LES BEAUX JOURS REVIENNENT

tintamare

Depuis qu'il a trouvé ce boulot, il est vraiment peinard. Il est peintre de nuit. Il repeint les bureaux la nuit, quand les locaux sont vides. Comme ça les travaux ne gênent pas le personnel et la boîte n'est pas obligée de ralentir ses activités, lui a expliqué son patron et puis il n'y a personne pour l'emmerder.

Quand il a trouvé l'annonce à l'ANPE ça l'a fait tiquer : " PEINTRE DE NUIT ".  C'est ça qui lui a plu, imagine la tête des gens : peintre de nuit. Sauf qu'il n'y a pas grand monde pour s'intéresser à ce qu'il fait dans la vie.

Le patron lui donne un chantier, et il s'organise comme bon lui semble. Il arrive vers sept heures-et-demie-huit heures et il bosse jusqu'à quatre-cinq heures du mat'. Perché sur son escabeau, à manier la truelle ou le pinceau, en écoutant sa musique de sauvages à plein volume.

Parce qu'il n'écoute que ça, de la musique de sauvages. Chants pygmées, tambours du Burundi, chœurs Inuits, musique sacrée aborigène, psalmodies diverses et j'en oublie. C'est la seule musique authentique, dit- il, et ici il ne craint pas de déranger les voisins. La dernière fois qu'il a essayé, chez lui, ses voisins sont venus tambouriner à sa porte, en délégation. Ils étaient tous là agglutinés dans le couloir, l'air vaguement inquiet, l'œil inquisiteur, s'attendant vraisemblablement à découvrir la célébration d'un rite vaudou ou je ne sais quoi, avec transes, encens, magie noire, sacrifices et puis quoi encore ?

Parfois il fait une pause et va fumer une cigarette dans une pièce épargnée par les travaux, les pieds sur le bureau, en essayant de s'imaginer dans la peau des gens qui viennent travailler là tous les matins. A chaque pause, un bureau différent passant du statut de secrétaire à celui de grand patron, de sous - directeur- adjoint ou de standardiste.

Il rentre le matin à l'aube. Et tous les matins, à son retour, il est accueilli par le chat qui se frotte à ses jambes en miaulant de lancinante façon, manquant le faire tomber à chaque pas qu'il fait. L'animal ne le lâchera pas tant qu'il n'aura pas rempli sa gamelle de cet amalgame rougeâtre qu'on nomme pâtée pour chat. C'est la première chose qu'il fait en entrant, juste après avoir allumé la lumière. Sinon il risque de se casser la figure vingt fois. Il le sait, il a essayé, au début, dans un timide essai de résistance à cette forme de tyrannie animale. Il s'est écrasé le nez sur le tapis une bonne paire de fois tandis que la bestiole le regardait, avec son air de ne pas y toucher et il a cédé. Une première fois. Et toutes les fois qui ont suivies.

Ensuite seulement il peut se déshabiller, enlever la veste de cuir qu'il porte été comme hiver, et quitter ses fringues de chantier. Une toilette succincte, un verre de lait et au pieu. Il attend que le chat vienne se coller à lui en ronronnant et il s'endort vite-vite avant que tout l'immeuble ne se réveille dans un tintamarre de sonneries de réveils, de robinets qui coulent, et de portes qui claquent. Ensuite, c'est la rue qui prend le relais : camions qui livrent, bagnoles, embouteillages, klaxons et cris divers. L'enfer. Une fois endormi, la maison peut bien s'écrouler.

C'est encore le chat qui le réveille en lui grignotant les pieds. La bête a faim, et c'est pas la patience qui l'étouffe. Alors il cède encore et va la nourrir, au radar, l'air abruti, l'œil encore tout hébété de sommeil. Un peu d'eau froide sur la figure avant d'aller au bout du couloir, à un bon kilomètre de sa chambre, en suivant des méandres innombrables. Un vrai labyrinthe. Quand il a emménagé, la première semaine, il s'est bien perdu deux ou trois fois, mais maintenant il connaît bien les lieux. Il va au plus court, il suit toujours la même trajectoire en coupant les virages au cordeau, au plus près, en rasant les murs. Depuis le temps, il est sûr qu'il ne peut pas faire plus court, il a calculé au centimètre près, il connaît le nombre de pas, quatre-vingt-sept exactement. Il n'a pas envie de traîner avec son rouleau de pécul dans une main et une lunette de vécés sous le bras.

