond.Les petits plats que prépare Madame sont souvent très consistants et pèsent dans le ventre toute l’après-midi. Je n’ai cependant pas d’autre choix pour le déjeuné… Dans la mesure où la zone rurale qui accueille l’élevage est des plus reculées, je suis obligé de supporter leur présence lors des repas, chose qui relève parfois de la gageure…Peu importe. J’aime bien mon boulot, j’en assume les conséquences.Au menu de ce midi : de la garbure, une soupe traditionnelle et rustique, mijoté dans un grand pot de terre siégeant auprès d’un feu de cheminée. La base de cette mixture est constituée de viande, de chou, de patates et de bien d’autres légumes… un plat complet, plus ou moins équilibré, issu de notre bon vieux terroir.Aujourd’hui, la discussion abordée par Monsieur est un peu gênante… J’ai parfois l’impression de faire partie intégrante de la famille à l’égal d’un cousin, si ce n’est d’un fils.« Hé Mami !... fini les films pornos ! nos problèmes au plumard sont désormais à classer dans le passé ! Le Lulu m’a causé deux mots d’un produit miracle ! un élixir de jouvence pour le bas ventre ! Et j’en ai commandé deux sachets sur Internet grâce à la connexion du Lulu, des pilules bleues pour moi, et des roses pour toi, ce sont les pilules du bonheur qui dise… Pi… Ce matin, le Lulu a reçu le colis !... Et j’ai récupéré notre dû ! 20 pilules de… de… je sais pu l’nom… mais y’a de quoi tenir un mois qui dise ! Diantre… comment ça s’appelle déjà ? ce machin-là ?…- Du Viagra Papi… Mais on est à table, et je crains que tu mettes le petit un peu mal à l’aise… »Mal à l’aise ? Moi ? Mal à l’aise ?...Mais bien sûr que je suis mal à l’aise ! Comment peut-elle en douter ? En plein repas, avoir l’esprit traversé par l’image subliminale d’un couple d’ancêtres à la peau flasque et parcheminée en pleine copulation sauvage, ça incommode oui, c’est le moins que l’on puisse dire.Beua…Enfin. Abstraction faite de ses quelques phrases inopportunes, la fin du repas fut… plutôt silencieuse… certes gâchée par un drôle de goût indéfinissable aux tréfonds de ma gorge, mais silencieuse...Mon après-midi devait être encore consacré à Sacha, mais cette fois, il s’agissait de s’occuper de toute la logistique nécessaire à son transport jusqu’à Panam.Primo, passer chercher la remorque adaptée chez Lucien, le voisin - à quelques bornes tout de même de la ferme. Rencontre qui, vraisemblablement, allait entraîner un abondant apéro à base de gnole et peut-être même un deuxième s’il était en forme… et un troisième… voire un quatrième…Secundo, revenir tant bien que mal à la ferme et essayer d’expliquer à Sacha qu’il faut rentrer dans la boîte, de préférence sans faire d’histoire parce que c’est pour son bien.Autant dire que l’après-midi se promet encore plus casse tête - pour rester poli - que la matinée.Et pour en rajouter une couche, il s’est mis à pleuvoir comme vache qui pisse - c’est le cas de le dire… et le terrain, déjà labouré par le passage des bêtes et des machines agricoles risque vite de tourner à la bouillasse mouvante. Heureusement, j’avais soupçonné l’ondée et Sacha est à l’abri enfermé à double tour dans l’étable.La coiffure, c’est pas mon truc, et je ne recommencerai pas d’aussitôt.Pour aller avec mes cuissardes vertes, je vais enfiler une gabardine imperméable verte avec une large capuche verte. Je sais, le ton sur ton, c’est jamais terrible… Mais je peux vous assurer qu’avec ma touche de tueur en série psychopathe, ou de maniaque sexuel - cela dépend du point de vue - personne ne risque de m’interpeller.Direction : chez le vieux gâteux alcoolo de la ferme d’à côté.Je prends le pick-up.« Adi gamin ! Comment vas ?... M’accueille le vieux Lucien. Tu vas bin rentrer boire un p’tit digestif, le godet s’impose non ? t’as bin dû te caler les joues ce midi, j’suppose ? Allez, tu vas voir gamin… l’digestif, y va t’aider à digérer, j’t’assure, c’est on ne peut plus radical ! »Tu m’étonnes que ce soit radical, 89.9 de poire en pleine poire, distillée par les soins d’un expert en la matière dans un archaïque alambic qui date de Mathusalem…« Oui… pourquoi pas !... »Je ne refuse jamais un verre si gentiment offert, et puis son eau de vie porte bien son nom, c’est une poire qui donne la pêche, une de celle qui redonne  du cœur à l’ouvrage  du rubicond au visage et  du relief accidenté à la truffe… Enfin, je pense que la dégradation physique de ce vieil homme n’est pas à mettre - complète - sur le dos de l’alcool, mais en grande partie sur celui de l’esclavagisme du labour. Ici encore un homme du terroir, célibataire depuis toujours, un rustre sympatoche, un fruste bossu qui gagne à être connu…« Dis-moi Lucien, je venais te voir pour la remorque, tu sais, celle qui te sers à trimballer ton bétail. C’est pour Sacha, il a un défilé, demain après-midi, à la capitale…- Ouais, ouais, ouais gamin, y’a pô de soucis… J’l’ai stockée dans la grange, t’iras bin te servir tout seul hein ?… pô de gêne entre nous. Mais avant toute chose… tu vas bin t’envoyer un autre godet ?- Houlà !... Excuse-moi… Regarde, fis-je, verre dressé et tremblotant, je n’ai toujours pas bu le premier !- Ho gamin ! Te fais pô prier… Bois… Bois… Goule dans ton godet… cela ne te fera pô de mal, écoute un vieux sage… la voix de la raison… de toute manière, tu ne vas prendre le volant que sur deux petits kilomètres, grand max, et sur une route si fréquentée qu’en cinquante ans… je n’y ai jamais vu l’ombre d’un garde champêtre ! »Je bois mon verre. La gnole n’est pas mauvaise mais… elle te fait bouillonner les entrailles d’une façon telle qu’il y a de quoi prendre une bonne leçon d’anatomie.La bouche, le pharynx, l’œsophage, le cardia et… l’estomac !Harrr…« J’ai la bouche pâteuse…- J’ai le remède ! »J’ai encore pensé tout haut moi…Quel naze… cela m’arrive trop souvent. En même temps… je touche du bois… car pour l’instant… cela ne m’a contraint qu’à boire quelques dizaines de verres supplémentaires…Quatre ou cinq godets plus tard… je me décide à sortir atteler la remorque. Lucien lui, est resté à l’intérieur en bonne compagnie de sa meilleure amie. Sans aucune difficulté particulière, je me démerde pour que la fixation remorque/attache caravane soit suffisamment solide. Il faut dire que c’est du vieux matos - aussi vieux et aussi tordu que le Lucien pour tout dire - et que le système d’attelage du pick-up n’est pas vraiment adapté à celui de la remorque. Mais je me débrouille. Un peu de