LES HELLENES

Gianfranco Menghini

Un peuple industrieux de la Magna Græcia, à cause de la terrifiante explosion du volcan Etna il y a plus de trois mille ans, traverse les colonnes d’Hercules

Un peuple industrieux de la Magna Græcia, à cause de la terrifiante explosion du volcan Etna il y a plus de trois mille ans, traverse les colonnes d'Hercule, et proche à la fin à cause de cet extrême effort, aborde dans une grande île au milieu de l'océan Atlantique. Doté d'une volonté extraordinaire et d'une fermeté pour le but de se créer un territoire sûr et efficace, il se donne des lois simples et efficaces. Pas de perte de temps pour religions, mythologies ou comportements superstitieux. Il se dédie entièrement à l'amélioration de sa situation. Grâce également à la fertilité de la terre de l'île presque continent, de ses vastes ressources minérales et à la richesse de la mer, une fois résolu son problème de nourriture, il étudie la meilleure façon d'éviter qu'il lui arrive une énième catastrophique naturelle, pour s'en mettre à l'abri.

Lorsque Christophe Colombo s'aventure dans la mer inconnue pour faire la circumnavigation afin d'arriver au mythique Cathay, ces gens qui ne veulent pas avoir à quoi faire avec les humains, a atteint un niveau de technologie jugée inconcevable même à nos temps.

        Ce peuple intelligent cacha l'île sous une cloche électromagnétique qui la rend invisible aux animaux et à tous les gadgets les plus sophistiqués d'ingénierie optique, y compris les satellites espions, avec une frontière qui dépasse quarante milles autour de sa côte. Aucun navire ou avion peut frapper, même par erreur, son espace de vie parce que, sans que la remarque externe le sache, la proue de leurs véhicules vient déviée pour suivre les parallèles et les méridiens tirés par les hommes. Tout cela et d'autres choses que même maintenant on ne peut pas imaginer comment. Pour en donner un exemple, ils ont inventé un ordinateur très puissant dont le noyau est constitué d'un matériau chimique similaire à cela du cerveau humain, où les neurones redondants traversés par des milliards de filaments très fins d'or conduits par une nano ampérage d'électricité, dont le fonctionnement est plus puissant de cent millions des ordinateurs les plus forts utilisés par les humains.

Cependant une chose, malheureusement, le peuple des Hellènes partage avec l'humanité : l'air que nous respirons et, comme ils sont très sensibles à chaque moindre diminution de ses composants salubres, en dépit que l'île soit située sur la ligne de faille qui traverse le fond de l'Atlantique, l'air pollué arrive même là-bas…

 

 

1 - L'ÎLE DU MYSTÈRE

 

Il lâcha un peu la voile de cap qui ne suffisait qu'à grand-peine à lui apporter un peu d'ombre, car le vent ne soufflait pas avec intensité. Au contraire, la brise venant d'ouest était même trop légère. Il avait oublié sa casquette dans la cabine et n'avait nulle envie de quitter la barre pour aller la rechercher, bien que le soleil lui martelât la tête. Il se toucha les cheveux, qu'il avait épais et longs. Ils étaient brûlants. Après s'être désaltéré avec la moitié de sa bouteille d'eau, devenue chaude elle aussi, il se versa le reste sur la tête. Voulant soutenir la mèche de cheveux ruisselant sur ​​son visage, il abandonna le gouvernail et la drisse de la grand-voile pendant quelques secondes. Cela dura peu… Mais assez, cependant, pour que la bôme se mît en travers. À cause de la légère houle de l'océan, le bateau fit une embardée et la grand-voile, livrée à elle-même, reprit sa place en allant heurter rudement sa tête. Il s'évanouit sur le champ.

Son corps se retrouva affalé dans le cockpit et la drisse, attachée à son bras droit, il se tendit de façon à bloquer la bôme. Aussi, quand le vent se leva, il gonfla la voile et le foc, de sorte que le bateau s'inclina de quelques degrés à gauche et fila vers la haute mer, droit comme une fusée jusqu'à ce que disparaissent, derrière l'horizon, les petites îles de Florida Keys, et les tours des bâtiments de Key West.

Uniques compagnons de voyage, un groupe de dauphins le suivait. Ils ne jouaient pas, comme à l'accoutumée, en sautant entre les cercles formés par le sillage du bateau. Sa vitesse n'était pas suffisante pour générer des ondes assez hautes où ils auraient eu plaisir à s'engager, mais ils lui faisaient escorte : quatre de chaque côté, deux couples à la proue et deux couples à l'arrière. Il semblait que, sous leur protection, le bateau ne risquât aucun péril, puisqu'il filait comme s'il eût un moteur électrique. Le coup de bôme sur la tête du jeune homme, alors que la flèche était revenue vers lui, n'avait pas paru si violent ; pourtant, plusieurs heures avaient passé depuis cet incident et il ne s'était pas encore réveillé, comme si on lui avait inoculé une substance anesthésique !

Pendant ce temps, le bateau devait avoir vogué sur un nombre infini de miles. Cet ancien cutter de cinquante pieds était entièrement équipé d'un système de navigation moderne, prévu pour le long cours. Mais sa bôme était trop basse par rapport aux normes actuelles, ce qui la rendait dangereuse, surtout quand le skipper était si grand, puisque le gouvernail qu'il devait tenir avait été installé sur le pont plutôt que dans le poste de pilotage.

Le marin solitaire venait de reprendre ses sens, mais il n'était pas en mesure de réaliser clairement ce qui s'était passé jusqu'ici et encore moins de diriger le bateau, quand le voilier augmenta son allure sur une mer pourtant devenue d'huile.

Le compteur électronique marquait plus de trente nœuds, sans même que, de la proue à la coque, l'ensemble des vibrations du navire ne laisse une grande traînée, sinon celle de la tension que produisait un faible vent.

Quand le yachtman reprit pleinement ses sens, il vit devant lui les profils de deux promontoires se projetant sur la mer pour former une grande boucle vers laquelle le bateau se dirigeait rapidement et, bien qu'il ait pourtant essayé de tourner la barre, il ne put l'en empêcher. Il s'inquiéta alors d'une éventuelle panne du gouvernail, quand les huit étranges dauphins sortirent leur tête de la mer en poussant leur cri si caractéristique. Étrangement, l'homme les comprit comme s'ils eussent parlé son langage : "Laisse-nous te conduire. Tu ne risques rien !"

Il était arrivé de New York trois jours plus tôt pour prendre une période de repos et de réflexion. Seul un jeune homme en pleine possession de sa force physique pouvait piloter un voilier de cette taille sur la mer, même s'il avait prévu de naviguer moins de quinze miles depuis Key West, pour longer les îles des Clés, faire le tour des Clés Marquises, puis revenir. Mais pour lui, marin expert, qui avait connu de nombreuses expériences nautiques sur le détroit de Nantucket, ce petit tour solitaire sur une mer à peine ridée par une légère brise, pouvait être envisagé comme une excursion touristique de routine, voire comme un test de compétences.

Maintenant, il avait décidé de se laisser guider, puisqu'il n'avait aucune chance de contrarier la volonté suprême qui voulait l'attirer en direction de la côte. Toutefois, parce qu'il ne pouvait plus manœuvrer le voilier qui, escorté de ces huit étranges et superbes dauphins, semblait poussé comme par une force inconnue, il ne comprit pas qu'il se dirigeait vers le centre d'une profonde crique qui, à mesure que le bateau s'y engageait, lui révéla une large plage de sable, en arc de cercle, de la couleur jaune d'or typique du corail. Il remarqua que les rayons du soleil n'étaient plus aussi brûlants que quelques heures auparavant, que la mer était plate comme une planche et les voiles presque molles. Cependant, le bateau glissait encore à sept nœuds quand il découvrit l'anse. Plus intéressé à admirer le magnifique paysage qui surgissait devant ses yeux qu'à comprendre quel propulseur le poussait ainsi, il ne se rendit pas compte que les dauphins n'entouraient plus le bateau. Peut-être s'en étaient-ils allés, suivant leur propre chemin, pour s'amuser avec les vagues, dans le sillage d'autres navires ; peut-être s'étaient-ils engloutis dans les profondeurs de la mer. Mais jamais il n'aurait imaginé que les cétacés s'étaient, au contraire, placés sous la quille et qu'ils s'y étaient collés, comme des poissons-pilotes sous le ventre des requins. Poussant le voilier, grâce à leur sens de l'orientation, ils en dirigeaient l'accostage. Celui-ci se matérialisa quelques minutes plus tard : comme sur un quai bien équipé, avec une manœuvre digne du meilleur skipper, le bateau toucha terre. Aussitôt, un jeune homme d'environ vingt ans sauta à bord et, sans un mot, prit les cordages de proue et de poupe pour l'amarrer.

Envoûté par le paysage magnifique, sidéré devant ces opérations marines effectuées d'une main de maître, le yachtman crut rêver. La journée, qui touchait à sa fin, avait été très belle ; les rayons du soleil étaient encore hauts sur les sommets violacés des montagnes lointaines qui se détachaient sur le rose bleu du ciel. Dans les dernières heures, l'air avait perdu la chaleur étouffante qu'il avait supportée depuis qu'il avait débarqué à l'aéroport de Key West. Tout ici semblait paradisiaque et l'air balsamique fleurait bon les effluves du printemps. Les seuls bruits étaient ceux du léger clapotis de l'eau et les gazouillis des divers oiseaux qui tournoyaient alentour du rivage.

Avec le soleil couchant, l'air commençait à se refroidir. Quand il sortit de la cabine où il était allé prendre son habit, il ne trouva plus le jeune homme qui avait amarré le bateau avec deux nœuds de chaise parfaits. Il regarda tout autour de lui, désorienté… Et n'entrevoyant aucune présence humaine, il s'aventura sur le quai dont la base s'épanchait sur un sol dur après avoir dépassé un pont voûté qui, bien qu'à hauteur humaine, était à première vue dissimulé de façon à ne pas interrompre la continuité de la plage de sable rose doré. Le terrain plat, recouvert d'une végétation spécifique aux bords de mer, s'étendait à perte de vue vers les collines lointaines. Au-delà de leurs crêtes arrondies, on entrevoyait le cadre dentelé des montagnes.

        Il retourna rapidement vers le bateau pour prendre ses jumelles. Il avait vu quelques petites taches claires sur les coteaux des collines les plus proches et, après avoir mis au point l'objectif, il découvrit avec satisfaction qu'il s'agissait d'immeubles ou de maisons. En somme, c'étaient probablement des habitations comme il avait l'habitude d'en voir dans tous les lieux habités. Cette constatation lui allégea l'âme, car la magie qu'il avait vécue jusqu'à ce moment lui avait causé de l'appréhension, bien qu'il ait tenté de croire que tout était normal, que ces étranges dauphins… Et même, que le gentil jeune homme qui avait attaché les câbles…

Mais sans doute, toutes ces bizarreries allaient-elles lui être révélées plus tard, comme des coutumes du lieu, puisque ces maisons qu'il venait d'entrevoir dans le lointain lui rendaient le sens des réalités. Demain, si personne n'était encore venu au quai, il irait là-bas. Mais avant… Avant… Il devait consulter les cartes de navigation qu'il avait à bord et manger quelque chose. Il n'avait pas noté s'il y avait de la nourriture dans le frigidaire. Quand il avait loué le bateau, il avait assuré au responsable qu'il serait de retour avant le coucher du soleil. Par conséquent il était possible qu'il n'y eût que quelques bouteilles d'eau ou, tout au plus, des boissons gazeuses ordinaires. Il n'imaginait même pas trouver une bière, dont il sentait pourtant le besoin. L'eau en bouteille bue lors de la navigation côtière, il l'avait achetée au dernier moment, dans le bar jouxtant les bureaux de la compagnie de fret.

Il rentra dans la cabine, mais avant même de penser à la nourriture, il prit soin de consulter les cartes de la Floride. Le seul endroit où il pouvait se trouver était les Bahamas ou… Bien sûr ! Ne sachant pas combien de temps le bateau avait navigué sans direction, ce pouvait aussi être l'île de Cuba.

        'Mais non,' se dit-il. 'Cuba est trop loin ! Et puis, je suppose qu'à la vue d'un bateau Américain, ils ne seraient pas venus en masse pour me souhaiter la bienvenue… Mais peut-être bien pour m'arrêter !'

Dans son esprit jaillit une idée subite : Le navigateur satellitaire ! Quel idiot de ne pas avoir même regardé !' Cria-t-il à haute voix, tapotant la paume de sa main droite sur son front.

Il gravit les quatre marches qui donnaient sur le pont et s'assit en face des outils de navigation. Le moniteur du navigateur était cependant éteint. L'homme était sur ​​le point d'appuyer sur l'interrupteur de déverrouillage, quand il remarqua que celui-ci était déjà en position ‘On' Il donna une petite tape sur sa base, mais l'écran resta noir. Il ne manquait pourtant pas d'électricité puisqu'il avait laissé les lumières de la cabine allumées et que le bateau, en plus d'être équipé d'une puissante batterie de secours, disposait également d'un petit générateur autonome, alimenté par un réservoir de gazole supplémentaire. Les deux réservoirs qu'il avait vérifiés avec l'homme d'entretien, dans la matinée, avant de quitter Key West, étaient d'ailleurs pleins. Il changea de programme et appuya sur « Menu ». Tout de suite, l'écran s'alluma, donnant accès aux divers programmes, sauf à celui-ci du point bateau. Il pensa que cela dépendait d'une certaine interférence du satellite et ne s'en préoccupa pas. Bientôt ce petit problème, quel qu'il fût, serait résolu. En cas d'urgence, il avait encore la radio. La bande de fréquence de la compagnie de fret était sur 12.9. Ce n'était certainement pas le bon moment pour les appeler.

        'Peut-être demain matin,' se dit-il, pour se réconforter. Et puis, à ce moment-là, l'interférence du satellite sera résolue !'

Sa curiosité déçue, il donna la priorité à l'appétit et, ouvrant le réfrigérateur, il eut cette fois un geste de joie en le voyant rempli de tout ce qui était nécessaire à l'alimentation d'un équipage de six personnes. C'est en effet le nombre de marins qui pouvaient être logés dans le voilier doté de trois cabines, dont une spacieuse et confortable avec salle de bains privée, du côté de l'élégante salle à manger séjour. Il regarda également dans le cellier et y vit une bonne quantité de nourriture en conserve, des miches de pain, des biscottes et des biscuits sucrés et salés.

Il n'était pas habitué à cuisiner. Alors il posa sur la table une assiette couverte de deux épaisses tranches de jambon, une autre de saumon fumé et sortit du pain qu'il fit griller pendant qu'il buvait une bière, tirée d'un pack de six, découvert sous le comptoir du réfrigérateur.

Son repas terminé, il remit tout en ordre et, avant d'aller dormir, il sortit et s'assit dans le cockpit sous la barre. L'obscurité alentour était impénétrable alors que le ciel semblait, au contraire, diamantifère tant il était pavé de scintillements. Jamais, dans sa vie il n'avait vu autant d'étoiles. Certaines apparaissaient aussi grosses qu'un diamant d'un carat, semblable à celui qu'il avait donné à Liza. Ce souvenir lui donna un serrement au cœur et, pour le faire disparaître, il descendit dans la cabine, s'empara des jumelles et d'une lampe de poche. Puis, de retour à son poste d'observation, il éteignit les lumières et se mit à regarder attentivement en direction des collines où, l'après-midi même, il avait remarqué la clarté des constructions. Mais ce fut une fatigue inutile pour ses yeux. Tout état dans une obscurité profonde et aucune lumière ne filtrait de cette masse de terres, dont les innombrables étoiles dessinaient les contours.

La vue sur le ciel l'avait excité. Il ne se sentait pas effrayé d'être dans un pays inconnu et apparemment inhabité… Ou presque, puisqu'il ne savait ni d'où avait surgi ce gentil jeune homme qui l'avait aidé à amarrer le bateau, ni où se trouvaient les dauphins.

        'Des dauphins remorqueurs,' songea-t-il. Quelle étrangeté !'

Pendant qu'il se distrayait ainsi, à admirer les étoiles qu'avec ses jumelles, il ne voyait pas plus grandes mais seulement plus épaisses, le ciel s'assombrit soudainement et une bruine drue commença à tomber, le forçant à allumer sa lampe de poche, puis à se réfugier dans la cabine, dont il ferma la porte à double tour.

        'On ne sait jamais,' réfléchit-il, quelqu'un pourrait venir s'introduire dans le bateau, de manière inattendue, comme cela s'est déjà produit…'

Il s'allongea sur le lit et, par un surcroît de précaution, ne disposant d'aucune autre arme, il mit à portée de sa main le pistolet lance-fusées dans lequel il avait inséré une cartouche. La pluie était tellement faible qu'elle ne faisait pas de bruit sur le pont. Il fit glisser la vitre du hublot et tendit la main au dehors. Il trouva le contact de la bruine agréable ; elle était légère et tiède. Il resta à écouter les bruits ténus qui venaient de l'extérieur et, parce que ses sens étaient aiguisés par la nouveauté du monde alentour plus que par crainte d'être perdu, Dieu seul sachant où, il ne réussit pas à s'endormir. Aussi, après seulement deux heures de repos, il sortit du lit et alluma la petite lampe de lecture. Puis il prit celle de poche et monta sur le pont. Il ne pleuvait plus et le ciel était plein d'étoiles…

Regardant mieux autour de lui, il vit clignoter des petites lumières sur les collines et, à l'horizon, une lueur qui se répandait dans le ciel et bordait celle, moins haute, qui se déployait sur ​​la mer. Au premier abord il pensa à des étoiles au coucher, ou à la lueur du lever de la lune, mais lorsqu'il les observa avec les jumelles, il eut la certitude que ces lumières venaient des habitations qu'il avait vues dans l'après-midi. La lueur ne pouvait dont être que celle d'un grand centre habité.