Forcément, à un septième étage, les vécés sont communs à tout le monde. Et ce qui est à tout le monde n'est à personne, c'est bien connu. Il y a belle lurette que le dernier couvercle est tombé en morceaux et attend derrière le siège d'être remplacé. Alors pour éviter de poser ses fesses sur la faïence froide et humide, il se promène avec sa propre lunette.

De toute façon, il a peu de chances de croiser quelqu'un à cette heure-ci. Les valides sont au boulot ou au café. Les vieux, eux, restent cloîtrés. On ne les voit jamais. On sait qu'ils sont là parce que ça sent le vieux quand on passe devant chez eux. Et puis on entend parfois des toux rauques, des raclements de gorge ou des longs monologues inintelligibles. Mais ils ne sortent jamais, ni pour manger, ni, à fortiori, pour aller aux toilettes.

Sur le chemin du retour, il rencontre parfois son chat qui erre dans les couloirs. La bête s'est échappée dès la porte entrouverte. Une fois de plus, l'animal passe avant tout et c'est toute affaire cessante qu'il doit tenter de le ramener au bercail avant qu'il n'ait choisi un paillasson pour l'orner d'une crotte malodorante.

C'est une belle corrida qui s'annonce pour lui faire réintégrer le bercail, avec des grands moulinets des bras et de nombreuses tentatives d'intimidation accompagnées d'onomatopées du plus bel effet sonore, quoique parfaitement inefficaces. Le chat consent néanmoins à regagner ses pénates au bout de quelques temps, comme si l'interlude sportif avait assez duré et qu'un arbitre avait sifflé la fin de la partie.

Il peut alors s'asseoir sur son lit pour reprendre son souffle et envisager d'autres occupations pour la suite de la journée.

Petit-dej' avec le pain de la veille trempé dans du café noir. Un coup d'œil dans le frigo, où quelques restes à différents niveaux de décomposition se partagent l'espace trop grand, lui permet d'apprécier l'étendue du désastre : cette fois, impossible de remettre à plus tard la corvée de ravitaillement, à moins d'imaginer un prétexte valable pour entamer une grève de la faim. Mais il lui faudrait encore convaincre le chat.

C'est donc parti pour une séance de courses au Prisu d'en bas. La liste des courses est vite faite : juste le nécessaire et l'indispensable, plus un ou deux produits en promotion qui lui auront attiré l'œil. Mais attention à la surcharge s'il ne veut pas risquer le lumbago dans l'escalier. Attention aussi à ne pas rentrer sans avoir fait le plein, ce qui l'obligerait à redescendre le lendemain.

Remarque, depuis qu'il a aperçu la petite rouquine à la caisse quatre, la corvée est moins rébarbative ; il ne se ferait pas les six étages rien que pour ses beaux yeux, mais puisqu'il faut bien remplir le frigo, autant joindre l'utile à l'agréable. D'autant plus qu'il a bien cru remarquer que la caissière répondait à ses sourires. Il lui reste à pousser un peu son avantage tout en évitant de passer pour un dragueur de supermarché. Ce n'est pas une mince affaire. Il n'a pas beaucoup l'expérience des filles, fils unique élevé dans une école de curés, il n'en a pas rencontré tant que ça. Même s'il n'est pas totalement novice en la matière, et s'il a quelques notions de ce qu'il ne faut pas faire pour éviter de se prendre une veste, la partie n'est pas gagnée d'avance.

Le dimanche il fait comme tout le monde : repos. Il installe la télévision au pied du lit, un plateau de bouffe à côté, et il passe la journée au plumard, à regarder des séries idiotes, des Émissions de variétés insipides, et des jeux niais à la télé. Il zappe d'une chaîne à l'autre, sans rien trouver de suffisamment intéressant pour s'arrêter dans ce brouillamini insane. Des dimanches fades et interminables, à somnoler à demi, avec la bestiole qui vient se coucher presque sur sa figure en l'étourdissant d'un ronronnement revendicatif.

