Les Enfants d'Or: Livre 1 "Le Seigneur-Prisonnier" (2004)

alyciane

Chapitre 1

La Cité-prison d’Isgurdian

Isgurdian, la terrible, comme certains osent le murmurer, Isgurdian l’époustouflante. Ses tourelles brillantes, tellement hautes qu’elles perceraient la voûte céleste, ses maisons éparses emmêlées à travers les chemins tortueux. Et aussi  ses morts et ses vivants perdant leur sang qui s’écoule comme un fleuve écarlate à travers le sillon du caniveau, bercés par la mélodie des grincements des outils et des hurlements des gardes. Même moi, j’eus quelques palpitations en voyant ses murs d’enceintes, hautes de plus de 100 mètres, lisses et lumineux comme de la glace. Mon admiration pour ce qui allait être ma nouvelle demeure était réelle, et ma hâte se sentait grandis devant tant d’ingéniosité. Les rues, volontairement sombres et étroites, n’étaient jamais surveillées, permettant à chacun d’assassiner sans gêne son voisin. Une vie mêlée de travaux exténuants et de luttes pour sa propre survie, ne laissant jamais un moment de répit au détenu infortuné, rendait la tâche plus facile à L’Empire, désireux d’exterminer tous ses gêneurs. Isgurdian, la prison aux allures de ville, véritable terrain de chasse d’ombre et de lumière. Il est sûr que si c’était à recommencer, je le referais, pour mon plus grand plaisir…

 

Je ne savais où aller. Malgré mon intelligence et mon sens d’orientation développé, le premier jour fut plus ou moins déroutant. La première chose qui m’agaçait était la confiscation de toutes mes affaires personnelles, preuves de ma haute lignée. Nous étions tous égaux dans cette cage crasseuse. L’autre chose qui m’irritait au plus haut point était ces imbéciles qui osaient me donner des ordres afin que je travaille, 10 pièces forgées par jour et par personne si j’ai bien entendu. Les gardes ne portaient qu’une simple épée, mais pourtant les vétérans ne semblaient jamais offusqués d’un coup ou d’une insulte, se contentant d’un regard noir. Ces prisonniers où brillait l’expérience dans  leur regard, certains constitués d’un physique presque impressionnant, étaient très prudents dans chacun de leur geste. Je n’avais crainte d’aucune surprise, mais je préférais travailler silencieusement afin de me démarquer de ces jeunes sans cervelles, qui n’arrivent pas à concevoir l’idiotie de leurs actes. Une idée me traversa très rapidement l’esprit. Cette microsociété était régie par les mêmes règles extérieures. Il  me suffisait de grimper dans les échelons avec minutie pour enfin profiter des véritables plaisirs de ces lieux. Trouver la tête supérieure ne devrait pas être difficile, et la prendre encore moins. C’est ainsi qu’en quelques jours, certains se rallièrent à ma cause, reconnaissant mon autorité absolue. Mon charisme était utile même dans ces demeures pauvres et décharnées. Je me rendis compte que finalement ces cinq années allaient pouvoir être considérées comme des vacances, si je continuais dans mon élan. Si ma situation de nouveau venue me désignait comme sans droits, les castes plus élevées avaient quelques privilèges, et même au plus haut il n’était plus nécessaire de travailler, vos sous-fifres faisant votre part du travail. Je fus d’ailleurs plusieurs fois dérangées par quelques personnes, ayant la prétention de me demander de travailler sous leurs ordres en échange de leur protection. Je leur fis comprendre que je n’avais besoin d’aucune aide de leur part. Suite à ses rapides accidents, je fis la connaissance d’un jeune homme fort utile. Il connaissait tout ce qu’il y avait à savoir dans la cité, les lieux intéressants, les prisonniers supérieurs, les cibles intéressantes potentielles.

« Pourquoi veux-tu travailler pour moi ? lui avais-je demandé.

-Je sais qui servir, mon seigneur ! Et je vous connais. Vous êtes très célèbre et la rumeur de votre condamnation est parvenue par delà les murs, jusqu’à mon oreille. Je sais que vous avez besoin d’informations.

-Je n’ai besoin de personne.

-Vraiment ? J’ai toujours été un grand admirateur de vos méthodes. Mais vous allez forcément avoir besoin d’informations sur les personnes importantes de notre grande et belle cité, n’est-ce pas ?

-Les flatteries ne me font rien, répondis-je, un sourire au coin des lèvres.

Son regard brillant et son sourire malicieux m’amusaient. Les cheveux noirs en batailles, les yeux bruns, la peau légèrement mate, tellement petit qu’il m’arrivait au torse, il n’avait pas 20ans. Pourtant, sa répartie m’intéressa. Il avait l’air de ne plus être un enfant depuis longtemps, et son regard assuré n’avait pas peur de la mort.

-Et bien, essayez mes services pendant un délais, et si je ne mérite pas vos ordres, faites de moi ce que vous voudrez.

       -Tu es bien sûr de toi, marmonnai-je

        -Je sais ce que je vaux, et je connais vos préférences. Vous ne voulez que le meilleur. Je sais même que ceux qui vous suivent ne vous arrivent pas à la cheville. Vous n’avez que faire des personnes inutiles. Vous devriez vous débarrasser d’eux, je pourrais trouver des personnes de bien plus grande valeur.

        -Vraiment ? Répondis-je en riant.

Ses yeux s’illuminèrent et il acquiesça.

-Et toi, es-tu de valeur ?

-J’ai au moins la valeur de vous faire rire, n’est-ce pas ?

-Rire ? Amuser tout au plus. 

Je le regardai en esquissant un sourire.

                -Je me nomme Tyrias. Je vous le dis car jamais vous ne me l’auriez demandé.

                -Tu te trompes. J’aime savoir le nom des personnes sous mes ordres.

Son visage s’éclaira d’un large sourire satisfait.

                -Vous ne le regretterez pas, Seigneur Ethanor ! »

                C’est ainsi que j’eus le droit à la narration de tous les aléas d’Isgurdian. Tyrias prenait toujours garde de ne jamais m’ennuyer et allait toujours à l’essentiel, attention qui me convint tout à fait. Alors que je me démêlais avec le groupe de serviteurs que je m’étais constitué, il allait et venait dans les rues sombres, évitant les guets-apens avec l’agilité d’un singe. Cela faisait longtemps que je voulais un œil mobile sur toute la cité, et cette petite bête faisait très bien son travail. Pourtant, il insistait toujours pour renvoyer mon groupe, et je ne le contredisais pas quand il parlait de membres plus utiles. Mais je voulais à tout prix éviter la besogne de la forge, et ils me servaient au moins à ça, même si je devais chaque jour compléter leur travail.

« Seigneur Ethanor ! J’ai trouvé des choses bien utiles ! Savez-vous, les personnes dont je vous avais parlé ?

-Et bien ?

-Je me suis renseigné. Comme je le pensais, les trois clans majeurs sont tous enfouis dans les souterrains de la cité. Une bonne raison à mon ancienne ignorance de l’emplacement de leurs demeures… Les souterrains sont un véritable labyrinthe où même les gardes ne s’y aventurent pas.

-Pourquoi ne m’en as-tu pas parlé plus tôt ?

Son visage blêmit quand il comprit son erreur.

                -Il me semblait plus intéressant de  s’occuper d’abord de la surface…

                -Te sembler ? Arrête de faire semblant de réfléchir, Tyrias, et  dis moi tout ce qui pourrait être intéressant !

                -C’est que…

                -C’en est assez !

Mon humeur, qui était légère quelques minutes plus tôt, était devenue exécrable. Un royaume inconnu apparaissait devant mes yeux, un royaume où demeurait le véritable roi de cette prison, et je n’y avais pas encore mis le pied. Ainsi, les personnes à qui je m’apprêtais à abréger leur condamnation n’étaient finalement pas d’une grande importance. Comme je déteste perdre mon temps pour des balivernes ! A quoi bon gratter une croûte friable sans allez au cœur du problème ? Je soupirai, las. Tyrias me regardait avec de grands yeux, non pas apeuré mais sincèrement honteux. Aussi, je n’avais que faire de sa sincérité.

« Répare ton erreur. »

Il me salua et s’éclipsa. Certains auraient pu croire qu’il allait prendre la fuite, mais je le connaissais assez pour le savoir ingénieux et immanquablement doué. Je fronçais les sourcils, un peu surpris de lui faire confiance. 

Chapitre 2

Le Royaume Souterrain

                Notre chère cité n’est pas seulement hautement élevée, mais a aussi ses propres racines. Des racines où grouille le mal dans toutes ses formes, où même les esprits les plus calmes pourrissent d’une haine et d’une violence incontrôlables. Quelques galeries atteignent les deux kilomètres, traversant totalement la largeur de la ville. Je fus étonné aussi d’y voir des femmes s’y promener sans aucune crainte. Normalement, les femmes sont incarcérées de l’autre côté d’un des murs, mais il faut croire que les étroits goulots desservent à tous les endroits de la prison. Les souterrains sont divisés en différents quartiers, certains inaccessibles depuis longtemps par des éboulements, d’autres dangereux et inhabitables à cause de créatures mystérieuses. Mais ceux qui sont habités ne possèdent pas de grandes différences aux habitats de la surface, ressemblant même encore plus à une prison. L’atmosphère est lourde, suffocante à certains endroits, l’espace confiné et réduit, la lumière naturelle inexistante.

