Les chevaliers du lotus d'Or
Angéline Richard
Enfermée dans le noir, il n'y a que mes pleurs qui traversent le silence. Recroquevillée dans mon coin, je ne sais pas depuis combien de temps je suis là, je ne sais pas si je suis seule ni la taille de la pièce. J'aurais dû être sage ! Si je l'avais été, ils ne m'auraient pas laissé avec les démons. Une main m'attrape l'épaule. ça y est, les démons vont m'emmener avec eux. Je me fais encore plus petite, tout mon corps tremble. je veux les supplier de me laisser tranquille, je veux leur promettre de ne jamais recommencer mais ma voix ne veux pas sortir.
- Chut du calme ! Je ne vais rien te faire.
J'ouvre les yeux, c'est inutile, il fait toujours noir. C'est un garçon qui me parle, j'ai l'impression qu'il sourit. Pourquoi ? Est-ce un démon ?
- Tu as été puni toi aussi ? Moi j'ai brisé les cierges et coupé la cape du chef et toi ?
Il en est fier.
- J-J'ai volée de la nourriture pour ma soeur. Elle est malade.
Je voulais juste l'aider. Une larme roule sur ma joue. Le garçon dans mon dos pose son menton sur mon épaule.
- C'est stupide de te punir pour ça. En plus, on voit bien que c'est la première fois !
Je souris. Il est gentil. Lui, ce n'est pas la première fois qu'il est puni. Il n'a pas peur ? Apparemment non. Il n'y croit pas, il n'y a jamais cru. C'est sa mère qui l'a forcé à venir ici. Moi, ma Maman est morte dans le palais. Elle était venue ici après la mort de notre père quand j'avais neuf ans. En arrivant ici, elle a accouchée de ma petite soeur, Lily. Les chevaliers du lotus d'or prennent soin de nous depuis notre enfance, je n'ai rien connue d'autres. Mais Maman est morte et ensuite, Lily est tombée malade. Le chef ne veut pas la soigner, il dit que c'est la volonté d'Azra, notre dieu. Je ne veux pas que Lily meurt ! C'est ma seule famille ! Il ne faut pas que je la perde !
- Tu t'appelles comment ? Moi c'est Samuel !
- Marianne. Tu as quel âge ?
- Seize ans et toi ?
- Pareil.
Parler avec lui me calme. Je n'ai plus vraiment peur. J'ai l'impression que sa voix enjouée est bienfaitrice. Je ne veux pas qu'il s'arrête de parler. Combien de temps s'est-il écoulé ? Je ne sais pas, je m'en fiche. Mon ventre gargouille, j'ai faim. Samuel aussi mais il rigole, il dit avoir l'habitude. Sa tête est toujours sur mon épaule, il repousse les démons. La porte s'ouvre. Un filet de lumière grandissant frappe ma rétine. Je ferme les yeux pour me soustraire à cette lumière violente.
- Marianne, tu as purgée ta peine, tu peux revenir au près d'Azra.
Je me lève et ouvre les yeux pour m'habituer à la lumière. Je fais quelques pas vers la sortie et me tourne. J'aimerais voir Samuel avant de sortir, pour pouvoir le retrouver ensuite. Mais il est retourné dans l'ombre et la solitude. Seul sa voix s'échappe du noir :
- Quand je sortirais, je viendrais te voir et on trouvera une solution pour ta soeur. Ne t'en fais pas Mari, on se reverra.
Je souris et sors de la pièce. Le chevalier d'Azra referme la porte à clé. L'immense couloir lumineux qui s'étend devant moi me donne envie de courir. Je n'ai plus que Lily en tête. il faut que je rejoigne ma chambre au plus vite. Mes collant me font déraper à chaque virage. Je ne porte jamais mes chaussures dans le temple ou le palais. Le carrelage est froid mais je ne reste pas longtemps en contact avec le sol. Lily est allongée dans son lit. Son visage livide me fait peur. Je crains qu'elle ne soit morte. Le drap se soulève doucement. Elle respire encore, difficilement certes mais elle respire. Je grimpe sur le lit et m'allonge près d'elle. Elle est tout petite, toute maigre. Trop maigre pour ses six ans. Elle ouvre doucement ses beaux yeux vert. Ils sont ternes. Avant, ils étaient brillant. Elle me regarde et souris. Je la serre contre moi. L'horloge au mur m'indique qu'il est onze heure. Je suis restée une journée dans la salle aux démons. La voix toute petite et faible de Lily me parvient :
- Tu m'as manquée.
- Toi aussi ma chérie.