Mais aujourd'hui, ce n'est pas un dimanche comme les autres. Même le chat a dé le sentir puisqu'il le regarde aller à la fenêtre sans songer à manifester son impatience quotidienne. La fenêtre ouverte, il sort sur le petit bout de balcon qui lui est dévolu, bientôt suivi par l'animal qui vient s'asseoir sur ses pantoufles. Du haut de son septième étage, il ne sent pas trop les remugles de la vie citadine et il peut profiter des prémices du printemps. Il fait doux et il n'y a presque pas de nuages derrière la fine couche de brume qui flotte sur la ville. Juste un petit courant d'air frais, pas désagréable du tout.

Le chat s'aventure même de quelques pas dans la gouttière, la queue dressée comme une hampe, les moustaches frissonnantes. Mais, comme lui, a bête n'a guère le tempérament d'un aventurier et elle revient vite se blottir dans ses jambes. Il la regarde d'un air bienveillant et lui parle même un peu, à voix basse ; l'animal le regarde d'un air dubitatif et entreprend de quémander sa pitance en grinçant comme une vieille porte. Le chat ne respecte ni le jour du seigneur, ni le jour du printemps.

Pour une fois, il obtempère sans râler. Les protestations félines le font même sourire.

Finalement c'est elle qui lui a adressé la parole la première. Elle devait en avoir marre d'attendre qu'il se jette à l'eau et elle a pris n'importe quel prétexte pour engager un semblant de conversation.

-  Vous n'allez pas mourir de faim avec ça, lui dit-elle, en montrant les boîtes pour le chat.

- ... Euh non, c'est pour mon chat...

En rougissant jusqu'aux oreilles. (Mais quel con !)

- Il en a de la chance, vous le gâtez !

Avec un grand sourire.

- Ben oui, il est très exigeant, c'est un vieux chat...

En rentrant chez lui il se donnerait volontiers des baffes. Quel crétin! Pour un peu, les larmes lui montraient aux joues, y'a vraiment pas de quoi être fier. Si avec ça elle lui adresse encore la parole, c'est qu'elle est vraiment pas bégueule. Il a vraiment le sentiment d'avoir eu autant de conversation qu'un attardé congénital. Enfin, grâce à elle, le plus dur est fait, la glace est rompue et ils ne sont plus tout à fait des inconnus l'un pour l'autre. Avec un minimum d'inspiration, il devrait pouvoir engager une conversation d'un niveau un poil supérieur à celle d'un pilier de bar atteint de sénilité précoce, et lui montrer qu'il n'est pas tout à fait aussi con que cet embryon de discussion tendrait à le prouver. Tiens, il aurait pu lui répondre un truc un peu plus spirituel du genre oui si vous voulez je vous invite à dîner. Evidemment c'est toujours trop tard qu'il pense à ce genre de réparties. Avec un peu de chance, il espère quand même pouvoir éveiller chez elle un minimum d'intérêt.

Ça faisait plusieurs jours déjà qu’un changement se faisait perceptible. Quand il prend le premier métro pour rentrer du chantier, il lui arrive de croiser quelques noceurs attardés qui finissent leur nuit quand d'autres commencent leur journée. Ces joyeux drilles font un peu tâche parmi les travailleurs aux yeux mi-clos, à l'haleine déjà chargée de la cigarette qui leur tient lieu de petit déjeuner, avec le bol de café noir sur un coin de table. Certains essayent de grappiller quelques minutes de sommeil en rab, la tête appuyée contre la vitre, bercée au rythme des trépidations métropolitaines. Ces quelques instants de sommeil volés sont bien le seul point commun entre ces deux espèces qui somnolent tous un peu, les uns cherchant à rallonger leur nuit, les autres à prendre un peu d'avance avant de se glisser dans les draps.

Lui, qui ne fait partie d'aucune de ces populations, il est là un peu comme un ethnologue, en observation. Et c'est ainsi qu'il a noté que les fêtards tardifs se faisaient de plus en plus nombreux. C'est un signe qui ne trompe pas : en hiver les soirées sont courtes et les nuits sont froides, si les noctambules veillent si tard - si tôt - c'est que les beaux jours reviennent. Cette perspective lui réchauffe un peu le cœur.