                Tyrias avait trouvé un morceau de quartier déserté après une probable bataille. L’odeur y était encore nauséabonde et il fallut évacuer les cadavres des anciens habitants, mais les restes décharnés et leur état de décomposition n’était plus un risque à notre santé. Notre nouvelle demeure était agréable bien que d’un confort restreint. Le silence nous donnait l’illusion d’une certaine intimité.

 

 

                Je regardais le crâne laissé comme exemple par un de mes hommes avec nonchalance, réfléchissant à mes premières exactions. Je leur permettais ces quelques libertés, bien que puérils mais divertissantes. Ils étaient huit, sans compter Tyrias. Ce dernier, d’ailleurs, avait repris sa place au sein de mon esprit comme le meilleur _le seul_ de mes comparses. Sa maladresse ayant été rapidement réparée, je ne lui teins pas plus longtemps rigueur, satisfait de ses matérielles excuses. C’est avec satisfaction que je donnai une réunion dans le bâtiment principal. Autour de la table aménagée, trois hommes étaient déjà accoudés. Kalvin, Paye et Sofien étaient leurs noms. Les autres de ma troupe était encore occupé à la forge et travaillaient pour tous les autres. Tyrias était aussi présent, presque impatient, les yeux pétillant d’une joie inconnue.

                « Seigneur Ethanor ! s’écria-t-il d’un air innocent.

                -Arrête de faire cette tête… soupirai-je.

Il sourit de plus belle. Les autres le regardèrent d’un air noir mais n’osèrent aucunes paroles.

                -Commençons, continuai-je.

Tyrias s’empressa d’étaler sur la table différents écrits. Je me demandai d’où il pouvait les tenir, puis je redressai la tête vers les autres. J’étais ennuyé de ne pouvoir m’occuper de mes victimes seul, mais contrairement à l’extérieur de la prison, l’endroit restreint et les dangers incessants ne permettaient pas souvent de rester seul. Et si je voulais faire tranquillement mon travail, je voulais avant tout ne pas être dérangé. Pourquoi ? Tout simplement que je n’aime pas cela. Un caprice qui m’obligeait à faire quelques concessions.

                -Notre cible doit être avant tout célèbre afin d’intimider tous les prisonniers, même les plus hauts placés. Les solitaires sont souvent les plus connus… présenta Tyrias.

                -Tu veux dire que s’attaquer à un clan ne serait pas judicieux ? le coupai-je.

                -Je veux dire… Il avala sa salive. Je veux dire que l’intimidation est la plus grande des armes. Tuer tout de suite les chefs des clans n’aurait pas assez d’impact. Quand ils mangeront dans votre main, vous serez le seul maître de leur vie et de leur mort. Il faut mater l’animal avant de l’abattre. »

Je fis un petit sourire satisfait. Mon espion avait tout l’air de prendre sa mission au sérieux et apprenait vite. Sa façon de tourner les choses m’était agréable mais je le soupçonnais surtout  d’une trop vive prudence. Je ne le contredis pas, prêt à m’amuser un peu. Mon humeur était bonne, et j’étais prêt à tout entendre. Les autres nous regardaient d’un air interdit.   

« Son nom est Darith. Il est toujours accompagné de ses quatre amis. Ils traînent aussi souvent avec deux autres personnes. Si vous voulez mon avis, Seigneur Ethanor, si nous les supprimons tous d’un coup, le respect et la peur de chacun est à notre portée.

-Tu sais bien que je n’ai que faire de l’avis de chacun.

Il me regarda d’un sourire complice.

                -Votre ascension est sûre de surprendre plus d’uns !

                -Et la tienne aussi…

Il continua à me regarder, le sourire immobile.

                -Je vois… continuai-je. Et bien pourquoi pas.  Cela ne me semble pas une si mauvaise idée que ça.

                -Mais les deux derniers ne seraient pas à l’écart du reste du groupe ? osa Sofien.

                -Si c’est le cas, je compte sur vous pour vous en occuper, n’est-ce pas Tyrias ?

Il fit la grimace. S’il était un bon informateur, il se savait piètre combattant, et il n’aimait guère les démêlées trop sanglantes. Je le regardai avec attention et ris de son air réprobateur. C’était tout ce que je pouvais faire pour le gratifier de ses services, ça et fermer les yeux sur son absence lors du combat. Je ne désirais pas perdre cette tête précieuse. Il pinça les lèvres et son visage redevint plus sérieux.

                -Ils se trouvent au quatrième quartier Nord. Les deux autres sont, paraît-il, souvent dans une salle du premier quartier Est.

                -Et qu’a-t-il de si terrifiant, ce Darith ? dis-je d’un ton ironique.

                -Il est célèbre pour sa très grande force. Surhumaine dit-on.

                -Intéressant. Et… ?

                -Heu … Tyrias me regarda, étonné. C’est tout.

                -C’est tout ? Je fronçai les sourcils. Es-tu sûr que ce n’est pas du temps perdu ?

                -Certain, Seigneur !

Il me regardait toujours d’un œil étonné, me fixant comme s’il désirait connaître mes capacités. Mais sans doutes dépassaient-elles son imagination.

                -Très bien. Ce soir même, alors. Cela ne devrait poser aucun problème. Je compte sur vous pour les deux autres.

Je regardai les trois hommes.

-Quant à moi, je m’occupe du reste. Tyrias, je compte juste sur toi pour ne pas être dérangé.

                -Pas de problème ! Acquiesça-t-il avec enthousiasme.

Je soupirai puis m’écartai de l’assemblée, préparant mon coup. Si jamais je n’ai eu aucune hésitation et n’aimais pas rester des millénaires sur un acte, j’aimais préparer tout de même un minimum mes assassinats. Il suffit de quelques minutes de réflexion pour le perpétrer avec  perfection, mais je me délecte toujours en ce laps de temps à la pensée du meurtre suivant. Je le sais déjà réussi, et je me satisfais de sa beauté. Chacun de mes meurtres n’ont jamais été inutiles, et je sentais déjà les bienfaits du prochain. Ici, tout n’était que question de survie. Une vie de plus ou de moins, personnes ne s’en rendrait compte, ou plutôt, l’on s’en rendrait compte mais personne ne pleurera les victimes.

                Le temps était écoulé. Déjà, les lumières des galeries s’éteignaient, épuisées. Je sortais de mon repère avec calme. Je ne ressentais rien, ni essoufflement,  ni excitation.  Rien ne pouvait désormais m’arrêter dans mon élan. Je croisai Tyrias, qui me regarda dans les yeux. Il semblait fébrile, peut être pour remplacer mon manque d’adrénaline.

« Ethanor » murmura-t-il, comme prit d’une fièvre.

Je levai la main pour le faire taire. Il me fixa, puis s’écarta, comme prit de folie, et disparut dans les sombres couloirs. Je souris, ravie. Ce petit aurait pu être mon élève s’il avait sut se battre.

                Les ténèbres gardaient toujours leur emprise à travers le labyrinthe des galeries de terre brune. J’étais arrivé à destination sans aucune difficulté, et je scrutais les lieux pour savoir où continuer mon chemin. Je sentais mon cœur cogner d’un bruit sourd dans ma poitrine. J’étais toujours aussi calme, mais je sentais une vive émotion m’étreindre. Etait-ce de l’impatience ? Déjà, j’entendais des voix résonner aux delà des boyaux tortueux. Ils arrivaient, confiants, avançant pas à pas vers leur mort. Je savais que mon stupide espion s’était arrangé pour les amener à moi. A part ces lointains murmures, tout semblait être immanquablement emprisonné dans un silence froid et macabre. Pas une bête, pas un cri ne troublait le calme de ma concentration. Un crissement d’un pied sur la poussière du passage, le cliquetis de mon épée ajustée sortie d’un humble fourreau, un cri de rage. Je fonçai avant même de voir leur visage ahuri. Le premier corps ne ralentit presque pas l’élan de la lame, mais cette dernière s’arrêta d’un bruit effroyable sur une paroi rocheuse. Les quatre hommes restant  ne prirent pas le temps de regarder leur compagnon s’effondrer à leurs pieds. Leur regard emplit de haine et de rage, ils brandissaient leurs armes vers moi. L’un d’entre eux avait un air féroce qui me fit sourire. Il dépassait les autres d’au moins une tête. Je me redressai et les toisai du regard.

« Que veux-tu ? me demanda le géant.