corde, un sandow par-ci, un tender par-là, et le tout tient… à vrai dire plus ou moins bien… C’est même légèrement bancal… Qu’à cela ne tienne, il faudra simplement faire attention à ne pas conduire trop vite…« Teuf Teuf » fit le trajet.J’arrive sans mal. Tant mieux, car j’en connais certains qui m’en auraient sûrement voulu…La caisse vaguement garée devant l’étable, je sors, clé en main, pour ouvrir la grande porte qui me sépare de Sacha. Cependant… quelque chose me chagrine… Il me semble bien avoir fermé le verrou avant de partir tout à l’heure… Oui, c’est une certitude, je me revois le faire. J’entends encore le cliquetis de la chaîne… et encore mieux ! celui - caractéristique s’il en est - du verrou qui se ferme.Alors merde… j’ai a peine la vingtaine, ne me dis pas que la sénilité me guette déjà ! Sinon… qu’elle me guette encore à bonne distance pendant au moins trente ans ! Trente ans, c’est pas énorme ! C’est pas trop demander !Merde alors…Hé ! bé ! non ! C’est clair ! C’est net ! C’est précis ! C’est trop demander !... Le verrou est grand ouvert, il me regarde bouche bé, ébahi comme qui dirait. Dingue !Je me demande soudain s’il n’y a pas pire situation derrière cette porte… ouverte…Un frisson remonte le long de ma colonne.Prenons des gants… Oui, poussons la porte délicatement… là… oui… doucement… et non… là… non !… non non ! c’est pas possible, non non non !... Ça y est… J’ai cette saloperie de syndrome - vous l’avez peut-être déjà choppé avec une autre partie de votre corps, c’est très personnel comme chose - le syndrome du coude qui bouge tout seul lorsqu’on flippe sa race !Sacha, et bé Sacha… s’était fait la malle !Un débonnaire morceau de barbaque d’une tonne, trop lourd pour faire plus de deux pas par jour (la plupart du temps pour aller d’un bout à l’autre de son auge, et encore… elle ne doit même pas faire trois mètres cette putain d’auge !) s’est barré ! N’est plus là ! Ce gros benêt s’est barré ! Il s’est carrément volatilisé !Attends, attends… attends… réfléchissons… Il a dû sortir… par la porte.Mais quelle perspicacité mon cher… elle était grande ouverte !Il doit y avoir des empreintes alors… il doit y avoir des…Non… - là je ne vous dit pas, le coude est en train de m’emporter littéralement tous le reste de mon petit corps tout frêle avec son tremblement compulsif… mais le tremblement compulsif d’un mec qui flippe sa race !Aucune trace visible d’un quelconque mouvement à part celles que j’ai laissées tout à l’heure en peignant cette satanée bestiole - qui ne bouge pas d’un poil des heures durant, mais qui disparaît ! Sans crier gare ! ou pousser un mugissement ! ou un ronflement !...Un sifflotement m’aurait suffi !Il doit posséder un pouvoir de télé transportation ce con !Bon… Trêve d’élucubrations. Il faut que je me calme, que je me ressaisisse, c’est pas possible… Y’a quelque chose qui cloche, y’a quelque chose qui m’échappe, merde, ce - n’est - pas - possible…Et moi… en attendant… je vais me faire descendre. Je vais me faire trouer le cuir avec du 22, avec la long riffle chargée, qui attend paisiblement sur le râtelier dans le placard, qui attend une action, quelque chose de suffisamment gros - genre, la disparition d’un yack de compétition - pour sortir se balader et se défouler un peu.J’vais morfler.Mais pourquoi je pense déjà à ma mort ? J’suis bien défaitiste… j’vais tout bêtement le retrouver ce yack de malheur.Mon Dieu… Je ne crois pas au surnaturel. J’e ne suis pas superstitieux. Je ne crois pas au paranormal. Mon Dieu… Tiens ! qu’il me tripote, comme dirait l’autre…Sacha, il ne bougeait pas des masses, pour sûr, il n’est pas passé par la porte, donc…Il s’est télé transporté.Non… mais il a pu s’envoler ce con…Le jour ou les yack auront des ailes est arrivé !... Craignaient les yacks !... Vénéraient les yacks volant !... Qui doivent rester malgré eux à terre pour pâturer les trois quarts du temps…Non… Regardons autour de nous…Là ! Voilà !... Il y a une énorme brèche dans le toit. Une partie des tôles ondulées sont en suspension autour d’un trou béant, presque aussi large que peut l’être un yack. La poutre de soutien principale m’a bien l’air brisé en son centre… d’une légère cassure… surplombée d’une trace rectiligne, sans doute une corde qui est venue frotter le bois pour soulever le yack… et celui-ci n’a pas dû passer du premier coup, le pauvre…Une chose est sûre, j’ai du bol… rien ne m’est tombé sur la tronche. J’aurai pu avoir très mal… même les tôles ondulées sont menaçantes, flottant à peine retenues par un équilibre… quasiment parfait - je dis quasiment parfait parce que le tout vibre un peu… J’ai même l’impression que leur mouvement s’intensifie…Tiens ! J’entends craquer maintenant…J’vais peut-être me décider à m’activer…OUI ! Je vais me…CRACK !IILa bouse de yack :

 

De la famille des bovidés, le yack est un herbivore. Son système digestif est à double circuit et permet donc à un même aliment de faire deux repas. Les ruminants, tel que leur nom l’indique « ruminent ». Ils font repasser de leur estomac dans leur bouche de petites portions de nourriture qu’ils remâchent avec soin. Une fois parvenu à la consistance d’une bouillie, l’aliment continue son parcours pour subir l’action des sucs gastriques. Leurs défécations sont importantes et peu consistantes voire liquides. Séchées, elles sont utilisées par les éleveurs tibétains comme combustible.Je vous assure que j’aurais amplement préféré qu’elle soit sèche cette saleté de bouse. Au lieu de ça, j’ai les deux tiers de la face enfoncée dans un gros tas de merde toute fraîche. Et encore chaude.C’est… immonde…Je me suis jeté en avant pour éviter un large morceau de tôle ondulée et, sans autre recours possible, j’ai plongé là-dedans la tête la première, droit devant.Je déteste la bouse de yack.Elle sent encore plus fort que celle des vaches de nos contrées, et pourtant, je ne sais pas moi… ils bouffent la même saloperie d’herbe !Je retire du bout de mes doigts le petit reste de bouse qui m’encombre le coin de l’œil droit et l’épaisseur flasque encore collée à ma joue.Beua… C’est une infection.Bref… reprenons-nous. Et focalisons sur le mystérieux envol - peu probable - du gros badaud de Sacha…Je me pose sur mes fesses pour réfléchir un court instant... Court seulement car je dois bientôt sortir donner au reste du troupeau sa pitance quotidienne.Est-ce que je me risque à tenir au courant les époux Bourru de la disparition