- Je suis contente, les démons ne t'ont pas dévoré.
Je dépose une léger baiser sur son cuir chevelu. Ma voix essaye de se faire rassurante. Je souris, ne voulant pas lui montrer que je m'inquiète pour elle :
- Il y avait un bouclier anti-démon.
- Vraiment ? Raconte !
Je lui parle de Samuel. Elle écoute attentivement. La cloche résonne dans tout le palais, c'est l'heure d'aller manger. Nous devons tous nous retrouver dans la salle à manger pour écouter le discours d'Ezra, prophète d'Azra avant de manger. Ensuite, il y aura la messe. Je me lève et aide Lily. Même les malades doivent y aller sinon, c'est finit pour eux. Ils ne sont plus nourrit. La décision d'Azra. Je prie tout les jours pour qu'il ne ramène pas ma soeur près de lui. Elle grimpe sur mon dos et je la porte jusqu'à la salle à manger. Elle est trop légère. Nous traversons les immenses couloirs dorés. Il y a des fenêtres qui vont du sol jusqu'au plafond entourées de dorures. Les peintures du plafond représentent l'histoire d'Azra. C'est partout pareil, les mêmes images, les mêmes couleurs. Dans la salle à manger, les tables de banquets sont aux nombres de quatre, s'étendant jusqu'au devant d'une estrade ou mange Ezra. Je pose Lily sur un banc et m'assois à ses côtés. Les gens entrent et prennent place. Une femme s'assoit près de ma soeur, son mari en face. Lorsque nous sommes tous installé, notre prophète entre. Nous nous levons. Lily s'appuie sur moi. Ezra tend les mais vers le plafond. Derrière lui, la statue d'or d'Azra tenant un lots dans ses mains levées vers le ciel nous domine tous.
- Fidèle chevaliers et chevalières d'Azra, bénissons ensemble ce plaisir d'être. Prions pour ceux enfermés dans la salle des démons, prions pour les malades et ceux qui s'éteignent. Les volontés d'Azra sont impénétrables. Après notre repas, nous irons prier.
Il s'assoit, la salle fait de même. Des femmes amènent les plats et les posent sur les tables. Chacun se sert, le repas est bon. Quelques couleurs naissent sur les joues de Lily. Manger lui fait du bien. Un brouhaha règne dans la salle; Tout le monde papote joyeusement.
- Marianne, tu as retenue la leçon ?
- Oui ! Je ne veux plus jamais retourner là-bas !
- Et toi ma petite Lily, comment vas-tu ?
- Je suis en vie, c'est le principal !
- Azra soit loué ! Peut-être ne va-t-il pas te rappeler à lui avant de longues années.
- Lily et moi prions avec ferveur chaque jour !
Ma soeur ne mourra pas ! Je refuse d'accepter ça ! Elle n'a que six ans, il est beaucoup trop tôt ! Après le repas, Lily tiens un peu mieux debout, appuyée sur moi. Nous suivons la masse des fidèles qui se dirigent vers les portes du temple. Je ne peux m'empêcher de chercher Samuel alors que je ne connais pas son visage et que je sais qu'il n'est pas sortit de la salle des démons. Lily et moi nous mettons à genoux au milieu de tout les fidèles, au pied de la statue d'Azra. Je ferme les yeux et supplie notre dieu de soigner Lily. Chaque jour, je prie pour une amélioration de sa santé. Rien ne vient jamais. Chuchotements, exclamations étouffées, j'ouvre les yeux. Ma petite soeur est allongée sur le sol. Elle s'est évanouie quelques instants. Ses yeux s'ouvrent. JE la prends dans mes bras. Ezra se lève, tout le monde s'écarte alors qu'il vient vers nous. Je le regarde, suppliante :
- S'il vous plaît, soignez ma soeur !
Il secoue la tête, prétend qu'Azra seul peut décider. Je serre les poings et me lève. Mon mètre soixante-cinq ne vaut rien face au prophète mais la vague de rage qui monte en moi me porte :
- Vous n'êtes rien ! Comment pouvez-vous prétendre être son prophète et son représentant alors que vous ne pouvez même pas sauver une enfant ?
Les gardiens m'attrapent les bras, je me débats en hurlant mais ils parviennent à m'entraîner. Ils me poussent dans la salle des démons. Je me jette contre la porte et la frappe :
- Laissez-moi sortir ! Ouvrez ! Je dois l'aider ! Ouvrez-moi !