        'Vraiment étrange,' se dit-il. Avant, tout était complètement obscur et il semble maintenant que ces deux heures de pluie ont réanimé cette terre inconnue ! Mais va savoir si c'est une île !'

Moins convaincu maintenant qu'il se trouvait entre les Bahamas et Cuba, il s'affaira sur le satellitaire, mais le moniteur restait obstinément fermé à ce programme. Le satellite géodésique devait être sérieusement endommagé ! Cependant, lorsqu'il put raisonner calmement, il dut accepter le fait que l'équipement du bateau ne fonctionnait plus correctement : Il y a, en effet, plus d'un satellite pour relier la position de chaque chose entre elles, sur la Terre !

        'Je verrai demain,' se dit-il avec un bâillement.

        La fatigue lui tomba d'un coup sur le corps et le sommeil, si souvent invoqué, lui vint aussitôt qu'il se fût couché sur le lit.

                                        

ΩΩΩ

 

Quand une aube lumineuse dora de ses rayons les terres environnantes, elle se refléta en pleine mer, laquelle était à peine ridée par une brise légère. Un croissant de mer faisant miroir relança l'éblouissement du soleil à peine levé sur le hublot ouvert de la cabine où dormait Henry qui, désormais reposé après huit heures de sommeil, fut réveillé par l'intensité soudaine de cette lumière. Comme d'habitude depuis son enfance, le blond jeune homme ne resta pas à paresser, mais se leva d'un bond et, ses pensées retournant à la nuit précédente, sans même prendre le temps d'enfiler ses chaussures légères, il monta sur la poupe. Depuis le cockpit, il se mit à scruter tout autour de lui. Le soleil rutilant éparpillait ses rayons dans un ciel pur et les terres qui l'entouraient étaient d'un vert intense. La vue était parfaite. La pluie douce de la nuit, qui avait effacé toute trace de poussière dans l'air, lui laissait voir plus clairement les collines et les montagnes dans l'arrière-plan. Mais une chose, ou plutôt, certaines choses qu'il avait vues la veille, attirèrent son attention. Il ne pouvait cependant pas les distinguer à l'œil nu. Juste le temps d'aller prendre les jumelles qu'il avait placées sur la dînette du petit salon, et de ressortir… Il eut une frayeur : du fond du quai, une personne venait vers son bateau. Au début, il pensa que c'était le jeune homme qui l'avait aidé à s'amarrer la nuit précédente mais, à mesure que ce personnage avançait, il remarqua que c'était une femme. Elle se rapprocha encore et, à son grand étonnement, il vit qu'elle était une jeune fille, très belle même, d'une beauté incroyable dans un endroit aussi singulier !

Elle le regarda droit dans les yeux exprimant, d'un demi-sourire, le plaisir de recevoir un étranger. Ses cheveux noirs de jais encadraient un visage parfait ; ses grands yeux ombragés par de longs cils, étaient remplis de douceur. D'une démarche élégante et lente, sa longue jupe flottant pour s'adapter au rythme de sa foulée, elle s'approcha de lui. Elle portait un léger corset qui lui modelait les seins, au point d'attache desquels une large échancrure, découvrant son cou, s'en allait mourir sur ses épaules. Sa peau était d'une couleur dorée comme le miel.

Lorsqu'ils se trouvèrent en face l'un de l'autre, aucun d'eux ne prononça un mot ; ils se scrutaient attentivement. Il apparut à la jeune fille que ceux d'Henry ne portaient aucune trace de méfiance. Elle fut alors la première, à prendre la parole.

        "Bienvenue ! Je suis la sœur du jeune homme qui, hier, a amarré ton bateau. Je suis venu t'inviter dans notre maison."

        "Où ?" demanda Henry, négligeant les bonnes manières pour donner la priorité à son désir de savoir en quel lieu il se trouvait.

        "Là-bas," répondit la jeune fille, montrant avec un mouvement gracieux du bras les collines lointaines.

        "Et on y va… À pied ?"

        "Mon nom est Phèdre," dit-elle, offrant ainsi une ouverture conséquente pour lier connaissance. "Et toi ?"

        "Ah ! Pardonne-moi. Je suis Henry. Je m'étonne que tu parles ma langue," ajouta-t-il, se montrant comme un incorrigible curieux.

        "Allez, tu viens ?" rétorqua la jeune fille, sans répondre à sa question.

        "Oui, bien sûr. Attends un moment ; je vais prendre mes affaires. Pendant ce temps… Tu pourrais m'attendre sur le bateau."

        "Je préfère me promener sur la plage," répondit Phèdre. "Je t‘attendrai à l'entrée du quai."

Henry prit quelques affaires, qu'il mit en vrac dans un sac. Il était pris de crainte à l'idée que, s'il ne gardait pas un œil sur la jeune fille, elle disparaisse ainsi que l'avait fait son frère, la veille. Pour cette raison, il ne détacha pas ses yeux du hublot et ne fit quasiment pas attention à ce qu'il enfilait à la hâte dans le sac marin. Puis, quand elle partit se promener sur la plage, si légère que ses pieds semblaient ne pas laisser d'empreintes, il sortit du cockpit et, sans prendre la peine de fermer à clé la porte de sa cabine, il la tira seulement, sans perdre la jeune femme de vue. Il jeta son sac sur le ponton et, d'une voltige élégante, y sauta comme un athlète qui lâche ses anneaux. De même, il ne prit pas la précaution de tendre l'amarre pour rapprocher le bateau, ne voulant pas quitter du regard, un instant de plus, l'élégante silhouette de Phèdre.

        Quel nom ! Cela fait vraiment ancien ; classique, même, devrais-je dire. Toutefois il ne me déplaît pas !'

Et, réfléchissant sur la facilité avec laquelle il avait exécuté son saut et la légèreté du bagage, il se surprit à émettre : Je me sens léger comme une plume. Que ce pays est… !'

Bagage sur les épaules à la manière des marins, et sans autres questions, il se hâta de rejoindre la jeune fille qui lui tournait le dos, alors qu'elle marchait le long du rivage. Elle se retourna et, de sa démarche souple caressant le sable, tout en regardant pensivement où elle posait les pieds, elle rejoignit l'abord du quai. Dans le même temps, Henry y arrivait aussi. Elle lui envoya un sourire lumineux et, d'un geste aérien du bras, l'invita à la suivre. Alors qu'ils s'acheminaient parmi les buissons épars sur les dunettes de sable, ils arrivèrent en un lieu où la végétation était plus haute et s'épaississait. Derrière une barrière formée par un groupe compact d'arbres, Henry remarqua une voiture. Mais le véhicule différait de la conception qu'il avait eue jusque-là d'une automobile. Il semblait tiré d'un étrange croisement entre un engin spatial et une petite voiture de sport à deux places, si ce n'est qu'il avait un grand coffre à l'avant, dans lequel Henry fut invité à ranger son sac marin.

Il n'entendit même pas que la jeune fille avait mis le moteur en marche lorsque l'astromobile, ainsi que son esprit avait déjà catalogué cette étrange voiture, commença à rouler sur le chemin étroit qui traversait le bois avant de s'introduire sur la grande route déserte où elle augmenta de puissance. Elle atteignit une vitesse si élevée qu'elle ne lui permettait pas de distinguer, bien qu'il en soit proche, ce qu'il avait entrevu depuis le bateau.

Concentrée sur la conduite de son véhicule, la jeune fille, consciencieuse n'avait plus ajouté un seul mot depuis qu'elle l'avait invité à le suivre et Henry se prit au jeu, bien que la facétie de la chose sollicitât sa curiosité. Il pensait que, à leur arrivée dans la maison de Phèdre, il finirait bien par comprendre dans quel pays il avait débarqué et quels gens étranges y vivaient. Lorsque l'astromobile arriva aux flancs de l'une des nombreuses collines qui les séparaient de la grande ville dont il avait pressenti l'existence, à cause des lumières émises la veille dans le ciel nocturne, elle changea d'itinéraire et commença à monter. Pourtant, elle n'avait pas pris une route secondaire ; il lui semblait qu'il n'en existât pas, mais qu'elle s'était simplement mise en lévitation, comme sur un coussin d'air. Sans soulever de poussière, ni faire rugir le moteur, elle progressait toutefois en vitesse.

Le bâtiment en face duquel ils s'arrêtèrent était sans aucun doute une habitation, mais ses formes différaient quelque peu des maisons traditionnelles. Ses lignes étaient pures et simples et, à première vue, il semblait qu'elle n'ait ni portes ni fenêtres. Son toit, de forme très étrange, était plat, et bordé de chéneaux. Henry aurait aimé comprendre une multitude de choses, cependant la jeune fille n'avait toujours pas prononcé un mot. Au contraire, comme ils descendaient de l'astromobile, elle lui fit signe de la suivre dans le bâtiment sans même ouvrir le coffre où il avait placé son sac.

Dès qu'elle s'approcha du mur, porte et fenêtres se matérialisèrent. D'une touche légère, elle ouvrit la porte coulissante sur un vestibule dont les murs blancs étaient éclairés d'une lumière diffuse dont personne ne pouvait voir la source. Une grande porte vitrée glissa en silence devant le mur et Henry entra, à la suite de Phèdre, dans une grande salle équipée de meubles ultra-brillants, dénués de tout ornement. Il était habitué à en voir des quantités, dans la maison de Liza, sa fiancée, qui avait transformé chaque surface horizontale de chaque meuble en un petit temple encombré de photos dans des cadres de bois ou de métal. Cet envahissement était la raison pour laquelle il avait temporairement quitté New York, soupirant après une période de réflexion. En accord avec son chef de bureau, il avait profité des jours de congé auxquels il avait droit et les avait complétés avec les dix jours restants de l'année précédente…

Un jeune homme, celui-là même qui l'avait aidé à amarrer le bateau la veille, se leva du canapé et s'avança à sa rencontre. Henry n'avait pas remarqué sa présence dans la maison. Probablement était-il occupé à regarder la télévision grande écran, allongé sur le divan lit, dans le coin opposé à l'entrée. Ils se serrèrent la main et, tout aussitôt, l'écran disparut dans le mur. Quand Henry se tourna vers Phèdre, il se rendit compte avec étonnement qu'elle n'était plus là.

        "Elle est allée pour avertir nos parents," dit le jeune homme qui tenait toujours sa main et lui envoya un regard amusé… "Je suis Paris."

        "Et moi Henry. Henry Campbell, pour être précis. Mais… Comment…" balbutia-t-il un instant. Puis, se ressaisissant, d'un ton plus résolu : "Où sommes-nous ?"

        "Ah ! Voilà Phèdre et nos parents. Viens, Henry ! Je vais te les présenter."

Bien que contrarié de voir comment les gens de ce pays ne tentaient pour lui donner la moindre explication, il suivit Paris à travers le vaste hall d'entrée, jusqu'aux pieds d'un élégant escalier elliptique dont il n'avait pas deviné la présence et d'où venaient de descendre, avec une grâce indéniable, Phèdre et ses parents. Le premier à le saluer fut le père qui, enchanté, vint lui secouer vigoureusement la main.

Henry, à l'instar de nombreux bons techniciens Américains, n'avait pas étudié profondément l'histoire de la Grèce antique, mais il avait appris quelques bribes de la mythologie grecque dans certaines lectures tirées de la bibliothèque de l'Université de Princeton où il avait obtenu son Diplôme d'ingénieur. Et leurs noms lui confirmèrent qu'il ne se trouvait pas plus dans les Bahamas que dans l'île de Cuba, mais dans des lieux très étranges, au point qu'il croyait rêver.

Alors qu'elle discourait avec ses parents, Phèdre intercalait ses mots d'un étrange idiome qu'Henry ne comprit pas. La mère, dont il se souvenait avoir déjà lu le nom de Hécube, était une belle femme, juste à peine plus fanée que Phèdre dont elle semblait être la copie. Il lui tendit la main qu'elle serra à peine, d'un toucher si délicat qu'il en ressentit la crainte exagérée de l'avoir endolorie. Quand Phèdre lui chuchota que son père se nommait Achalais, Henry se sentit pris d'une envie de rire, en se souvenant de ce prénom qu'il avait retenu de ses rares lectures de la Iliade, de l'Odyssée, ainsi que d'un livre d'histoire grecque. Il eut soudain l'impression de se trouver devant une comédie montée avec adresse pour se moquer de lui. Il fut tout aussi surpris de s'entendre dire : "Mais qu'est-ce que tout cela ? Il me semble me trouver au milieu d'une représentation. Tous ces noms de la Grèce antique…"

Il fixa le chef de la famille dont le regard, quoique plus âgé, reflétât comme une goutte d'eau le profil de son fils Paris, et qui lui souriait avec bienveillance.

        "Excusez-moi, mais… Enfin, qui êtes-vous ?" ajouta-t-il timidement.

        "Nous sommes la famille des Achelais…" répondit Achalais, toujours souriant, "et nous avons gardé les noms de nos ancêtres."

        "C'est la tradition de notre peuple," fit, en écho, Phèdre qui, d'un geste élégant, invita tout ce monde à la suivre vers la salle de séjour.

Henry ne se sentit pas le cœur de demander quoi que ce soit d'autre. Paris lui posa amicalement une main sur l'épaule et le conduisit gracieusement vers le sofa où il était allongé, quelques minutes auparavant. Ses parents et Phèdre étaient déjà installés sur les fauteuils ; le père dans une attitude d'attente, curieux d'entendre l'histoire de cet invité apprécié quoique inattendu, tandis que la mère et Phèdre complotaient discrètement entre elles, dans leur étrange langage.

        "Nous sommes heureux de t'accueillir dans notre modeste maison. À quel honneur devons-nous ta visite ?" demanda Achalais, avec une curiosité nonchalante.

        "Mais vraiment…" répondit Henry d'un ton indécis. Il regardait aussi bien Paris que Phèdre pour signifier que le frère et la sœur semblaient en savoir plus que lui : "Je ne saurais vous, eux disent, Monsieur Achalais.

        "Il est d'usage, dans ce pays, de nous appeler par notre prénom et de se tutoyer, Henry. Je te rappelle donc que mon nom est Anhélas. Allons, veux-tu avoir l'obligeance de me dire la raison pour laquelle tu as débarqué dans notre île ?" insista avec bienveillance le chef de la famille.

        "Ainsi, c'est donc une île !" s'exclama l'Américain.

        "Presque un continent, même !" ajouta Paris d'un ton satisfait.

        "De quelle taille ? Et… Où il est situé par rapport à l'Amérique ?"

À nouveau, Henry questionnait avec empressement et, ne recevant aucune réponse de Paris, lequel, muet, regardait son père comme pour lui demander la permission de parler, il ajouta : "Peut-être Cuba ?"

        "Rien de tout cela," déclara Achalais". "Le nôtre est un petit continent inconnu, ou plutôt, méconnu de tous les autres habitants de la Terre."

        "C'est impossible !" laissa échapper Henry qui, pour s'excuser, ajouta : "Je voulais dire, sans te manquer de respect, Achelais, qu'il n'existe pas une partie, même la plus petite, qui ne soit pas connue dans notre hémisphère. Tu sais, grâce à nos satellites qui tournent, nombreux dans l'espace…"

        "Ouais, vos satellites…" répliquèrent en gloussant Achalais, imité par son épouse et Phèdre, tandis que Paris ne pouvait retenir un ricanement. "Ils voient tout et n'importe quoi ; même une feuille qui tombe dans l'enchevêtrement de la forêt amazonienne… Mais pas nous, ni notre terre, notre mer, ni même notre ciel !"

        Et, avec une légère amertume, il enchaîna : "Rien dans notre environnement ne peut jamais être vu, sinon par ceux qui sont invités par notre Archonte. Et c'est pourquoi je te demande qui t'a donné la faculté d'entrer dans notre monde ?"

Remarquant que ses paroles avaient intimidé son invité : "Mon cher gars, tu n'en saurais rien, par hasard ?"

        "En passant sous la barre de mon bateau, à cause d'une embardée, la bôme m'a frappé la tête et je ne sais pas, même maintenant, combien de temps je suis resté inconscient. Ensuite, j'ai vu huit étranges dauphins qui ont conduit mon voilier jusqu'à la grande plage où il y avait un quai et… Ton fils Paris l'a amarré."

        "Alors, tu as été invité par l'Archonte. Lui seul peut donner ordre aux cétacés d'introduire un étranger dans nos eaux !"

        "Mais je ne connais aucun Archonte ! Et personne ne m'a informé de quoi que ce soit…" dit plaintivement Henry. "Cela me semble un moyen bien étrange d'inviter les gens… Et puis, je dois retourner à Key West pour rendre le bateau et, de là, rentrer à New York !"

        "Je ne sais pas exactement pourquoi, ou pour quelle raison spécifique tu es arrivé sur notre territoire et je suppose que même eux, mes enfants, ne le savent pas," déclara Achelais.

Se retournant pour regarder d'abord Paris, puis en direction de Phèdre, il vérifia qu'eux-mêmes n'en avaient aucune idée.