de leur mascotte adorée ?... Adulée même ?Non… je ne vois même pas pourquoi je me pose la question. Ils n’auront vent de l’affaire qu’en dernier lieu, il faut tout d’abord que je mène ma petite enquête…Allons en priorité vérifier si ceux qui ont enlevé Sacha ne l’ont pas déposé à proximité… Il est lourd ce pataud-là... Ses ravisseurs n’ont certainement pas pu le transporter bien loin… En plus, il ne me semble pas avoir entendu d’appareil motorisé, comme un hélico, ou une grue… Enfin… le minimum requis pour déplacer un poids aussi conséquent… Et puis, de toutes les manières, avec le temps de chiotte qu’il fait, je me demande bien comment ils ont pu procéder…Merde ! Ils ont été discrets les salopiaux ! Peut-être ont-ils utilisé un hélico furtif ?...Non… ce ne peut pas être l’armée tout de même…Je vais tourner parano.Un coup de manche sur le visage et je me relève d’un geste. Je sors de la grange - il flotte encore - et je m’emploie à refermer à double tour les battants de la porte d’entrée. Je suis un peu speedé mais tant mieux, je n’en serai que plus efficace.Cette fois-ci, je vérifie que tout est bien bouclé, à trois reprises, et je prends le chemin des cuisines…Je longe la bâtisse pour éviter de me tremper de trop, et je me surprends à suivre quasi instinctivement une ombre… bizarre… Une tâche informe apparue subitement sur le mur de pierre... Elle se déplace assez vite et me paraît grossir… Oui. Elle est de plus en plus grande… Ce doit être un oiseau ou un avion… en approche… dans mon dos… je me retourne ou pas ?… heu… j’ai un drôle de pressentiment…Ma curiosité me perdra.Je me retourne.Houa ! Mais qu’est-ce que c’était ! Une chose vient de me passer juste au dessus de la tête ! Une chose gigantesque ! Je n’ai aucune idée de la nature du bestiau mais c’est parti aussi vite que c’est venu… Dingue !... tout ce dont je suis sûr c’est qu’il s’agissait d’une sorte de volatile dans les tons marron tourbe d’au moins quatre mètres d’envergure, et que cet ovni dégage sur son passage une effluve pestilentielle… C’est dingue ! tout ce qui m’arrive aujourd’hui… Je pense que si j’étais un minimum lettré j’en écrirai un bouquin et je me ferai un pognon dingue en revendant les droits pour la télé ! Merde ! Il n’y a pas de vautour dans nos régions ! et puis, ce n’était sûrement pas un vautour, c’était plus un animal chimère, un monstre !Attends… Vers où se dirigeait-il ?Vers l’ouest. Oui. Vers l’ouest. Vers les pâturages !... Il faut que j’accélère le pas, j’espère que cette monstruosité n’est pas carnivore, parce que le troupeau risque d’en pâtir sévère ! Allez, magne-toi le train ! Ha… c’est pas toujours pratique de courir avec des cuissardes, et j’vois rien avec cette pluie cinglante ! Elle me fouette la tronche !Ça glisse, ça glisse, ce sentier est une vraie pataugeoire !...Je suis bientôt arrivé…Bientôt…J’y suis. Je repère le second mâle, Serge, encore plus moche que Sacha, et plus laid que d’habitude car détrempé comme un… comme un… comme un yack resté sous des trombes d’eau pendant des lustres.Les femelles sont là, à ses côtés, et j’commence à les compter :Deux… quatre… six… sept… deux, quatre, six, sept… Mais… où est passée la dernière ? Où est-elle ? C’est pas le moment de jouer à cache-cache… où t’es-tu planquée satanée vache ?...Elle a dû s’isoler derrière le bosquet, là-bas…Je fais le tour.Ouais… Je t’ai repéré !... ça soulage… Par contre… petite… tu ne m’as pas l’air dans ton assiette… Attends-moi… Je viens voir ce que tu nous couves…D’abord, laquelle est-ce ?Brigitte… Ouais, c’est Brigitte…Ma petite, il va falloir que tu finisses par comprendre que tu fais partie d’une espèce de bovidé dénommé « yack », et que tu n’es pas une autruche, qu’est-ce que tu fabriques dans cette position grotesque ? ton arrière-train relevé, tes pattes écartées et ton museau planté dans l’herbe…Brigitte ! Ho ho ! Brigitte ! relève-toi ! viens voir Papa !C’est qu’elle ne bouge pas d’un poil cette conne ! D’habitude… les femelles montrent de légères réactions lorsqu’on pousse une gueulante… Bon, on ne peut pas dire qu’elles répondent à leur nom, loin de là, mais pour elle, la voix humaine est synonyme de compléments alimentaires appétissants et cela suffit largement à leur faire tourner la tête…Elle m’inquiète… Je vais me rapprocher.Brigitte ! Ho ho ! Brigitte !Il ne faut pas non plus… que je m’en approche de trop… Elle ne m’a jamais posé de problème, mais il faut toujours se méfier des réactions que peuvent avoir les animaux blessés ou en mauvaise santé… Je me souviens d’une fois où, dans un bois, j’avais découvert gisant à terre un petit oiseau, tout mimi, tout jeune, qui avait dû tomber de son nid. Etant moi-même tout jeune, je me suis naïvement baissé pour le ramasser. Et bien - croyez-le ou pas - cet oisillon, alors que je m’apprêtais à le saisir, m’a planté son bec acéré dans la main ! et j’ai dû le broyer entre mes doigts pour qu’il arrête de me piquer.Bref, je vais rester à bonne distance et prendre un long bâton pour la taquiner.Brigitte ! Ho ho ! Brigitte !Non, décidément, elle n’a pas l’air de vouloir bouger… Je vais enfoncer la pointe du bâton un peu plus profondément dans sa fourrure et atteindre le cuir… elle va bien finir par réagir…Allez…Et non… je me rapproche encore… de la main, je la pousse délicatement… mais sa chair inanimée me semble toute raide… On dirait une de ces statues grecques de l’olympe en version trente millions d’amis, une athlète quadrupède en manteau de vison sur le point de prendre le départ d’un cent mètres haie.J’insiste… et la pousse à nouveau, juste un peu plus virilement… Ha… là, je crois… qu’elle perd l’équilibre… et dans la boue, elle s’écroule lourdement. Ma foi bel et bien trépassée…Je suis mal… Je suis vraiment dans une mouise noire. Deux bêtes disparues dans la même journée, dont une qui pour sûr est morte ! Je crois que je vais prendre mes jambes à mon cou et déguerpir loin, très loin d’ici, au Mexique té ! Il y fait chaud, on y boit des margaritas et il y a plein de señoritas… Je n’ai plus qu’à prendre une bonne mappe monde et à regarder où ce paradis se situe exactement !Non… Gardons les pieds sur terre… Il faut que j’assume, je n’y suis pour rien, je n’ai fait que découvrir le corps… J’oublie pour l’instant le premier des deux mystères et je vais aviser Monsieur Bourru de la mort de Brigitte… Son moment était assurément venu, oui, je ne vois pas en quoi cela me concerne, je n’ai rien à me reprocher, je m’en suis toujours très bien occupé, aussi bien que tous les autres membres du troupeau…Ouf…Il ne faut pas pour autant que j’oublie de respirer…Reprends ton calme et n’oublie pas ton souffle…« Hey gamin ! Qu’est-ce qu’il t’arrive ? T’as une bête malade ? »Tiens ! C’est vrai que je suis aux limites des terres des Bourrus. J’ai presque les pieds chez le Lucien !