                -Ta tête, dis-je en souriant. Ne vois rien de personnel là dedans. »

L’homme leva la tête, comme pour me regarder de haut. Je répondis à son invitation en pointant mon arme vers lui. Ce combat s’annonçait des plus intéressant. Il fonça vers moi avec le grognement d’un ours, le poing brandis vers l’avant. Il n’avait aucune arme mais je savais que je devais être méfiant. Les autres ne semblaient pas bouger, restés en retrait, regardant le chef de leur meute défendre son honneur.

                Il était lent. Trop lent, tout du moins, pour pouvoir me toucher. Il se servait de ses bras comme des masses, mais jamais il ne pouvait m’écraser avec comme il le souhaitait. Pourtant j’éprouvai une petite difficulté à réussir à le frapper. Il arrivait à se protéger avec des plaques de métal attachées à ses avant bras. D’un habile mouvement du coude, je réussis enfin à lui enfoncer mon pommeau dans sa figure d’animal. Il s’écarta et, ne me quittant pas du regard, s’essuya le filet de sang qui s’écoulait au coin de ses lèvres.  

                « Tu vas mourir ! » Cria-t-il, furieux.

                Ses amis s’élancèrent vers moi en un éclair. Des lames fusaient en tout sens, cherchant à me tailler en pièce. L’un d’eux fonçait vers moi, agrippé à une lance, la pointe acérée me faisant face. Je m’éclipsai et réapparut derrière l’un d’eux. Je ne pris pas beaucoup de temps pour me débarrasser des deux derniers. Le géant, déjà, était à genoux près d’un des corps, les larmes aux yeux, les mains ensanglantées. Il regardait le cadavre de son ami avec souffrance et désespoir. Je le laissai pleurer pendant une dizaine de secondes, puis m’avançai, déterminé. Il se releva et sécha ses larmes du revers de la main. Son air était calme, presque serein.

« Tu vas le payer, bâtard !! murmura-t-il.

Je le regardai d’un air neutre. Je l’observai, content de me battre contre un adversaire de son rang. Il n’était pas comme ces bêtes en cage qui grouillaient à travers toute la prison. Il savait pleurer un camarade, il savait se défendre et il savait réfléchir. Je fis un pas.

-Tu es un piètre combattant. Ta faiblesse est méprisable. »

Il sourit et se mit en garde.

                Connaissez-vous ce sentiment ? Celui qui nous fait trembler le cœur, au point de croire qu’il ne pourra pas résister ? Celui qui nous essouffle, alors que, enivré de sang, nous sentons la victoire prochaine ? Celui qui emplit de rainures écarlates nos yeux penchés vers le  regard identique de notre adversaire ? J’aimais l’air résigné du combattant qui savait sa fin proche, et qui allait sans peur vers l’enfer. Il avait ce regard, il avait cet air. Mais il ne mourut pas résigné.

                « Sois maudit » murmura-t-il en un râle, le sang s’écoulant à flot de sa bouche, regardant l’épée qui lui transperçait le ventre..

Il s’effondra en un bruit sourd Je me reculais, me tenant l’épaule. Il avait réussit à la broyer en un simple revers, et déjà je sentais une vive douleur me transpercer à d’autres endroits. Il avait été véritablement un bon adversaire. Je regardai ses larmes de frustrations s’écouler sur ses joues, son regard se perdant sur le plafond, comme a la recherche d’une quelconque route vers le ciel. Je me rapprochai de lui et souris d’un air moqueur.

                « Je t’ai permis de m’affronter en duel, mais j’ai été très déçu. Dépêche-toi de rejoindre tes amis dans le monde des incapables. »

Il  me regarda d’un air mauvais, puis son visage sembla  se radoucir. Il s’efforça à sourire.

                « Nous y passerons tous, un jour ou l’autre. » Puis il toussa, et sans un bruit, son regard se figea dans le mien. Je fis la moue.

                -Parle pour toi. Je ne suis pas près de mourir… »

                Je tournai le dos et m’écartai des corps, m’éloignant du lieu de bataille. Mon travail était terminé, et j’étais satisfait de ce que j’y avais rencontré. Je rentrai rapidement dans mon quartier. A un carrefour, je vis deux yeux lumineux percer la pénombre. Je les reconnus de suite.

                « Seigneur Ethanor ? Tout s’est bien passé ?

                -A la perfection. Comme toujours

Je fis un sourire satisfait.

                -Bien. Laissez-moi vous dire que le groupe n’est toujours pas rentré. 

                -Comment ? m’étonnai-je. Ils sont pourtant à huit contre deux. Cela devrait être rapide, même s’ils sont mauvais.

                -Sans doute sont-ils encore plus mauvais que nous le pensions…

Je soupirai d’un air las.

                -Il faut toujours quelques uns pour gâcher ma joie. Et bien allons les chercher.

                -Maintenant ?

                -Je n’ai que ça à faire… »

Je me dirigeai rapidement vers le quartier Est, accompagné de Tyrias. Nous trouvâmes rapidement la pièce indiquée comme étant le repère des deux derniers. Je mis l’oreille sur la porte afin d’entendre quelque chose, mais rien ne semblait troubler le calme de l’endroit. Pourtant, à force de concentration, je perçus de petits couinements, comme ceux de rongeurs. Fronçant les sourcils, j’ouvris brusquement la porte. 

Chapitre 3

Les Jumeaux

               

                Même moi je ne pus être insensible au macabre tableau qui se dessinait devant moi. L’atmosphère était chargée de je ne sais quoi d’électrique, comme si la folie était devenue  maîtresse de ces lieux. Le sang éclairait la pièce d’une lueur rougeâtre et inondait le sol. Dans les flaques s’esquissait le reflet des visages défigurés de mes compagnons, les yeux exorbités, les lèvres entrouvertes. Une odeur étouffante me souleva le cœur et je ne pus m’empêcher de tressaillir. Dans l’ombre, deux personnes étaient encore en vie et se tenaient immobiles.

                Ce fut la première fois que je les vis. Leurs cheveux étaient diaphanes, arachnéens, d’un blond presque irréel, mêlés d’éclats de lumières semblables à des milliers de paillettes d’or, fins comme la plus pure des soies. Leur peau blanche, laiteuse comme un rayon de lune trop éclatant, semblait aussi douce que le velours. Leur air de statue hypnotisait, comme s’ils réussissaient à figer le temps en une myriade d’arabesques. Elle, son regard d’ange fixé dans le vague, se tenait droite. Elle avait agrippé avec grâce un voile  de sa robe presque transparente afin de ne pas laisser le bas baigner dans le sang. Effort inutile, des tâches écarlates maculant son habit et son visage. Le rouge sombre faisait ressortir l’éclat de ses yeux. Bleus comme le ciel, ils semblaient être des miroirs où l’imprudent pouvait s’y perdre et s’y noyer, bercé par une trop profonde tristesse. Ses lèvres immobiles étaient attirantes, enfantines et profondément fatales. Elle avait la splendeur, l’innocence et la prestance d’une divine vierge et tout homme aurait voulu accourir en son palais céleste. Lui, accroupi, me regardait, le regard baissé, un sourire mystérieux au coin des lèvres. Son visage était aussi fin que celui de sa sœur, marqué d’une profonde élégance. Ses longues mèches caressaient le sol, s’imbibant de rouge. Ses yeux verts, semblables à ceux des reptiles, étreignaient l’esprit le plus sage avec une force incroyable. A ses pieds gisait le corps inerte de Sofien, le torse ouvert. Du sang effleurait le visage de mon compagnon, s’égouttant à travers les doigts de l’homme. Il tenait dans sa main, serré comme un précieux butin, le cœur arraché. Immanquablement, ils étaient jumeaux, identiques en de nombreux points bien que de sexe différent. Leur attitude était celle de prédateurs affamés et complexes, prêts à resserrer leurs anneaux sur leur proie. Il bougea légèrement la tête, comme pour indiquer qu’ils n’étaient pas de simples illusions. Sa langue passa légèrement sur ses lèvres entrouvertes, puis il ouvrit la main et laissa le cœur tomber sur Sofien en un bruit sourd d’un air hautain.

                C’est à ce moment que je compris la différence entre les personnes de l’extérieur, et celles enfermées dans cette sombre prison. Ils ne sont plus des hommes, mais de véritables créatures chimériques.

Ils étaient là, me regardant fixement, souriants. Elle avait la tête posé sur le torse de son frère, et semblait vouloir prolonger le plus possible ce contact. Lui se nommait Anthanael, elle, portait le nom de Zoria. A travers tous le royaume souterrain, et même à la surface de la prison, ils étaient connus sous le nom des « deux vipères » ou plus généralement, « les serpents ».  Leur regard froid et hypnotique, leur façon de bouger et de se serrer l’un contre l’autre pour un oui ou pour un non devait être la raison de ces sobriquets. Mais je sus un peu plus tard par Tyrias que leur façon de manipuler les personnes d’une simple parole en pouvait être la véritable source. Zoria me regarda d’un air charmeur. Sans mentir à personne, elle me plaisait.