        "Reste ici. Tu verras qu'ils n'auront pas de retard pour venir te chercher depuis Poséidon, notre Capitale !"

Sur le visage d'Henry apparut alors un effarement évident, si bien que Achelais, jugeant bon d'interrompre la conversation, conclut : "Je te laisse aux soins de Phèdre qui t'installera dans la chambre des invités. Elle t'expliquera des choses sur notre Pays car elle saura bien faire en sorte que tu puisses accueillir ces informations, peu à peu, sans quoi, tout va te sembler vraiment étrange !"

Disant cela, il prit par la main sa femme Hécube, et l'entraîna vers l'escalier, au fond du salon.

        "Je dois y aller !" déclara à son tour Paris.

Il envoya un regard complice à sa sœur et serra de sa main l'épaule d'Henry, comme pour un congé amical.

        "Allons, ne t'effraie pas, Henry," susurra Phèdre d'une voix de velours. "Tu apprécieras la beauté de cette île. Pendant ton séjour ici, je t'accompagnerais pour la visiter et je t'expliquerai des choses importantes sur nos origines."

        "D'où êtes-vous venu ? Enfin, tes ancêtres…"

        "Une chose à la fois. Auparavant il faut que nous allions chercher les affaires que tu as laissées dans le bateau."

        "Je n'ai plus rien là-bas, Phèdre. Tout ce que j'avais, je l'ai mis dans le sac qui est encore dans ta… Dans la… Quel est son nom ? Peut-être… Astromobile ?

Phèdre éclata d'un rire argentin : "Astromobile ? Non," répondit-elle amusée. "Nous l'appelons 'voiture', comme chez toi !"

        "Même si elle n'a pas de roues… Et si elle vole ?"

        "Pour sûr qu'elle a des roues, même si tu n'as pas eu la possibilité de les voir ! Et après… Pour ce qui est de voler… Eh bien, Henry, pour ces choses techniques, ce sera Paris qui te les expliquera. Mon frère est un spécialiste en cette matière. Il est ingénieur et travaille dans une grande usine à Poséidon."

        "C'est la ville dont j'ai vu les lueurs nocturnes derrière cette longue colline ?"

        "Exactement, elle se trouve à plus de cent cinquante kilomètres."

        "Aussi éloignée ! Mais comment est-il possible voir des lumières à cette distance ? Cette île doit être vraiment grande !"

        "Comme te l'avait dit mon père, c'est un petit continent."

        "Mais comment est-il possible que nous… Au fait, comment est-ce que vous nous appelez, dans votre langue ?"

        "Des Hommes, tout simplement !"

        "Ah bon ! Et vous, qu'êtes-vous ?" répliqua Henry, quelque peu sarcastique.

        "Des Hellènes, les épigones des Argiens."

        "Hellènes, Argiens ! Qu'est-ce que ça veut dire ?"

        "Que nos plus vieux ancêtres sont venus de la Grande Grèce, en Sicile ; et qu'avant d'être de cette grande île, ils vivaient à Argus, la principale ville du Péloponnèse…"

Lisant la stupéfaction sur le visage d'Henry, Phèdre expliqua patiemment : "La Grande Grèce était en Italie. Juste au sud et le climat y était aussi doux que chez nous… Mais comme a dit mon père, donne-nous le temps de t'expliquer les choses, peu par peu, afin que tu les comprennes mieux."

        "Bien, bien," concéda Henry, un peu intimidé. "Je ne poserai pas d'autres questions."

        "Retournons vers l'automobile pour prendre ton sac marin."

 

                                           ΩΩΩ

 

Au moment où Phèdre actionnait la télécommande pour ouvrir le coffre, Henry se baissa pour tenter de découvrir les roues. Mais n'étant pas en mesure de s'abaisser trop près du sol, s'il ne voulait pas que Phèdre le remarquât, il ne put, à sa grande déception, ni les voir, ni remarquer si le véhicule prenait réellement appui sur quelque chose. Phèdre fit mine de ne pas avoir repéré son manège et, quand Henry mit son sac sur l'épaule, elle lui demanda de la suivre à la maison. Une fois qu'ils eurent monté le magnifique escalier, ils arrivèrent à l'étage supérieur. Merveille des merveilles ! Les baies vitrées grandes ouvertes laissaient voir toute la campagne environnante et, bien qu'Henry les eût imaginés très éloignés, compte tenu du temps qu'ils avaient mis, depuis le bateau, pour arriver ici avec l'automobile - qu'il persistait à nommer une astromobile, ne pouvant se défaire de l'idée que, d'une certaine manière cet engin volait - on discernait même la plage, le quai et le voilier amarré. Il songea que les bizarreries étaient bien nombreuses dans le pays d'Argus ! Par exemple, voir comme ça dans le lointain, comme s'il avait eu des jumelles… Et puis, il y avait autre chose, qu'il réalisait seulement maintenant : après qu'il a gravi l'escalier, bien que chargé de son sac dont il ne pouvait pas vraiment quantifier le poids puisqu'il le portait seulement pour la seconde fois - en effet, dans le port de plaisance de Key West, c‘était un employé de la compagnie de fret qui l'avait porté - il se fût senti plus léger ! Cela expliquait sans doute la démarche gracieuse de Phèdre se promenant sur la plage, pendant qu'il remplissait rapidement son sac de ses affaires. Mesurant un mètre quatre-vingt-quatre, il pesait quatre-vingt-cinq kilos quand il était en forme. Maintenant, il avait la sensation d'avoir perdu au moins dix kilos. Il se dit que s'il ne montrait pas trop de curiosité, peut-être que Phèdre et après elle, son frère, et peut-être même leur père, éclairciraient tous ces mystères. Le premier étant leur hypothèse abracadabrante qu'il serait arrivé exprès sur ce continent, invité par un Archonte.

D'abord, qu'était-ce, un archonte ? Peut-être, se dit-il, est-ce un monarque absolu ou un tyran ? Parmi les deux, il espéra le premier. Un monarque peut être illuminé, mais un tyran… Eh bien, il n'y avait jamais eu aucun cas dans l'histoire où les tyrans auraient démontré qu'ils ne manquaient pas de quelque roue dans le cerveau ! Ah, la revoilà !'

Phèdre lui faisait signe depuis le seuil de la dernière porte du salon, l'invitant à la suivre à l'étage, ce que fit Henry, sans tarder. Il se trouva aussitôt dans une chambre qu'elle lui désigna comme étant la sienne. Elle était spacieuse et lumineuse, puisque l'étrange maison, s'il avait pu la remarquer de l'extérieur, était équipée d'un grand nombre de fenêtres, très larges. Vu de dehors, le bâtiment pouvait ressembler à l'œuvre d'un architecte créatif mais, en ce qui concernait l'ameublement, tous les meubles étaient assez conventionnels, tous strictement modernes et si brillants qu'il s'y reflétait. Ils ne portaient aucun bibelot ni cadre sur leurs étagères murales tandis qu'à l'intérieur… Il ouvrit une porte de l'armoire et y vit de nombreux costumes accrochés. Puis, il tira vers lui un tiroir débordant de chemises parfaitement repassées et, pour ne pas piquer la curiosité de Phèdre qui l'observait sans cacher un sourire de complicité, il posa son sac marin sur le grand tapis et s'assit sur le lit à deux places. Le matelas était compact, comme il l'avait toujours aimé ; pas trop souple, afin de ne pas former une fosse là où il s'étendait, assurant ainsi à son corps, un repos naturel.

        "C'est à ton goût, je vois," dit Phèdre, qui s'était placée face à la fenêtre.

        "Aussi bien que dans la cabine du bateau," lui renvoya Henry, pour ne pas lui donner trop de satisfaction.

Quoique intrigué, il fût agacé de se trouver dans cette situation dont, inconsciemment, il se considérait responsable. Mais s'approchant d'elle, il sentit son parfum, aussi léger que celui que dégagent les premières fleurs du printemps. Il en fut enivré et eut envie de l'embrasser. Il se domina, détournant les yeux de sa poitrine vers le panorama qui s'étendait devant lui. Depuis le salon de l'étage inférieur, il avait déjà été frappé par cette beauté. Maintenant qu'il voyait le même paysage d'en haut, il en restait ravi : il était extraordinaire que la seule différence d'un étage eût pu lui donner une visibilité si large qu'il lui semblait planer au-dessus ! Il distinguait des choses qu'il n'avait pas encore remarquées. Alors que la grande rue, qu'il avait suivie en l'espace de quelques minutes, et maintenant parcourue par quelques rares astromobiles, se perdait dans le lointain horizon jusqu'à disparaître de sa vue, les flèches imposantes des montagnes, violacées par la distance, se découpaient sur le ciel cendré.

Phèdre, qui avait suivi le regard d'Henry, le vit s'arrêter sur le profil des montagnes. Elle lui dit : "C'est la chaîne montagneuse de l'Olympus, avec le mont Ida au milieu."

        "Olympus, Ida, Archonte, Argus…" entonna Henry d'un ton sarcastique, "tu ne voudrais pas me faire croire que nous sommes dans la Grèce antique, non ?"

        "Presque," répondit-elle.

        "Que veux-tu dire ?"

        "Que ce n'est pas la Grèce antique car - et tu le sais très bien - nous vivons dans l'ère moderne et nous sommes dans l'Océan Atlantique, mais au moins pour certaines références, nos pères ont voulu que nous en gardions une certaine ressemblance."

        "Très bien. Admettons-le, tout en considérant que je n'ai aucune connaissance familière de l'histoire de la Grèce antique que, si je suis ton raisonnement, vous avez remise au goût du jour de l'époque actuelle. Ainsi, au-delà des noms des êtres et des choses, je dois croire qu'il n'y a aucun autre rapport ?"

        "En fait, il n'y en a pas. Même en ce qui concerne le gouvernement du Pays."

        " Vous vivez sous une démocratie ?" demanda Henry en bon Américain.

        "Alors, pourrais-tu m'expliquer, au moins, pourquoi ces terres nous sont inconnues à nous… Les hommes ?"

        "Ça, c'est Paris qui te l'expliquera ! Pour l'instant, il te suffit de savoir que notre petit continent s'appelle Kallitala."

        "Kalli… tala ? Étrange prononciation. Un nom important, j'imagine. Heureusement qu'ils ne l'ont pas appelée… Qui sait ? Argolide ou Attique !" déclara Henry, souriant pour la première fois, en dépit du fait qu'il se demandait s'il n'était pas dans une situation périlleuse. "Peux-tu me dire ce que cela signifie ?"

        "Atala est le nom d'une jeune fille qui suivit les Argonautes à la recherche de la Toison d'Or, considérée, à juste titre, par nos ancêtres comme le symbole de la découverte et Kallistea, en terme aulique, est synonyme de beauté. Ici, les femmes sont… Très indépendantes et…"

Elle hésita, puis : "Belles comme l'île. Et c'est précisément vers Kallitala que mes ancêtres se sont aventurés en mer, il y a plus de deux mille cinq cents ans, à cause d'une éruption puissante du volcan Etna. Ils se sont retrouvés sur la côte africaine où ils se sont peut-être arrêtés durant quelques mois. On ignore comment ils ont survécu aussi longtemps avant d'arriver, après de grands sacrifices, dans ces terres lointaines au milieu de l'immense océan."

        "Mais… Si elles n'y existaient pas…" vint spontanément rétorquer Henry qui, regrettant immédiatement ses mots, se corrigea : "alors, bien sûr, maintenant j'ai compris ! Nous sommes aux îles Canaries. C'est pourquoi ce sommet de la montagne…"

        "Et toi avec ton voilier, tu aurais alors traversé l'Atlantique en moins d'une journée…" répliqua ironiquement Phèdre. "Allons, sois raisonnable et écoute ce que j'ai à te dire. Si je me contente d'explications simples, c'est pour t'aider à mieux comprendre celles que te donnera Paris et, enfin, ce que te relatera mon père !"

Henry resta confus et se contint pour formuler d'autres questions. Déjà, il avait pris conscience de se trouver dans un monde inconnu, inexistant aux yeux des hommes puisque, comme le lui avaient fait remarquer ses hôtes, les gens de Kallitala, ne leur ressemblaient pas, bien qu'ils se nommassent eux-mêmes des Hellènes. Oh, et puis, en fin de compte, tout cela signifiait qu'ils appartenaient bien à un peuple ou à une race ; ils étaient bien une sorte d'êtres vivants - des mammifères évolués peut-être ? - Mais quand même des hommes !

        Diable !' Se dit-il. Comment peut-on concevoir qu'ils ne soient pas des humains ?'

Toutefois, il lui fallait bien se rendre à l'évidence : si, dans ce territoire, très beau et méconnu de tous, se produisaient des choses au-delà de toute imagination humaine, le fait qu'ils se définissent comme « Hellènes » plutôt que comme « hommes », dût aussi avoir une justification. Et bien sûr, ils étaient magnifiques, ces Hellènes ! Déjà, Phèdre, parée de beauté et de grâce, affaiblissait ses défenses au point qu'il ne pensait plus aussi intensément qu'auparavant à sa peine de cœur demeurée à New York ; au contraire ! Il ne se souciait même quasiment plus de son emploi important dans le laboratoire de physique industriel où lui et son équipe effectuaient des recherches expérimentales qui les auraient menés très loin. Pourtant, face à tout ce qu'il venait de voir dans cette île, il y aurait eu de quoi se décourager !

        Mais que mangent-ils, ces Hellènes ?'

Depuis qu'il avait quitté le bateau, il s'était écoulé une journée entière et personne ne s'était encore mis à table. Ils avaient seulement bu de l'eau, qui se trouvait partout, et jusque dans sa chambre. Il en avait bu, lui aussi. Il est vrai qu'elle était rafraîchissante comme aucune autre des boissons qu'il avait goûtées au cours de sa vie ; d'une pureté et d'une légèreté inusitée qui, chaque fois, annihilaient en lui l'instinct famélique.

        'Quelle chose étrange !' Réfléchit-il, 'cependant, j'espère qu'ils ne se nourrissent pas seulement d'eau…'

Ils ne se nourrissaient pas que d'eau, en effet. Les Hellènes mangeaient comme les hommes. Mais seulement une fois par jour et avant que le soleil ne se couche ce qui, en ces lieux qu'Henry persistait à imaginer les Caraïbes, ou tout au moins le centre de l'Atlantique, était relativement tôt.

La table bien apprêtée se trouvait au rez-de-chaussée, dans une salle attenante au grand salon où il avait rencontré toute la famille. Cette fois, cependant, s'étaient ajoutées deux jeunes servantes, qu'il lui vint spontanément à l'esprit de définir comme des ancelles, puisque les traditions et les coutumes locales étaient celles de la Grèce antique.

Paris vint à sa rencontre et, d'une manière fraternelle, plutôt que de lui serrer la main, comme c'est l'usage entre les hommes, lui posa la sienne sur son épaule.

        "Alors Henry, est-ce que Phèdre a éclairci quelques mystères ?" lui demanda-t-il en souriant.

Comme il ne reçut nulle réponse immédiate, il ajouta, soudain sévère : "Je te recommande, pendant le repas, de ne poser de questions à personne. Mange en silence et limite-toi à écouter. Après, toi et moi, nous irons faire une promenade dans le jardin."

Encore sous l'influence de Phèdre à laquelle il n'avait plus adressé un mot depuis sa remarque ironique, Henry se contenta de hocher la tête et d'essayer de suivre chacun des mouvements de Paris, qui s'était approché à la fenêtre. Achelais et Hécube, son épouse, entrèrent, précédés par Phèdre qu'accompagnait une ancelle. Une fois tous installés à la table rectangulaire, richement dressée avec sa nappe et ses serviettes de tissu fin, couvertes d'une vaisselle de céramique semi-transparente et de métal aussi brillant que le palladium, la seconde ancelle apporta une soupière fumante. Elle répandait une odeur très appétissante.

        "Aujourd'hui, soupe aux champignons !" décréta Achelais, assis au bout de table.

Phèdre était à sa droite et Henry à sa gauche. Hécube était face à son mari et la seconde ancelle se tenait à ses côtés, utilisant l'espace libre pour le service.

        'Alors,' se dit Henry, 'quelle que soit la forme de gouvernement de ce peuple Hellène, ils se comportent comme de vrais démocrates, allant jusqu'à faire asseoir à leur table même une serveuse. À moins qu'elle n'ait d'autres fonctions…'

Mais il n'avait encore proféré aucune de ces réflexions, que la seconde ancelle, après avoir servi tout le monde, posa le bol de soupe au milieu de la table devant elle et s'assit pour commencer à manger, quand Achelais porta la première cuillerée à ses lèvres. De l'autre main, il fit un geste papal invitant les convives à l'imiter et, s'adressant à Henry : "J'espère que ça te plaira. La soupe est faite entièrement des cèpes qui poussent dans nos bois, identiques, j'imagine, à ceux que tu manges chez toi."

Henry, fidèle aux informations reçues, envoya, pour toute réponse un sourire au chef de la maison. Il goûta la soupe dont il se délecta tant, qu'il eut presque honte d'avoir été le premier à finir son bol.

        "En veux-tu encore ?" lui demanda l'ancelle qui l'avait servi.

        Même à elle, au lieu de répondre oralement, Henry fit seulement un signe qui, bien que négatif, demeurait souriant. Achelais intervint encore, puisqu'il semblait que, durant le repas, aucun membre de la famille ne voulut parler, tant ils étaient occupés à goûter la soupe.