« T’inquiète Lucien ! Tout vas bien ! C’est juste Brigitte qui nous fait son petit caprice !- D’accord gamin ! Alors passe une bonne fin d’après-midi ! Ha ! Ha ha ! Ha !... »Ouais… c’est pas gagné… Je fais un coucou d’au revoir au vieux Lulu et je me retourne vers la scène du drame.Ça batifole. Enfin, autant qu’un troupeau de yack peut batifoler... Et en dehors de Brigitte, le reste du groupe est visiblement en pleine forme…Bon. Je me jette à l’eau - comme si je n’étais pas suffisamment humide - et je me dirige vers la ferme.« Splash Splash » Fit la boue.La cuisine est éteinte, nulle trace de Madame. Elle a pourtant pour coutume de s’occuper de la vaisselle immédiatement après les repas...Et cet après-midi, l’évier dégorge de plats, d’assiettes, de couverts… le tout plongé dans de l’eau vaporeuse… Le produit récurant renversé, et l’éponge, couverte de mousse, toute prête à être utilisée, me donnent l’impression d’une activité ménagère coupée court.Un bruit m’interpelle… Une sorte de saccade rythmée, assortie de grincement, ponctuée de couinement, un bruit qui en ces lieux… m’apparaît totalement inédit.Je me questionne un instant et… une sale image me revient en tête.Celle du vieux couple de pervers en pleine copulation.Je fais un tour d’horizon.Un fin trait de lumière s’étale au-dessous du rideau de la remise. Madame Bourru doit y être, cela tombe parfaitement bien, elle est plus compréhensive et beaucoup moins bilieuse que son mari. Ça me servira de première approche, pour tâter le terrain.Je tire le pan de rideau.« Madame Bou… » Varices et vergetures à l’air, jupe aux chevilles, plis sur plis, bourrelets sur bourrelets. Son vieux croulant de mari dans son dos, occupé à lui faire son affaire. « … DU CON ! Excusez-moi ! Je ne voulais pas !- Vain Dieu ! P’tit ! S’affola m’sieur. Satire !... Arrête donc de nous reluquer !... Et referme c’rideau ! »Je vais vomir… Je vais… vomir… La garbure panachée de gnole me parcoure la tuyauterie. Un peu de concentration… je retiens le mélange détonnant à l’intérieur.Je le retiens… je ne suis pas près de vomir, pas ici, pas maintenant.Et je pense… ne pas être près, non plus, d’oublier cette scène horrifiante, marquée au fer rouge de surprise, de gêne, de dégoûtantes remontés gastriques et d’abominables visions…Qu’est-ce que je fais à présent ? Je suis bien avancé… Je reste là ?J’en ai pas envie...Cela va m’obliger à… réfléchir.J’commence mes habituels cent pas.Les décrépits s’en donnent à cœur joie ! J’sais pas ce que les vioques ont pris, mais ça fait son effet ! Et ils semblent accélérer le mouvement !...J’arrive dans un coin de la pièce. Je fais demi-tour.Ils piquent une pointe à deux cents oscillations/minute et le parquet en craque, en grince, en crisse…J’arrive à l’autre bout de la pièce. Je fais demi-tour.La vieille couine. Vas-y qu’elle jure… Vas-y qu’elle jure… Elle en veut !« Ho qu’la gaulle est costaude c’te jour ! Dis ! Ho ! Oui ! Tu n’as pas terminé d’y aller là ?! Vas-y ! Mais vas-y ! Remets-là moi ! »Je n’aurais jamais cru que les tripes de cette mamie - bonhomie incarnée - recelaient une telle dose d’obscénités !...J’en ai un frisson dans le bas du dos.Je m’arrête. Ils vont bien finir « D’y aller là !... » à un moment ou à un autre !... Je vais pas retourner dehors et fuir ! ce serait ridicule… Non, je prends mon mal en patience… et j’attends.Punaise… Le plancher en vibre ! Dingue ! On dirait un tremblement de terre… Si je ne savais pas ce qu’il se tramait exactement dans ce cellier - antre de perversion… je suis persuadé que je prendrais ça pour un séisme - ho ! arrête de te remémorer cette scène d’épouvante ! c’est vraiment trop crade ! ou alors… ou alors je pourrais me dire qu’il s’agit d’une charge de yacks…Oui. Tout bien réfléchi… ça ressemble à si méprendre à une charge de yacks… Et le grondement, par ailleurs… s’amplifie.Je vais à tout hasard jeter un coup d’œil par la fenêtre.IIILa charge du yack :

 

Le yack est un animal grégaire. Il demeure placide et calme jusqu’à ce qu’un événement extérieur à sa propre volonté vienne troubler sa quiétude. Une fois qu’un individu est perturbé, il lance compulsivement un vent de panique suivi d’une course frénétique au sein de son troupeau - groupe généralement de taille moyenne (quelques vingtaines d’individus).Bon… Ils n’étaient peut-être pas autant… mais rien que huit bestiaux, vous voyez, huit légères tonnes de barbaque, galopant à toute bringue pour fuir je ne sais quoi, qui - comme si cela ne suffisait pas - vous foncent droit dessus… Même séparé de la horde par un mur de pierre de granit première qualité… ça craint !Et les deux proprios qui s’en donnent à cœur joie sans soupçonner quoi que ce soit… ça craint !Estimation rapide : 200 mètres. Alors, à environ 40 kilomètres-heure, ça fait… heu… Attends voir… du 10 mètres/seconde, dans précisément…Ils sont là !Tournez ! Ho ! les gars ! Tournez ! z’êtes encore plus bête que vous ne paraissez ! Bande d’abrutis congénitaux ! Tournez ! Vous ne voyez pas cette grosse bicoque biscornue qui ressemble à une falaise ? juste devant vous ? Non ! z’êtes trop cons !Je plonge et me planque sous la table en chêne massif de la salle à manger. Ratatiné.Tout vibre.Le bourdonnement secoue les simples vitrages mal mastiqués de la pièce. Même le dallage du sol semble se desceller.J’en reviens pas !BROUMM !!Je suis bien à l’abri là. Je suis bien à l’abri. Les vitres ont sauté mais les murs ont tenu. C’était vraiment de belles et de solides constructions qu’ils bâtissaient à l’époque, je n’ai jamais autant admiré mes aïeuls bâtisseurs, ils m’auront sauvé la vie à titre posthume…Ouais…Je vais mirer un chouia au dessus du plateau de la table…… … …Bien… Seule une femelle maigrelette (556 kilos grand max) est arrivée à fourrer sa grande gueule au travers d’une des fenêtres de l’entrée. Ses cornes démesurées se sont coincées en trav’ et la miséreuse lutte désespérément pour… sortir ? Non. Heu… Elle lutte pour rentrer !... Dingue !Meuuu !? Meuuu !?La pauvre… Elle se demande ce qu’il lui arrive…Meuuu !? Meuuu !?Calme-toi, ne t’inquiète pas Gretta, je suis à côté de toi, je vais te sortir de là…Meuuu !? Meuuu !?Mais arrête de pousser ainsi ! tu ne feras pas bouger le mur, tu sais, il suffirait que tu reprennes tes esprits et que tu taises ce meuglement pulsatif ! Tu dois t’apaiser, te concentrer un peu sur ta situation, ta posture.Meuuu !? Meuuu !?Tu ne veux rien comprendre, c’est ça ? T’es bien aussi têtue que toutes les femmes… à mettre dans le même panier !