La semaine suivante il fait une entorse à son programme dominical. Il profite d'un rayon de soleil un peu plus tenace pour aller boire un verre à la terrasse du café juste en bas. Il reste là à rêvasser, affalé sur la chaise inconfortable. Un peu plus et il ne la voyait pas passer, perdu qu'il était dans ses pensées vagues et sans objet.

- Tiens ? Bonjour, ça va ?...Avec un petit regard par dessus ses lunettes de soleil.

-  ?!...Ah, tiens, bonjour!...Avec son si joli sourire... Je ne vous avait pas reconnu derrière vos lunettes.

-  Ben oui, c'est vrai, pardon...

Il enlève ses lunettes en rougissant...Un ange passe...Il les remet.

- Vous avez abandonné votre chat tyrannique ?

- Oh vous savez il n'a pas vraiment besoin de moi à part pour la bouffe. C'est vraiment le roi des emmerdeurs...L'ange repasse pesamment...

- Bon ben à un de ces jours au magasin.

- Oui, euh, à bientôt.

C'est tout juste s'il ne se met pas à bêler.

      Depuis qu'elle est arrivée de sa province lointaine, elle n'a pas rencontré une seule personne digne d'intérêt dans cette foutue capitale. Oh bien sûr quelques aventures sans lendemain par ci par là, un peu de sexe par hygiène mentale mais franchement rien de folichon. Elle ne demande pas l'impossible, c'est pas le prince charmant qu'elle attend, ça fait longtemps qu'elle a perdu ce genre d'illusions. Mais bon si elle pouvait rencontrer un type à coté duquel elle ne serait pas dégoûtée de se réveiller le lendemain. Et même passer plusieurs nuits pourquoi pas, c'est quand même pas demander la lune !

- Ah ben je vois qu'on se soigne aujourd'hui, dit-elle en jetant un regard amusé à la boîte de raviolis et la pizza surgelée.

- Oui, j'en avais marre des boulettes de viandes. Elle ne sont pas assaisonnées à mon goût.

Elle sourit en lui rendant sa  monnaie pendant qu'il commence bêtement à essayer d'évaluer ses sentiments à son Égard.

- Alors là, c'est carrément de la grande cuisine: cassoulet sous vide et chili con carne prêt à servir, repas de gala.

Le ton presque sarcastique de la jolie rousse lui coupe le sifflet et il sent le rouge commencer à lui envahir les joues en se disant qu'il va encore passer pour un con s'il ne trouve rien à lui répondre.

- Dites, elle continue, vous devriez essayer de la vraie nourriture pour changer. Des trucs sans plastique autour, qui sortent pas de l'usine, comme des légumes frais ou de la viande rouge, vous savez... des trucs un peu vivants quoi !

- Ben vous savez, pour la viande j'la préfère plutôt morte moi, si c'est pour manger.

L'éclat  léger de son rire lui réchauffe le cœur et il se sent prêt à faire de l'esprit lorsqu'elle lui lance:

- Ecoutez, y a un p'tit resto sympa qui vient de s'ouvrir tout près et où on mange vachement bien et pour pas cher. Ca vous dirait d'y aller un de ces soirs ?

Les beaux jours reviennent, mais les soirées sont encore fraîches, alors il remonte le col de sa veste de cuir et rentre la tête dans les épaules. Appuyé contre le mur à coté de la fenêtre aux volets clos, il attend. Il sait que ça va sûrement durer un bon moment. D'autant plus que malgré le chat qui a encore essayé de filer, il a quand même réussi à arriver en avance. Lui qui a horreur d'attendre. Pour une fois, il prendra son mal en patience.

Une pluie fine commence à mouiller le trottoir. De loin en loin les réverbères percent l'obscurité de leur lueur blafarde. Les mains enfouies dans les poches, il attend. De temps en temps il tire une bouffée de sa cigarette qui éclaire alors son visage en rougeoyant. Le regard perdu dans le vague il contemple ses pieds qui tapotent un rythme imaginaire dans une flaque d'eau.

Il frissonne un peu et ayant tiré l'ultime taffe de sa cigarette, il la jette au loin où elle va s'éteindre en grésillant dans le caniveau. Il attend et il voit de la lumière qui vient rayer le trottoir à travers les persiennes.