        "Tu as raison, ami Henry. Après cela, il y aura d'autres plats… Et je crois qu'ils te plairont."

        En effet, ce que Henry mangea ce soir-là lui fit oublier toutes ses inquiétudes sur son avenir dans ce lieu… Étrange certes, mais pour le moment, très agréable. On lui servit un poisson à la chair blanche et tendre. Très similaire à celle du loup de mer, elle était parfumée aux herbes du maquis, dont les habitants de l'île-continent semblaient avoir le culte. Les pommes de terre cuisinées au four avec le poisson, fondaient dans la bouche et les légumes frais qui l'entouraient étaient croquants comme s'ils venaient d'être cueillis. Après le poisson, ce fut la viande. Délicieuse et tendre comme le filet qu'il avait mangé, à plusieurs reprises, quand il était allé à Dallas, au Texas. Comme boisson, il ne fut rien servi d'autre que de l'eau dont le goût, curieusement, s'adaptait à chaque plat comme l'aurait fait un connaisseur avec des vins. Il se sentait déjà rassasié quand l'une des ancelles, nommée Déjanire, apporta le dessert sur un immense plateau, rempli de toutes espèces de fruits, certains tropicaux, d'autres venants des latitudes plus septentrionales : les poires, les oranges, les pommes, les raisins accompagnaient des mangues, papayes et bananes, qui extasièrent Henry, plus encore que lorsqu'il avait découvert qu'il pouvait voir jusque dans le lointain, ou se sentir déraisonnablement léger.

Quand tout le monde se leva de table pour passer au grand salon, sur un signe convenu de ses parents, Paris prit à part Henry et l'invita, d'une main sur l'épaule, à sortir dans le jardin éclairé par une lune étrangement gigantesque, au moins deux fois plus grosse que les pleines lunes qu'Henry eût jamais vues, au point qu'il crut qu'il s'agissait d'une autre planète. Tout était désormais comme un rêve !

Avec le plus naturel des détachements, Paris répondit à la question qu'il n'avait pourtant pas formulée sur ce mystère : "C'est bien la lune, ne t'inquiète pas ! Nous la voyons aussi grande à cause de l'effet que produit la coupole qui couvre toute l'île."

        "Coupole ?" fit Henry en écarquillant les yeux. "Veux-tu me dire que ceci, au-dessus de nos têtes, n'est pas le ciel ?"

        "Bien sûr que ça l'est, sinon comment pourrions-nous survivre ? C'est assez compliqué pour toi de comprendre comment nous avons réussi à créer cette coupole, je le sais mais sache que c'est une question que je tenterai de t'expliquer de la manière plus simple qui soit. Notre coupole est un champ magnétique ; elle nous cache de l'extérieur nous assurant ainsi, pour le moment, un air parfaitement pur que celui qui…"

        "Que celui que vos ancêtres respiraient il y a presque trois mille ans, n'est-ce pas ?"

        "C'est plus ou moins cela. Bravo, Henry, tu as fait une déduction correcte."

        "Je n'en ai pas de mérite, car c'est ta sœur qui m'a mis sur la bonne voie. Mais dis-moi une chose : et la pluie, hein ? Et le vent ?"

        "Pendant la nuit équinoxiale, si nous considérons le fait qu'ici le jour dure aussi quand c'est la nuit, et que c'est ainsi toute l'année, l'humidité due à l'évaporation diurne se concentre sous la coupole et, à un moment fixé, après minuit, elle tombe au sol sous forme de pluie…"

        "Une eau très pure comme celle-ci, depuis trois mille ans…" fit Henry avec une note ironique.

        "Parfaitement."

        "Et le vent ?"

        "Il n'y a pas de vent chez nous. Seulement les brises de terre et de mer. Mais elles ont une intensité si faible qu'elles te caressent la peau. Chez nous, de jour comme de nuit, la température ce maintien constant depuis la nuit des temps. Soit vingt-huit degrés pendant le jour et quatre ou cinq de moins la nuit, hormis durant les deux heures canoniques de la pluie."

        "Ah, voilà donc ce que j'avais remarqué hier : deux heures de pluie drue mais légère, à cause de l'absence de vent."

        "Elle sert à irriguer les champs et alimenter les bassins fluviaux et lacustres. Un jour, je t'emmènerai visiter notre grand fleuve ; il prend sa source au Mont Ida et traverse l'ensemble du territoire."

        "Qui fait partie du groupe montagneux de l'Olympe, ainsi que me l'a dit Phèdre."

        "C'est vrai."

        "Mais n'est-ce pas que… Osa Henry… Sur ces monts que vivent…"

        Sa voix prit un ton taquin qui ricanait : " Jupiter et les autres dieux ?"

        "Je note avec plaisir que la chose t'amuse. Eh bien, c'est la meilleure façon de découvrir ce monde qui t'est totalement inconnu, et dont les valeurs sont très différentes de celles en usage dans le tien."

        " Où je retournerai au plus tôt !"

Paris, sans tenir compte de ces paroles, continua : "Nous n'avons pas de dieux à adorer et, comme tu t'en rendras compte plus tard, c'est l'un des secrets qui ont fait de nous un peuple ayant réussi à survivre et à créer cet univers. Mais chaque chose en son temps ! Commençons par le commencement ! Nous avons débuté avec la lune. La raison pour laquelle nous la voyons plus grande, exactement trois fois et demie de ce qui est normalement observé dans le monde occidental, est due à l'effet de la calotte qui nous surplombe et tu verras, quand il n'y aura plus de lune, que le ciel nous montrera encore les étoiles et les planètes de manière que nous les distinguerons comme s'ils étaient dix fois plus proches."

        "Et le soleil, alors ?" jubila Henry.

        "Durant le jour, la calotte accomplit une autre tâche très importante : elle fait rebondir les rayons cosmiques plus dangereux dans l'atmosphère extérieure et absorbe seulement les neutrinos et la lumière. C'est pour cela que nous jouissons d'une température constante, typique d'un printemps bien avancé avec une production agricole respectable : nous connaissons trois récoltes par an."

        "Pourquoi, alors, ne voyons-nous pas le soleil agrandi, comme nous voyons la lune ?"

        "Pendant le jour, la protection de la calotte s'inverse en effet, pour repousser les rayonnements ionisants et mieux nous cacher à la vue des êtres de l'extérieur. Après, quand vient le soir, tout, redevient régulier…"

        "Et nous faisons voir…"

        "Je dirais plutôt 'discerner' même le paysage plus éloigné," répondit Paris, ajoutant : "Afin que tu ne fasses pas de confusion, je ne t'expliquerai les choses que peu par peu. Maintenant, tu en sais assez sur notre protection céleste. Médite sur ces nouvelles connaissances et demain soir, nous continuerons. Je pense qu'il serait opportun de rentrer à la maison pour échanger une causette avec mes parents."

        "Une dernière chose, Paris."

        "Oui ? Je t'écoute Henry !" l'exhorta Paris, tandis qu'ils parcouraient la petite allée menant à la maison.

        "Pourquoi ai-je été choisi pour entrer dans cette île ?"

        "Je ne le sais pas. Je peux seulement te dire que nous sommes chargés, ma famille et moi, de nous efforcer de t'aider à t'acclimater. Après ça…"

        "Après… ? Qu'est-ce qui va se passer ?"

        "Je ne sais pas mais, crois-moi, absolument rien de mal !"


2 -   UN MONDE FÉÉRIQUE

 

 

Henry ne réussit pas à s'endormir. Comme le lui avait montré Phèdre, il utilisa la petite télécommande afin que la grande fenêtre de sa chambre glisse silencieusement dans le mur. Le spectacle était fantastique. La pleine lune, à peine couchée derrière les pics noirs et aigus des montagnes lointaines, faisait briller le ciel des étoiles bleu blanc, palpitantes de lumière. C'était donc vrai ce que lui avait dit Paris quelques heures auparavant : étoiles et planètes lui apparaissaient grandes comme des perles. En admirant ce spectacle inouï, il se sentit étouffer d'une angoisse latente qui, maintenant plus que jamais, semblait prête à exploser dans son cœur. Il ne savait pas s'il devait se prélasser devant cette magnificence ou s'attendre à une mort horrible de fin du monde.

Il était dans un lieu alourdi par un silence absolu ; un pays sans insectes, sans oiseaux ni animaux domestiques. Il n'en avait vu ou entendu aucun de toute la journée. Et pourtant… D'où venait alors cette viande délicieuse qu'il avait goûtée. En ce qui concernait les poissons, la mer calme qui contournait l'île devait en être riche, mais les bœufs, les chevaux, les ânes, les chèvres, les moutons et les animaux de basse-cour, où étaient-ils élevés ? Il se détacha de ces sombres réflexions pour s'interroger sur la façon dont les Hellènes pouvaient cultiver des fruits aussi magnifiques, que ceux qui avaient été servis pour le déjeuner, sans la présence de pollinisateurs. Et cette région même, qui lui avait semblé être la pleine campagne, n'en avait nullement l'aspect : toutes les lueurs entrevues au milieu d'une épaisseur verdoyante qu'il avait traversée si rapidement, aux côtés de Phèdre, lorsqu'ils étaient dans l'astromobile, n'étaient, en fait que des panneaux solaires. À quoi servaient-ils donc ? Enfin, il avait pu remarquer que la maison dont il était l'invité semblait en autarcie, tout au moins en ce qui concernait l'énergie et la disponibilité d'eau. La terrasse n'était rien de plus qu'un large panneau accumulant l'énergie qu'elle tirait du soleil, tandis que la pluie nocturne, suffisante pour irriguer les terres, y remplissait aussi les réserves nécessaires aux usages domestique. Il avait bu plusieurs verres de cette eau. Elle était d'une légèreté impensable à trouver dans son monde.

'Désormais,' pensait-il,' il lui faudrait s'exprimer ainsi, pour distinguer cette terre féerique du lieu d'où il venait.'

Aucune eau minérale, pas même la plus chère sur le marché, ne pouvait être comparée à celle-ci.

Ces réflexions aiguisaient sa fantaisie, lui apportant des arguments pour imaginer des choses qui n'existaient peut-être même pas dans ce nouveau monde. Et qui sait jusqu'où sa rêverie l'aurait emporté si, à un moment donné il n'avait commencé à pleuvoir ? Cela arriva d'un seul coup : tout, même le ciel parsemé d'étoiles, était devenu noir. On distinguait seulement les fils de pluie éclairés par la lumière qui émanait de la pièce. Une pluie tranquille et silencieuse, comme celle qu'il avait observée du bateau la nuit précédente, et qui semblait prendre tout son temps pour se laisser absorber par le terrain qu'elle abreuvait. On aurait dit qu'elle ne voulait pas réveiller les dormants, tant elle caressait, à petites touches légères, les toits et le feuillage des arbres.

Ne trouvant plus d'intérêt à rester à la fenêtre, Henry la renferma et alla se coucher. Avec la même télécommande, il éteignit la lumière. Lorsqu'il appuya sur le petit bouton rouge que lui avait indiqué Phèdre, sans qu'il s'en rendît compte, ses pensées arrêtèrent de tourbillonner dans son esprit et il s'endormit.

 

                                         ΩΩΩ

 

Une figure se matérialisa devant son lit, entourée d'un halo de lumière qui réveilla Henry avec douceur. Il crut à une vision et son premier réflexe fut de frayeur mais, alors qu'il la considérait mieux, elle lui sembla soudain familière.

        "Bonjour, Henry," le salua Phèdre d'une voix de velours. "As-tu bien dormi ?"

Il la regarda sans pouvoir diriger son regard ailleurs, car elle seule apportait un pan de lumière dans la pièce. Il contempla silencieusement, et avec plaisir, sa belle silhouette couverte seulement de voiles bleuâtres transparents, qui laissaient entrevoir ses formes sculpturales et l'intimité des seins dressés et bien proportionnés. Henry ne pouvait pas faire mine de détourner son regard ailleurs car tout le reste de la chambre était plongé dans la nuit. Seule, la jeune fille était visible. Il resta muet devant son visage, parfaitement impassible, même lorsque Phèdre s'approcha de son lit et, avec une indifférence non feinte, s'assit contre son flanc. C'était une situation assez ridicule pour le jeune homme : avec la lueur diffuse que semblait dégager son corps, la jeune fille lui paraissait être une réplique, en plus grand, de la fée Clochette, héroïne du conte de Peter Pan. Elle se rendit compte de sa gêne et, s'appuyant contre lui, jusqu'à lui heurter les jambes, elle enfila sa main sous l'oreiller d'où elle sortit la petite télécommande qu'elle impulsa pour ouvrir la fenêtre. Son geste, cependant, fut interprété différemment par Henry qui, enivré par le parfum du corps de Phèdre dont le visage venait d'effleurer le sien, l'embrassa chastement sur la joue. Jamais il n'avait éprouvé une sensation de désir si ardent au contact d'un autre corps. Ses bras se dérobèrent juste au moment où il était sur le point de l'étreindre, tandis qu'elle, en un mouvement élégant, se retirait pour rejoindre la fenêtre. Si elle avait été une jeune femme dans le pays des hommes, elle aurait dit : "Regarde quelle belle journée et comme le soleil rend éclatantes toutes ces couleurs !"

Mais elle était une Hellène et pour elle, ç'aurait été pléonastique de dire cela, puisque, dans son pays, toutes les journées étaient belles : le soleil y était présent au quotidien, douze heures sur douze ; la nuit était toujours sereine et, toujours aussi sereinement, environ deux heures après minuit, quoique ce ne fût pas à heures fixes, du ciel temporairement obscurci par les nuages, une eau tombait que, dans le monde occidental on aurait appelé pluie. Mais en ce pays-ci, ses gouttelettes étaient semblables à une caresse humide. Comme un troupeau contrôlé par un berger céleste, elle tombait sans bruit et, sans doute à cause d'une gravité moindre que sur la terre, on aurait dit un manteau liquide enveloppant la croûte terrestre et apportant la sensation d'un massage aquatique bienfaisant après une trop longue exposition au soleil.

Cependant, bien que Phèdre ne lui parlât pas d'une telle évidence, Henry la rejoignit et s'installa à ses côtés, auprès du rebord de la fenêtre. Il admira encore le magnifique paysage, si brillant, qu'il avait déjà vu, c'est vrai, mais si riche de nouveaux détails à chaque regard. Ainsi, cette fois-ci, ce furent les brillants miroirs disséminés dans la campagne qu'il distinguait bien et… Mais oui, enfin ! Il vit les animaux et les agriculteurs qui s'occupaient des cultures. Il ignorait comment mais ils devaient lui avoir été cachés le jour précédent ! Il vit aussi un groupe d'enfants jouant sur la plage et une personne qui, se promenant sur le quai, se rapprochait de son bateau.

        "Que va-t-il faire sur mon bateau," demanda-t-il à Phèdre, qui, depuis qu'il l'avait rejointe, fixait son visage, sur lequel une expression d'étonnement naïf était imprimée.

        "Il ne va pas sur ton bateau, Henry ; il s'en approche simplement, pour mieux l'observer," répondit-elle suavement. "Ici, personne ne se permettrait de telles indiscrétions."

Le temps était venu de prendre la balle au bond pour tenter d'en savoir plus sur ce peuple mystérieux.

        "Pourquoi, est-ce interdit par la loi ?"

        "Il n'y a pas besoin de la loi pour ne pas faire une chose pareille. Nous ne le faisons pas et ça suffit."

        "Ce qui signifie ?"

        "Que chacun de nous agit comme ça. Cela fait partie de notre comportement habituel."

        "Voudrais-tu dire que, dans cette île, personne ne vole ?"

        "Voler ?"

        "Oui, voler ! C'est-à-dire prendre des choses qui ne t'appartiennent pas."

        "Ridicule, s'exclama Phèdre en riant. Nous ne concevons pas certaines actions qui chez nous ne peuvent simplement pas se produire !"

        "Même pas… Qui sait… Avoir la curiosité de toucher quelque chose de nouveau, comme mon bateau ou, tout simplement, de s'y introduire pour le visiter ?"

        "Pas du tout ! Et puis un bateau n'est pas une nouveauté pour nous. Rien de ton monde ne nous est inconnu et c'est ce qui permet à mon peuple de vivre. Mais, comme je te l'avais déjà dit, Paris t'expliquera tous ces aspects techniques, quand il sera là."

        "Vous-mêmes, vous travaillez, donc…"

        "Bien sûr que nous travaillons, tous ! Notre organisation sociale est similaire à la vôtre, si ce n'est qu'ici, le travail est garanti à chacun selon ses capacités, ses mérites et ses qualités !"

Comme devant ces cerises cramoisies, grosses, compactes et tellement savoureuses qu'on ne peut cesser de les manger, ainsi monta en Henry un fort appétit de questionner encore Phèdre dont les arguments de comparaison étaient si nombreux qu'il eût voulu en découvrir toutes les similitudes, sentant qu'elle ne les lui dévoilait qu'à peine. Mais la jeune fille s'éloigna de la fenêtre et lui murmura : "Habille-toi. On t'attend pour le petit-déjeuner en bas !"

        Cet ordre suffit pour que l'Américain se rende mollement et, bien qu'insatisfait, réponde au léger signe de main de Phèdre, qui glissait déjà hors de la pièce, avec un hochement de tête fatigué.