- Tiens ... Je ne m'attendais pas à entendre ta voix de si tôt
Je me tourne vers la voix mais il fait noir, je ne peux pas le voir. Je tombe sur le sol et les larmes coulent doucement sur mes joues. Pourquoi Ezra fait-il ça ? Il peut sauver ma soeur ! Il alors pourquoi ne le fait-il pas ? C'est ma faute tout ça. Si j'avais fais plus attention, rien ne serait arrivé. C'est ma faute et si elle meurt pendant que je suis là ? Qu'arrivera-t-il ?
- Calme-toi Marianne, ce n'est pas ta faute !
Samuel peut-il voir dans le noir ? J'en ai bien l'impression sinon comment pourrait-il savoir où je suis. Il s'assoit à côté de moi, passe un bras autour de mes épaules. Je pose ma tête contre la sienne. Il me serre contre lui, me rassure. Il dit que ce n'est pas ma faute si Lily est malade. Mais je devrais être avec elle ! Combien de temps vais-je rester dans la salle des démons pour avoir insulter Ezra ? Plusieurs jours selon Samuel. Lily va mourir. Je ne veux pas ! Je refuse ! Je dois sortir !
- Mari, je sors dans une heure, j'irais la voir ! Où est-elle ?
- Sûrement dans notre chambre. La deux.
- Je prendrais soin d'elle.
- Merci.
Il saisit ma main dans la sienne en continuant de parler. Comme s'il avait toujours quelque chose à dire, il parle. J'ai du mal à le comprendre. Il ne croit pas en Azra, il nomme notre religion, "secte", et m'explique le monde extérieur. Sa voix me porte, je ne vois même plus le noir autour de nous. Tout ce que je sais, c'est que Samuel est là et qu'il me parle. La poignée de la porte s'abaisse et nous nous poussons. Le gardien vient chercher mon ami. Avant de partir, il m'embrasse. Ses lèvres se posent sur les miennes en un baiser doux comme pour me dire que je peux avoir confiance en lui. Il se lève. La lumière venant de la porte me permet de voir enfin son visage. Un immense sourire l'éclaire et fait monter ses pommettes. Ses deux yeux bleus semblent pétiller. Sa peau est blanche mais c'est sûrement dû au temps passer dans cette salle. Sur son crâne, ses cheveux blonds sont en bataille, ressemblant à des épis de paille. Il est grand, un mètre soixante-dix neuf selon ses dires. Il se tourne vers moi et me fait un clin d'oeil avant de partir. La porte se referme, me replongeant dans le noir. Je me lève, ne voulant pas rester inactive et penser à tout ce qui venait de se passer. Si Samuel dit vrai, il n'y a pas de démons dans cette pièce. Ma main rencontre le mur, j'avance, touchant le marbre froid. Je veux connaître la taille de l'endroit.
Mon pied bute sur quelque chose. Je me baisse et touche l'objet. Mes doigts pousse un interrupteur et une lumière jaillit. C'est une lampe sûrement emmenée par Samuel. Je la saisis et la pointe vers le centre de la pièce. Rectangulaire, immense et vide. Il n'y a pas un seul meuble, pas même quelque chose indiquant l'heure ou le jour. J'ai faim. Depuis combien de temps suis-je là ? Comment va ma soeur ? Comment va Samuel ? Vais-je être nourris ? Vais-je bientôt sortir ? Vais-je arrêter de me poser des questions ? Je ne veux plus réfléchir. Il y a trop de choses dans ma tête. Je commence même à me demander si Azra existe. Notre dieu peut-il tous nous sauver ? Les chevaliers du Lotus d'or sont-ils légitimes en tant que religion ? Je ne sais plus, je perds mes certitudes. Le grincement caractéristique de la porte qui s'ouvre me fait lever la tête. J'éteins la lampe et attends que le serviteur d'Azra parle.
- Marianne ?
- Oui ?
- Tu as de la chance. Ezra est d'humeur clémente. Il a entendu ton cri de désespoir. Tu peux sortir.
- Et ma soeur ?
J'avance vers la lumière, vers le gardien qui reste impassible.
- Il prie devant elle, supplie Azra de lui accorder le pouvoir de soigner Lily.
- Il peut ? Mais ... Combien de temps suis-je restée là ?
- Deux jours. Un repas t'attend dans ta chambre.
Je hoche la tête et sors en courant de la pièce. Mes forces me reviennent quand je pense à ma soeur. Elle va être sauvée ! En arrivant au virage menant à ma chambre, mes jambes décident de me lâcher. Mes collants glissent sur le carrelage, je ne réussi pas à me rattraper et m'écroule par terre. Le sol est dur. Mon corps me fait mal.
