[Les carnets du Futur] Saison 1 - Episode 1

Alexandre Jarry

La naissance d'un gloumpetzLa première fois que j’ai entendu ce mot, je l’ai aimé. Le gloumpetz en terrien est un terme désignant un légume ne poussant que sur la Boldagonette, une planète du système agricole. Il n’a pas beaucoup de goût et se cuisine même assez mal. Il a toutefois le mérite d’avoir un nom parfaitement ringard et une dégaine au moins aussi ridicule. Imaginez une citrouille d’un vert maladif, un peu fripée, que l’on aurait piétiné, et ajoutez-y la chevelure fatiguée d’un poireau quasiment déshydraté. Oui, c’est assez moche. Et c’est devenu mon surnom.Comme je viens de le dire, au début, je trouvais la sonorité du mot relativement amusante, et j’avais fini par accepter que l’on me surnomme ainsi à la fac. Jusqu’au jour où, beaucoup plus tard, Paulo Pogo m’en a expliqué l’origine. Les gars de la capitale, sur Terre, sont assez imbus d’eux-mêmes de nos jours, et ils méprisent facilement les bouseux comme moi, tout droit sortis de la province. Certes, il faut reconnaître que First’Tellur’Rave est quasiment le trou du cul de la galaxie. Non pas que je renie mes origines ! Sur First’Tellur’Rave on est tout de même les champions de la betterave. Un climat privilégié et une terre parfaitement adaptée qui permettent la culture intensive de cette racine charnue. Alors, bien sûr, on me taquine souvent en me rappelant que, pendant 2 ou 3 ans, la planète a changé son nom pour Second’Tellur’Rave, parce qu’apparemment, on n’était plus assez compétitifs. Une période franchement rude pour le moral des First’Tellur’Raviens, sans parler de toute la signalétique qui a dû être réécrite selon le nouveau nom de la planète… Mais, heureusement, notre bon bourgmestre s’est retroussé les manches et a aimablement fait plafonné les impôts, afin de moderniser toutes les infrastructures. Politique payante, puisque la planète a récupéré son statut de leader aux dépends de ces glandus du secteur Z45K/32R. Il est vrai qu’encore une fois, le changement de nom a fait exploser le budget signalétique, mais on peut désormais se targuer de disposer de la flotte marchande la plus rapide de la galaxie. C’est que, mine de rien, ça s’abime vachement vite la betterave ! Alors, avec ces vaisseaux qui dépotent à plus de trois fois la vitesse de la lumière, on fournit de la betterave jusque dans les coins les plus reculés en un temps record, et je clame haut et fort que l’on a de quoi être fiers – même si le design des vaisseaux est un peu à chier.Oui, je le dis et je le répète, je suis fier de ma planète. Mais en ce qui me concerne, je déteste les betteraves. Vous commencez à vous demander pourquoi je vous raconte tout ça ? Pour faire simple, je dirais que c'est pour laisser aux gens du passé que vous êtes la postérité de votre propre avenir. Bon, évidemment, là, ça risque d'être un peu compliqué à vous expliquer. Mais, en gros, mes potes et moi avons trouvé un moyen de voyager dans le temps. Rêve absolu de l'homme depuis des siècles, s'il en est. J'ai donc décidé de partager cette aventure avec vous, mais avant de m'éparpiller en explications très techniques, j'aime autant commencer par le début. Et le début de cette histoire, c'est qu'il n'y a pas de gloumpetz sur ma planète.C’est cet abruti de Grémont qui a lancé l’idée lorsque j'ai dû me présenter le jour de la rentrée à la fac.« Euh… Alors moi, c’est RV Tumoun. J’ai 16 ans, je viens de First’Tellur’Rave et mes parents travaillent dans la betterave. C’est mon premier séjour sur Terre. Mes impressions ? Ben, c’est grand, il y a pas mal d’étendues d’eau qui ne servent à rien du fait qu’elles sont salées – du moins, c’est mon avis. Et, moi qui ai toujours cru que la Tour Eiffel III était un relai pour les ondernets, je viens d’apprendre qu’il s’agissait d’un monument commémoratif à la gloire d’une chanteuse populaire… En dehors de ça, je ne suis arrivé qu’hier, mais j’aime assez l’ambiance générale.- Gloumpetz, s’est exclamé le fameux Grémont, que je ne connaissais pas encore.- R.V., dites-vous… Est-ce que sur votre planète, les prénoms se résument aux initiales, a demandé la prof ?- Non Madame.- Gloumpetz !- R, c’est pour Rénald et V, pour… Pour Victor, Madame. »Ce qui est faux, bien entendu. Le R correspond à Robert et le V à Véronique, car durant les trois semaines suivant ma naissance, mes chers parents ignoraient tout de mon sexe. Ne sachant pas si j’étais un garçon ou une fille, ils m’ont donc donné un prénom de chaque. Par prudence. Ils ont finalement pris le temps d’aller consulter les ondernets pour se renseigner – après trois semaines, donc – et se sont fait la réflexion que, finalement, ils s’étaient habitués à m’appeler RV.« Très bien. » La prof est resté pensive un moment, laissant ses esprits divaguer pendant quelques dizaines de secondes puis est revenue à moi avec un sourire.« Dites-moi, Rénald Victor, ça vous ennuie si, à l’avenir, je vous appelle plutôt RV…- Gloumpetz !- Ou Gloumpetz, comme semble le suggérer votre camarade ?- Eh bien, c’est que, ce n’est pas mon camar…- GLOUMPETZ !- Il a pourtant l’air d’insister. » Pour tout le monde, ce jour-là, je suis donc devenu Gloumpetz. Grémont, lui, n'est jamais devenu mon ami.En revanche, à l'issue de cette entrée en matière guère plaisante, j’ai rencontré Paulo Pogo et Fiona Youh’al. Pogo est un gothique taciturne, mais à l’œil étincelant dès lors qu’on parle chiffres avec lui. Il voue une passion – un culte, disons-le – aux nombres et ne croit pas aux coïncidences. Pour lui, le moindre numéro, la moindre date de naissance ont une signification profonde et une destinée qu’il se fait fort de découvrir. Tout est calculé d’avance, et si l’on se prend à l’écouter parler de ça pendant plus de 10 minutes, on adhère bien vite à sa secte et on commence à déceler des signes à chaque coin de trottoir. Fiona, quant à elle, est la seule fille de la classe, ce qui, en soi, suffit à la rendre intéressante. Puis, elle mâche des chewing-gum toute la journée d’une façon tellement subliminale que lorsque je parviens à discuter avec elle, je dois immédiatement après aller m’en acheter un paquet. Ces deux-là sont devenus de vrais amis.Tout ça pour dire que ma vie a changé du jour où j’ai signé mon dossier d’entrée à l’université terrienne. Je m’étais déraciné de mes champs de betterave pour apprendre l’Histoire, pour m'émanciper, et j’ai fini par devenir un apprenti sorcier, capable de voyager 1000 années en arrière – jusqu’en 2012, pour être tout à fait exact.Mais, la réalité est tout de même un peu plus compliquée que ça…