« Vain Dieu ! P’tit ! Mais qu’est-ce que c’est que ce bordel ?! Tu peux m’expliquer ce que Gretta fout dans notre entrée ?- Non, Monsieur Bourru, le troupeau s’est mis à charger sans que je puisse y faire quoi que ce soit ! Je n’y suis pour rien ! J’étais ici ! dans la salle à manger ! lorsque tout a commencé !...- Quoi ? Tu es resté là ?! Tu nous matais ! Salopiaud ! C’est ça ! Tu te rinçais l’œil au lieu de bosser ! Tu vas goûter de la mitraille, minot ! Attends que j’arrive à libérer Gretta ! Tu vas voir ce que tu vas voir !...- Ce que je vais prendre…- Quoi !... Fais pas le mariol !... Viens plutôt m’aider ! Enfin non ! Elle est trop affolée, elle n’a pas l’air de vouloir stopper son manège ! Vas me chercher le fusil anesthésiant ! »Le fusil anesthésiant… juste au dessus de la 22 long riffle, dans l’armoire… heu…« C’est que je n’ai pas la clé de l’armoire !- Demande à Mamie mon p’tit ! et presse-toi les miches ! »Direction : la remise, d’où Madame Bourru n’est toujours pas sortie…« Madame Bourru ? C’est le p’tit ! Je peux rentrer ? je dois aller chercher le fusil anesthésiant ? votre mari en a besoin pour régler un léger problème ! Il me faut les clés de l’armoire ! ça urge ! »Absence de réponse.« Madame Bourru ? »Toujours aucune réponse.Je m’inquiète… M’entend-elle ? Je glisse mon avant-bras le long du rideau et le soulève délicatement…Un bazar sans précédent règne dans le réduit. Comme si une tornade venait de faire virevolter en tous sens les réserves de pommes de terre et autres légumes, les boîtes de conserve, les pots de confiture… Il y a des gerbes de coulis de framboise étalées partout, du sol au plafond, sans omettre les murs, les meubles, le carrelage et le corps inerte de Madame Bourru.Le corps inerte de Madame Bourru !« Madame Bourru ! »Je me jette dessus. Elle est à moitié nue. J’en fais abstraction. Tant bien que mal… Disons… que je détourne le regard pour éviter de faire de mauvaises rencontres. Je baisse le châle qui recouvre la partie basse de son visage. Elle fait une abominable grimace, ses bajoues et ses pommettes sont froissées de multiples fossettes, tortueuses, tourmentées. Ses deux grosses lèvres n’ont plus l’air de s’entendre et partent chacune de leur côté, comme tendues par des fils invisibles. De sa bouche suinte une sorte de mousse blanche parsemée de solides morceaux roses et… ovales… Et le peu ragoûtant mélange, goutte après goutte, vient rejoindre la bouillie de framboise sur le carrelage.Ho ! le bon milk-shake !...Je vais vomir…Non, non. Pas le temps. Je dois prendre le pouls de la vioque.Je plonge mon duo index/majeur dans un recoin obscur et humide du vieux cou plissé de la patronne.Un battement…Un autre… C’est pas mal… au moins, son cœur palpite encore…Heu…Attends voir…Non… Doux Jésus, non… Sa pompe à cholestérol vient de s’arrêter de trimer…Souvenons-nous, souvenons-nous, souvenons-nous… du stage de premiers secours. Le stage de premiers secours… Mais… ça fait dix ans déjà ! il n’aurait pas pu me servir avant ! ce putain de stage !...C’était… lors de ma deuxième… heu… si ce n’est de ma troisième seconde. En plus… je m’y étais inscrit… Ouais, je m’y étais inscrit dans l’unique but de faire plaisir à ma petite amie de l’époque, pour qu’elle m’accorde enfin ! ses faveurs. Le plan avait bien fonctionné… Angèle… Ouais. Angèle… je m’en souviens comme si c’était hier…Elle avait une de ses paires de sboubs !... On ne voyait que ÇA !D’ailleurs… Je crois que de l’ensemble du stage de premiers secours… je n’ai retenu que l’image hautement érotique d’un décolleté échancré à l’abus.Ha ! La garce !Comment je fais moi maintenant ? Hein ? Comment je fais ?« Ho les jeunes ! Regardez tous, et concentrez-vous un instant, je vais à présent vous montrer comment procéder à un bouche-à-bouche lors de la réanimation d’une personne ayant succombé à un malaise cardio-vasculaire. Une opération, qui, pour être efficace, doit impérativement s’assortir d’… »D’une grosse paire de seins !Merde !Attends, attends… ça va me revenir… le bouche-à-bouche doit s’assortir d’un…Putain, d’un…D’un massage des seins ! c’est ça ! d’un massage cardiaque !Alors… « Ne faites rien, Madame. Dis-je, connement. Je vais vous mettre dans la position qu’il faut. Vous tourner sur le dos… »Elle est tétanisée à l’intérieur et flasque à l’extérieur, une barre à mine plongée dans une poche à liposuccion pleine à en craquer.Je fais rouler le sac de graisse. Et à présent… étalée comme ça… la mère Bourru ressemble comme deux gouttes d’huile à… à une étoile de mer obèse et mollassonne.Bref. J’essuie, avec le col de sa robe, le bouillon de bave s’écoulant sur le boudiné de sa joue et je me prépare à lui presser le torse avec énergie. Un coup, deux coups… allez, trois coups. Je m’approche de son visage pour lui insuffler une première bouffée d’air, mais… la bave est de retour, elle jaillit du fond de gorge et moi, je ne supporte pas la bave, surtout celle du fond de gorge, elle est épaisse, pâteuse… Deux spasmes stomacaux plus tard, je ressuie le clapet de ma grosse loche de patronne avant de reprendre la manœuvre depuis le début.Un coup, deux, trois…Je m’approche du visage et… Merde ! encore cette saloperie de bave ! C’est pas possible, tu pousses, ça mousse, c’est ignoble ! Comment je fais moi maintenant ? Hein ? Comment je fais ?Il me faut un tube. Ou un morceau de tuyau. Ou un bout de conduit. Ou… le support cartonné d’un rouleau de PQ… ou de sopalin !Du sopalin !...J’attrape le rouleau qui traîne au beau milieu de la pièce. Je le lance en l’air afin de dérouler la petite douzaine de feuilles restantes et je choppe, à sa redescente et au vol, le tube de carton.J’ouvre grand la bouche de la Bourru et… je m’aperçois qu’elle est - en fait - en train de se goinfrer de sa grosse langue. C’est immonde !... Et pour le coup, je ne sais plus du tout comment m’y prendre…« Monsieur Bourru ! Cris-je, à l’aide. Monsieur Bourru ! Votre femme fait un malaise ! Monsieur Bourru ! »Merde ! Mais qu’est-ce qu’ils ont tous aujourd’hui ? Ils ont décidé d’un commun accord de m’emmerder et de ne plus répondre à mes appels ?...Je me relève. Je sors du réduit. Et je tombe nez à nez avec…IVLes cornes du yack :

 

