Les fils de Friedrich Nietzsche

Jo Todaro


Pour Nietzsche, c'est à partir de la musique que la tragédie prend sa source et se comprend vraiment. Une musique qu'il considère être une affirmation de la vie, une expression d'un vouloir vivre universel et primitif. L'auteur fait naître l'art dramatique à partir des chants primaires en l'honneur de Dionysos, dieu grec de la folie, des excès, de la démesure, de l'ivresse, de l'extase. Cet art est une vision complète où se réfugie l'homme fatigué de la réalité décousue, une création par l'idée d'un monde meilleur qui console du monde mauvais.

Les sociétés occidentales ont perdu ce rapport tragique au monde et semblent chercher un idéal, une morale. C'est l'avènement chez les peuples de ce que Nietzsche appellera nihilisme : un point de vue philosophique d'après lequel le monde est dénué de tout sens, de tout but, de toute vérité compréhensible ou encore de toutes valeurs. Pour Nietzsche, le nihilisme demande un rejet radical de toutes les valeurs et de tout sens : « Le nihilisme est non seulement la croyance que tout mérite de périr, mais qu'il faut tout détruire ». Nietzsche père du mouvement punk ?

Pas trop mal à la tête ? Une petite pause Efferalgan vitamine C ?

 Les punks étaient donc les descendants de Nietzsche et de ce fait, auteurs d'une démarche et porteurs de messages qui ont très certainement échappés à la majorité des observateurs. Ils ont pourtant eu un effet salvateur sur la société en nous permettant de supporter notre époque à défaut de l'accepter. Comme un médicament. Un remède dont nous aurions grand besoin aujourd'hui. Mais nous attendons encore ce mage énigmatique qui pourrait faire ressurgir du passé ces médecins électriques afin qu'ils se précipitent au chevet de la république. Ces épouvantails électrocutés qui hurlaient des « I fuck » que la traversée de la Manche et de l'océan atlantique faisaient résonner en « j'encule ». Trop rares sont ceux qui ont réellement compris qu'il y avait dans ces sodomies une réelle part de poésie. Qui l'a vraiment entendu ? La majorité des protagonistes de cette ère magique s'est contentée de suivre les traces des idoles en se bornant à n'en reproduire que les clichés. Une attitude dénoncée par le porte-voix des Sex Pistols, Johnny Rotten redevenu Johnny Lydon : « Vous n'avez rien écouté de ce que je vous disais, vous n'avez vu chez moi que les vêtements que je portais ». Les vrais fossoyeurs du mouvement punk ont été ces aspirants désireux de s'inscrire dans une punkitude qui n'était plus rien qu'une attitude. Jusqu'à la parodie comme The Exploited trop souvent cité comme groupe punk majeur. A force d'introduire successivement leurs doigts agiles dans les anus de tout ce qui leur tombait sous la main (Fuck the system, fuck religion, fuck USA…), ces proctologues non-diplômés ont fait perdre au toucher rectal son statut de geste divin pour le faire tomber dans l'oubli des habitudes sociétales. A défaut d'avoir su livrer à cette jeunesse avide qui les admirait, ne serait-ce qu'un semblant d'explication sur ce geste sacré, ils ont travesti l'agression anale aux couleurs du banal, semant ainsi les graines du chiendent. Le mal était fait et la société bien pensante n'avait plus qu'à mettre en lumière les clichés punks jusqu'à les parodier. Les pantalons en tartan, ces carreaux rouges et noirs, les chaussures Dr. Martens, les Rangers, les Tee-shirts déchirés, les cheveux hérissés, les crêtes… Celles portées aujourd'hui par les footballeurs… Des particularités voulues comme de véritables signes de ralliement mais perçues aujourd'hui comme des uniformes. Tout ce contre quoi le mouvement punk a voulu lutter quand il s'est dressé en transformant en quête le combat contre l'uniformité. Une pantomime que font heureusement voler en éclats les Ramones et le look minimaliste des 4 membres fondateurs aujourd'hui disparus. Alors réécoutez ou écoutez les disques des Ramones et comprenez l'éternité.

Les seules analyses du mouvement punk sont aujourd'hui livrées par de brillants théoriciens, tous diplômés, docteurs en sociologie ou en psychologie, professeurs des universités, maîtres de conférences et plus attachés à leurs chaires universitaires qu'un perfecto sur les épaules de Dee Dee Ramones. Comment ces enseignants peuvent-ils impartialement présenter un mouvement qui voulait foutre en l'air le système alors qu'ils sont tous fonctionnaires et donc premiers dépendants et rouages essentiels de ce système. Peuvent-ils dès lors mordre la main qui les nourrit ? Ils ne peuvent donc qu'analyser froidement, sans aucune émotion, sans aucune poésie. Oui, cette même poésie présente dans la sodomie punk.

Assumer sa rebellitude me semble être un maillon essentiel de la construction identitaire. Le punk, c'est l'indépendance d'esprit, une volonté éternelle nourrie par la colère, la rage, le refus de la fatalité. Notre temps a cruellement besoin de cette approche et doit parvenir à donner corps à son propre mouvement punk. Car il ne suffira pas de porter des pantalons de velours issu du commerce équitable, de se déplacer à vélo, de manger du quinoa ou d'écouter Damien Saez pour sauver le monde. Alors amis poètes, aiguisez vos plus belles plumes, rebranchez vos guitares électriques, ouvrez grand les yeux, les deux, enfilez vos gants de chirurgien et osez laisser glisser vos doigts dans tous les orifices qui le mériteront. Insurgez-vous, dressez-vous, apprenez à dire non, n'acceptez plus docilement, refusez violemment pour retrouver vos sourires, pour le redonner à vos enfants et accessoirement aux fantômes des Ramones qui vous observent.

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