- Tu sais que c'était ridicule ?
- Va te faire Samuel, je souffre là ...
Il rit. J'aime beaucoup l'entendre rire. Mon ami me tend la main. Je la saisis et il m'attire à lui pour m'aider à me lever. Je me mets sur la pointe des pieds et l'embrasse. J'aime son contact. Ce garçon est différent de tous les gens présent ici. Il semble rayonner et projette cette lumière autour de lui. Je le sers dans mes bras.
- Ta soeur va bien ! Mais je ne sais pas si tu peux entre vu qu'Ezra la soigne.
- Tu n'y crois pas ? Aux miracles ?
- Je sais la vérité. Ce ne sont pas des miracles, fais-moi confiance.
Son visage s'est un peu fermé. Il s'écarte et me montre ma chambre pour me signifier que je ferais mieux d'y aller. Je frappe à la porte. Ezra demande qui c'est avant de me laisser entrer. Il est à genou devant le lit de ma soeur. Celle-ci ne bouge pas. Elle respire lentement, comme endormie ou évanouie. Je m'agenouille devant le lit, en face d'Ezra et saisis la main de Lily. Elle est froide. Je sais qu'elle n'est pas morte mais j'ai peur. C'est ma seule famille, la seule personne à qui me raccrocher. Je dois la protéger, je dois tout faire pour elle.
- Prie avec moi mon enfant. murmure Ezra.
Je joins mes mains et pose mon front dessus, murmurant la prière :
- Azra tout puissant, Protecteur de vos serviteurs, daignez poser les yeux sur nous, guérissez nos malades ou guidez-les vers la lumière doré du lotus, protégez vos chevaliers et chevalières. Nous croyons.
- Azra tout puissant, posez vos mains sur la petite Lily et aidez-la à combattre les maux envoyés par les démons. Nous croyons.
Ezra lève les yeux au ciel avant de se lever. Il contourna le lit et posa un instant sa main sur mon crâne. Puis il quitte la pièce, me laissant seule avec Lily. Je ferme les yeux et prie. C'est tout ce que je peux faire de tout façon, prier pour ma petite soeur, pour qu'elle soit sauvée.
- C'est inutile de prier, il faut juste attendre.
Je lève la tête vers Samuel. Je n'ai pas entendu entrer. Il me tend la nourriture qui avait été posée pour moi. Je la saisis et la dévore. J'ai l'impression que c'est meilleur que tout ce que j'ai jamais mangé.
- Attendre quoi ?
- Que les médicaments agissent.
- Quoi ?
Samuel s'assoit à côté de moi et appuie son dos sur le lit. Je fais pareil et pose ma tête sur son épaule. Il soupire et me dit que je suis trop naïve. Je n'y peux rien, j'ai cru les gens autour de moi qui me protégeaient. Lui, il a vécu dehors, de l'autre côté des murs du palais. Il en sait plus que moi. Son visage est sérieux comme s'il voulait me faire comprendre quelque chose.
- Ezra ne fait pas de miracle. Il veut juste le faire croire. Si Lily meurt, il dira que les volontés d'Azra ont ramené ta soeur près de lui. Si elle survit, il annoncera que son dieu lui a donné les pouvoirs de la sauver, que la mission de Lily n'est pas fini et d'autres conneries de ce genre. Mais, en vérité, ta soeur à un début de tuberculose et Ezra lui à juste injecté les médicaments.
Je le regarde. A-t-il raison ? Puis-je le croire ? Je ne sais pas vraiment quoi penser. Samuel sourit :
- Tu n'es pas obligé de me croire.
Je souris à mon tour, troublée. Je n'ai pas envie de le croire. Cela ruinerait toutes mes certitudes mais ce qu'il me dit à l'air si réel et va dans le sens de ce que j'ai vu du chef. Nous restons silencieux jusqu'à ce qu'un gardien entre. Il nous regarde, sourcils froncés et congédie Samuel d'une voix forte. Le lueur de provocation que je lis dans ses yeux disparaît quand il me regarde. Il m'embrasse et quitte la pièce. Ezra entre une nouvelle fois. Que veut-il ? La porte se ferme, le prophète me fixe.
- Méfie-toi ma fille, ce garçon porte le démon en lui.
- Il est gentil.
- As-tu lu les livres d'Azra ?
- Bien sûr !
- Tu sais alors que le démon se cache derrière un sourire charmeur pour atteindre sa proie.
- Ne pouvez-vous pas le sauver ?
- Je crains que non. Et je ne veux pas que tu prennes le risque d'être possédée à ton tour.
