les crises de Jimmy

François Eatfill

Jimmy a quitté la brasserie sans raison précise. Il a retiré du distributeur ses quatre vingt euros hebdomadaires. Que faire d’autre ? La spéculation n’est pas son fort. Pas d’actions, pas de placements audacieux. Que peuvent faire les éléments furieux du monde de la finance contre son livret A garanti par l’état ? Les golden boys transpirent. Le blanc de leurs chemises impeccables se macule de traces. La raison insensée a laissé place à la frousse incontrôlée. Les apprentis sorciers sont toujours là. Jimmy ne voit rien trembler autour de lui mais les enterrements des fortunes audacieuses se préparent. Il n’ y aura pas de fleurs pour eux.En cet après-midi, la poussière vole en fines particules blanchâtres, à la croisée des rues Poussin et Mozart, mises en scène par les raies d’un soleil timide. Des sommes astronomiques ont été dépensées ou positionnées en un temps record. Jimmy s’est mis à observer, comme ses frères et sœurs américains, son prêt à taux variable. Il augmente, diable ! Toutes ces années encore à payer ce rêve qui flirte entre réalité et malédiction. Les feuilles épaisses et imposantes des platanes jonchent le sol.A la sortie de l’école primaire, certaines petites filles en font des bouquets, les garçons y donnent des coups de pied rageurs. George, l’ami de Jimmy a fait hier un poker avec les Namias et les Gitay. Match de " killer ", lui a -t-il vanté, c’était sympa.Hier, Guillaume Depardieu est mort à 37 ans. Trop jeune, à l’identique de Patrick Dewaere il y quelques dizaines d’années. Plus d’impôts à payer, richesses dématérialisées, ils sont heureux en somme. Ces comédiens à fleur de peau, n’ont vécu réellement que devant les caméras alors que leurs confrères tentent eux seulement de faire vivre un personnage qu’ils ne sont pas. Il en va de même pour les financiers de haut vol. Les mal logés et affamés comprennent que les aides financières qu’ils espèrent sans relâche, viennent d’être balancées au-delà de tout espoir en moins d’une semaine à la communauté des traders.Jimmy s’est glissé dans les habits du week-end bien que ceux de ses semaines y ressemblent comme deux gouttes d’eau. La trottinette et le tricycle sont les incontournables du dimanche après-midi. Sa copine, Pauline s’est certainement levée tard aujourd’hui. Elle est allée au musée hier à la rencontre du maître Picasso. Le seul et unique peintre grandissime que peu de personne ose aujourd’hui critiquer malgré son audace à provoquer tous les courants et tous les classicismes.Fait rare, que vaut un bisou expédié par téléphone ? Jimmy est désabusé de ces superlatifs en comportement et en vocabulaire.18 h 07, les néons rouges fluo du Monoprix s’éternisent. A la terrasse de la brasserie, les téléphones semblent au repos. En cette fin de journée, La chaussée est humide de sa dernière ondée. Cela donne une musique particulière aux pneus des voitures qui dévalent la rue. Deux jeunes femmes viennent de quitter leur surface de vente et prennent un verre à proximité de Jimmy. Leurs mains sont agitées, leurs rires stridents. La responsable de magasin y paye son management assidu. Chacune construit le meilleur petit scénario du vécu. Un client aurait-il répandu une onde sex-appeal ? Les jeunes demoiselles se trémoussent. Le flot de leurs interrogations repose sur le fait majeur d’avoir été ou pas le centre d’un intérêt sexué.Le tableau noir du bistrot affiche encore les plats du midi : quenelle de brochet et andouillette sauce moutarde. Dans cet établissement les tables sont impitoyablement réservées à la restauration de 12h à 15h car on y mange aussi.Jimmy boit encore un café, boisson la moins onéreuse, assis à la terrasse malgré la lumière décroissante. Citadelle du carrefour, la position n’est pas dominante mais parfaite pour voir.Il y a dans la journée des moments très confortables où observer sans rien faire dans ce déluge, est un bonheur. Un voyeurisme latent quand Jimmy s’attarde sur l’arrière-train d’une belle dont le jean slim dessinent le sublime.Attendre l’heure de rentrer. Rentrer à la bonne heure. Ne pas se perdre dans un moment impromptu. Tomber là, où et quand il le faut. Enclencher un quotidien programmé donc rassurant. Lumière du salon, télécommande de la télévision, et puis le pantalon à terre. Les chaussures partent sous le lit, la chemise est au panier. Le moment solennel de l’intimité intérieure se joue. Il n’y aura plus de regard à part les familiers. Tout se passera entre quelques murs privés en attendant la suite du marasme.Ce soir, dans les rues de la cité, les femmes fardées déambuleront, le sac suspendu à l’avant-bras. Les vérités sont peut-être pour demain. Rien n’est sûr. L’exactitude des histoires folles est insondable comme la pensée, dernier refuge. Jimmy ferme les yeux et prie pour lui.

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