Les Boulots de L'automne
Benedicte Leconte
BOULOTS D'AUTOMNE
Je ne sais pas si vous avez remarqué, mais on ne plus parle d'une maison sans mentionner son jardin "arboré". C'est un gros argument de vente.
Si je peux me permettre un conseil arboricole, ne plantez JAMAIS de bouleaux dans votre jardin, c'est comme qui dirait l'automne au plein cœur de l'été. En plus ils essaiment.. Tout ça pour une durée de vie de 100 ans : la tradition des souvenirs du bon vieux temps a donc de fortes chances de se perdre.
Leurs feuilles mortes tombent dru par saison sèche, ça fait un tapis jaune sur la pelouse précocement desséchée.
Comme cette évocation d'automne vous rend mélancolique, vous vous décidez à ratisser malgré le cagnard. Il est 15heures.
Déjà ratisser sur du gazon c'est dur. Il y a des râteaux spéciaux mais vous n'avez que celui pour les cailloux vu que tous les deux ans vous en commandez deux tonnes. On se demande où ça va tous ces cailloux là.
Un peu sceptique vous faites d'abord des petits tas, et puis des tas un peu plus gros. Enfin vous rassemblez les petits et les moyens pour faire des gros tas.
Bon, jusqu'à présent tout va bien, ou presque, parce que vous êtes déjà claqué. Il y a des tas partout et il va falloir les ramasser.
Vous vous armez d'une pelle, une bonne grosse pelle. Évidemment il y a les pelles en plastique avec un réceptacle intégré, mais c'est petit, vous n'en avez pas et puis ce sont des balayettes. Alors à la guerre comme à la guerre... Encore une expression qu'on s'demande d'où ça sort...
Vous donnez un coup de pelle à la base du premier gros tas. Et là, stupeur et tremblement, vous réalisez l'énorme hiatus entre la force que vous avez mise dans le coup de pelle et le poids dérisoire de la valeur ajoutée. C'est un coup à tomber par terre.
Vous en prenez votre parti, la sueur au front. Des petits paquets tombent dans la brouette, le reste retombe par terre. Vous n'allez pas abandonner en si bon chemin. Vous continuez. Le tas diminue, vous trouvez le geste. Vous arrivez à la base : il re e un gros cercle qu'il faut ratisser à nouveau et diriger vers d'autres tas. De tas en tas la brouette se remplit. Vient le moment que vous avez craint depuis le début : comment vider la brouette dans le "trou" affecté au ramassage de l'herbe, un trou "paradoxal", un goulet qui cache une montagne.
Et vous arrivez tout fringant mais pitoyable avec votre brouette, et décidez d'opter pour la méthode "taureau qui charge". Sauf que le taureau s'arrête tout net à l'entrée du trou. Vous vous arque-boutez, prêt à tout pour éviter le pire : repartir la queue basse. Dans un dernier effort vous réussissez à entrer dans le trou avec la brouette et vous réussissez à la renverser. C'est un désastre; la moitié des feuilles a dévalé la pente et font un tapis à l'entrée du trou. Vous pensez avec terreur au chat des voisins qui se fait un malin plaisir de faire débouler tout ce qui dépasse de la palissade que vous avez eu l'idée ingénieuse de coller contre le tas d'herbe.
Vous êtes pratiquement désespéré mais toujours aussi opiniâtre. Ces feuilles disparaîtront! Ça coûtera c'que ça coûtera. A la guerre comme à la guerre! Après un bon quart d'heure de réflexion vous trouvez l'IDEE...Les cailloux! les cailloux rentrent dans la terre...Vous allez faire un trou! Oui... un trou... mais où ça? Et si vous tombez sur le chat que vous avez enterré il y a deux ans? C'était où ce trou-là?
Heureusement la terre est meuble et après deux bonnes heures vous avez un trou aux dimensions respectables. Et là, quelle joie! Vous videz brouette sur brouette avec un sentiment de triomphe qui frise l'exaltation.Vous les écrasez voluptueusement. Vous poussez des cris de sioux.Vous voltigez. Vous volez.
Enfin vous regardez l'heure...Comment, quoi? 21heures? Déjà! Enfin, c'qui est fait n'est plus à faire, un bon tiens vaut mieux que deux tu l'auras.. Vous avez gagné la guerre.
Vous dormez comme un enfant, d'un bon gros sommeil. Vous vous réveillez le teint rose, en pleine forme. Vous savourez votre petit déjeuner.
Enfin d'un pas alerte vous allez au jardin. Et là vous chancelez, vous trébuchez, vous vous frottez les yeux: IL Y EN A AUTANT QU'HIER!
La pelouse est jonchée de feuilles mortes. L'automne est là.