Il regarde le lit de ma soeur et je me demande vaguement comment cet homme fait pour marcher avec tout le tissus et la fourrure qu'il porte. Ses yeux se posent de nouveau sur moi et je rougis.
- Nous allons te changer de chambre.
- Non, je veux rester avec Lily !
- Tu ne peux pas prendre le risque de tomber malade à ton tour.
- Je pourrais au moins la voir ?
- On verra en temps et en heure. Viens, ta nouvelle chambre est au fond du couloir.
Il ouvre la porte et me laisse passer. Je m'avance dans le couloir. Ezra me guide jusqu'à ma nouvelle chambre. Elle ressemble à la première sauf qu'il n'y a qu'un seul lit double au lieu des deux de mon ancienne chambre. La grande fenêtre donnant sur le jardin distribue une grande lumière qui rebondit sur les murs plutôt sobre. Je m'assois sur le lit et regarde les formes des buissons par la baie vitrée. Ezra est toujours là. Pourquoi ne parle-t-il pas ? Pourquoi reste-t-il ? Il se met à côté de moi. Que se passe-t-il ? J'ai envie qu'il parte et qu'il me laisse seule. Je n'aime pas cette proximité. Que fait-il ? Pourquoi se penche-t-il vers moi ? Pourquoi ses lèvres se posent-elles sur les miennes ? Je ne veux pas, je refuse ! Je tente de le repousser mais il est trop fort. Il m'allonge sur le lit. Non ! Non ! Non ! Qu'il me lâche ! Pourquoi fait-il ça ? Pourquoi ne m'écoute-t-il pas ? Où vont ses mains ? Elles soulèvent mon haut. Je veux vomir. Je me débats, rien n'y fait.
- Arrêtez ça tout de suite.
La voix basse, menaçante, détache chaque mot. Poing serré, Samuel se tient dans la pièce. Ezra se lève et quitte dignement la pièce. Je ne bouge pas qu'il est encore là puis m'assois sur le lit. Je n'ai pas envie de me remettre à pleurer mais c'est plus fort que moi. Samuel me prends doucement dans ses bras. Sa main caresse mes cheveux. l'autre, au milieu de mon dos, ne bouge pas, diffusant une chaleur bienfaisante. Je m'accroche à lui. Il me parle :
- Calme-toi, il ne te fera rien. Je te protégerais. Fais-moi confiance. Plus jamais il ne te touchera, plus jamais.
Encore une fois, sa voix m'apaise. Il promet de rester avec moi pour me protéger. Samuel me détache de lui et passe sa main sur ma joue pour essuyer mes larmes.
- Je préfère quand tu souris.
Je me sens rougir. Il sourit. Un lueur de gêne s'allume dans son regard. Il hésite. C'est assez drôle. Samuel se gratte l'arrière de la tête et semble vouloir parler.
- T-Tu as lu les bouquins d'Azra ?
- Oui.
- C'est une jolie fiction.
- Certainement.
- Et en cours, ils t'ont interrogé ?
- Oui.
- Pas moi.
- Tu voudrais que je te fasse un résumé afin de ne pas encore retourner dans la salle noire.
- Tu comprends si vite ! C'est pour rester avec toi !
Je ris. Au final, ça ne m'étonne pas. Il a passé tellement de temps dans la salle aux démons qu'il a raté les cours. Et il n'a pas la lu les livres puisqu'il n'y croit pas. J'attrape le bouquin posé sur la petite table de nuit. Je le feuillette un moment et réfléchit un instant avant de l'ouvrir à la page des dessins. Samuel les regarde, puis me fixe, une moue étonnée et blasée sur le visage.
- Tu sais qu'avec cette tête, tu défies les lois de la nature.
- Quoi ?
- Tu es à la fois étonné et blasé.
- Je comprends pas son histoire.
- T'essayes même pas !
Je reprends le livre et montre le premier dessin :
- Azra créa le monde, les saisons et tout ce qui existe.
- Ouais c'est ça ... Comme tout les dieux quoi !
Je tourne la page :
- Quelques humains se détournèrent pour un autre dieu mais à ceux qui restèrent, il offrit les fastes et les richesses. Si nous le prions, il nous protégera des démons.
- D'où ils viennent, eux ?
- Ozra, le frère d'Azra est le diable, le plus grand démon. Il créa son armée pour nous détruire. Mais Azra protégea ses chevaliers en construisant des palais opulant où ils purent se réfugier, cultiver et vivre.
- En otarcie.
- En quoi ?
- Otarcie. Un groupe qui vit en marge de la société et subvient tout seul à ses besoins.