C'était étonnant de voir comme Hécube, pourtant maîtresse de la maison, parlait peu ! Peut-être aurait-elle été la seule à se trahir, lâchant des paroles qui auraient ouvert l'esprit d'Henry ? Mais l'épouse de Achelais, lequel était d'ailleurs l'unique personne à proférer quelques phrases anodines quand la famille se réunissait autour de la table, ne parlait que par ses yeux, qu'elle avait expressifs et bleus comme le ciel du matin et qui, d'un regard cérémonieux, saluaient leur invité plus chaleureusement que s'il était un fils, ou avisaient gentiment les deux ancelles, pour approuver ou rejeter leur travail. Il y en avait sûrement une autre en cuisine, qui préparait ces mets délicieux, quand bien même on ne pouvait pas considérer le petit-déjeuner comme un véritable repas, du moins selon les usages Américains. Puisque, dans cette maison on ne mangeait qu'une fois par jour, on se contentait, le matin, de siroter simplement quelques tasses de café que l'on additionnait ou non de lait et que l'on adoucissait d'un sucre à la couleur citrine, filandreux au toucher.

        "Mets-en un peu plus, Henry," assura Achelais, le voyant diriger une main incertaine vers le bol de sucre. "L'édulcoration sera toujours la même, mais ton énergie sera renforcée et, puisque tu n'as pas l'habitude de rester à jeun jusqu'au coucher du soleil, cela gardera ton corps vigoureux pour toute la journée."

        "Ce n'est pas seulement du sucre, alors ?" questionna timidement Henry.

Achelais ne proféra plus d'autre mot, mais se comporta, à l'égal de sa femme, en envoyant à son hôte un regard d'approbation bienveillante.

                                      ΩΩΩ

 

Plus tard seulement, quand tout le monde quitta la table, Paris invita Henry à le suivre dans le jardin pour une promenade dont il avait l'habitude avant de se rendre dans la Capitale où il exerçait son métier d'ingénieur dans une grande industrie.

        "Phèdre m'a rapporté que tu voudrais comprendre des choses sur nos technologies. Il y a tellement des choses à t'expliquer qu'on a demandé à mon père, Achelais, de t'héberger durant un mois."

        "Un mois ! Mais je dois rentrer à New York où j'ai une série d'engagements que…"

        "Oublie tout cela ; tu dois rester ici !" répliqua Paris avec, pour la première fois, un froncement de sourcils qui n'admettait pas de réplique. "Mais rassure-toi. Dès que tu connaîtras mieux certaines choses qui te permettront de te déplacer librement dans notre domaine, tu seras convoqué par l'Archonte. Tu verras alors que tout te sera rendu plus facile !"

        "Par l'Archonte ! Mais qui est donc ce personnage mythique qui semble n'avoir ni nom ni figure distincte ? Un ogre ?"

        "Non, certes non !" répondit Paris qui ne put retenir un sourire. "L'Archonte est un Hellène comme moi ; il est la plus haute personnalité institutionnelle qui, dans notre gouvernement, exerce ses fonctions pendant un an."

        Et, après une longue réflexion, Paris ajouta : "Un des nôtres, pour sûr…"

        "Qu'est-ce signifié un an chez les vôtres ? Serait-ce, par hasard…"

        "Voilà ce que Phèdre m'avait demandé de t'expliquer. Un an chez nous vaut quatre ans de ton monde que nous appelons occidental. Oui, nous ne considérons pas comme 'moderne' une grande partie de vos peuples, encore beaucoup trop arriérés dans la civilisation…"

        "Tu ne voudrais pas me dire, j'espère, qu'un mois…"

        "Exactement. Multiplie aussi ça par quatre !"

Et, devant la consternation qu'il vit sur le visage congestionné d'Henry, il ajouta : "hé gars, ne t'inquiète pas. Tu te rendras vite compte combien il est agréable de vivre sur l'île de Kallitala."

C'était comme manger quelque chose que l'on aime beaucoup quand on n'a pas faim. Tel était l'état d'esprit d'Henry, soucieux à l'idée de ne plus rentrer chez lui, pour reprendre sa vie, même si elle était un peu décousue, comme toujours ! Il se sentait prisonnier au point qu'il n'osait même pas y penser. Néanmoins, il ne pouvait faire taire son subconscient, lequel instillait en lui la peur d'être sacrifié sur cette île mystérieuse. Après tout, qu'est-ce il savait de ce peuple d'Hellènes ? Car, même s'il était pacifique, il l'avait néanmoins attiré dans son rayon d'influence. Cela devait bien avoir une raison fondée, sinon…

        Qui sait combien d'autres hommes, de notre monde qu'ils nomment occidental, ont été pris dans leur toile d'araignée ?'

Henry ne pouvait plus apprécier pleinement la belle campagne où Phèdre venait de le rejoindre pour une promenade, pas plus que la beauté des oiseaux qu'il pouvait toucher sans qu'ils s'enfuient à leur passage. Certains même semblaient venir rechercher les doigts gracieux de son accompagnatrice pour qu'elle lissât leur petite tête. De même, il n'appréciait plus les formes de Phèdre, qu'il pouvait entrevoir sous les voiles du péplum d'une transparence étrange qu'endossait la belle Hellène.

Un soleil d'éternel printemps, dont les rayons accompagnaient une brise caressante, donnait la sensation que les Hellènes vivaient dans un paradis. La propriété de campagne des Achelais devait être immense, car sa montre indiquait qu'ils avaient déjà quitté la maison depuis deux heures et ils n'étaient pas encore en vue des bornes qui la délimitaient. Pourtant, Henry se sentait léger comme s'il ne devait plus jamais être fatigué de marcher. Les quelques agriculteurs qu'ils avaient rencontrés durant ce long itinéraire, bien que pris par leurs tâches, se montrèrent gentils et serviables et ils offrirent à Henry cette même eau qui lui semblait magique tant elle était légère et agréable.

Les arbres étaient chargés de fruits de toutes sortes, sans aucun défaut et de taille anormalement grande. Les vignes portaient des grappes dont les grains étaient dorés et aussi gros que des noix. Phèdre lui expliqua que cette espèce de raisins n'était pas appropriée pour faire le vin, mais uniquement pour être consommée sur table. De plus, sur l'île de Kallitala, il ne serait venu à l'esprit de personne de produire de l'alcool pour la simple raison que cette boisson ne plaisait à personne. L'eau qu'on lui présentait avait le double avantage de garder le corps dans une santé parfaite et d'avoir un goût dont les variations étranges permettaient de convenir à n'importe quel plat.

        "Ah !" s'exclama Henry. "Je voulais justement t'interroger à ce sujet. Et j'espère que, cette fois, tu ne me renverras pas vers Paris pour obtenir une explication ! J'ai remarqué que vous, Hellènes, quel que soit votre âge, vous êtes tous d'une fraîcheur éclatante, révélatrice d'une parfaite santé."

        "Oui, c'est vrai. Cela est dû à notre alimentation, à l'air que nous respirons et au fait que, dans le dôme qui enferme notre ciel nous protège des maux dus aux écarts de température, aux vents déchaînés, et à la salinité. Pour cette raison…"

        " Vous vivez quatre fois plus longtemps que n'importe quel être humain de chez moi," l'interrompit Henry, dont la voix neutre cachait mal une terreur intérieure.

        "Qui t'a dit ça ?"

        "Je le pressens d'après les informations que m'a données ton frère. Ici, chez vous, un mois en vaut quatre des nôtres et, de même pour un an. Il est donc facile d'en déduire que, même ton âge doit être recalculé d'après les temps du monde d'où je viens. Je dois donc le multiplier par quatre. Si j'en juge en ce qui concerne ta personne, tu ne sembles pas avoir plus de dix-huit, alors…"

        "Selon tes temps, j'en aurais soixante-deux !" plaisanta Phèdre. "Mais j'en ai dix-huit et, je t'assure, ils sont authentiques ! Chez nous, on n'arrive pas à atteindre des chiffres aussi avancés que chez toi. L'Hellène le plus vieux qui existe à Kallitala ne dépasse pas les soixante ans. Mais il est vrai le temps ne s'égrène pas de la même façon ! Et, même à cet âge avancé, le temps ne montre aucun signe d'une grave décadence physique et quand nous mourons, cela nous arrive sans souffrance. Simplement, comme dans un souffle bref, notre âme nous quitte."

        "Pour aller où ?" demanda Henry, plus intéressé de sonder quelle pouvait être leur religion que de savoir où irait s'abriter leur âme.

        "Comment, à quel endroit ? L'âme s'en va, c'est tout. Elle disparaît, puis devient l'air qui est respiré par tous les êtres vivants de cette terre !"

        "Mais comment ça ? Elle ne va pas atteindre son Créateur…" Et, regardant le ciel, Henry ajouta, avec une note d'humilité : " là-haut, dans le Paradis ?"

        "Mais serais-tu fou ? Stupide, comme tous les hommes ! Vous n'avez pas encore compris, dans votre millénaire à demi-civilisé, que la meilleure religion est de ne pas en avoir ? Et encore, si l'on parlait d'une religion…" renchérit Phèdre, légèrement agacée à l'idée d'une polémique naissante. "Mais une seule religion ne vous suffisait pas ; vous en avez inventé des dizaines ; que dis-je : des centaines et vous vous égorgez malgré tout, puisque la plupart de vos pseudos religions sont meurtriers !"

        "Ah non ! Cela n'est arrivé qu'une fois ; lors de l'Inquisition…"

        "C'est une blague ? Regarde mieux ce qui se passe dans votre monde ! Les jeunes musulmans se sacrifient au nom d'un dieu, dans le seul but de tuer le plus grand nombre possible de ses semblables. Quel genre de religion est-ce ? Penses-tu vraiment que Dieu, s'il existait, accepterait cela ? Qu'il ne foudroierait pas instantanément ceux qui programment ces meurtres ? Pourquoi penses-tu que nous nous sommes isolés et que nous avons refusé d'être recensés dans la race des humains ? Nous sommes Hellènes, mais nous pourrions tout aussi bien être des singes, des poissons, des chevaux, des chiens ou toute autre espèce d'êtres vivants… Mais des hommes ? Ah non, jamais ! Des centaines des générations ont vécu ici, sans conflit, heureux que le souffle dont nous jouissons nous conduise au plaisir de vivre. Nous ne nous berçons pas dans l'illusion que, à la fin de cette vie, il existe quelque chose de similaire à ce que vous dites. Cela est une invention, plus dictée par la peur que par des convictions scientifiques !"

Henry ne connaissait pas grand-chose à la théologie. Il n'était qu'un ingénieur, un scientifique employé dans un grand laboratoire ; et même s'il avait été un théologien érudit, il pensa que, face aux arguments de la jeune fille, il n'aurait rien eu à opposer. En effet, il devait convenir avec Phèdre que ce qui se passait au Moyen-Orient ne pouvait, en rien, mériter une récompense dans l'au-delà, même si ses propres expériences l'avaient réconforté. Sans le souffle de la vie, qui est l'âme de chaque individu vivant, celui-ci deviendrait-il donc une chose inerte, dissoute, au fil du temps par des enzymes et des agents atmosphériques ? Certes, moins rapidement que les autres corps, puisque, pour répondre à une sont protégés dans des cercueils, à l'abri de ces destructeurs. Dans de nombreux cas, même, on les clôt à l'intérieur d'un caveau ou d'un petit sanctuaire.

Pourtant, l'argument ne convenait pas tellement à la magnificence de la campagne environnante et foisonnante de mille expressions de vie. Aussi, Henry estima judicieux de ne pas continuer à stimuler les remarques de Phèdre, même s'il mourait d'envie de l'interroger plus avant pour satisfaire sa curiosité. Le meuglement d'une vache, amplifié par l'écho, vint à sa rescousse. Ils étaient effectivement en train de s'approcher d'une étable. Dressé face à eux, c'était un bâtiment dont l'étrange forme cylindrique avait l'apparence du métal. Couleur aluminium, il ressemblait à la carlingue d'un avion, dont les dimensions auraient été plus que décuplées.

Tout y était d'un ordre presque antiseptique. Henry y vit seulement une vache couchée sur la paille. Deux personnes la soignaient et l'une des deux vint à leur rencontre, en s'adressant à Phèdre. Les quelques mots qu'elle prononça semblaient inintelligibles.

        "Orphée, parle anglais, afin que notre invité puisse te comprendre," réclama Phèdre, d'un geste élégant de la main vers Henry qui se trouvait à quelques pas derrière elle.

        "Je disais donc à Phèdre, que la vache est sur ​​le point d'accoucher. Elle et son veau sont tous deux en bonne santé. Nous lui avons inoculé un Stetopan pour qu'elle ne souffre pas et, si tu l'as entendue mugir, c'est seulement parce qu'elle a eu peur. Elle est jeune ; c'est son premier vêlage !"

        "Du Stetopan ?" interrogea-t-il discrètement en direction de Phèdre. "Est-ce un médicament ?"

        "Non, c'est juste une invention que nous utilisons depuis des temps immémoriaux pour effacer la douleur."

        "Un narcotique, alors ?"

        "Oui, je comprends ce dont tu parles. Mais les drogues n'existent pas chez nous. Le Stetopan annule la douleur et ça suffit. En prendre, c'est comme boire un verre d'eau… De la nôtre, bien sûr !" elleajouta, malicieuse.

        "Et tout le monde, alors…"

        "Non, mon cher Henry. Seulement en cas de besoin. Une juste dose de douleur dans notre vie nous procure l'avantage d'avoir droit à une part également juste de plaisir," insinua Phèdre dont les mots caressants n'étaient pas exempts d'une certaine intention…

Intention qu'Henry prit à la volée : "Ah, voilà une chose intéressante. Je croyais que le sujet serait tabou. Tu parlais bien de plaisir sexuel ?"

        "Aussi… Même si nous tirons surtout plaisir de bien d'autres choses. Pourtant, sois rassuré, mes compatriotes n'ont pas de ces interdits que vous appelez tabous. Il y a des règles tellement fondamentales, qu'il nous semble si naturel de respecter ! Toutefois, si la question du sexe te démange, je suis prête à y répondre… Quand tu veux !"

        "Je voulais dire…" balbutia Henry, soudain craintif de blesser la sensibilité d'une jeunette de dix-huit ans, " quand vous vous aimez… C'est-à-dire… Je voudrais savoir si…"

        "Si nous formons des couples ?" répondit Phèdre sous une nonchalance qui masquait à peine un petit rire. "Bien sûr que nous le faisons. Notre conduite de vie est similaire à l'Occidental. Seulement, nous n'avons pas de ceux à l'exclusion des certaines aberrations morales et matérielles dont vous, malheureusement, ne pouvez plus vous passer."

Henry ne remarqua pas ses derniers mots. Il voulait ramener la conversation sur le sujet que lui tenait à cœur : "Et l'amour libre ? Toi, par exemple, tu n'es pas mariée ? Est-ce que tu fais l'amour avec quelqu'un ?"

Aucunement troublée, Phèdre répondit : "Seulement avec celui qui sera mon mari."

        "Vas-tu en ville pour retrouver ton… Fiancé ?"

        "Je n'en ai pas. Mais je n'aurais aucune difficulté à le rencontrer. Car, même si tu ne l'as pas remarqué, il y a beaucoup d'habitants sur ce domaine ; et beaucoup des jeunes entre dix-huit et trente-cinq ans. Je n'aurais que l'embarras du choix !"

        "Et tu ne penses pas à te marier ? À moins que tu sois un autre genre de femme que celles destinées à la procréation ?"

        "C'est une question vraiment stupide. Je t'ai déjà dit que nous menons une vie semblable à la vôtre ! Seulement, compte tenu de l'espérance de vie dans notre Pays, dix-huit ans c'est très jeune pour convoler en justes noces."

        "C'est vrai, ça serait comme vivre en couple jusqu'à deux cents quar…"

        "Précisément. J'ai du temps devant moi, ne crois-tu pas ?"

Cette question lui ferma la bouche et Henry se sentit vraiment sot. Assez pour s'interroger à nouveau : "Mais que voulaient-ils de lui ?"

Ils étaient un peuple heureux ; ils vivaient quatre fois plus longtemps que les humains, buvaient de l'eau vivifiante, mangeaient des mets délicieux, respiraient un air pareil à celui de l'aube du monde animal, se réjouissaient de douze heures d'un généreux soleil chaque jour, alors qu'il ne pleuvait que deux heures par nuit. Ils n'avaient donc ni froid ni trop chaud, ne connaissaient ni les orages ni les vents impétueux ; leur île, cernée d'une mer limpide et calme comme un lac, devait être de pure beauté s'il fallait en croire le peu qu'il avait vu et, il en aurait même fait le pari, les poissons s'y multipliaient autant que pour la pêche miraculeuse de l'Évangile ; ils pouvaient être aussi facilement capturés et mangés ! Les Hellènes ne manquaient donc de rien. Alors, qu'est ce qui pouvait bien les intéresser chez un ingénieur de recherche, fut-il spécialisé en physique énergétique ?

"Allons voir les vaches et les bœufs en pâturage. Veux-tu ?" proposa Phèdre et, devant le hochement de tête pensif d'Henry, elle ajouta : "Dépêche-toi, il y aura au moins un autre quart d'heure de marche !"

Accélérant, sans aucune difficulté, le pas derrière la jeune fille, Henry pensa combien les habitudes de la famille Achelais étaient étranges. Marcher autant pour visiter une campagne illimitée, alors qu'ils avaient cette confortable astromobile avec laquelle ils auraient déjà tout vu, en un temps minimum lui paraissait une aberration !