« Vous avez tué mes serviteurs… soupirai-je.

Anthanael posa la main sur la tête de sa sœur, caressant ses longs cheveux.

                -C’est eux qui sont venus nous troubler. Ils désiraient nous attaquer.

Zoria glissa son index dans la bouche et le mordilla d’un air pensif, puis le retira rapidement en s’effleurant les lèvres.

                -Sans doute, répondis-je.

Elle pencha la tête sur le côté, s’écarta de son frère et fit un pas vers moi. Elle n’avait pas encore ouvert la bouche, mais déjà je savais sa voix envoûtante.

                -Peut-être est-ce vous qui les avez envoyé ? murmura-t-elle. »

Anthanael ne me regardait jamais de face, mais du coin de l’oeil, posant comme un modèle. La pièce où ils avaient voulu me suivre sans aucune résistance était plus large que la première et n’avait pas l’odeur acre de la mort. J’avais pour eux une grande méfiance et une rancœur farouche. Je voulais les punir de leur affront.

                « Et bien, maintenant, que faisons-nous ? demandai-je en écartant les bras d’un air cynique.

                -Faisons-nous ? répéta, un peu étonné, le frère en regardant dans le vide.

                -Et bien ! s’écria Tyrias. Votre force peut nous être utile ! Alors travaillez pour nous.

Je le regardai, étonné de son manque de tact.

                -Nous voulions vous tuer, continua-t-il, en même temps que vos amis.

                -Nous n’avons pas d’amis, coupa Anthanael, fixant ses ongles d’un air absent.

                -Heum… Oui … Je voulais dire Darith et les autres…

                -Ho ! Darith ?! Et il est mort ? s’écria Zoria d’un air enthousiaste, curieuse comme une enfant.

Tous la regardèrent pendant quelques secondes, étonnés, puis continuèrent la discussion.

                -Il fallait un exemple afin d’attirer l’attention des clans.

Le frère tourna la tête et regarda Tyrias d’un air intéressé.

                -Les clans ? Je vois…

Tyrias haussa un sourcil. Je les regardais s’agiter comme des insectes, voulant intervenir, mais je me tus, désirant sans doute voir les qualités de mon espion. Le jeune homme blond haussa le regard vers moi et hocha la tête. Zoria  s’avança vers Tyrias, se pencha vers lui et posa la main sur ses cheveux, un large sourire illuminant son doux visage. Il répondit par  un sourire que je trouvai niais et puéril.

                -Nous serions ravis de vous aider à lutter contre les clans.

Tyrias me regarda en souriant.

                -Voici des membres dignes qui remplaceront facilement les huit autres.

Je me sentis las, posant ma main sur le front, cachant mes yeux. Cela tournait véritablement au ridicule. Je laissai enfin ma vision filtrer à travers mes doigts pour les foudroyer de mon regard. Le frère me répondit d’un haussement de tête.

                -Personnes ne pourraient être de meilleurs alliés que Zoria et Anthanael, dit il en fronçant les sourcils.

Je fis un petit rire.

                -Décidément, je serai éternellement entouré de grands comiques.

Mon sourire devint narquois, mais il ne releva pas la remarque à ma plus grande déception, se contentant d’un regard froid et impassible.

                -Allez-vous nous tuer ? demanda Zoria d’un air boudeur.

Tyrias sourit.

                -Me rejoignez-vous ? répondis-je, la fixant dans le lac limpide de ses yeux.

                -Car ombre est lumière, et pur est impur ?

Je la regardai, étonné. Anthanael se rapprocha d’elle et se plaça à ses côtés, me faisant face.

                -Allons ma sœur, il n’est plus temps de jouer.

Elle soupira d’un air triste puis me regarda en souriant.

                -Je serai heureuse de pouvoir vous aider par mes faibles moyens.

Le jeune homme laissa glisser son regard sur la joue de sa sœur.

                -Qu’il en soit ainsi.

Il leva le regard vers moi et fit un léger sourire d’un air entendu.

                -Nous sommes à vos ordres.

                Je rentrai rapidement dans notre sanctuaire. Tyrias, transpirant à grosses gouttes, s’assit et serra sa tête entre ses mains. Je le regardai de haut puis frappa violement la table pour le ramener à la réalité. Sa réaction fut immédiate, et releva la tête  avec surprise. Je le fixai d’un air noir et fis un petit sourire mauvais.

                -Alors ?

Il replaça l’une de ses mèches d’ébènes qui tombait devant ses yeux  d’un air nerveux.

                -Ils sont sincères. Mais je les soupçonne d’avoir une ou deux cases en moins. Il vaut mieux se méfier des serpents. Par contre, ils nous seront utiles. Très utiles. Je ne sais pas comment ils se battent, mais ils sont très craint. Personnes n’osent  les contredire, et ceux qui ont voulu mettre fin à leurs jours ont finis comme les huit autres.

                -Tu me sembles nerveux.

                -Leur esprit est tellement chaotique que j’ai du mal à deviner leurs intentions.

Je souris.

-Moi, je les devine sans aucun problème.

            Les mois qui suivirent me donnèrent l’impression de s’écouler aussi rapidement que du sable. Jamais le temps ne me parut plus volatile. Je montais les échelons avec la facilité et la vitesse d’un roi, meurtres après meurtres. Les jumeaux avaient réussis à se faire accepter dans la « cour » du chef d’un des clans. Je savais ainsi que, déjà, une des trois grandes fédérations de la prison était sous l’emprise de ma main de fer. Mais elle n’était pas la seule. Même les gardes venaient me manger dans la main, avec assez de bassesses pour m’offrir le moindre de mes désirs. Je comprenais enfin que la cité n’était qu’un vaste échiquier, un théâtre de pantins où mes sombres jumeaux tiraient quelques ficelles selon mes ordres. Je n’avais aucunement besoin d’avoir quelconque titre pour arriver à mes fins.  D’ailleurs, en parlant des jumeaux, je n’appris que très peu sur leur compte. Ils m’obéissaient sans la moindre plainte, et même accompagné du rire enjoué de Zoria. Ils étaient toujours ensemble, inséparables. La rumeur courait qu’ils étaient amant, bien que ma perspicacité ne me parlait aucunement d’inceste. Je vis une  fois la belle jeune femme déposer un baiser sur les lèvres de son frère. Il était chaste et langoureux, trop passionné pour être celui d’une sœur mais trop innocent pour être celui d’une fiancée. Je les savais tout simplement liés par un lien invisible et primordial. Pourtant, il me venait souvent à l’esprit de couper ce trop encombrant ruban, mais je décidai de n’employer aucun artifice afin de la posséder. Une femme est une femme. Ses yeux de miroirs me regardaient déjà illuminés d’étincelles, prémices d’un feu dévorant. Rien ne pouvait arrêter ce qui avait commencé. Personne ne pouvait plus m’arrêter dans l’élan d’un futur forcement prodigieux.

            C’était dans un tel état d’esprit que je me promenais à travers les rues tortueuses, respirant l’air pur de la nuit. On entendait ici et là des cris, souvent de souffrances, parfois de plaisirs, s’élevant vers la lune en des complaintes nocturnes. Je ne faisais pas attention aux mains implorantes essayant de m’attraper les chevilles, fruits des derniers règlements de comptes, et m’en allait avec nonchalance. Pourtant, je fus tiré de ma rêverie par un éclat de lumière. La lune insouciante se jouait d’une lame se voulant invisible. Je sentis alors la haine m’entourer, l’envie de mort, de vengeance. Une silhouette s’avança en tremblotant, élevant une épée contre moi.

            « Tu vas payer pour tes crimes ! »

Chapitre 4

Les Vérités

Le Chant des Morts

 

Quand le vent hurle par delà les murs

Quand le soleil même ne peut plus rien

Même plus réchauffer notre destin

Nous nous plions à ses règles impures

 

Brûlures intestines et langoureuses

Sourdes de nos cris et de nos prières

Elles jouent et dansent les bienheureuses !

En nous lançant des charmes mortifères.

 

La Vie de sa faux aime nous hanter

Sa robe blanche diaphane volant

A travers la rouge pluie de sang

Qu’elle se plait avec joie de semer

 

L’on crie : Nous sommes morts ! Nous sommes morts !

Et elle ricane d’un air sarcastique

Nous murmure d’une voix laconique :

« Tu vies ! C’est juste ton âme qui dort ! »

 

Pourquoi notre cœur est-il condamné

A rester enfermé dans ces cages

Comme le plus grand des sages

Dans notre abri verrouillé ?

 

Le vent hurle

Le soleil brûle

Solitaire, je me meurs

D’une vie de douleur.

 

 

                                                         Tyrias

 

                « Payer ?

Je la regardai, étonné. C’était une femme. Elle se tenait devant moi, les jambes grelottantes mais le regard décidé.

                -Vous méritez milles fois la mort ! Je vais vous…vous…

                -Me ?