SAISON 1 - EPISODE 1

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La naissance d'un gloumpetz


La première fois que j’ai entendu ce mot, je l’ai aimé. Le gloumpetz en terrien est un terme désignant un légume ne poussant que sur la Boldagonette, une planète du système agricole. Il n’a pas beaucoup de goût et se cuisine même assez mal. Il a toutefois le mérite d’avoir un nom parfaitement ringard et une dégaine au moins aussi ridicule. Imaginez une citrouille d’un vert maladif, un peu fripée, que l’on aurait piétiné, et ajoutez-y la chevelure fatiguée d’un poireau quasiment déshydraté. Oui, c’est assez moche. Et c’est devenu mon surnom.
Comme je viens de le dire, au début, je trouvais la sonorité du mot relativement amusante, et j’avais fini par accepter que l’on me surnomme ainsi à la fac. Jusqu’au jour où, beaucoup plus tard, Paulo Pogo m’en a expliqué l’origine. 
Les gars de la capitale, sur Terre, sont assez imbus d’eux-mêmes de nos jours, et ils méprisent facilement les bouseux comme moi, tout droit sortis de la province. Certes, il faut reconnaître que First’Tellur’Rave est quasiment le trou du cul de la galaxie. Non pas que je renie mes origines ! Sur First’Tellur’Rave on est tout de même les champions de la betterave. Un climat privilégié et une terre parfaitement adaptée qui permettent la culture intensive de cette racine charnue. Alors, bien sûr, on me taquine souvent en me rappelant que, pendant 2 ou 3 ans, la planète a changé son nom pour Second’Tellur’Rave, parce qu’apparemment, on n’était plus assez compétitifs. Une période franchement rude pour le moral des First’Tellur’Raviens, sans parler de toute la signalétique qui a dû être réécrite selon le nouveau nom de la planète… Mais, heureusement, notre bon bourgmestre s’est retroussé les manches et a aimablement fait plafonné les impôts, afin de moderniser toutes les infrastructures. Politique payante, puisque la planète a récupéré son statut de leader aux dépends de ces glandus du secteur Z45K/32R. Il est vrai qu’encore une fois, le changement de nom a fait exploser le budget signalétique, mais on peut désormais se targuer de disposer de la flotte marchande la plus rapide de la galaxie. C’est que, mine de rien, ça s’abime vachement vite la betterave ! Alors, avec ces vaisseaux qui dépotent à plus de trois fois la vitesse de la lumière, on fournit de la betterave jusque dans les coins les plus reculés en un temps record, et je clame haut et fort que l’on a de quoi être fiers – même si le design des vaisseaux est un peu à chier.
Oui, je le dis et je le répète, je suis fier de ma planète. Mais en ce qui me concerne, je déteste les betteraves.
 