Il sembla que Phèdre ait lu dans son esprit.

        "Notre famille dispose de deux automobiles. Celle avec laquelle je t'ai conduit à la maison appartient à mon père. Aujourd'hui, il l'a prise pour aller avec ma mère à Poséidon. L'autre est celle de Paris qui, comme tu le sais, travaille dans la même ville."

Puis, scrutant son compagnon dans les yeux, elle lui demanda : "Es-tu fatigué ? Ça te pèse vraiment autant pour marcher ? J'espère que tu t'es rendu compte que, par l'effet d'une magnétisation différente, notre poids est beaucoup plus léger que dans le monde d'où tu viens ?"

        "De combien ?"

        "Un bon quarante pour cent, je pense. Mais Paris saura être plus précis, quand il rentra ce soir. C'est sa tâche de te révéler progressivement certains points techniques."

        "Mais pourquoi, Phèdre ?"

        "Je n'y suis pas autorisée, c'est aussi simple que cela. En temps voulu, ce sera Achelais qui te dira la finalité de tout cela."

La désillusion d'Henry s'évanouit lorsqu'ils arrivèrent dans une belle vallée, lisse comme un tapis et verte comme l'émeraude, parsemée des nombreuses taches blanches en mouvement. C'était le troupeau de bovins appartenant aux Achelais. L'effet était stupéfiant : Si les Occidentaux avaient eu de tels paysages, ils les avaient oubliés depuis longtemps. Peut-être que, du temps de la Grèce antique…

Au milieu de la vallée coulait une rivière placide et à mesure qu'ils approchaient du lieu où paissaient les bœufs, ses berges se couvraient de milliers de fleurs aux couleurs chamarrées. Il manquait Nausicaa et ses jeunes compagnes jouant là, pour compléter la vision d'enchantement qui s'était formée dans son esprit quand il avait étudié l'Odyssée.

        "Voilà là-bas Ménélas et Agamemnon qui arrivent," dit Phèdre. "Ils sont les deux gardiens de nos vaches."

        "Mais Phèdre ; comment pouvez-vous donner des noms aussi importants à des vachers ? N'est-ce pas irrévérencieux ?"

        "Balivernes ! Nous utilisons les prénoms de la mythologie grecque par simple tradition, parce que c'est de là que sont venus nos ancêtres, les premiers à s'installer ici ; ceux qui ont créé sur cette île l'environnement adéquat à une vie saine. Mais, et je te l'ai déjà dit, c'est le seul lien, que je qualifierais de légère faiblesse affective. Que veux-tu ? Nous ne sommes pas religieux, mais les traditions et le folklore nous collent à la peau ! Je dois te préciser, toutefois, que chacun dans notre pays a une tâche spécifique, librement choisie. Ceux-ci sont frères et ils ne sont pas des vachers, au sens où tu l'entends, mais deux professionnels qui exercent leur tâche avec âme et conscience. Ce sont eux qui fabriquent ensemble, aidés d'autres personnes, les fromages et tous les produits dérivés du lait."

        "Je suppose qu'ils abattent aussi les bêtes ?"

        "Ce que tu dis, Henry, est une énormité ! Que je te pardonne, considérant que tu ne nous connais pas encore," répliqua Phèdre quelque peu fâchée. "Nous ne tuons pas les animaux ; ils sont nos compagnons de vie et ils participent, comme tous les Hellènes, à rendre prospère et habitable l'île de Kallitala."

        "Désolé, Phèdre, je l'ignorais," répondit humblement l'Américain.

Mais se rappelant soudain ce qu'il avait mangé la veille, il ne put réprimer une question : "Mais la viande que nous avons mangée à table… D'où venait-elle alors ?"

        "Ce n'était pas de la viande, mais un produit végétal qui, après un traitement particulier, prend la forme et le goût de la viande. Les Hellènes sont partiellement végétariens depuis des milliers d'années car, en dépit de ne pas avoir de religion, lorsqu'ils sont arrivés sur l'île avec leurs animaux, après avoir connu et partagé de nombreuses difficultés ensemble, ils établirent, dans la Constitution du nouvel État, l'égalité des droits à la vie, que ce soit pour eux-mêmes ou pour tous les animaux terrestres. Malheureusement, nous n'avons pas autant de variétés que dans le monde occidental, parce que l'île n'était jadis habitée que par des oiseaux, des insectes et des poissons. La seule chair que nous consommons, dans le sens où tu l'entends, c'est celle des poissons. Paris t'en expliquera la raison. Quant aux animaux terrestres, ils nous suffisent, les uns pour nous aider à survivre, et les autres pour réjouir notre existence."

        "Je n'ai vu ni chevaux ni ânes," ponctua Henry qui, peu à peu, ne s'étonnait plus aussi aisément.

        "Il n'y en a pas !" soupira la jeune fille. "Dans le périlleux voyage à travers l'océan, nos ancêtres préférèrent embarquer sur leurs navires seulement les animaux qui auraient produit de la nourriture pour leur survie. Des vaches, un taureau, des poules, des oies et des coqs… Et puis des moutons et des chèvres ! Au fil des siècles et des accouplements, ces dernières se sont muées en diverses races, c'est pourquoi aujourd'hui, des bouquetins, des mouflons, des chamois, des chevreuils et des daims, peuplent nos forêts, nos montagnes et nos espaces à jachère. Et, bien sûr, nous avons aussi des poules et des coqs et puis," elleajouta d'un sourire entendu, "les découvreurs de ces terres n'ont pas négligé de prendre aussi avec eux deux couples de chiens et de chats."

        "Dommage," intervint Henry, "avec tous ces animaux, ils auraient résolu le problème de la nourriture, dans l'attente des premières récoltes."

        "Ils en ont trouvé en abondance dans les plantes sauvages. Spécialement des fruits tropicaux que nous cultivons encore. Ils en furent bien heureux, parce qu'ils s'étaient attachés aux animaux qu'ils avaient amenés et qui, comme eux, avaient souffert et supporté pendant des jours et des jours, la faim et la soif, sans un gémissement, comme s'ils avaient été conscients d'approcher de terres paradisiaques."

        "Et ce que j'ai vu jusqu'à présent est vraiment un paradis !" admit Henry.

        "Ce n'est pas comme vous, les humains, pouvez l'imaginer. Ce lieu a été la terre promise, ça oui ! Mais c'est grâce à la détermination des premiers colons, à leur travail et à leur sens aigu de leurs responsabilités ; grâce aussi, à l'aide des animaux, que nous avons obtenu les résultats actuels. Depuis des siècles, lorsque vos, hommes s'égorgeaient dans des batailles ou dans des pièges déloyaux, nos ancêtres atteignaient un tel degré de technologie qu'ils purent garantir à chacun une vie agréable et durable sur l'île de Kallitala."

        "À partir d'où vous pouvez sûrement conquérir le monde entier. D'après ce que j'ai déjà remarqué, en voyageant à bord de votre petite astromobile…"

        "Nous ne voulons conquérir rien ni personne. Notre technologie, que te détaillera Paris, ne doit pas aller au-delà des limites qui peuvent répondre aux buts des Hellènes," répondit Phèdre, avec une pointe de ressentiment.

Aussi, Henry estima sage de ne plus oser ni questions ni déclarations insociables. Il ferait mieux, se dit-il, de garder la bouche fermée et de rester à écouter tout ce qui se disait autour de lui. Si, comme rapporté par les deux frères, il devait rester un mois - et donc quatre mois terrestres - sur cette île, il avait tout intérêt à apprendre tout ce qu'il pouvait, concernant les choses étranges qui n'existaient pas dans son Occident. Ainsi, une fois qu'il aurait réussi à rentrer chez lui, il pourrait faire fructifier ses nouvelles connaissances.


3 -   PASSION TERRESTRE

 

 

Mais ont-ils des sentiments, ces Hellènes ?'

        C'est ce qu'il se prit à penser quand, après son retour à la maison avec Phèdre, laquelle lui avait semblé si maussade qu'il n'avait plus osé lui poser de questions, Henry se retrouva à table avec toute la famille. Pour l'accueillir dans la salle à manger, Phèdre alla à sa rencontre et, joyeuse, l'embrassa sur la joue, sans cérémonie, devant ses parents, son frère Paris et l'une des ancelles. Son contact agita le sang de Henry. Mais qu'avaient-ils donc de magique, ces êtres auxquels il suffisait d'effleurer la main pour qu'ils vous transmissent des sensations physiques aussi sensuelles. Un simple baiser sur la joue n'était qu'une expression d'amitié dans le monde occidental, tandis que là, il lui semblait retentir comme un appel à l'amour… Auquel il se sentait volontiers près de répondre.

C'est donc le cœur joyeux, évidemment accompagné d'un grand appétit, que Henry consomma le repas du soir. Celui-ci se composait de deux plats principaux, d'un goût exquis. Une soupe de denté et légumes, où les morceaux de poisson avaient été coupés en si petites bouchées qu'elles fondaient dans la bouche, y laissant une saveur délicate et voluptueuse. Lorsqu'il se rendit compte qu'il avait été le premier à terminer son assiette, Henry eut un peu honte d'avoir mangé aussi goulûment. D'autant plus qu'il ne put empêcher l'ancelle chargée du service, de remplir à nouveau son bol. Henry, gêné, regarda ses hôtes. Mais aucun d'eux n'eut vers lui un regard, ne serait-ce que pour exprimer une bienveillante ironie. Chacun semblait n'avoir d'autre préoccupation que de manger, avec sérieux, ce qui restait dans sa propre assiette.

Puis une tranche épaisse composée de ce végétal qu'avait mentionné Phèdre, et similaire à de la viande, plus précisément à du filet de bœuf, fut servie accompagnée d'une garniture de frites, bien rissolées. Après ce plat délicieux, Henry se sentit tellement rassasié, qu'il renonça à se servir de fruits. Phèdre crut alors bon d'intervenir aimablement, pour le presser de ne pas négliger le bon équilibre nutritionnel qu'il en recevrait : "Les enzymes de nos fruits t'assureront une parfaite digestion !"

La tarte meringuée qui suivit était attrayante, tant pour l'œil que pour l'odorat et il en aurait bien goûté une tranche. Cependant, il dut renoncer car la part supplémentaire de soupe de poisson lui avait vraiment calé l'estomac. Il se promit qu'au prochain repas, il serait plus prudent et mangerait moins avidement au cours du premier service. Et le jeune marin se prit à penser que, même à table, Il devrait prendre l'habitude de se tenir comme ceux qui l'hébergeaient.

Avait-il décidé de faire contre mauvaise fortune bon cœur, au point d'admettre qu'il puisse demeurer à Kallitala ? Son absence aurait sans doute comme conséquence la perte de son emploi à New York. Au pire, on l'imaginerait perdu à jamais dans l'océan ! Henry avait bien pensé à une fuite nocturne avec son bateau, se disant qu'on ne pourrait pas le contrôler sans cesse. Mais, soit qu'il fût sollicité par la curiosité d'apprendre et de comprendre les mystères de cette île, soit qu'il fût poussé par l'opportunisme et convaincu que cet apprentissage lui permettrait de gagner un bagage culturel et technique tel que, une fois rentré aux États-Unis, il pourrait les mettre en pratique. Henry se voyait déjà devenir un scientifique de renommée mondiale, révolutionnant le mode de vie de son monde occidental, riche à million au point de ne savoir que faire de tant d'argent ! Soit enfin, qu'il appréciât plus qu'il ne voulait bien l'admettre de se trouver soudain affranchi de la présence de Liza, laquelle lui avait procuré tant d'angoisses ces derniers mois qu'il s'était enfui de sa présence, jusqu'au point plus extrême de la Floride, il semblait désormais résigné à passer avec ses hôtes une grande partie des temps à venir.

Comme d'habitude, Paris le convia pour une promenade dans leur magnifique jardin. L'obscurité avait soudainement envahi les lieux, mais un éclairage efficace et parfait restituait, aussi belles que sous le soleil, les couleurs vives des haies épaisses, parfaitement égalisées, et des fleurs qui semblaient ne jamais fermer leur corolle.

        "Phèdre m'a dit que vous étiez allé visiter notre campagne. As-tu rencontré Agamemnon et Ménélas ?" demanda Paris à un Henry tout absorbé dans la contemplation du ciel étoilé.

        "Une belle campagne, vraiment…" grommela le jeune homme, d'un air peu intéressé à ressasser ces souvenirs. "Et toi, ce soir, de quoi as-tu décidé de m'entretenir ?"

        "Tu as remarqué, je pense, ce qu'étaient les bases de notre survie. Particulièrement en ce qui concerne notre nourriture. C'est la raison pour laquelle nous tenons en grande considération la fertilité de nos terres !"

        "Eh bien, même nous, nous avons les mêmes attentions envers nos terres et nos récoltes !"

        "D'après les informations que nous recevons en abondance, jour après jour, on ne dirait pas ! Vos modifications génétiques sont tardives, la pollution atmosphérique et celle des eaux souterraines persistent, vous détruisez des forêts entières, de façon démentielle ; de nombreuses races d'animaux sont en voie d'extinction alors que votre population augmente de façon alarmante !"

        "Eh, mais…"

        " Et, par conséquent," continuait Paris, sans se laisser interrompre, "des maladies nouvelles se développent, vous n'avez aucun contrôle pour la lutte contre les ravages de tous ordres : vos fourmis se comptent en milliers de milliards, vos souris dépassent quatre fois le nombre déjà important des êtres humains, dont la plupart souffrent encore de la faim… Et puis, vos guerres…"

Reprenant son souffle Paris jeta : "Les guerres ! La liste qu'on pourrait en faire serait aussi longue que le périmètre de notre petit continent !"

Refusant de se laisser toucher par cette exposition des événements tragiques du continent occidental, Henry prit la balle au bond, sous le prétexte de s'enquérir : "À propos, quel est le périmètre de Kallitala ?"

        "Tu le sauras en temps voulu. Ce n'est particulièrement important pour toi, maintenant."

        "En quoi serait-ce plus important pour moi, plus tard ?" répondit Henry avec acrimonie.

        "Ne sois pas nerveux, mon ami. J'ai la tâche, ou mieux, nous tous avons le devoir de te guider dans la façon de vivre de notre Pays."

        "Vous… Tous… Qui ?"

        "Phèdre et moi. Ensuite mon père Achelais qui te donnera les explications principales, en temps utile et, enfin, tu seras accompagné à Poséidon, où tu seras reçu par l'Archonte."

        "Mais pour quoi y faire ?"

        "Freine ta curiosité, ami Américain. Ou du moins, garde là pour ce que nous aurons à te faire découvrir."

        "OK, je t'écoute. Quel sera le sujet de ce soir ?"

        "Ce soir…" commença Paris, avec un ton de voix flûtée, en posant amicalement sa main sur l'épaule d'Henry, "je veux te faire découvrir notre système de drainage des eaux. Vois-tu ce dont je veux parler ?"

        "Bien sûr. Mais je me demande en quoi ce développement me concerne !"

        "Tu es là pour découvrir tout ce qui nous concerne, Henry aussi dois-je te faire connaître ce qui est important pour nous. Et il nous est vital d'être en mesure de vivre en conservant des eaux pures et cristallines. Eh oui, Henry, presque la moitié de notre subsistance vient de la mer !"

        "Je n'ai pourtant vu aucun bateau de pêcheurs, aux alentours," observa Henry.

        "Il n'y en a pas ici, c'est vrai… Mais tu les verras… Chaque chose en temps voulu !" répondit Paris. "Vois-tu, chaque maison habitée est comme celle de nos parents : elle dispose de salles de bains confortables où on se lave souvent, mais où nous accomplissons aussi nos besoins corporels. Nos déjections vont dans le tuyau d'évacuation et, si nous imitions une bonne partie du monde occidental, nous polluerions le sol. À long terme, les eaux de ces égouts pénétreraient jusqu'aux nappes phréatiques pour finir ensuite dans la mer. Sans compter qu'elles alimenteraient une faune microbienne spontanée qui n'exclurait pas la prolifération, tout aussi spontanée, d'êtres semblables à des souris. Sans parler des maladies endémiques que vous connaissez et qui n'existent pas chez nous. Bien sûr, je parle à long terme. Cependant, par rapport à la durée de notre vie, serait-ce vraiment si loin de nous ?"

        "Et alors ?"

        "Alors, chaque tuyau de vidange est acheminé par des canalisations, ramifiées de toutes parts, à environ cent mètres de profondeur, vers le mont Taygète d'où naît la rivière Phlégéthon. Juste sur ses pentes il existe un énorme réservoir laboratoire qui reçoit les eaux usées déjà traitées dans un puits hélicoïdal avec des enzymes et des produits naturels que nous cultivons. Puis elles sont pompées vers le haut. Ainsi, ces liquides, une fois à l'air libre, restent dans le grand bassin encore vingt-quatre heures pour s'oxygéner correctement. Après avoir été vitaminées, elles vont alors défiler en aval et rejoindre les eaux qui descendent des montagnes. Puis, elles traversent toute l'île, sur une longueur de quatre cents kilomètres, pour refluer en mer, et enrichir les cultures d'algues. Ainsi, elles recommencent avec celles-ci le cycle de la vie où les poissons mangent du poisson. C'est pour cela que nous en mangeons les chairs délicieuses. Cependant, dans notre territoire, il n'existe pas ce même cycle de prédation pour les animaux terrestres ; le peu d'espèces animales qui cohabitent avec nous est herbivore. Ils sont dociles et nous les considérons comme des compagnons de notre aventure de vie. Par conséquent, nous ne les chassons pas pour les abattre ; nous ne les tuons pas pour nous nourrir de leur chair."