- Bah tu vois que t'es pas si bête.
Il explose de rire et me prend dans ses bras pour me remercier du résumé que j'ai fais. Je lui souris. Un gong retentit. Samuel soupire. C'est l'heure des leçons et je devine qu'il n'a pas envie d'y aller. Et pourtant, il se lève et me tend la main pour que je le suive. Je la saisis joyeusement et descends du lit. Nous quittons la chambre et traversons le palais afin de rejoindre la salle de cours. Circulaire, des tables et des chaises sont alignés vers une estrade où se tient une femme mince et sèche. Samuel et moi nous assoyons l'un à côté de l'autre. D'autres adolescents de notre âge s'installent et lorsque la salle est pleine, Eléanore MArtinez commence. Elle nous parle des récoltes et son regard tombe sur mon ami :
- Tiens, le retour du chenapant ! Voyons si ces journées passées dans la pièce aux démons t'ont mit du plombs dans la cervelle.
Je peux presque sentir l'envie qu'il a de répondre de façon moqueuse. Il n'en fait rien, se lève et va jusqu'au devant, tête baissé comme le veux la règle. Suis-je la seule à le voir sourire ? Il annonce avoir vu Azra. Il dit qu'il ne fera plus d'erreur. Je rigole doucement dans mon coin alors que le regard surprit de Mme Martinez se pose sur lui.
- Alors raconte-nous l'histoire d'Azra.
Mon ami se tourne vers nous et s'exécute, racontant les faits que je lui ai expliqué un peu plus tôt. Il a toujours cette pointe de rire dans la voix et il me semble qu'elle illumine la pièce autant que le soleil. Son sourire aussi est toujours présent. J'espère qu'il ne le perdra jamais. Samuel finit sa prestation et revient à sa place. Il me murmure un merci tandis que Mme Martinez reprends sa leçon. Peu attentive, je regarde les dessins que trace mon ami sur sa feuille. Il dessine bien ! J'en serais presque jalouse. Son regard pétille lorsqu'il voit que je l'observe. Je lui souris.
Mme Martinez met fin à son cours. Tout le monde quitte la salle sauf moi. Elle veut me parler. Je m'arrête devant l'estrade et garde les yeux baissés. Qu'ai-je fais ? Elle descend et me fais asseoir, prenant un ton doux qui jure affreusement avec son air strict :
- Méfie-toi de Samuel ! C'est Ozra en personne !
- Vous vous trompez ! Samuel est gentil et attentionné ! Et vous l'avez entendu, il a changé !
- Ne crois pas ça ! C'est Ozra te dis-je ! Il t'emportera dans les ténèbres. Seuls Ezra et Azra pourront te sauver.
Je la regarde, incrédule. Pourquoi tout le monde me dit ça ? Je ne peux pas y croire. Comment le pourrais-je ? Samuel est gentil, attentionné, drôle et protecteur. Je ne peux pas penser qu'il soit la forme humaine d'Ozra. J'ai besoin de réfléchir. Seule. Je sors de la salle par une autre porte et rejoins les jardins. Il fait beau, tout est coloré. Je m'allonge sur un banc et profite du soleil. Je ferme les yeux. Qui suis-je censé croire ? Qui suis-je censé suivre ? Ezra ou mon coeur ? Je ne sais plus rien. En deux jours, toutes mes certitudes se sont effondrées une à une. Je suis amoureuse mais tout le monde ne cesse de me répéter qu'il s'agit du démon. Que dois-je faire ? Me séparer de Samuel et souffrir ou bien partir avec lui et risquer d'y laisser mon âme ?
- C'est une question intéressante ! Si ça ne tenait qu'à moi, on serait déjà loin ! Mais y a ta soeur et on ne peut pas la laisser.
Je tourne la tête et regarde Samuel. J'ai pensé à voix haute, il a entendu. Il n'a pas l'air vexé par mes réflexions, j'ai même l'impression qu'il comprend. Il bouge mes pieds afin de s'asseoir sur le banc. Je m'assois à mon tour. Il m'attire contre lui sans rien dire.
- Qu'y a-t-il de l'autre côté de ces murs ?
- Le monde. Il n'est ni beau, ni laid. Il est ce qu'il est, c'est tout.
- Les autres disent qu'il y a des guerres, la haine et la jalousie dehors.
- Les autres parlent beaucoup sans savoir tu sais. Que ce soit ici ou ailleurs, tout est pareil.
- Où voudrais-tu aller ?
- Là où tu es.
- C'est gentil !