- Je me demande si je ne fais pas une connerie... Ce mec après tout, je le connais pas. Peut-être qu'il est con comme un râteau sans manche... Qu'est-ce qu'il est timide ! N'empêche qu'il est mignon tout de même... Et puis merde ! La solitude et l'abstinence, ça va bien un peu, mais trop c'est trop. Depuis que je suis arrivée, j'ai encore rencontré personne. S'il faut que je compte sur le boulot pour me faire des amis, autant retourner à Pleumeur-Bodou. Bonjour les filles ! Quant aux mecs, ça vaut pas mieux, que du vent : frime, drague macho et rien dans le ciboulot... Lui, il est timide mais il a l'air sympa. Et puis s'il est trop lourd, je saurai bien m'en débarrasser... Bon, comment j'm'habille? Y faut quand même que j'me soigne. C'est peut-être une affaire, ce mec. Et si je tombais amoureuse ? Il faudra que je range ma chambre avant de sortir. Après tout qui sait ?... Si jamais il me raccompagne... Quel sous-tif je mets ?

Dehors la pluie a cessé et un petit vent se lève pour le sécher. Il prend une nouvelle cigarette et l'allume en protégeant la flamme de sa paume ouverte. Il regarde à nouveau l'heure qui passe et remet ses mains au fond de ses poches. Il attend. Il lève la tête vers le réverbère en face et rejette la fumée en un long soupir. Le temps commence à lui durer un peu, et puis il fait de plus en plus frais.

- Merde ! Collant filé ! Quelle camelote ! ça fait le troisième cette semaine. Il me reste plus qu'à mettre des bas. Quelle poisse, c'est vraiment pas pratique ce truc... et puis je vais me geler les fesses. Remarque, ça peut plaire. Si je dois lui jouer la grande scène du 12, au moins, j'aurai déjà le costume... Bon, c'est pas tout ça, qu'est-ce que je mets par dessus ces dessous affriolants ?

Quelle idée de lui donner rendez-vous devant chez elle ! Pas le moindre troquet à l'horizon ! Il aurait dû s'attendre à ce qu'elle le fasse poireauter. Qu'est-ce qu'elle peut bien faire ? Là, ça y est, elle est en retard, l'heure du rendez-vous est depuis longtemps passée et va bientôt trépasser. Les volets restent désespérément clos. Le froid se fait un peu plus mordant et il sent son impatience gagner du terrain.

- Je peux pas mettre ma jupe noire, elle est trop courte, on va voir mes jarretelles, et ma jupe fendue c'est pareil. C'est pas la peine d'en rajouter, sinon je vais réussir à l'effaroucher. La petite jupe rouge... Oh là là ! J'ai encore grossi... Je vais avoir l'air d'un boudin là-dedans... Bon, ça peut aller si je rentre le ventre...Un chemisier pas trop transparent...

Le coin est passablement sinistre. Il n'y a pas plus de boutique que de bistrot. Rien pour faire passer le temps. Pas un chat, pas un rat. Le désert... Il allume une nouvelle cigarette, la dernière du paquet. Quand elle sera finie, il s'en ira. Tant pis si elle n'est pas là, sa patience a des limites.

- Voilà... Fin prête ! Avec ce léger maquillage, je me sens irrésistible. Où est mon imper ?

D'une pichenette il jette le mégot de sa dernière cigarette, qui va rejoindre les autres dans le caniveau. Il se donne encore cinq dernières minutes et basta !  Il ira au cinéma et tout seul.

Elle a enfilé son imperméable. Elle va vers la fenêtre qu'elle ouvre à deux battants. Elle défait les crochets qui retiennent les persiennes et les repousse d'un geste vigoureux. Les deux volets de bois vont claquer violemment de chaque côté de la fenêtre. Elle se penche un peu au dehors, jette un coup d'œil à droite, jette un coup d'œil à gauche et, ne voyant rien d'autre que ses maigres espoirs déçus, elle referme la fenêtre pour donner un ultime coup de brosse à ses cheveux.

Il vient de recevoir le volet en pleine figure. Le crâne fracassé contre le mur, il glisse lentement au bas du mur sur lequel sa blessure dessine une large traînée rouge. La pluie recommence à tomber.

Là bas au sixième étage, derrière la porte, le chat miaule en grattant la porte.

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