Mes lèvres dessinèrent un léger sourire. Elle possédait un visage et un corps très agréable. Ses courbes étaient généreuses et merveilleusement proportionnées. Ses cheveux lisses étaient longs et bruns, glissant jusqu’au bas de son dos. Ses habits étaient abîmés mais étaient visiblement entretenus, et relevaient la grâce de ses traits par les trop grandes échancrures.  Je m’avançai d’un pas brusque. Ses jambes fléchirent, comme deux brindilles portant des poids trop lourds.

                -Tu es trop belle pour que je te tue. Retourne chez toi, petite, avant que je ne change d’avis.

Son visage était baissé, caché par des mèches retombées vers l’avant. Elle était immobile, mais je la savais remplie d’une haine intérieure, presque palpable, mêlée de peur. Je m’apprêtais à partir, lui tournant le dos, quand j’entendis son cri perçant.

                -Je vais te tuer !!

Elle s’élança vers mois, l’épée au dessus de la tête, prête à me frapper. Je me retournai rapidement et la giflai avec violence, l’envoyant rouler un peu plus loin. Le choc brisa la lame de piètre qualité,  faisant retentir à travers toute la cité son bruyant éclat.

                -Non ! s’écria-t-elle. Ca ne peut pas finir ainsi !

Les larmes lui vinrent aux yeux, et elle se tenait la joue. Moi, je la regardai d’un air mauvais, intérieurement amusé par tant d’ambition.

                -Vous n’êtes qu’une bête ! Un monstre parmi les monstres, s’entre-tuant pour une bouchée de pain, oubliant toute idée de justice et de raison. Je vous hais ! Je vous déteste pour tout ce que vous êtes ! Vous avez tué mon frère…je…je le vengerais ! Je vous tuerais, peut importe ce qu’il m’en coûtera ! Je…

Elle s’arrêta, essoufflée par une trop forte émotion, puis essaya de reprendre. Je pris la parole avant qu’elle n’y arrive.

                -Bête ? Monstre ? Peut-être… Ainsi, tu es venu pour venger ton frère ?

Je soupirai : n’en avaient-il pas assez de toutes ces histoires de familles ? Je relevai la tête et la fixai d’un air sévère.

                -Tu ne connais rien de la vie, petite. Tu crois que toi, toute seule, tu pourrais changer toute une ère d’haine et de violence? Que crois-tu, que le monde ne tourne que pour tes jolis yeux, et qu’il te suffit de battre des cils pour atteindre ton but ? Hey ! Réveilles toi gamine ! C’est fini les contes de fées ! T’as pourtant atteint l’âge, dit-on, de raison.

                -Nan ! gémit-elle. Vous ne comprenez rien…

                -Non ! C’est toi qui ne comprends rien ! »

J’élevai la voix à cette dernière remarque d’un air mauvais. Elle recula et se tassa, me jetant des regards effrayés. Je la regardai pendant quelques secondes, puis soupira d’un air las. La nuit était claire et belle, et je perdais mon temps avec une jeune idiote. Je lui tournai le dos et partis retrouver mes occupations, la laissant s’apitoyer sur son sort.

                Un cri retentit à travers les ombres nocturnes. Je savais d’où il venait et je pouvais supposer très rapidement  qui en était l’auteur. Pourtant, je ne désirai aucunement rebrousser chemin. Les loups sont faits pour dévorer les agneaux, dit-on. Et les stupides agneaux pour être dévorés.

                Elle était entourée par six hommes aux regards brûlants, emplis d’une folie destructrice. L’un d’eux l’avait attrapé par le poignet et essayait de lui arracher le peu d’habits qui lui restait. Sans un mot, je surgis du noir et me débarrassa  du plus proche. Trop épris par leurs actes, ils n’avaient d’abord pas fait attention au démon qui avait frappé l’un de leur compagnon, mais le râle de la victime les réveilla bientôt de leur transe. Ils humèrent le sang comme des chiens sauvages reniflant un piège, et se retournèrent vers moi. Je souris, et m’élançai…

« Tu es vraiment une femme stupide, soupirai-je. »

Elle me regardait, surprise, des larmes roulant sur sa joue. Son air était absent, et ses yeux  brillaient d’une étrange lueur. Son air de chien battu, sa main pudique qui cachait sa poitrine avec la robe en lambeaux, ses bleus et ses contusions la rendaient encore plus fragile qu’une fleur trop précieuse au milieu d’un désert aride. Cette fille n’avait rien à faire ici.

«Vois-tu ? Tu sembles faire moins la maligne, petite. Si tu veux faire bouger le monde, il faut être fort. Sinon, c’est toi qui risques de te faire dévorer. Briser le monde ou être brisé. Où est ta grande morale ? Où se trouve ton air choqué de sainte nitouche ? Laisse tomber, on en a rien à faire ! Si tu veux faire quelque chose de ta vie, tu dois devenir quelqu’un. »

Elle me regardait, hypnotisée. Je lui tendis la main d’un air détaché. Pendant les premières secondes, elle sembla ne pas y faire attention, puis fit de grands yeux, fixant ma main ouverte. Elle hésita, se mordit la lèvre, avança la main puis la recula, pour enfin la faire revenir se blottir dans la mienne.

++++++++++++++++

                « Que se passes-t-il, Seigneur, me demanda Tyrias, étonné.

                -Je ramène un agneau perdu.

Je la posai délicatement sur une couverture et relevai la tête vers mon compagnon. Il avait un petit sourire complice et ses yeux brillaient d’enthousiasme.

                -Elle n’a pas l’air d’être beaucoup plus âgée que moi… murmura-t-il.

La jeune fille s’était évanouie, affaiblies par ses blessures.

                -Il faut la soigner, posa Tyrias.

                -Apporte de l’eau. »

Il s’exécuta rapidement. Dès son retour, je me relevai et m’écartai d’elle.

                « Occupes t’en.

Il fit un sourire presque bêta.

                -Heu, oui seigneur.

Je le regardai fixement. Il déglutit et hocha la tête.  

                -Bien.

                -Cesse un peu, Tyrias…

                -Bien.

Je marchai d’un air las vers l’ouverture d’un des tunnels.  Avant même de pouvoir m’y engouffrer, Tyrias m’interpella.

                - Maître Ethanor, elle ouvre les yeux !

                -Et bien alors ?! grognai-je.

Je m’avançai rapidement vers notre bâtiment et pénétrai la pièce étouffante. Elle s’était réveillé et laissai courir son regard sur les murs d’un air affolé. Ses yeux s’arrêtèrent sur moi et semblèrent s’apaiser.

                -Quel est ton nom, demanda Tyrias d’un ton tendre.

Elle le dévisagea, puis esquissa un sourire timide.

                -Enelia.

                -Enelia… répéta doucement le jeune homme.

Elle leva la tête vers moi, ignorant l’air pensif de mon ami.

                -Où suis-je ?

Son ton mêlait avec hésitation agressivité et reconnaissance. Mais c’est ainsi toutes l’ingéniosité et l’ingratitude des femmes.

                -Quel âge as-tu, s’empressa Tyrias.

                -Heu… 19ans

                -Tyrias

                -Oui ?

Il tourna la tête vers moi d’un air innocent.

                -Laisse-la. Elle doit se reposer.

Il sourit d’un air malicieux.

                -Bien, Seigneur.

Enelia se recoucha, comme assommé par une lourde fièvre, et referma les yeux. Tyrias s’assit en face de l’unique table et sortit un papier. Sortant une plume, outil très rare en ces murs, il commença à griffonner sans plus faire attention à ce qui l’entourait. Je regardai le papier qui noircissait à vue d’œil, et le tirai brusquement vers moi. Surpris, il ne riposta pas quand il vit la grande traîné noir laissé par sa plume rayer toute la longueur de son parchemin.

                -Barde ? demandai-je.

Il fit un petit rire nerveux, se grattant derrière la tête.

                -Pas vraiment. Je l’ai été à une époque chez un noble, avant d’être enfermé…

Je lisais les quelques mots hésitants qui avaient été jeté sur la feuille.

                -Un noble ?

                -Oui, j’écrivais pour lui…  Entre autre.

                -Autre quoi ?

 Je levai un sourcil.

                -Sale boulot, continua-t-il.

J’hochais la tête. Je comprenais mieux l’assurance flagrante qu’il avait devant la mort.

                -C’est pour ça que tu es là ?

Il regarda fixement la feuille empruntée, son esprit semblant s’oublier dans un monde imaginaire.

                -Oui, répondit-il d’un air absent.

Il redressa la tête et me fis un grand sourire.

                -Mon Maître m’a vendu, me donnant tous les tords et toutes les responsabilités de ces meurtres. Ma peine ne s’est élevée qu’à deux années à cause de mon jeune âge.

Son sourire s’agrandit encore plus, lui barrant le visage comme une cicatrice trop profonde. Ses yeux se fermèrent d’un air gêné.