- Je t'aime.
Surprise, je lève les yeux vers lui. Ce je lis dans les siens me bouleverse. Il est sincère. Totalement, entièrement. Je me redresse et l'embrasse, tentant de lui faire passer tout ce que je ressens pour lui. Moi aussi je l'aime.
Lily, ma petite Lily, ma petite soeur chérie. Elle est toujours endormie, cela fait des jours. Ezra ne se prononce pas sur son état. Je ne supporte pas de la voir dans cet état. Elle est livide comme morte. Je me rappelle le jour où maman est partie. J'avais onze ans. Je voudrais que rien ne soit arrivé. Il fait noir encore. Une heure de plus dans la salle des démons. Pourquoi ? Pour être allée voir ma soeur sans autorisation. Je dois rester trois heures ici. Je m'ennuie, le temps est long. Il n'y a rien à faire. Je peux toujours essayer de taper sur les murs et le sol pour essayer de faire de la musique mais ce n'est pas très probant. Je soupire.
- Tu veux pas allumer la lampe ?
- Sam ? Pourquoi t'es là ?
- J'ai eu pitié de ta solitude ! Bon et la lampe ?
- Ils l'ont enlevé, on est dans le noir.
- Roh ils sont pas drôle ... Attends, t'es où ?
- Là !
- T'es au courant que ça m'aide pas ?
- Et tu faisais comment avant ?
- Trouvé !
Il me serre dans ses bras, sûrement souriant. Je souris aussi. En vérité, je ne m'attendais pas à l'entendre. Finalement, je ne suis pas si étonnée que ça. Il s'est tenu à carreaux pendant un petit moment et n'a donc pas résister à faire une petite bêtise pour me rejoindre. Qu'a-t-il fait d'ailleurs ? Son rire résonne dans toute la pièce ?
- Rien de bien méchant ! Je me suis juste introduis dans la chambre de Mme Martinez !
- Et tu t'étonnes qu'on te traite de démons ...
- Je m'en suis jamais plains.
- Mouais ... Et tu es là pour combien de temps ?
- Trois heures enfermé avec toi dans une pièce sombre ...
- Je crois deviner où va ta pensée ...
Il m'embrasse fougueusement. Tout mon corps s'éléctrifie. Ses mains sont posées sur mes hanches, il m'attire à lui. Nos corps se collent. Les choses partent loin, on ne peut plus revenir en arrière. En avons-nous seulement envie ? Moi non. Nos vêtements tombent sur le sol. Je cherche la peau de Samuel. Je veux le sentir, le goûter. Nos souffles se mêlent, s'accélèrent. Ses lèvres et ses mains sont partout sur moi. Puis vient le plaisir. Immense, indéfinissable. Tout commence et tout se finit à ce moment là, au moment où nous ne formons plus qu'un, au moment où nous sommes uni et complet, enfin.
Mon dos est douloureux mais si je m'arrête maintenant, les autres vont m'en vouloir. Je fauche le blé, le soleil me tape sur la tête, me provoquant un mal de crâne. Je n'en peux plus et il reste encore pas mal à faire. Je soupire alors qu'on m'ordonne d'aller plus vite. Je suis à un poil de m'évanouir mais je continue. Des cris retentissent, tout le monde s'arrête et regarde. Mon coeur cesse un instant de battre. C'est Samuel qui se fait entraîner par des gardiens. Il n'a pas l'air de vouloir les suivre et se débat. L'un des hommes l'assomme.
- Non !
Je lâche ma faucille et cours vers eux, sautant par-dessus les tas de blés. Je passe agilement à côté de ceux voulant m'arrêter et me glisse entre les porte du palais d'Ezra avant qu'elles ne se referment. Où est Samuel ? Je fais quelques pas dont les bruits résonnent en écho dans ce hall vide. Une immense statue d'or d'Azra se dresse devant moi. Mains tendues en avant, j'ai l'impression qu'il m'offre le lotus.
- Foutez-moi la paix ! J'ai rien à repentir à votre dieu bidon ! J'ai jamais demandé à vous rejoindre ! C'est votre faute si ma mère est morte !
Un bruit qui sonne comme une claque se fait entendre. Je me dirige vers ce lieu et entre dans la pièce où Ezra et Samuel se font face. Il y a un lit et dedans, c'est Lily. J'oublie toute discrétion et me précipite près d'elle. Une main se pose sur mon épaule, elle appartient à Ezra. Je lève les yeux vers lui et me trouve soudain incapable de demander pourquoi ma soeur est là :
- Je l'ai protéger d'Ozra ! Ce garçon que tu aimes te ment ! C'est sa présence qui tue ta soeur alors je l'ai emmené ici pour qu'elle soit en sécurité mais il s'est introduit chez-moi. Je sais que tu vas avoir du mal à me croire mais pourquoi te mentirais-je ? J'ai toujours été là pour toi et ta soeur et lui, qu'a-t-il fait ? Il t'a souillé, il t'a marqué. Ozra a posé sa marque sur toi.