        "Mais, pareils aux Hellènes…" fit Henry, pris par un intérêt soudain, "même eux vivent comme vous ?"

        "Le rapport pour eux est le même que pour nous, dans le monde occidental," répondit Pâris. "Chaque animal suit son cycle génétique. Toutefois, si sa vie est établie dans un nombre court d'années, ici, chez nous, cette période est étendue à quatre des vôtres."

        "Mais pourquoi, si cette île fait partie de la Terre, le temps est-il dilaté ici, jusqu'à quatre fois ?"

        "Le temps s'écoule comme chez vous. Seulement, nos ancêtres commencèrent à le compter de cette manière pour mieux s'adapter à la longévité de tous les êtres vivants sur la terre et non en mer, sauf mis à part pour nos phères - mais les jours, comme tu l'as remarqué, sont les mêmes !"

        "Les phères ? Voilà une question que je voulais te poser depuis qu'elles ont accompagné mon bateau sur la plage. Sont ceux des dauphins ?"

        "Non. Ce sont des cétacés qui font partie de la famille des Marsouins. Mais ils sont beaucoup plus développés que ceux qui vivent dans le monde occidental. Ils mesurent plus de quatre mètres et ont les ailerons de la queue comme les dauphins, ce qui leur permet de marquer une grande vitesse. Nos phères ont été dressées pendant des siècles pour être les gardiennes de toute la mer qui entoure l'île, le long des bornes idéales que nous nous sommes imposés et qui ne dépassent pas quarante miles de la côte. Milles égales aux vôtres, note le bien, s'il te plaît ; soit environ soixante-dix kilomètres ! Ce sont les limites de la protection visuelle de la coupole magnétique, alors que les limites de pénétration matérielle sont situées à une hauteur de plus de dix mille mètres."

        "Qu'est-ce que se passe alors, si le ciel est survolé par un avion de ligne ?"

        "Aucun avion ne peut voyager à travers notre ciel, pour la simple raison que les indications magnétiques de la longitude et de la latitude sont modifiées par les radiations qu'émet le dôme. C'est pour cela que notre position, pour vous les humains, n'existe sur aucune de vos cartes géographiques !"

        "Pas même pour les satellites ?"

        "Pour eux, nous sommes comme un grain de poussière sur une mer immense. Il est impossible de nous voir, même s'ils disposaient du scanner laser le plus puissant et le plus moderne qui existe."

        "Un vrai prodige, ce résultat ! Je suppose qu'il résulte d'une technologie très sophistiquée, très avancée, sans conteste ! Et que je serais curieux de connaître…"

        "Si vous, humains de l'occident, nous aviez découverts, depuis des siècles, nous n'existerions plus : regarde ce qu'a fait ce diable de Cortés avec les Aztèques ! Vos civilisations et religions, cher Henry, vous ont rendus malheureux et vos efforts pour explorer le cosmos sont la preuve de votre ambition démesurée. Si au moins elles avaient eu pour raison le bien-être des peuples, elles auraient pu s'approcher de nos résultats. Dans ce cas, peut-être nous serions-nous laissé découvrir et aurions-nous également accepté d'être nommés 'hommes' et non 'Hellènes'. Tout au long du Moyen-Âge, en dépit des forces puissantes de la première civilisation grecque et de la seconde romaine, au lieu de continuer à évoluer dans tous les domaines de la connaissance, ce qui vous aurait permis de développer considérablement vos technologies, vous avez préféré vous abandonner à la religion, essayer de découvrir ce qu'étaient les intuitions de l'esprit, sans vous assurer le minimum nécessaire à une vie meilleure. Vous avez utilisé la plupart des ressources que la nature vous offrait dans la construction d'énormes églises et de châteaux aussi inutiles, vous avez préféré vivre dans l'esclavage sous la tyrannie de vos semblables, croire naïvement à un rachat ultra-terrien après la mort. Eh bien, je te dis, moi, ce qu'il y a après : rien ! Pas même ce grain de poussière que nous serions sous le laser de vos satellites !"

Henry aurait bien argumenté lui aussi. Mais à quoi bon ? Ces Hellènes semblaient si sûrs d'eux que les contredire ne pouvait que les braquer contre lui, se disait-il. Il avait ressenti, avec Phèdre, le matin même, comment un simple mot, malencontreusement prononcé, pouvait froisser son attitude à son égard. Or, s'il voulait garder un espoir de retour, peut-être valait-il mieux qu'il se contentât d'écouter, laissant de côté ses envies de contradictions !  

                               

ΩΩΩ

 

Le lendemain matin, comme par un rituel quotidien Henry se réveilla à la lueur émise par Phèdre qui venait d'entrer dans sa chambre. Il ignorait l'heure mais il lui semblait qu'elle était là depuis un long moment. Assise dans le petit fauteuil face au lit dans lequel il s'étirait encore, elle l'observait. Il s'en serait étonné s'il avait supposé être en danger, mais il savait que cela n'était pas. Ces gens qui se définissent Hellènes, peut-être pour répudier la souche des humains coupables de nombreuses atrocités n'étaient, enfin, rien de plus que des humains comme lui, s'imposant un modèle de vie qu'ils estimaient sain et un comportement civilisé. Puisqu'ils n'en avaient pas la nécessité, en ce monde paisible, ils n'avaient pas développé les instincts de survie agressifs du monde Occidental ; ils n'avaient ni frustration ni convoitise, n'ayant rien à conquérir ! Aussi étaient-ils aussi doux que les animaux, repus et confiants, qui vivaient en belle harmonie à leurs côtés. Cependant, ne pouvait s'empêcher de songer Henry dans le tréfonds de son crâne, leurs gènes ne pouvaient pas avoir été modifiés au point d'effacer le fond de cruauté, d'égoïsme, d'envie, de haine pas plus que les émotions agréables - qui avaient transformés les hommes du monde Occidental en fauves impitoyables. L'île de Kallitala, si paradisiaque qu'elle puisse être, faisait partie du globe et qui sait si, un jour…

Une réflexion soudaine lui traversa l'esprit : 'Ont-ils seulement les instincts de l'amour, de la sexualité ? En fin de compte, la jouissance n'est pas une mauvaise chose. Elle est la quintessence de la vie. Ils doivent bien, quand même s'accoupler pour perpétuer la race… À moins que…'

Comme si elle avait capté ses pensées, Phèdre, devinant son réveil, s'approcha du lit et, comme le matin précédent, elle s'assit sur la couette, face à lui. C'était ce qu'attendait Henry. Il encercla sa taille de ses bras et, l'attirant contre lui, posa ses lèvres sur celles de la jeune fille. Il en éprouva une sensation indescriptible mais, quand la jeune fille se dégagea de son étreinte, sans effort apparent, comme une anguille lui aurait glissé entre les bras, la désillusion d'Henry fut si intense que, pendant quelques minutes, il perdit conscience et retomba en arrière. Sa tête glissa sur l'oreiller, laissant Phèdre stupéfaite. Puis elle se ressaisit et, comme si ce fût la chose la plus naturelle du monde, prit la télécommande pour impulser l'ouverture de la grande fenêtre. Le soleil de Kallitala illumina la pièce de ses rayons paisibles ; le corps de Phèdre perdit sa luminosité nocturne et Henry revint à lui.

La jeune fille le contemplait d'un regard doux et langoureux. Cela ne pouvait être qu'une invitation à répéter l'étreinte, présuma l'américain qui se leva aussitôt et, en deux enjambées, la rejoignit. Il l'embrassa de nouveau, mais elle l'arrêta encore, le poussant délicatement de la paume des mains et, d'un murmure : "Pas maintenant. Nous sommes attendus pour le petit-déjeuner. Ensuite, nous pourrons faire un tour sur ton bateau. Tu veux bien ?"

Il crut comprendre l'invite et, savourant d'avance l'acte dont il éprouvait aussi le besoin, d'autant plus qu'il se sentait devenir réellement amoureux de la splendide créature, il acquiesça et la laissa partir. Puis, tandis que Phèdre quittait la chambre, avec sa légèreté quasi astrale, il s'apprêta à accomplir les gestes qui nous rendent présentables à nos semblables, après une nuit de sommeil.

Ce matin-là, quand Achelais fit son entrée dans la salle à manger au bras de Hécube, qu'Henry avait surnommée, en son for intérieur, 'la femme qui parle avec les yeux', celle-ci fut particulièrement cordiale et, pour la première fois, reprenant à son compte le geste coutumier de Paris, elle lui tapa la main sur l'épaule : "Comment va notre vigoureux jeune homme ?" demanda-t-elle d'une voix forte.

Boutade qui n'était certainement pas de son cru, mais qu'elle avait retenue pour écouter les hommes. Il revint en effet à l'esprit de l'Américain que, depuis des temps immémoriaux, les Hellènes s'étaient adaptés aux coutumes et traditions de l'Occident, écartant cependant de leur éducation helléniste tout ce qui auraient pu les induire à commettre les mêmes erreurs que les congénères d'Henry ! C'est du moins ce dont Paris l'avait informé. Il avait aussi cru comprendre qu'il existait une commission de sages qui, chez les Hellènes, passait au crible chaque information, retenant seules celles qui étaient utiles aux habitants de Kallitala.

        Après le repas, Paris conduisit Henry et Phèdre, dans son 'astromobile' jusqu'au quai où était amarré le bateau. Aussitôt que les deux jeunes gens eurent embarqué, il les précéda pour lâcher les amarres.

Il semblait quelqu'un fût passé par là avant eux, car l'intérieur du bateau était propre et lumineux. Henry se rappelait avoir laissé le lit défait. Mais, regardant dans la cabine, il le vit aussi plat et carré qu'un lit militaire et recouvert d'une housse quasi impalpable, semblable à la robe que portait Phèdre. Il souleva délicatement l'étoffe et vit que les draps n'étaient pas ceux qu'il avait reçus lors de la location, mais des voiles de soie légère, d'un blanc immaculé, similaires à ceux de sa chambre.

Sachant que Paris attendait sur le quai l'ordre de larguer les amarres, il remit à plus tard l'exploration du navire et remonta dans le cockpit où Phèdre s'était déjà installée. Il tourna la clé de contact du moteur auxiliaire pour effectuer la manœuvre de départ. Mais, comme cela lui était déjà arrivé lorsqu'il avait tenté d'entrer en communication avec le répondeur satellitaire, le contact électrique ne se fit pas.

        "Eh bien, Henry, dois-je lâcher les amarres ?" demanda Paris, sans cacher une certaine effronterie.

        "Mais, comment veux-tu que je manœuvre sans moteur ?" répondit Henry qui, devant le sourire de Phèdre perdit de son assurance et, bougon, ajouta : "Il n'y a même pas assez de vent, sinon je la ferais avec les voiles !"

Toutefois, devant la fratrie dont les regards rieurs ne lui échappaient pas : "Qu'est-ce qu'il y a ? Vous me menez par le bout du nez ?" demanda-t-il, cachant sa vexation sous un sourire, tandis qu'il s'efforçait une fois encore, mais tout aussi inutilement, de tourner la clé de contact.

        "Veux-tu, s'il te plaît, dire à Paris de lâcher les cordes ?" chuchota Phèdre, se rapprochant de son visage. "Tu es le skipper et… Ne t'inquiètes-tu pas ; les phères sont prêtes !"

        "Les phères ?" dit-il avec colère.

Puis, se souvenant de son arrivée, deux jours plus tôt : "Ah, oui ! Les dauphins… Ceux qui m'ont repoussé ici…" conclut-il d'un air désabusé.

        "Rassure-toi…" lui répondit Phèdre alors que Paris, aussitôt qu'il eut lâché les cordes, les quittait sur un rapide clin d'œil et, sans un mot de plus, s'acheminait vers son astromobile.

        "Les phères sont des mammifères discrets et dès que nous le souhaiterons, à mon simple hochement de tête, elles nous laisseront flotter librement. Et puis, une fois au large, tu pourras également utiliser la grand-voile et le spinnaker. Il n'y aura pas beaucoup de vent, mais la brise toujours présente sur notre mer est plus que suffisante pour une allure de bouline."

        "Bouline, amarres, spinnaker… Phèdre, tu parles comme un skipper. Par hasard, saurais-tu aussi diriger un voilier ?" s'exclama Henry, incrédule.

        "Si tu m'enseignais, peut-être. Cependant, rappelle-toi ce que Pâris t'a appris : nous savons tout de vous, les hommes d'Occident. Nous nous informons toujours et prenons note de tout ce que vous faites du bien !"

        "Plus ou moins que… Du mauvais ?"

        "Heureusement pour toi, cher Henry, beaucoup plus !"

Alors qu'il réfléchissait au poids que Phèdre n'avait pas manqué de laisser entrevoir sur sa réponse, alors qu'il se demandait encore ce qu'il était destiné à faire sur cette île si mystérieuse, il ne s'était pas aperçu que le bateau avait pris le large. Sans qu'il eût besoin de manœuvrer le gouvernail, il se dirigeait en direction d'un promontoire qui semblait les mener tout droit vers une barrière de nuages, noyés derrière un horizon indistinct. À la vue de la formidable barrière de vapeur d'eau, Henry s'inquiéta : "J'espère que le temps ne va pas changer, alors que nous serons trop au large ?"

        "Je te répète qu'il ne pleut jamais ici pendant la journée ; seulement deux heures par nuit," répondit Phèdre, espaçant les mots avec application, comme on le fait avec les enfants d'une première année d'école.

        Sous son regard vexé, elle ajouta : "Pâris t'expliquera, avec les termes propres aux ingénieurs que vous êtes tous deux, comment ces nuages​​ couvriront la mer et l'île jusque près de la côte, pour décharger cette eau qui assure notre survie. Ceci dure depuis des centaines d'années."

        "Je comprends. Mais… Et avant ?"

        "Je pense que cela fut difficile mais, dans les mêmes années où les hommes s'étaient arrêtés à la superstition religieuse, les Hellènes atteignaient des résultats technologiques impressionnants et, avant qu'arrivassent les trois misérables caravelles espagnoles, commandées par un homme intelligent quoique détesté de vos ecclésiastiques, ils eussent déjà réalisé le système qui fermait l'île sous la coupole, la rendant inaccessible à l'œil… Mais sans couper les liaisons avec le ciel ! À cette époque, les Hellènes exploitaient déjà les ondes radio et savaient les empêcher de passer au-delà du dôme de protection. Nous avions également ce que vous appelez chez vous la télévision. Mais," elle ajouta devant le regard béat de l'Américain, "après deux cents ans, nous l'avons abandonnée car elle réduisait le quotient intellectuel de la population. Dès lors, il fut décidé que nous exploiterions surtout le secteur de l'édition. Tous les Hellènes lisent. Dans un récent sondage, qui, chez nous ne se fait pas sur un échantillon mais, en l'espace d'un seul jour, sur toute la population, nous avons vérifié que chaque Hellène lit un livre par semaine, que ce soit en édition en papier ou sur disque."

        "Sur disque ? Alors, vous le mettez dans l'ordinateur et…"

        "Non, ce sont des disques miniaturisés, de la forme d'une pièce de dix drachmes. Ils ont la capacité de contenir jusqu'à quinze milliards de données. Que dirais-je ? Trois fois la capacité de vos DVD ! Beaucoup de gens sont, même provisoirement, bergers, agriculteurs, ou exercent encore d'autres métiers les éloignant de leur demeure, souvent pour des travaux agricoles. Ainsi, ceux dont le regard ne doit pas être distrait, considérant qu'ils doivent contrôler ce qui se passe autour d'eux, peuvent néanmoins écouter des livres."

        "Et ces livres, je pourrais les lire, ou sont-ils récités et écrits dans votre étrange borborygme ?"

        "Pour vous, les Américains, toutes les langues qui ne sont pas comme la vôtre, pourtant toute aussi barbare, prononcée sur des tons affectés par une population dont la majorité semble atteinte de blésité sont assimilées à des bafouillis. Notre langue est noble ! Elle est née du grec et de l'idiome de la Trinacrie et, au fil du temps, elle a subi une telle évolution qu'elle est maintenant une langue complète ; elle n'a pas besoin d'être abâtardie par des mots étrangers, comme chez vous ! Et pourtant," ajouta Phèdre, sans pouvoir retenir un ton de supériorité condescendante, "votre idiome étant le plus répandu dans le monde occidental, et parce que nous souhaitons suivre tout ce que vous vivez, notre population entière l'apprend, dès les premières années du pensionnat et il n'y a pas un Hellène, comprends-tu ; pas un, homme ou femme, qui ne le parle et ne l'écrive pas à la perfection !"

Phèdre interrompit son discours pour reprendre son souffle qu'une sensation, étrange pour elle, presque de colère, avait rendu anhélant. Se reprenant, elle tendit le doigt devant elle : "Les phères nous ont laissés flotter près du promontoire. Regarde comme c'est beau ce paysage tout autour et… Regarde ! Regarde combien de variétés de poissons se nourrissent sur nos fonds."