                -Ca fait quatre ans que je suis dans cette prison. Il faut croire qu’ils m’ont oublié.

Je soupirai et regardai l’ouverture de la pièce.

                -Tout se passe de la même manière. Seul les plus forts décident.

                -Oui…

Son regard se tourna vers le sol, profondément triste. Je le regardai pendant quelques secondes, m’enivrant de son désir de liberté, puis je lui rendis sa feuille.

                -On y peut rien, murmura-t-il.

                -Es-tu réellement stupide, ou fais-tu seulement exprès ?

Il releva la tête et me regarda d’un air ahuri, puis sourit et hocha la tête d’un air entendu.

                -Il est vrai, seigneur Ethanor !

Je fis la moue, intérieurement amusé par sa confiance aveugle.

                -Mon frère aussi écrivait.

Sa voix avait résonné comme un bruit maladif prêt à disparaître au moindre souffle. L’émotion et l’hésitation étouffante retentissaient dans cette trop lourde musique. Je la regardai.

                -Tient ? Te revoilà déjà ? m’étonnai-je.

                -Personne ne pouvait imaginer comment un être comme lui pouvait faire d’aussi belles chansons… continua-t-elle d’un ton morne.

                -Et bien… essaya Tyrias.

                -Un grand guerrier tel que lui, redouté de tous… Mort…

Elle éclata en sanglot. Je soupirai, puis me leva brusquement et la tira par les cheveux pour la lever. Elle poussa un cri strident.

                -Tu vas pas arrêter un peu ? Tu vois pas que tu nous ennuis ? Et en plus il faut que tu viennes chialer jusque chez moi ! Tu m’énerves !

                -Seigneur…

Tyrias s’était levé à son tour, essayant de me calmer sans m’approcher de trop près.

                -Alors, quel était le nom de cet héro, dis-moi ?

Elle continuait à hurler, prise par de violent soubresaut de larmes.

                -Tu vas me répondre oui ?! T’en as pas assez ?! Tu veux pas réfléchir un peu ? Alors ?!

Je la secouais violement, resserrant de plus en plus mes doigts sur sa longue chevelure.

                -Darith ! C’était Darith !!

Etonné, je la lâchai. Elle s’écroula en gémissant, se serrant la tête de ses mains fines.

                -Tu es la sœur de ce Darith ?

J’éclatai de rire.

                -Et bien, je ne savais pas qu’il aurait put avoir une sœur telle que toi.

J’arrêtai de rire et la regardai en souriant, lui tendant la main pour qu’elle se relève.

                -Viens, je vais te soigner. »

Tyrias me regarda, profondément étonné, puis sortit de la pièce en hochant la tête.

Chapitre 5

La guerre des Clans

 

                Sa peau avait le goût fruité des jeunes filles, doux et sucré. Mon appétit ne s’en trouvait que plus croissant. Ses caresses étaient langoureuses bien que peureuses, et ses mains s’enfuyaient sur mon corps comme un petit animal perdu. Ses lèvres glissaient timidement sur mon torse, et elle me mordillait avec hésitation.  Alors que je la griffais, la mordais, la dévorais, elle jetait sa tête en arrière en poussant de petits gémissements. Elle n’avait aucune expérience en la matière et il semblait, par son regard perdu et sa langue assoiffée, que j’en étais passé maître. Mais de ça, personne n’en doutait. 

                Alors que je me distrayais dans les jeux de l’amour, une sombre affaire commençait à se tramer. Le clan qui maintenant m’appartenait était sans cesse sujet aux attaques des deux autres. Une personne avait sans doute remarqué mon petit jeu et avait prévenu les plus intéressés. Nous étions en pleine période révolutionnaire. Les trois clans avaient toujours existé, depuis la construction de la citée, il y a de cela 800 ans. Pourtant certaines rumeurs parlaient d’une unification des deux clans. Un chef avait réussis à s’imposer et régnait en maître sur ses nouveaux hommes. Cette rumeur me fut confirmée par Tyrias, puis par les jumeaux. Plus rien ne pouvait désormais arrêter le combat imminent qui se faisait pressentir.

     

Il me fallut que quelques semaines pour l’apprivoiser. Animal perdu, elle s’étai réfugié avec empressement vers celui qui pouvait le plus la rassurer. Sa rapide  adaptation et sa force d’esprit m’étonnèrent. Mais ce qui me surprit le plus fut son rapide trou de mémoire en ce qui concerne la mort de son frère. Je la trouvais peu affectée, mais je compris rapidement qu’elle avait vu en moi un double de son défunt, une illusion destructrice qui avait pris possession de son cœur et de son corps. Mais il fallait croire que j’étais bien mieux que lui, puisqu’elle était dans mon lit. Elle me haïssait encore, de toute son âme, mais avait pour moi un doux penchant. Elle m’avait supplié d’arrêter, elle avait essayé de me repousser par des gestes mous et peu convaincus, mais bloqué par une paroi, elle n’avait pu se soustraire à mes baisers, et s’était résolu avec un soupire d’aise. J’avais tué le frère et je possédais la sœur, nombreux seraient ceux qui me condamneraient pour cela. Pourtant, personne à ma place n’aurait eu de remords. Amour et haine sont les deux faces d’un voile presque transparent, auquel une simple brise pouvait retourner.       

« Qu’est-ce qu’il y a ? murmura-t-elle en se redressant sur le coude.

Je regardais sa main qui relevait pudiquement la couverture sur sa poitrine.      

                -Rien, soupirai-je.

Mes yeux se perdaient dans le vide, à la recherche d’une probable félicité. La pièce était chaude, l’ambiance confortable. Mon esprit se baladait de souvenir en souvenir, et ma vie m’apparaissait comme un rêve. Je n’avais jamais hésité, acceptant mes actes avec l’ardeur de mes convictions. Parfois, mes réactions n’étaient pas en accord avec mes pensées, pourtant, je ne m’étais jamais vraiment demandé d’où pouvait venir ces étranges élans.

                -…la force…

Je la regardai d’un air neutre.

                -Mon frère pensait aussi que la force pouvait faire bouger les choses.

                -Ton frère ? Voila quelques temps que tu n’as pas parlé de lui.

Je souris d’un air narquois. Elle fronça les sourcils.

                -Je sais qu’au fond de vous-même, vous n’êtes pas mauvais.

                -Tiens, je ne suis plus un monstre ?

                -Les humains sont des monstres… Vous, vous êtes comme lui, vous comprenez ses convictions.

Elle baissa le regard.

                -Ecoute petite, je vais te dire pourquoi ton frère est mort. Pourquoi il a crevé comme un chien.

Elle releva les yeux et me regarda d’un air choqué.

                -La force brut ne peut rien faire. Le maître mot, c’est la stratégie. Mais ton frère était trop stupide pour le comprendre. Et d’ailleurs, je suis milles fois meilleur que lui, et en tout. Alors cesse les comparaisons vexantes. Enfin, en ce qui concerne l’humanité, cela fait bien longtemps que personne n’y croit plus. Tu ne fais que dire des choses que tout le monde sait déjà. Chacun protège son morceau de viande et mords le rival. Ce n’est qu’un ironique cirque, un zoo ; et cette prison en est la plus flagrante représentation. Mais il ne faut pas se leurrer, en moindre mesure, l’extérieur est identique. »

                Je ne savais qu’elle était, par exemple, la raison qui me poussait à parler autant. Peut-être pour son regard assuré que je voulais briser.

                « Seigneur Ethanor ! Seigneur Ethanor ! »

La voix de Tyrias résonnait à l’extérieur, amplifié par la cavité étroite de notre espace vital. Il avait l’air paniqué et m’appelait avec empressement. Je soupirai d’un air las. Enelia s’affola et s’habilla rapidement. Je sortais, torse nu, le drap enroulé comme une toge. Je jetai un coup d’œil, restant sur le palier. Tyrias était au milieu de notre caverne, quatre hommes l’entourant d’un air menaçant. Six autres étaient immobiles à l’entrée du tunnel, des armes luisantes à la main. J’haussais les sourcils d’un air étonné et amusé.

« Qui vous envois ? dis-je d’une voix paisible.

Ils me regardèrent d’un air menaçant mais craintif. Ils connaissaient ma réputation grandissante et ne voulaient pas encore mourir. L’un d’eux s’avança tout de même, l’arme pointée vers moi. J’haussai un sourcil, m’appuyant sur le mur droit du palier.

                -Y a-t-il un problème, seigneur Ethanor ?

Cette voix, langoureuse et mielleuse, fit tressaillir nos attaquants. Deux des hommes de l’entrée du tunnel s’écartèrent rapidement, faisant place au visage glacé et aux cheveux blonds d’Anthanael.  Sa sœur le suivait par petits pas, regardant les invités avec curiosité et amusement. Le jeune homme avança sans même dédaigner  jeter un œil autour de lui et se mis face à moi. Gêné par les cliquetis des armes des quatre autres, immobiles, tenant toujours en garde Tyrias, il tourna la tête lentement et leur jeta un regard mauvais. Ils se reculèrent, blancs, comme effrayé par un mauvais esprit. Je souris de la scène, jouissant du spectacle et reculé de la pièce du haut de mon panthéon.