Chez le yack, les cornes sont latérales, recourbées, effilées, et mesurent de 65 à 102 centimètres chacune, pour un écartement pouvant atteindre 95 centimètres. Elles sont souvent utilisées pour fabriquer diverses pièces d’art sculptural, de type statuettes ou manches gravés pour couteaux et outils d’utilisation courante.Bon, aucun respect pour la tradition tibétaine le vieux Bourru. Il ne s’était pas - au sens strict du terme - fait emmanché…Cela dit, ce qui venait de lui arriver devait être relativement plus douloureux : sous le feu de l’action, une des baïonnettes d’ivoire de Greta avait traversé de part en part son torse rachitique et quelques unes de ses côtes l’avaient déserté en bonne compagnie de leur sternum.Il était planté là, fixant le plafond, les bras ballants.De larges giclées de sang avaient repeint l’entrée, et un petit geyser pourpre continuait à s’échapper de la plaie.Outre cette légère fuite de sang… Le tableau… Le tableau était plutôt statique, comme il se doit.La Greta elle, elle ne bougeait plus, la gueule ouverte, la langue pendante et les yeux exorbités d’inexpressivité…Comme vous pouvez vous en douter, la carcasse éventrée du patron ne s’agitait pas des masses non plus… seules une ou deux convulsions soudaines et fugitives me donnèrent une certaine impression de… vie ?Impression malheureusement tout à fait erronée…Heu…Je crois…Qu’il faut que je m’asseye un instant...Je pose mes fesses sur le dallage glacial de l’entrée, entre deux flaques de sang, et me fous en tailleur, la tête entre les mains, le regard figé sur le sol.Disons que… je me donne une minute pour réfléchir.Ho !... Jolie petite fourmi ! Qu’est-ce que tu fais ici ? Tu t’es perdue ? C’est ça ? Hein ? Tes amies t’ont abandonnée ?...Ho… c’est triste… Mais… Mais où vas-tu comme ça ?...Non ! Pas par là ! Tu vas te noyer dans la rivière de sang !Quoi ? Heu… Mais c’est tout réfléchi : j’appelle les flics, les pompiers, le SAMU, la garde nationale, la croix rouge, médecin sans frontière, le vétérinaire ?...Bref. Je me relève et je choppe le téléphone.J’approche le combiné de mon oreille…Aucune tonalité.Je tapote sur les touches du clavier.Aucune tonalité !?Aucune… tonalité… ça commence vraiment à être bizarre… non pas que la disparition du plus beau bestiau de l’élevage, suivi de la mort d’une femelle yack dans la fleur de l’âge, d’une charge inexpliquée du troupeau, des décès consécutifs de Greta, de Madame et de Monsieur Bourru - le tout couvert d’une coupure téléphonique - ne me paraissent étranges… mais tout de même…Tout cela me met dans une situation comme qui dirait délicate. Et le mot est visiblement un peu faible...Doux euphémisme…Attends voir…Le vieux Lucien… il m’a lâché son pick-up ! Une chance !...Ouais… Je vais déplacer les corps, les charger dans le coffre, et les emmener jusqu’à l’hosto. Au moins, on ne pourra pas m’accuser de non-assistance à personne en danger. Enfin… à personne déjà crevée… mais, peu importe.Les clés ?Dans ma poche.Je vais commencer par Monsieur.Tout doucement… je fais le tour de la nature morte. Je titille un peu les naseaux de Greta, question de vérifier si elle a bien rendu l’âme, et je constate qu’elle ne respire plus, et que d’ailleurs… elle ne bouge plus non plus. Je décide alors de m’attaquer à la cueillette du fruit flétri, trop resté suspendu à sa branche. Une chose est certaine : il est mûr et bien juteux.Je place mes mains sous ses aisselles, je me concentre pour gérer le décrochage sans trop d’accroc et… je pousse.C’est qu’il est lourd le vioque !... Mais qu’est-ce que je raconte moi ? Si je commence à me plaindre du poids plume de cet anorexique, je te raconte pas les lamentations avec la mère et son obésité cadavérique...Je continu de pousser... Et, accompagné d’un funèbre requiem de craquements, je parviens à envoyer bouler Monsieur brindille sanguinolente à quelques pas de mes pieds.Une bonne chose de faite.Il est maintenant allongé sur le dos, sorte d’îlot volcanique flottant dans sa lave… et sa femme serait donc… une sorte de limace nageant dans sa bave…Bref. Greta peut rester fichée là où elle est, elle donnera ainsi aux forces de l’ordre un aperçu de la folie furieuse de ma journée...Je choppe une des mains du vieux et je le traîne vers l’ancienne entrée de service (datant de l’époque où la ferme était encore une auberge, l’époque juste avant l’autoroute A20 et ses aires de repos multiservices, vous remettez ?). Cet accès est abordable en voiture.Je m’occupe de la Grosse ? ou… je rapproche le quatre-quatre ?La Grosse. Je me débarrasse prioritairement du plus compliqué : faire passer un tour de hanche version sumotori par une ouverture de réduit, réduite.Je soulève le rideau. Un gang de mouche à merde s’est déjà invité au buffet. Je tape du bout de la botte sur le cadavre, ça ne les dérange pas. Je tape une nouvelle fois. Ça ne les dérange toujours pas.Qu’à cela ne tienne. J’oriente le corps de façon à aligner ses épaules avec le cadre de la porte. Chose réalisée, je regroupe ses jambonneaux de bras en croix sur sa couenne de poitrine.Si j’avais du fil à rôti, je la ligoterais.Mon Dieu…Je la regarde étalée de tout son long et de tout son large et… je me rends compte… qu’aucune émotion ne naît en moi… pas même un soupçon de dégoût.Je la ligoterais bien.Un gros rôti…Pas le temps. Je passe par-dessus le talus. Je regroupe ses cheveux en trois épaisses mèches. Je les dispose dans son prolongement. Et je les tresse - en respectant toutes les consignes délivrées par ma soeurette lorsque je m’occupais de sa coiffure il y a une bonne quinzaine d’années déjà... Avec une dextérité ! Je vous raconte pas !...Voilà. Je ne me suis pas foiré, la tresse est réussie. Epaisse et réussie. Elle résistera très certainement à la traction. Essayons. Je l’entoure fermement autour de mon bras et je tire !Hooop !... hisss !...Ouais… J’ai beau tirer de toutes mes forces… heu… la tresse tient la route mais le tas de saindoux lui, rechigne à la prendre, la route… Je n’ai pu le déplacer que de quelques centimètres...Merde !... Je vais devoir faire preuve d’intelligence…Faire preuve d’intelligence…D’intelligence…Bé… Je vais faire rouler le tas sur des rondins de bois comme un monolithe moai ! Il me faut simplement regrouper les bûches rescapées du feu de cheminée de ce midi.Heu…Ai-je suffisamment réfléchi ?...