Ezra est sûr de lui. Je le vois dans ses yeux. Et s'il avait raison ? Samuel est souvent allé dans la pièce aux démons et moi, avec lui, j'ai été changée. Il m'a entraîné avec lui dans les ténèbres.
- Protège ta soeur. Protège nous, défais-toi de son emprise !
Il me tend un revolver. Je le saisis lentement et avance vers Sam. Si Ezra à raison, alors je dois le faire. Je lève l'arme et la pointe sur le garçon que j'aime. Mes mains tremblent. Pourquoi ne dit-il rien ? Pourquoi ne bouge-t-il pas ? Je veux qu'il m'en empêcher, qu'il me prouve qu'Ezra a tort ! Je t'en prie Sam réagis ! Ne reste pas planté là, devant moi, avec ce revolver entre nous alors que j'ai besoin de toi.
- Marianne, je sais que me croire est difficile. Je voudrais te protéger. Si tu crois Ezra, alors tue-moi tout de suite, je préfère mourir puisque vivre sans toi serais trop douloureux. Mari, je t'aime, je donnerais ma vie, mon coeur pour te sauver.
Les larmes salées coulent sur mes joues. L'arme tombe sur la moquette rouge. Je serre Samuel contre moi. J'ai besoin de lui.
- Puisque tu ne peux pas, je vais le faire !
La voix vibrante de colère, Ezra récupère le revolver et le pointe résolument sur mon amour. Il tire. Douleur, sang qui coule, air qui ne passe plus. Je titube, tombe. Ma vue se trouble. Samuel pleure, murmure mon nom. Je pose ma main sur sa joue et souris. J'ai mal.
- Tu vas vivre d'accord ? Tu vas t'occuper de Lily.
- Tu le feras aussi ! On le fera ensemble ! On partira et ... et ...
Sa voix baisse et s'éteint. Il ne sais plus quoi dire. Je ne veux pas le laisser, je ne veux pas abandonner ma Lily mais j'ai mal ! Le sang coule, je n'arrive plus à respirer. Je souris, je ne veux pas qu'il pleure. Il ne peut plus me sauver de toute façon.
- Je refuse que tu meure Mari !
Il presse ma blessure, je le regarde. J'ai choisis de le sauver. J'ai choisis de prendre cette balle pour qu'il vive ! Je refusais qu'il meurt alors c'est moi qui part. Pardon Samuel.
- Je t'aime Sam.
Mes yeux se ferment, j'emporte avec moi l'amour de Samuel et de Lily. Je les ai sauvé. Ils vivront, c'est tout ce qui m'importe.
**********
Il neige. C'est beau mais il fait froid. Les toits des maisons, les voitures, les immeubles sont recouvert de poudre blanche. Mon écharpe me gratte mais je ne peux pas l'enlever sinon je vais tomber malade. L'école n'est pas loin. J'aime bien y aller, la maîtresse est gentille et mes amis aussi. Déjà, on entend les cris au loin. Le portail se dresse devant nous. Je remets mon cartable sur mes épaules et fixe mes camarades qui se lancent des boules de neiges. J'ai envie de les rejoindre. Je lève les yeux vers Samuel. Il me sourit :
- Amuse-toi bien Lily et surtout ...
- Pas de bêtise, je sais !
Je lâche sa main et entre sur la cour. Je me tourne vers lui et lui adresse un grand signe de la main en souriant. Il y répond joyeusement et repars. Il a l'air un peu triste comme quand il m'a expliqué pourquoi je ne verrais plus Marianne. J'ai beaucoup pleuré ce jour-là. Elle me manque. Elle nous manque à tous les deux. Cela fait maintenant trois ans qu'on a quitté les chevaliers. Le monde est génial. Samuel s'occupe bien de moi. Je n'aime pas le voir triste mais je sais qu'il n'oubliera pas ma soeur. Moi non plus d'ailleurs. Oh ! Je sais ! Il faut qu'il retrouve l'amour ! Le souvenir de Marianne ne le fera plus souffrir ! Elle l'a sauvé pour qu'il soit heureux alors il va l'être ! Je vais y veiller !