                -Que se passe-t-il, Anthanael, Zoria ?

Elle sourit et hocha lentement la tête. Le frère se retourna vers moi.

                - Plusieurs hommes sont en chemin pour détruire ce quartier. Une bataille fait déjà rage dans la partie Ouest des souterrains.

Je ris franchement au son de ses paroles.

                -Eux ?

Je pointais du doigt les soldats tremblotants. Il répondit par un sourire carnassier.

                -Oui. Mais je parlerais plutôt d’ hors d’œuvres. »

Il se lécha les lèvres avec appétit. Chacune de ses paroles, comme toujours, étaient calmes et posées, agencées dans la phrase en une musique qui se voulait sombre et imposante. J’hochais la tête d’un air approbateur et rentra de nouveaux dans le bâtiment, les laissant d’un air désintéressé.

                « Non seigneur Ethanor !

Je souris en entendant cette dernière supplique et me retournai vers l’homme.

                -Nous avons été envoyé par notre chef. Il voudrait vous rencontrer afin de pouvoir discuter. Nous ne sommes que des messagers…

Le mensonge était un peu gros, mais je fis signe de le croire.

                -Parles-tu de celui qui gouverne maintenant deux des clans ?

                -Ne suis-je pas en train de parler au véritable maître du troisième ?

J’esquissai un sourire, amusé par sa perspicacité.

                -Peut-être, je ne suis finalement qu’en vacances, ici. Vos petites querelles ne m’intéressent guère.

                -Il vous propose une rencontre dans ses quartiers, dans deux jours.

                -Et bien…

Je tendis la main vers l’intérieur, attrapant mon épée posée sur la table. Je regardais Tyrias en hochant la tête. Il me fit signe du regard et se tourna vers les jumeaux. Les hommes nous regardaient, surpris, retenant leur souffle.

                -…Nous allons envoyer notre réponse nous même…

Ils firent de grands yeux et se mirent en garde, paniqués.

+++++++++++++++++++++

                « Vous pensez qu’il y aura des représailles ? me demanda Tyrias d’un air peu convaincu.

                -Je ne pense pas. La tête de quelques hommes, même emballée dans le plus beau papier, ne saurait qu’amuser un véritable chef. Il nous attendra, et avec la ferme intention d’en finir. Ou sinon, je l’aurai sous-estimé... ce qui serai dommage.

                -Dommage ?

Il me regarda puis fit un petit sourire, hochant la tête.

                -Vous savez, je me suis toujours battu pour enfin être libre, sortir de cette prison. Mais je crois que pour moi, il n’y plus d’espoir. Je serai toujours cet oiseau en cage.

Je relevais la tête vers lui, puis regardai le ciel grisâtre.

                -Tyrias, tu te rendras dans les autres quartiers, récolter des informations. Que nos hommes prennent les armes des forges et s’apprêtent à dévaster les souterrains. Aucune pitié ne sera permise. Réunis-les demain dans la grande salle nord.

                -Celle qui sert aux grands rassemblements ?

J’hochai la tête.

                -Sois discret, que personne de néfaste ne puisse être au courant.

                -Bien, seigneur !

Il semblait ravi, comme attitré d’une grande et haute mission. Il se releva rapidement et partit en courant.

Chapitre 6

Traîtrise

Il y a beaucoup de représentation de la Mort. Monstrueuse, macabre, morbide, maladive ; pesante ou tendue, généreuse ou mystérieuse, et beaucoup d’hommes la détestent, la vénèrent, parfois même les deux en même temps. Faucheuse impitoyable, toute vêtue de noir, inspirant haine et effroi ; squelette décharné à l’allure détachée ou vieillard grisonnant attrapant d’une main l’implacable sablier et de l’autre pointant son doigt accusateur. Non, je n’inspire à rien de tout cela. Ma mort sera grandiose, identique à ma vie acharnée. Belle à la désirer, belle à la posséder toute entière et ne plus la quitter. Je la sais qui me surveille, souriant de ses lèvres vermeilles à chacun de mes faux pas. Elle attend, elle s’ennuie et passe le temps en jouant avec l’oiseau noir qui l’accompagne. Ses long cheveux d’ébène caressent ses joues laiteuses, et elle rit de joie en s’imaginant que cela puissent être mes mains, mes lèvres. Son corps parfait frémit à chacune de mes nuits d’ivresses et elle observe avec régale chacun de mes gestes. Elle espère bientôt pouvoir me serrer dans ses bras glacés et amoureux, mais malheureusement pour elle, elle va devoir encore attendre longtemps.

                Tyrias avait, dès mon ordre donné, réussis à réunir une centaine d’hommes, pillant les forges et fabriquant des armes comme ils le pouvaient. Pourtant seulement une journée, heure pour heure, s’était écoulée. Rien n’avait sut troubler les préparations, et le clan ennemi était resté muet à nos présents. Je me dirigeais rapidement vers la grande salle, afin de transmettre mes ordres directement à cette poignée d’élu.

                Avant même d’entrer dans la salle, je savais déjà que quelque chose se passait. Ou plutôt ne se passait pas.  Alors que cette grande caverne, formée par de hautes voûtes naturelles, était une place de choix pour se faire entendre de tous, rien ne venait à mes oreilles. Pas un rire, pas un éclat,  pas une moquerie. Pas un seul homme élevant un tant soit peu la voix. J’entrai dans l’immense pièce et ne pus que contempler un triste spectacle. Une bataille avait eu lieu, et ma faction avait sans conteste perdu. Des hommes regardaient fixement l’immensité, l’arme à la main. Je fis quelques pas, évitant les cadavres, fouillant l’endroit du regard. Je me dépêchais vers ce que j’avais enfin trouvé. Il était étendu, coincé sous plusieurs corps, barré d’une large blessure au niveau du ventre. Un filet de sang s’égouttait au coin de ses lèvres et maquillait son visage d’un funeste écarlate.

                « Tyrias…

Ma voix était sortie de ma gorge d’une froide neutralité. Pourtant, au fond de moi, je commençais déjà à déplorer une mort inutile. Il releva la tête dans de grands efforts pour me regarder et esquissa un sourire douloureux.

                -Je suis désolé, seigneur. Ils étaient trop nombreux…

                -Tais toi.

J’essayai de le dégager du tas de morts qui le recouvrait.

                -Non… Ce n’est pas important, Ethanor.

Je le regardai, m’immobilisant.

                -Nous…nous avons été trahis. Personne ne pouvait savoir…

Il toussa, crachant du sang en gémissant, et dirigea ses yeux vers un ciel imaginaire. Une larme coula sur sa joue.

                -Vais-je enfin être libre, seigneur ?

Je le regardai puis un petit sourire se dessina au coin de mes lèvres.

                -Tu as toujours été un grand rêveur, Tyrias.

Il tourna les yeux vers moi et sourit.

                -Vous êtes le plus grand, seigneur Ethanor… Vous savez, je n’ai jamais eu peur de la mort. Mais maintenant que je la distingue, j’ai vraiment… la trouille…

Une autre larme tomba de sa joue. Son regard s’emplit de détresse.

                -J’ai très peur… murmura-t-il.

Il m’attrapa brusquement le bras, se recroquevillant de douleur. Son râle raisonna dans toute la pièce. Je le regardai fixement, muet.

                -Laissez-le nous, seigneur Ethanor.

Je me retournais et je vis les jumeaux. Ils étaient debout, la sœur blottie dans les bras de son frère. Ce dernier avait réussir à parvenir jusqu’au centre de la caverne sans même tâcher son habit. Anthanael avait un sourire mauvais et sadique, mais pourtant presque imperceptible. Zoria me regardait du coin des yeux d’un air profondément triste.

                -Laissez-le nous… murmura Zoria, répétant les même paroles que sont frère.

Je ne répondis pas, retournant mon regard vers le visage souffrant du jeune garçon. Sans attendre plus longtemps, ils commencèrent à l’attraper et le tirèrent. Ils ne se prenaient pas la peine de le soulever, mais ils le traînaient juste par terre, laissant une trace sanglante sur le sol.

                -Non… » murmura Tyrias. 

Il me tendit la main, les yeux brillant et voilés. Pourtant, je le laissais s’écarter, avec la mauvaise sensation de voir une proie se faire traîner dans l’antre d’une bête affamée. Les yeux des jumeaux étaient étranges, comme illuminés d’une joie fiévreuse. La main de Tyrias retomba inerte sur le sol, ses yeux fermés, sombrant dans le néant ; et ils disparurent dans l’ombre.