… … …Heu…OUI.Je me rends dans la salle à manger et je fais mon marché dans le stock de bûches, près du foyer encore fumant. Bien sûr… je choisis les plus rondes et les plus régulières… cinq devraient suffire, je les entasse sur mes bras. Je retourne dans le cellier et je bazarde le tout par terre.Je bascule bon gré mal gré l’amas de gélatine et je glisse le premier rondin au niveau de sa nuque, le deuxième à hauteur de poitrine, le troisième sous ses hanches, le quatrième sous ses genoux et le cinquième, je le garde pour remplacer le premier, le moment venu.Je retourne m’enrouler la natte autour du bras, et je tente à nouveau de remorquer le poids…Allez…Oui ! Ça bouge ! Ça bouge !Impeccable !Je procède… Le remplacement des bûches s’effectue quasiment tout seul, comme si j’avais fait ça toute ma vie...Deux minutes plus tard, la gelée rose à l’anglaise avait rejoint son saucisson sec à la française, tous deux parallèles et face à l’entrée de service.Et c’est au tour du pick-up. Cela devrait être moins problématique.J’ouvre la porte, il flotte toujours autant, la pluie est oblique, puissante, elle ravine la terre, le chemin menant aux granges n’est plus qu’une large rigole boueuse aux airs de torrent.Je replace ma capuche en son lieu d’intérêt. Mes doigts couverts de sang m’interpellent. Du regard, je remonte un peu vers les paumes de mes mains… Elles sont tout aussi couvertes de sang. Je poursuis le cheminement oculaire, mes manches, mes épaules, et en fait, je m’aperçois que toute ma parka est maculée. Je m’en suis foutu partout… Et c’est en train de dégouliner sur mes cuissardes.Si tout à l’heure j’avais un vague air de tueur psychopathe, maintenant… pour un œil extérieur, cela ne devrait plus faire l’ombre d’un doute.Bon. Un coup d’eau et plus rien n’y paraîtra.Je sors.J’avance vite. L’eau s’insinue de toutes parts. L’imperméabilité de ce type de tenue est toute relative… Je m’en préoccupe un instant puis… j’oublie, car qu’il pleuve, qu’il vente, et même qu’il neige en plein été, j’ai franchement autre chose à penser.Je rejoins la grange au toit troué, celle devant laquelle j’ai laissé le pick-up il y a, à peine ! deux heures...Mon Dieu… Il s’en est passé des choses en deux heures !Je presse le pas. Et… j’ai soudainement l’étrange impression d’être suivi…Je me retourne.VLe yack volant :

Le Yack volant est un gros ruminant comme son cousin terrien. Il possède simplement deux membres supplémentaires, une large paire d’ailes jaillissant de part et d’autre de son corps, au niveau de ses omoplates. Issu d’une mutation post-natale, il n’est ni plus bête, ni plus intelligent qu’un yack classique - autant dire qu’il est complètement con lui aussi… Et son vol est à des lieux d’être majestueux… Il serait même plutôt hésitant et maladroit. Son poids en étant la principale cause.Il vole très bas car il est sujet à des crises de vertige et sa vue n’a rien de celle d’un oiseau. Myope, hypermétrope et astigmate, il ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Et plus près, c’est flou.

Toutefois, il n’en reste pas moins paisible et tout aussi facilement surpris qu’un yack des pâtures. Je sens tout à coup un grand courant d’air. Une bourrasque presque assez puissante pour me foutre à terre. Je lève les yeux, la monstruosité de tout à l’heure est de retour. Mais cette fois, je peux constater de mes yeux ébahis la nature précise de la chose...Saint Thomas lui-même n’en serait pas revenu.Il s’agit là de Sacha. Sa toison couverte de boue et l’écume aux lèvres, il me survole à tire d’aile. Ce grand benêt est allé batifoler dans la merde - aucun cas pour le boulot des autres. Deux grandes excroissances couvertes de plumes et de poils ont poussé sur ses flancs. Comment ? Bonne question. Pourquoi ? Bonne question. Il s’éloigne de moi, fait demi-tour, revient vers moi mais… il vole bas, très bas, alourdi par un amas de… un amas de câbles ! Je crains fort que ce soit ce pauvre bestiau qui ait arraché toutes les lignes téléphoniques en allant si enchevêtrer dedans...Mal assuré, il bat des ailes en ma direction, plus étonné qu’agressif… et je crois qu’il veut tenter un atterrissage. Pour venir me voir. Qu’il est gentil…J’m’en serais bien passé.Oui. Il est en pleine approche, ses quatre sabots en avant et… et son gros membre copulatoire ! - pour rester poli - tout rigide et tendu, tout droit dressé vers moi !Dingue ! La taille de cet engin ! Non pas qu’il me soit jamais arrivé de voir triquer le gros Sacha, loin de là… J’y ai même été obligé par les petites lignes illisibles au bas de mon contrat… (Il faut dire aussi que… c’est un des seuls reproducteurs du pays). Mais là ! Ça dépasse l’entendement ! Ça dépasse tout ce que l’on peut s’imaginer ! C’est sans précédent !Il va peut-être falloir que je m’écarte de sa trajectoire… Éviter de rester là, statufié et bouche bée...Ouais… Je me décale.Mais… mon pied ripe dans une flaque de boue, je bascule en avant, je me mets à courir dans le vide, trois, quatre grandes enjambées inutiles, je patine sur place jusqu’à… jusqu’à épuisement et je finis par me gaufrer lamentablement. La tronche à l’exact centre de la flaque de boue rendue bien pâteuse par mes soins…Un œil encore alerte, j’entrevois Sacha occupé à amerdir. Lui aussi patine dans la bouillasse, son inertie est telle qu’il va bien lui falloir vingt mètres pour s’arrêter. Vingt mètres… Oui, vingt mètres, il va se prendre le mur de la ferme.Tout en pédalant, il parvient quand même à se retourner pour me regarder, et dans son pauvre regard monocorde, je n’arrive pas à distinguer la fierté de l’ahurissement.Il dérape, il dérape, maintenant à reculons, de plus en plus lentement, et aboutit tout en douceur en glissant une partie de son gros séant dans la porte de service restée entrouverte.Il se dégage en deux temps trois mouvements, se remet à courir vers moi ; je m’inquiète un moment, mais arrivé tout juste devant mon nez, il dresse ses ailes, décolle, claque deux fois des battantes, n’arrive pas à prendre d’altitude, fonce sur une ligne électrique, ne la voit pas - et du coup, ne frêne pas - se prend les câbles, s’entortille, bousille tout, arrache les piliers, et dans un éclair électrique, se fige, paralysé.Il sursaute. Se tortille. Puis plus rien.Et merde ! Ce con de Sacha est allé lui aussi s’auto-dézingué !Tout fout le camp !Je me relève et je cours vers lui. Pourquoi ? Je ne sais pas. Peut-être ai-je la naïve intention de lui porter secours…Arrivé sous la masse pétrifiée, pastiche de postiche pendue par une aile et une corne à quelques trente centimètres du sol… je m’arrête et percute : si le monstre me faisant face est mort électrocuté… je crains fort pour ma vie à l’endroit où je me trouve… Je dérape donc à nouveau, et je retourne, aussi vite que je suis venu, là où j’étais.Finalement, je suis plutôt bien là où je suis.Tout à coup, un nouvel et non moindre éclair quitte le sol et percute le flanc de Sacha. Lui donnant ma foi… un tout autre visage... Les pattes, les ailes, et même les deux cent mille plumes de ses ailes, toutes dressées comme celles d’un ange minotaure, le corps baigné d’une toison de flammes, Sacha avait l’air à présent d’un suppôt de Satan, en pleine représentation, ou de Satan lui-même. Ouais… Je le vois bien comme ça Satan. Abruti, sans émotion, et puissant, oui, tout puissant… l’espace d’une étincelle…La pluie ne semble avoir aucun effet sur le feu de Bengale. Un grand nuage de fumée s’est formé au dessus du brasier, la carcasse commence à suppurer un suc graisseux qui dégouline… Une cascade de gras sur une montagne de barbaque, un méchoui sous la pluie.PANG !Grosse douleur, indescriptible. Je tombe à terre, enfin… à pataugeoire pleine de boue. Et en passant, mon regard s’arrête sur ma main gauche :« Aïe ma main ! Putain de saloperie de sa race de merde ! Ma main ! On m’a tiré dans la main ! Qui est le foutu con ! qui m’a tiré dans la main ?! »PANG !« Ho ! Mais non ! Mais arrêtez ! Celle-là m’a frôlé le pied ! »PANG !« Mais vous voulez me tuer ? »PANG !« C’est ça ! Vous voulez me tuer ! »Je me relève. Et fonce me réfugier dans la baraque.Vous croyez qu’on a essayé de me tuer ?Suis-je con, non, vous n’en savez rien…Je claque la porte. Me pose sur la première chose venue. Madame Bourru. Et m’enserre le poignet gauche :« Ho merde, ma main ! Ha… Je pisse le sang, bordel de merde… Je pisse le… J’ai la tête qui… Je vais faire un… malaise.… … …Houa ! La chute de tension ! J’ai fermé les yeux là… Oui, je les ai fermés. Mais combien de temps !? »BROMM !« Quelqu’un est à la porte ! Je me suis endormi ! Attends… Quelqu’un est à la porte… Le dingue qui a essayé de me tuer ! Il est à la porte ! »J’attrape les clés de l’armoire à flingue et les arrache de la ceinture de Madame, quitte mon pouf de graisse et saute vers le meuble contenant la 22 long riffle. Je l’ouvre, choppe le fusil, une boîte de cartouches, et bascule l’armoire en avant. Elle est massive et se remet d’aplomb. Je réitère, bringuebale le tout d’avant en arrière jusqu’au déséquilibre.BROMM !Et je me réfugie derrière. Allongé.« Ouais ! Ouais ! Je suis à la porte ! Gamin ! Et tu vas me l’ouvrir cette porte Gamin ! Sinon, boudiou, Gamin ! Je la fais sauter cette porte ! Allez ! T’as trois secondes Gamin ! Un… Deux… Deux et demi… Deux trois quart ! Ho ! tu fais chier Gamin ! je vais devoir gaspiller une cartouche ! »POUM !Putain - putain je dis trop putain, toutes les dix phrases, en moyenne - il a défoncé la porte ! Elle est restée fermée, le verrou à tenu, putain, ils étaient solides les verrous à l’époque ! - putain, j’ai encore dit verrou… le centre a éclaté, reste la poignée, à ras de cadre, une partie haute, une partie basse, intactes.Il passe le canon de son fusil, lentement, mais vraiment lentement, un bon moment… un… bon…Non. Là, il abuse. Il prend vraiment trop son temps. Qu’est-ce qu’il est lent... J’en profite pour charger mon arme. Canon déboîté, cartouches enfoncées, canon réenclenché, approvisionné, chargé.« Hé hé ! Gamin ! Me voilà ! J’arrive ! »Non… Je l’aurais pas cru… T’es super discret… et subtil… Un finaud de ta trempe doit certainement avoir une excellente raison pour venir m’assassiner sur mon lieu de travail. Non. C’est vrai. Je suis curieux de savoir ce que j’ai bien pu te faire pour mériter ça ! pour mériter la peine capitale ! sans jugement préalable !« Hé Gamin ! Tu veux que j’te dise kekchoz’ ?Oui, je vais répondre et me faire repérer. Finaud.« Bon, bé j’vais teul’dire quand mêm’Gamin : j’t’aime pô ! mais pô du tout. Tu sais qui j’suis ? »Ouais, super difficile à découvrir… Déjà, c’est ni Madame, ni Monsieur Bourru, tous les deux morts, bon, on aurait pu croire à une nouvelle transformation du yack volant, en paysans à fusil, mais lui aussi est mort. Ce ne peut donc être que… ouais, que le dernier personnage ayant fait deux apparitions éclairs dans l’histoire, je sais plus quand - attendez je regarde… Au 1er et 2ème chapitre.Quelle page ?Vous ne seriez pas un peu trop exigent ? vous ?Bref. Lucien, le rustre débonnaire.« Lucien ! Je t’ai reconnu, je vais sortir, mais je t’en conjure, essaie de m’expliquer la situation avant de tirer, j’aimerais savoir pourquoi tu m’en veux tellement… et… et regarde autour de toi !... Tu n’es pas étonné de voir tes voisins raides morts ?- Ouais, ouais Gamin, j’vais t’expliquer, pour l’instant, sors de ta cachette ! Allez Gamin ! sors de derrière cette armoire, avec les mains bien en évidence ! »Merde, il m’a repéré.« Et, ha ha ! HA !! en ce qui concerne tes employeurs, je ne suis pô étonné pour la simple et bonne raison que je les ai empoisonnés, tous les deux, avec des pilules contre l’impuissance assorties d’un concentré d’arsenic à dissolution lente, futé le vieux poivrot, non ? J’vais te dire Gamin, je ne pouvais plus les blairer ces deux prétentieux, avec leur troupeau de puanteurs ambulantes, ils étaient sur terre pour me démontrer mon insignifiance, et ton ! insignifiance… Ils ont directement été envoyés par Belzébuth des entrailles de l’enfer pour m’infliger des souffrances insoutenables ! Le feu nous entoure ! Le feu est partout ! Je suis Dieu ! Et je devais accomplir mon destin sans entrave ! Le feu est partout ! Il nous entoure ! Et leur présence m’insupportait ! Leur présence ! Insupportable !... Et d’ailleurs ! je ne te supporte plus non plus ! tu retardes toi aussi la bon déroulement de mon dessein de conquête de l’univers ! Je suis Dieu ! et c’est précisément pour ça ! que tu vas aller les rejoindre tes crétins de patrons ! dans l’autre monde ! en enfer ! Gamin ! »- Et pour Sacha ? »- Sacha ? Sacha ? Sacha, sais pô… Encore un de ces enculés de suppôts de Satan !... Sont partout. »- Ha… »DÉSOLÉ… Pascal Forbes Black-out tous droits réservés
Signaler ce texte