Les chansons dérobées
Lucien Leuwen
Incision
Sur ta peau blanche je balance
un vilain crachat
pour voir se mouiller l'étanche
frontière de toi.
D'un doigt je lisse la bave
molle en filets
d'amour clair qui lave
ta timidité.
Je danse sur ta violence
belle carne dézinguée
le mur sûr sur lequel s'élancent
les sens anesthésiés
Abruti de soupirs, et détonné d'oubli
dans les jardins charmants offerts au cœur ravi
piétinant les fleurs rares
de ton regard de grâce
et brisant les miroirs sans voir le temps qui passe
Tu ne fus pas un rêve
mais un abîme de vie
un gouffre où la tendresse s'adonne à ses envies
et pour cela je griffe
ta peau fragile
pour voir rougir le sang d'une vie trop facile
d'un ongle gras je trace
des mots élémentaires
pour ruiner la trouvaille
des proies particulières
Tu tins captive la bête
existence tue
crispée sur une arête
de chair nue.
Qu'on écoule encore ensemble des vers
fille de la Mémoire au souffle cher
Ils se versent là où je me suis tenu.
Le râle des vampires
Les nuits d'ennui
sortent
ceux que la vie
porte
à couvrir le
cou
de ces baisers
saouls
De la nuit un culte
Prise dans nos veines
Le sang du tumulte
Quand la lune est pleine
La danse en cadence
Cache sur le sol
La grande carence
Entre ses épaules
Mais entre les lignes
Des lèvres outrées
Se dessine un signe
De grande facilité
Et cependant que tombe
Un corps sur le sofa
Et qu'adore dans l'ombre
Celui qui ne se voit pas
Les sens prennent un tour
Un peu particulier
Ils recherchent l'amour
Tout le reste est voilé.
Le printemps désiré
Que le bruit de la haine
De nos corps désœuvrés
Donne à ces heures pleines
Le printemps désiré
Que ces gestes impurs
Aux moments bas volés
Rendent à ces sœurs dures
Le printemps désiré
Que l'hiver revenu
Qui dans l'espoir promet
Comme en un rêve nu
Le printemps désiré
Trouve dans un rayon
De lune enthousiasmé
L'univers en haillon
Du printemps déliré
Quand la chair se décharge
La vie s'est envolée
En soufflant dans ses marges
Le printemps déliré
Les grandes arabesques
Par ton fichu tracé
Me redonneraient presque
Au printemps déliré
Mais c'est le temps second,
Plus tard encore peut-être
Que je recueille ce don
Le secret de ton être
Des lambeaux de visage
Pris à mon cœur volé
Filent en paysages
Le printemps désiré
On raconte qu'en dehors
Des bouches de nos aires
La mort rend nécessaire
Un printemps désiré
Perdu, perdu encore
A mes yeux dévoré
Mais encore dans mon corps
Je t'entendrai parler.
La chasse
Un jour qu'avec art
Je menais à bien
Une sorte de retour
D'un voyage lointain
Suivant les yeux sans fard
D'une nymphe dorée
Combattant ces retards
Que mon cœur adorait
Je me fis une langue
Toute de cuir tressée
Pour attirer cet ange
Dans mes filets
Je vis enfin la proie
Qui me possédait
Dans la clairière d'un bois
Que je ne connaissais
Mais mon cœur et mon arc
Ne purent se bander
Pour arrêter la grâce
Dans laquelle elle vivait
Et vinrent trois pirates
Barbus et balafrés
Qui partirent à l'attaque
De l'ange convoité
Il dissipèrent la grâce
Par témérité
N'attrapant qu'une farce
Qu'ils ne surent goûter.
Qui donc ?
Par quelle faiblesse
Par quelle détresse
Ai-je passé la nuit ?
Avec celui dont les caresses
Devaient rester celles d'un ami ?
Le jour à ses mystères
La nuit a ses folies
Chaque chose a son envers,
Nos désirs aussi.
Qui aimai-je ce jour
Où je me suis mariée ?
D' un mariage d'amour
avec une bague en osier
Le temps du souvenir
A effacé ses traits
Je ne vois revenir
Que la couleur de ses souliers
L'alcôve qui su m'accueillir
La couronne de laurier
Dont je me vis sertir
Dès que la nuit fut tombée
Ah, si bel amour !
Mais qui donc ai-je aimé ?
Qui aimai-je ce jour
Où je me suis donnée ?
J'en étais si heureuse
Que je l'ai oublié.
La douceur du jour
Les plaisirs sans regrets
La force des contours
Mais qui donc ai-je aimé ?
L'envers de la carte
Il est de ces femmes trop belles
que l'on s'interdit
Pour des raisons mauvaises
de monogamie.
Il est de ces femmes cruelles
dont on aurait envie
mais qui sont rebelles
à nos cœurs ravis
Il est de ces femmes amies
-et, qui n'en a pas ? Que,
Quand vient un jour bénit
L'on prend dans ses bras.
Comme soudain se révèle
Le sens caché
Des silences, des soupirs que celle
-ci a poussé !
Les anciens jours étaient chastes
comme on le disait
Mais un soir de folie la carte
s'est retournée.
J'ai lu dans ses yeux l'appel
d'une suppliciée
Dans un moment d'amour pareil
à ceux rêvés.
Cela dépasse mes envies
C'est mon devoir envers la vie.