                Je revis les jumeaux un peu plus tard, dans mon quartier. Nous n’avons pas parlé de Tyrias, ni même abordé de près ou de loin son sujet. J’étais moi-même assez pensif, réfléchissant à un moyen de riposte. Alors que j’entendais les sanglots étouffés d’Enelia, effondrée depuis la nouvelle de la perte du jeune homme, j’essayai en vain de me concentrer sur une quelconque stratégie. Aucune ne me venait à l’esprit. Je n’avais pas l’envie d’attendre assez de temps pour reconstituer une nouvelle faction. Une idée me traversait bien la tête depuis quelques temps, mais elle ne comportait ni ruse, ni prudence. Jugeant de la force probable du chef adverse, j’étais tenté d’aller directement le voir pour l’affronter et le tuer. Une idée, ma foi, plutôt intéressante.

                « Nous voulons vous accompagner. Nous avons des comptes à régler avec ces deux clans.

Anthanael me fixa du regard.

                -Pourquoi pas, soupirai-je. Plus on est de fou, plus on rit.

                -Qui est fou ? » demanda Zoria avec curiosité, sortie de ses rêveries.

Je souris d’un air mauvais.

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                Les tunnels étaient déserts. Pas un son ne sortait des vastes salles, comme si tous avaient choisis  de sortir à l’air libre cette soirée là. Je n’étais pas dupe et sentais sur mon dos les regards, sentais l’odeur de transpiration de ceux qui nous épiais. J’étais suivi par les jumeaux qui marchaient sans bruit. Personne ne nous empêcha de progresser au cœur même des quartiers ennemis. Notre adversaire nous tendait une invitation et ouvrait grand sa porte à notre arrivé. Je cherchais l’entré du tunnel qui était censé nous emmener au cœur de leurs fondations.

                Je pénétrai la salle d’un pied alerte, jetant un coup d’œil autour de moi. Elle était simple mais très large, coupée en deux par un morceau de tissue faisant office de tapis qui menait droit vers un large fauteuil de pierre. Un homme y était assis. Il avait le regard sûr, la tête fièrement relevé, le visage souriant et le charisme que devait dégager tous les hommes pleins d’assurance. Pourtant, sous ce masque fragile, je ne ressentais ni force, ni puissance. Il n’avait rien d’extraordinaire, sinon la capacité à diriger plus du trois-quarts des survivants de cette prison. Mais contrairement aux grands monarques, la loi de la hiérarchie isgurdiane ne parle aucunement d’héritage. Son trop grand orgueil risquait de le condamner à mourir dans le silence, oublié de tous ses chiens.

                « Je vous attendais…  dit-il d’une voix impérieuse.

Il éleva la main d’un air précieux. Six autres personnes se trouvaient dans la pièce, désigné pour sa protection

                -Alors, pas besoin de perdre de temps dans les présentations, soupirai-je en regardant autour de moi d’un air las. Je fus surpris de voir Enelia, attrapé par plusieurs hommes, dans un coin de la pièce. Il se leva.

                -Ho ! Aucune présentation ! Sinon de notre charmante invitée ici présente. Vous la connaissez, je crois.

                -Ethanor… !

Il l’attrapa brutalement et la frappa du revers de la main.

                -Quelle hypocrite. Elle te vends et ensuite, demande ton aide. Tu devrais faire plus attention à tes catins, cher Ethanor.

J’haussai un sourcil, surpris.

                -Oui, c’est une traîtresse. Tu la veux quand même ?

                -Ethanor ! Je te jure ! Je ne voulais pas… !

Je le regardai fixement.

                -Si quelqu’un doit la punir, c’est bien moi. Donne-la, ou prend la. Elle sera au paradis avec toi.

                -Vraiment ?

Il sourit d’un air amusé.

                -Je n’en veux pas, continua-t-il. Attrape !

La prenant par le bras, il la jeta violement vers moi. Un homme à leurs côtés tendit son épée et l’arrêta dans sa course. Enelia fit de grands yeux , immobile, la douleur de la lame lui transperçant le corps. Elle s’écroula et roula jusqu’à mes pieds. Je la regardai, puis releva la tête, énervé.

                -Tu as signé ton arrêt de mort.

                -Tu as raison, cela fait trop longtemps que tu me déranges. Il est temps d’en finir.

Il leva la main en souriant. J’entendis un bourdonnement et, venant de deux tunnels à l’arrière, plusieurs hommes s’amassèrent dans la salle. Ils étaient plusieurs dizaines, nombreuses petites abeilles qui me regardais d’un air assassin.  J’éclatai de rire, fortement amusé.

                -Crois-tu qu’ils vont m’arrêter ? Des dizaines, une centaine même ?!

Je me cachai le visage d’une main, pris d’un fou rire. Je me calmai d’un coup et regardai le pauvre idiot sur son trône d’un air mauvais.

                -Vas-y, envoi ! » 

Tous se dirigèrent vers moi, se ruèrent pour me tuer le premier. Un bruit de cri retentit. Je souris d’un air amusé. Les quelques hommes que j’avais rapidement réussis à rassembler étaient rentrés bruyamment, les armes cliquetantes, les injures aux lèvres. Tous furent surpris, et n’eurent le temps de protéger leur flanc. Le combat s’équilibrait, et j’étais content qu’ils aient réussis à se faufiler jusqu’ici sans se faire remarquer. Le combat battait son plein. Les hommes ne cessaient de venir en tout sens. Les armes fusaient, prêtent à déchiqueter leur voisin, et tous essayaient de se retrouver dans cette mêlée sanglante. Alors que je me démenais avec une certaine facilité, je vis à travers la bataille les jumeaux. Zoria était tâchée de sang, déchiquetant sauvagement de ses ongles étonnements longs le visage et le torse de ses adversaires. Elle s’acharnait sur eux avec démence, passait de victime en victime avec ardeur et passion. Un cercle vide se formait autour d’elle, personne ne voulant trop s’y approcher. Anthanael, lui, ne bougeait pas et regardais autour de lui, semblant réfléchir. Etrangement, personne ne l’attaquait, comme s’il était entièrement étranger à la scène. Il leva le bras et sembla se concentrer. Un cri d’horreur retentit. Je regardai autour de moi. Une pluie de plume descendait du plafond. Elles étaient d’un blanc éclatant, d’une beauté irréel. Beaucoup d’hommes tombèrent, touchés par l’une d’elles. Plusieurs entailles apparaissaient sur leur corps et ils mourraient en hurlant, perdant leur sang à une vitesse exceptionnelle.     

                La bataille se termina assez rapidement. Je regardai l’homme qui s’était rassis sur son fauteuil, blanc comme un spectre. Je m’approchais de lui, la lame tendue vers le cœur.

                « Meurt dignement, ou meurt comme un lâche. » lui dis-je en élevant la voix.

Il se leva et sortit son arme. C’était une épée d’une grande beauté.

Epilogue

« Tu as changé, Ethanor. »

                                                            Zoria

 

                Je m’approchais du corps inerte d’Enelia et soupira. Ses yeux étaient grand ouverts, vides d’expression. Peut être avait-elle vu son cher frère dans la mort ? Est-ce que cela importait vraiment de savoir ou non si elle avait des remords ? Je lui fermai les yeux, regrettant de n’avoir pu entendre sa version des faits. D’un pas nonchalant, je me dirigeais vers le trône et m’assis. Il me convenait tout à fait, et me semblait même confortable. Alors, la pièce, les sous-terrains tout entiers retentirent de mon rire satisfait.

Plusieurs années passèrent en une suite de petits plaisirs et de combats incessants. Au sommet de la cité, je régnais en maître à la tête de tous les clans. Mais chaque bonne chose a une fin. Quand la date limite de ma réclusion approchait, je me sentis impatient. Impatient de mettre à profit mon savoir-faire sur le reste du monde entier. Impatient de terminer ce que j’avais commencé. Le dernier jour, j’attendais devant la grande porte de la sortie, fixant les tourelles de ma belle cité. Tyrias les fixaient lui aussi, pensif. Il est vrai, je n’avais pas parlé de lui ! Tyrias avait été sauvé par les jumeaux et, quelques mois plus tard, je l’avais vu se présenter devant moi. Je ne comprenais pas pourquoi ils ne m’avaient pas prévenu plus tôt, mais je ne m’étais pas penché sur ce petit détail. Il avait désormais une belle cicatrice, mais se portait très bien, et était devenu encore plus vif, pour mon grand malheur. Le frère et la sœur, exceptionnellement en dehors de leurs souterrains, nous regardaient calmement en se serrant l’un contre l’autre. Je me remémorai  la dernière nuit en ces lieux, à la fois étrange et brûlante, Zoria dans mes bras. Elle me sourit avec malice. La porte s’ouvrit en grinçant et Tyrias s’avança, impatient. Il partit le premier. Une fois mon tour arrivé, j’entendis plusieurs acclamations fusant en tous sens à travers la cité. Sans regrets, sans adieux, je tournai le dos à Isgurdian.

« J'ai beaucoup appris en ces murs. »

 

                                                                                                                                     Ethanor

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