Les dieux se sont penchés sur Cirali
Jonas Mossiat
Premier pas posé hors du dolmush depuis Antalya. Tout autour, des montagnes, la route principale et une secondaire, avec une seule indication: ”Çıralı 7”.
Pas une âme, à part peut-être cette vieille femme préparant des gözleme, dans une cabane humide incrustée dans un arbre, et son mari, à l’affût, nous proposant déjà un taxi pour Çıralı. Nous n’avions pas idée de ce que nous allions trouver là-bas. On peut appeller cela la chance, ou l’aventure. La longue descente qui nous plonge vers Çıralı est bordée de fôrets, de pauvrettes maisons et de ”pensiyon”. Celles-ci sont plus ou moins toutes pareilles: Des jardins peuplés de hamacs à l’ombre des orangers, des bananiers et autres bougainvilliers. Au fond, des petits baraquements chaleureux et entretenus, enfouis dans la verdure, accueillent, en cette saison, que très peu de clients.
Nous apprendrons plus tard que Çıralı ne vit que le temps de l’été. Ce village ne comporte aucune réelle habitation, seulement des pensions et des jardins flanqués entre la mer et les montagnes et d’innombrables fruitiers. Les turcs déménagent ici pour tenir les lieux, mais repartent en ville aussitôt le dernier étranger ayant quitté le village.
Une fois notre pension choisie (hamacs et orangers obligatoires), l’attrait de la mer s’est vite fait ressentir. La plage est fantastique. La plus belle qu’il m’ait été donné de voir, même. Sur trois kilométres s’étend une fine plage de sable et de galets, déserte en cette période malgré les 30° présents et une mer d’autant plus chaude. Quelques voiliers chanceux se sont ammarés au large, et les parasols de pagne protègent quelques touristes retardataires. Bien plus tard durant le soir, j’y ferai une autre découverte qui restera certainement gravé dans ma mémoire.
Çıralı n’est pas seulement appréciée des seuls humains. Sa plage fait également partie des rares zones de nidification des tortues carets. C’est pour cela qu’aucune lumière n’est autorisée le long de la mer durant la nuit. Les bébés, à peine sortis de l’oeuf, doivent pouvoir s’orienter en direction de la mer grâce à la lumière de la lune. Les lumières artificielles les guideraient vers la terre, où elles mourraient rapidement. Cela rajoute à l’aspect protégé et intimiste de ce site, qui, découvertes après découvertes, prend une apparrence de réel Eden.
Chatouiller les feux éternels de a Chimère et nager parmi les fées marines
La Chimère. Une créature, un monstre qui a effrayé des générations par le passé. Un corps de chèvre, une tête de lion et une queue de dragon, ou a peu près. Elle crachait le feu et ruinait les cultures.
Et si je vous disais que cette créature vivait à deux pas de Cirali, tapie dans les montagnes le long des côtes, me croiriez-vous? En tout cas, les gens là-bas y croient, ou en tout cas font semblant d’y croire, sans doute pour le tourisme. Même si le Chimère a été tuée il y a des millénaires, les traces de son passage ne se sont pas toutes éteintes. On appelle ce village ”Chimera”, à une petite heure de marche depuis le centre de Cirali.
Deux français rencontrés sur la plage nous avaient donnés comme conseil: une lampe de poche – des pics – des suçuk (petites saucisses) et démarrer vers 22h. Car le spectacle de Chimera est a découvrir la nuit. Impatients, c’est donc vers 21h30 que nous sommes partis en quête du mythe, avec dans nos sacs: une lampe de poche, des pics, des suçuk, des bananes, des chamallows et des bières. Il faut bien innover.
Nous avons vite compris pourquoi il était intéressant de partir si tard le soir pour visiter Chimera: le reflux des cars allemands laisse penser que le lieu est énormément visité. Après une bonne quarantaine de minutes de marche, puis une bonne demi-heure d’ascension (800m dans le noir, sur de vieux escaliers, pavés, rochers), nous avons atteint l’ancien antre de la créature. Pendant la montée, ce que nous pensions voir comme des feux de camp, sont, une fois arrivés au-dessus, ce que l’on croit être des feux de camps. C’est à dire une dizaine de petits feux étalés à flanc de montagne. Ce n’est qu’une fois avoir approché d’assez près un de ces feux que l’on comprend la magie de l’endroit. Les flammes sortent des rochers. En continu, depuis des siècles. Pas de charbon, pas de bois pour alimenter le feu. Les flammes sont éternelles à Chimera, et jaillissent dans les replis des roches, un peu partout sur la montagne. C’est en fait une réserve de méthane (je crois) qui permet aux flammes de sortir en continu.
L’endroit est idéal pour le camping. Ici, aucun problème pour surveiller le feu. Alors on plante les suçuk, on donne quelques chamallows aux derniers enfants présents et on boit une bière, dans l’antre de la Chimère. Au diable les monstres, seuls des dieux ont pu penser cet endroit!
Et d’autres dieux, ou plutôt d’autres déesses, ont dû également se pencher sur la mer de Cirali. Une fois arrivés à notre pensyion, l’envie de voir éclore des tortues se fit sentir. Armés d’autres bières et de draps, l’attente fût longue sur la plage. Pas de naissance à l’horizon.
Mais, c’est en nous plongeant dans la mer que nous découvrîmes un phénomène magnifique. Encore maintenant, il m’est difficile d’expliquer face à quoi nous sommes tomber. Après des recherches, rien ne m’a permis d’expliquer cet endroit. A chaque mouvement dans l’eau, des centaines de lumières parcouraient nos membres. De petites lumières, bleues étincelantes, qui s’éparpillaient ensuite tout autour de nous. Une nage à travers des fées.
On peut parler de lucioles aquatiques, mais ces lumières pouvaient se diviser lorsqu’on en attrapait une dans la main. On ne peut pas parler de réflexion de la lumière de la lune, puisqu’on pouvait attraper ces lumières individuellement. Alors sans doute se sont des minéraux présents dans l’eau. Quoiqu’il en soit, le moment était magique. Si vous passez dans les environs, arrêtez vous quelques instants pour profitez de cette mer la nuit!
Et même de Cirali tout entier. Un lieu paradisiaque qui vaut plus que le détour. Cirali vaut juste un aller simple.