Vous commencez à vous demander pourquoi je vous raconte tout ça ? Pour faire simple, je dirais que c'est pour laisser aux gens du passé que vous êtes la postérité de votre propre avenir. Bon, évidemment, là, ça risque d'être un peu compliqué à vous expliquer. Mais, en gros, mes potes et moi avons trouvé un moyen de voyager dans le temps. Rêve absolu de l'homme depuis des siècles, s'il en est. J'ai donc décidé de partager cette aventure avec vous, mais avant de m'éparpiller en explications très techniques, j'aime autant commencer par le début. Et le début de cette histoire, c'est qu'il n'y a pas de gloumpetz sur ma planète.
C’est cet abruti de Grémont qui a lancé l’idée lorsque j'ai dû me présenter le jour de la rentrée à la fac.
« Euh… Alors moi, c’est RV Tumoun. J’ai 16 ans, je viens de First’Tellur’Rave et mes parents travaillent dans la betterave. C’est mon premier séjour sur Terre. Mes impressions ? Ben, c’est grand, il y a pas mal d’étendues d’eau qui ne servent à rien du fait qu’elles sont salées – du moins, c’est mon avis. Et, moi qui ai toujours cru que la Tour Eiffel III était un relai pour les ondernets, je viens d’apprendre qu’il s’agissait d’un monument commémoratif à la gloire d’une chanteuse populaire… En dehors de ça, je ne suis arrivé qu’hier, mais j’aime assez l’ambiance générale.
- Gloumpetz, s’est exclamé le fameux Grémont, que je ne connaissais pas encore.
- R.V., dites-vous… Est-ce que sur votre planète, les prénoms se résument aux initiales, a demandé la prof ?
- Non Madame.
- Gloumpetz !
- R, c’est pour Rénald et V, pour… Pour Victor, Madame. »
Ce qui est faux, bien entendu. Le R correspond à Robert et le V à Véronique, car durant les trois semaines suivant ma naissance, mes chers parents ignoraient tout de mon sexe. Ne sachant pas si j’étais un garçon ou une fille, ils m’ont donc donné un prénom de chaque. Par prudence. Ils ont finalement pris le temps d’aller consulter les ondernets pour se renseigner – après trois semaines, donc – et se sont fait la réflexion que, finalement, ils s’étaient habitués à m’appeler RV.
« Très bien. » La prof est resté pensive un moment, laissant ses esprits divaguer pendant quelques dizaines de secondes puis est revenue à moi avec un sourire.
« Dites-moi, Rénald Victor, ça vous ennuie si, à l’avenir, je vous appelle plutôt RV…
- Gloumpetz !
- Ou Gloumpetz, comme semble le suggérer votre camarade ?
- Eh bien, c’est que, ce n’est pas mon camar…
- GLOUMPETZ !
- Il a pourtant l’air d’insister. »
 
Pour tout le monde, ce jour-là, je suis donc devenu Gloumpetz. Grémont, lui, n'est jamais devenu mon ami.
En revanche, à l'issue de cette entrée en matière guère plaisante, j’ai rencontré Paulo Pogo et Fiona Youh’al. Pogo est un gothique taciturne, mais à l’œil étincelant dès lors qu’on parle chiffres avec lui. Il voue une passion – un culte, disons-le – aux nombres et ne croit pas aux coïncidences. Pour lui, le moindre numéro, la moindre date de naissance ont une signification profonde et une destinée qu’il se fait fort de découvrir. Tout est calculé d’avance, et si l’on se prend à l’écouter parler de ça pendant plus de 10 minutes, on adhère bien vite à sa secte et on commence à déceler des signes à chaque coin de trottoir. Fiona, quant à elle, est la seule fille de la classe, ce qui, en soi, suffit à la rendre intéressante. Puis, elle mâche des chewing-gum toute la journée d’une façon tellement subliminale que lorsque je parviens à discuter avec elle, je dois immédiatement après aller m’en acheter un paquet. Ces deux-là sont devenus de vrais amis.
Tout ça pour dire que ma vie a changé du jour où j’ai signé mon dossier d’entrée à l’université terrienne. Je m’étais déraciné de mes champs de betterave pour apprendre l’Histoire, pour m'émanciper, et j’ai fini par devenir un apprenti sorcier, capable de voyager 1000 années en arrière – jusqu’en 2012, pour être tout à fait exact.
Mais, la réalité est tout de même un peu plus compliquée que ça…

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