Henry aurait voulu que Phèdre continue de discourir sur l'instruction des petits Hellènes, mais il craignit qu'elle prît ombrage de son insistance et, en cet instant, s'il y avait bien une chose qu'il voulait éviter, c'était qu'elle devint distante. Il avait accepté cette excursion nautique dans l'espoir qu'elle se rapprochât de lui, à l'abri des regards indiscrets. Il se contenta donc de suivre du regard, le mouvement de la jeune fille. La vision était tout simplement charmante : près de la quille du bateau, le fond devait être à une vingtaine de mètres mais l'eau était si claire qu'il semblait à portée de main. Le faible courant faisait voguer l'embarcation vers des paysages sous-marins nouveaux à chaque mile, où la quantité et la variété d'êtres vivants aquatiques étaient exceptionnelles. Mais l'Américain se laissa tant captiver dans l'observation de la vie qui pullulait en dessous de lui qu'il ne s'aperçut pas que le temps s'enfuyait. Les poissons et autres espèces marines se déplaçaient avec grâce sous son regard. Ils évoluaient maintenant auprès d'une énorme touffe de gorgones qu'ils grignotaient avec indifférence, laissant présager que, repus, ils se délectaient plus par jeu que par nécessité. Henry les voyait jouer à se poursuivre, passant sous d'étranges petits ponts sous-marins. Les poursuivants, habiles et frétillants, semblaient des flèches tirées par ceux qu'ils talonnaient et, trépidants de vitesse, laissaient voir leur ventre d'argent. Soudain, Henry comprit que ce qu'il avait pris pour une petite grotte, n'était autre que la bouche ouverte d'un énorme mérou, sournoisement placé à la sortie du passage rocheux, si bien que, tant le fugitif que le poursuivant ne pouvaient que s'engouffrer dans sa gueule aussi immobile que l'antre d'un refuge. Le gros poisson ne fermait que furtivement la bouche, pour avaler les premiers arrivés, et la rouvrait si promptement que les imprudents suiveurs n'avaient aucune chance de sentir le piège. Plus loin, alors que le bateau approchait d'un récif recouvert d'une herbe aussi dense que les mèches d'un tapis, Henry assista à une bataille tentaculaire. Pris au piège par une murène qui, de ses dents tranchantes comme des rasoirs, lui démembrait un tentacule à quelques centimètres du manteau, un poulpe se démenait de manière, hélas inégale, en tentant de juguler ses mouvements à coups de ventouses qu'il cherchait à plaquer sur les ouïes du poisson. Cependant, la murène se contorsionnait tant qu'il ne pouvait se maintenir contre sa livrée visqueuse. Elle finit par gagner et s'en fut dans son trou, pour se délecter de son repas improvisé.

Revenant à la réalité qu'il avait convoitée, Henry se releva de la position couchée depuis laquelle il observait le fond marin, pour se tourner vers Phèdre. Elle tenait le gouvernail qu'elle dirigeait sans sourciller et il comprit que le bateau avait soudain pris de la vitesse. Les phères avaient opéré un demi-tour et les poussaient déjà vers la plage d'où ils étaient partis. Sans doute, la manœuvre décidée de Phèdre était-elle ponctuée de mépris : Comment avait-il pu préférer à ce point la compagnie sous-marine à la sienne ? Il venait de perdre là une occasion qui pourrait ne pas revenir de sitôt. Henry essaya de rattraper la situation en sa faveur : "Je te demande pardon pour ma distraction involontaire, mais le paysage marin était si beau et si rare pour moi, que je t'ai négligée. S'il te plaît, Phèdre, restons encore un peu. Le soleil est haut. Il suffirait que tu renvoies les phères et…"

        "Ne crois pas que je sois irritée ! Nous sommes venus ici dans l'unique but que tu découvres le territoire aquatique de Kallitala, duquel nous tirons la nourriture pour notre survivance…"

Elle freina d'un geste de la paume, la contradiction qu'elle sentait venir chez son compagnon et poursuivit, imperturbable : "Les poissons, les mollusques et les crustacés sont l'unique chair que nous mangeons pour la simple raison que l'habitat marin n'a été pas apporté ici par nos ancêtres, mais trouvé comme il est encore aujourd'hui. Les Hellènes n'ont pas réussi à vaincre le principe de sélection naturelle, mais bestiale qui fait que le poisson mange ses congénères : C'est d'ailleurs pour cela que nous n'hésitons pas à les manger, nous aussi !"

        "En tout cas, il est vraiment délicieux," admit Henry, en lui adressant un sourire engageant. "Alors, nous restons ?"

        "Oui. Et maintenant les phères nous conduisent vers les élevages de moules et de crustacés qui se trouvent au-delà de ce promontoire…"

        Phèdre, apparemment décidée à ne pas se départir de son rôle de guide, lui indiquait d'un geste suave la direction opposée à celle qu'ils avaient prise précédemment.

        "Vraiment intéressant…" fit Henry, qui ne pouvait cacher totalement sa déception puis, se reprenant subitement : "J'aime beaucoup les moules !"

        "Es-tu sérieux ? Pourtant, nous n'en avons pas encore mangé depuis que tu es là ! Ma mère a craint que tu ne les apprécies pas."

        "Pourquoi ? Vous les mangez crus ?"

        "Oh, non ! Tu verras quelles précautions nous nous imposons en ce qui concerne la prophylaxie de la nourriture… Et tout ce qui entre en contact avec la peau, d'ailleurs. Tout ce que nous mangeons, à l'exclusion des légumes qui subissent un traitement particulier, doit être soigneusement cuit et apprêté. Nous ne sommes pas comme le peuple du Japon, nous !"

        "Pas besoin d'être japonais. Je suis originaire de Portland dans le Maine et chez nous aussi, nous mangeons les huîtres crues. Ha ! Quel délice !"

        À ce souvenir, Henry sentit la salive envahir son palais. Il déglutit avec délectation.

        "À propos, avez-vous aussi des élevages d'huîtres ?"

        "Celles-ci croissent librement, à l'état sauvage, partout dans la mer, surtout sur la côte nord. Et, bien que l'alimentation des phères se compose essentiellement de poissons gras comme le maquereau, les anchois et les sardines dont la mer abonde particulièrement là où elle atteint des profondeurs considérables, les huîtres sont leur friandise préférée !"

        "Vous n'en consommez pas ?"

        "Nous préférons le poisson à chair blanche aux crustacés, mollusques et fruits de mer. Ce n'est pas que nous ne les aimons pas, mais nous avons fait un pacte avec les phères ! Ces animaux intelligents ont été, depuis des siècles à notre service. C'est pourquoi, de même que le poisson bleu, nous laissons les petits habitants des fonds marins aux phères et aux prédateurs."

        "Auriez-vous des requins ?"

        "Aussi. Mais les phères les tiennent en respect, loin des côtes ; presque aux bornes de la calotte. Bien que le requin soit un prédateur redoutable, il ne peut rien contre une phère, capable d'en tuer cinq d'un coup ! Par conséquent, l'activité des prédateurs se limite à nettoyer la mer des carcasses de poissons morts, quelle qu'en soit la raison."

        "Est-ce que, pour les poissons, la période de vie se mesure comme pour vous et les autres animaux de Kallitala ?"

"Non, pour eux le temps passe comme dans vos mers," répondit Phèdre qui, apercevant les premiers bateaux des personnes chargées de la culture des fruits de mer, salua ceux qui se trouvaient dans l'embarcation la plus proche.

        "Maintenant, regarde, Henry. Nous sommes arrivés à la limite des grands bassins de moules. Les phères maintiennent ton bateau car il y a ici un bas-fond et la coque, dont la quille est assez profonde, s'enliserait. Par conséquent, si nous voulons faire une visite rapide des lieux, nous devons passer sur une des barques de service."

Et de fait, l'une de celles qui se trouvaient au centre de l'immense bassin, s'approcha à la force de rames. Les occupants, de l'âge hellénique apparent de trente ans, saluèrent, avec une certaine cordialité, Phèdre qui leur répondit en présentant son compagnon : "Antée et Zénon, celui-ci est l'Américain que vous savez."

Les deux bateliers allèrent, chacun à son tour, poser leur main sur l'épaule d'Henry. Henry avait fini par comprendre ce que nul n'avait jugé bon de lui expliquer ici, tant c'était naturel pour eux : ce geste que Paris et parfois même Achelais, avaient à son égard, se substituait à la poignée de main, en usage chez les Hommes d'Occident, ainsi que les Hellènes nommaient ses congénères.

Dans cet immense élevage, la profondeur de la mer ne devait pas être de plus de trois mètres, bien que la vue sous-marine ne divergeât pas tellement de celle qu'il avait eu l'occasion de contempler jusqu'alors. Cependant, ici, les fonds étaient quasi-plats, riches d'une végétation dense, semblable à un potager sur lequel on aurait cultivé des milliers de cœurs de laitue. Suspendues sur des lattes posées telles une esquisse de charpentes, les moules étaient recueillies en longues spirales d'où émergeaient des milliards de petites bulles qui venaient s'ouvrir en superficie. On eût dit un vin mousseux, prêt à être déversé dans les verres ! Plus loin, vers le rivage sablonneux, d'autres Hellènes étaient à l'œuvre pour recueillir les palourdes enfouies dans le sable. L'un d'eux, très jeune, affecté à cette tâche particulière, se présenta sous le nom de Archidamos et remit à Henry trois grandes palourdes. Au contact de sa main, elles retirèrent leurs siphons noirs qui s'enfermèrent dans la coquille. Henry vit aussi des coquilles Saint-Jacques, des couteaux, des crabes et d'innombrables variétés de fruits de mer de dimensions nettement supérieures à celles qu'il connaissait. Il y avait, en particulier, une sorte de lithodomes que l'on appelait aussi dattes de mer. C'était vraiment le fruit marin le plus exquis mais la récolte avait depuis longtemps été interdite dans le monde occidental parce qu'ils grandissaient dans les rochers côtiers. Archidamos n'était pas avare de commentaires : "Même chez nous, les dattes de mer sont particulièrement appréciées et leur production équivaut à environ un dixième de celle des moules et des palourdes. Après des années d'expérimentation, nos maîtres aquaculteurs ont réussi à faire pousser et à multiplier les dattes de mer, dans un sable très serré, plutôt que sur les rochers que l'on devait écraser pour les recueillir. Ce sable est composé exclusivement de sédiments typiques des roches de gneiss."

Lorsqu'ils reprirent la haute mer, Phèdre eu la délicatesse de commander aux phères de s'éloigner. Cette fois, Henry ne laissa pas passer l'occasion d'une cour empressée. Il éprouva la même sensation que la première fois en embrassant la jeune fille et ne put éviter un étourdissement. Mais il reprit le contrôle de soi et, caressant Phèdre, se délecta de sa beauté hellénique. Cependant, elle semblait décidément peu encline à la volupté et se détourna, si délicatement qu'il battit l'air d'une caresse avant de réaliser son absence. Puis, battant des mains, mais non pour lui rendre hommage, elle rappela les marsouins.

Troublé, Henry ne soufflait un mot tandis que les phères poussaient le voilier vers la plage de sable jaune et rose. Bien que déçu, il ne voulait pas laisser la colère l'envahir mais, prenant sur lui, il se prêta à la manœuvre d'amarrage que Phèdre venait d'entreprendre. Sautant sur le quai avec les deux câbles à la main, il s'employa à attacher les amarres. Cependant, plutôt que de verrouiller le bateau d'un nœud de chaise, il l'amarra avec deux câbles à boucle, de manière qu'il pût les retirer depuis le bord, sans aide et sans trop d'acrobaties, en cas de besoin… Voire d'urgence. Le refus de Phèdre, les étrangetés qu'il avait apprises, et celles qu'il soupçonnait pour devoir encore découvrir de la bouche de Paris, lors de l'après-dîner, avaient fait germer une certaine idée sous son chef…

 

ΩΩΩ

 

Comme par hasard - et l'intuition de Henry ne l'avait pas trompé - à dîner, on servit… Des fruits de mer ! Une telle variété qu'Henry, épuisé par la longue excursion et, surtout, déçu que ses avances eussent été rejetées par la belle Phèdre, semblait avoir transporté sa mauvaise humeur sur les mets qu'il attaqua avidement. Il en mangea tant qu'il stupéfia les convives. Pour se justifier, il argua que, chez lui, on mangeait ces fruits marins comme on aurait grappillé des cerises, l'une attirant l'autre d'une 'tête à queue' instinctif. Dans la famille des Achelais, si on respectait le silence à table, se contentant du peu de mots émis par le père, on appréciait beaucoup l'hôte qui faisait honneur à la nourriture. Il faut dire aussi, à la décharge du jeune homme, que les coquillages étaient d'une qualité rare, et cuisinés d'une main experte ! Les moules, servies dans leur demi-coquille avaient été cuites à la manière des marins : parsemées d'ail, d'un filet d'huile d'olive et des quelques gouttes de citron nécessaires à éviter qu'elles ne s'aigrissent ; Les palourdes sautées étaient servies sur des tranches de pain grillé, à peine frotté d'ail. Mais le régal par excellence fut sans conteste le plat de dattes de mer. Délicieuses petites bouchées cuisinées avec une sauce de petites tomates, récoltées le jour même, et enrichies d'une très légère pincée de piment qui en exaltait le goût agréable !

Lorsqu'ils eurent terminé le dîner, contrairement à la franche camaraderie qu'elle avait manifesté à son égard depuis qu'il était arrivé sur l'île, et sans qu'Henry pût comprendre ce brusque revirement, Phèdre se tint à l'écart, discrète, pour ne pas dire distante. L'estomac aussi alourdi que le cœur, notre 'aventureux malgré lui' s'apprêta pour l'inévitable et bucolique promenade en compagnie de Paris. Le discours de ce soir eût pu promettre d'être passionnant pour l'ingénieur, si sa passion pour les mécaniques de Kallitala n'avait pas été perturbée par l'attitude imprévisible de la jeune fille. Il tenta cependant de se concentrer sur les explications du frère aîné, lorsque, l'ayant conduit vers son véhicule, ce dernier en ouvrit le capot pour lui dévoiler des propulseurs tels qu'il n'en avait jamais vu dans son « Occident » ! Ainsi, c'étaient ces engins rutilants qui induisaient le déplacement des astromobiles ! Cependant, après une exclamation qu'il eût voulu passionner, le mutisme le saisit à nouveau, comme une vilaine grippe. Il frissonna malgré la chaude caresse du soleil couchant. Rejeté par Phèdre, il ne subissait plus l'enchantement du lieu, pas plus que la douce folie de parvenir à une relation plus intime. La hantise de rentrer revint à grands pas. Ah, rejoindre New-York pour reprendre la routine de la vie quotidienne ! Même ses congés, il les aurait volontiers écourtés sur l'heure pour une place dans un avion ! La société qui avait affrété son voilier l'avait sans doute déclaré naufragé, après d'infructueuses recherches menées par la Garde Côtière. Qu'importe… Il justifierait son absence en alléguant le fait qu'il s'était perdu dans l'Atlantique, mais ne parlerait jamais de Kallitala. Surtout, jamais ! Pour l'instant, reléguer ce pays absent de la carte au rang de rêves nocturnes était la seule chose qu'il eût voulue ! Il avait envie de réfuter les explications de Paris, tout occupé à vanter ces propulseurs dont la force cinétique ne polluait pas l'air et développait son énergie sans émettre un seul son. Il avait envie de lui dire qu'il était impossible d'affirmer que ce phénomène n'avait, à très long terme, aucun impact néfaste sur la psyché humaine ; que tous ses semblables s'étaient intéressés aux problèmes de la pollution de l'air, mais que le bruit et la fumée dégagée étaient, pour certains d'entre eux, plus un plaisir qu'un handicap technique. Il était prouvé, en effet, que les utilisateurs de ces véhicules ne voulaient pas se résoudre à en quitter ce qu'ils nommaient avec un brin de nostalgie, la 'musicalité', au point que certains l'amplifiaient… Par des moyens plus ou moins légaux, d'ailleurs ! Et même si les fabricants de voitures rêvent de voir l'indicateur graphique des ventes gravir des sommets qui leur promettraient richesse et aisance sociale, ils ne seraient pas attirés pour autant par le fait de retrouver l'air pur. Respirer sans crainte de bronchites chroniques ? Ce serait le comble du désir paradoxal pour ceux-là qui ne craignaient même pas l'apparition de maux aussi irréversibles que le cancer du poumon ou l'emphysème, tant ils étaient complices des fumées de tabac et autres agents pollueurs.

À présent, Paris citait les politiciens. Tout en l'écoutant, Henry songeait mollement que, dans notre Occident, s'ils ne manquaient jamais de présider ou de faire acte de présence dans les réunions importantes tenues aux quatre coins du monde, sous prétexte de réflexions et de combats antipollution, de protection des baleines ou des dauphins… C'était surtout parce qu'ils étaient payés, et même grassement pour jouer les redresseurs de torts. Quant à rechercher l'authenticité, véhiculée à grand prix, logé et gavés de mets onéreux, capables de laisser des promesses grandiloquentes, ils les oubliaient dès leur retour au bercail. Qui agissait concrètement ?

        Les mots de solidarité sont aussi beaux que vides de sens et la paupérisation de la faune, comme celle des humains, continue sa course insensée !'

Ce fut la seule réplique que Paris obtint d'Henry. Et elle sonnait si amère que le jeune Hellène, jusque-là d'une humeur particulièrement joyeuse, lui jeta un regard stupéfait : 'Sans doute,' pensa-t-il, ferais-je mieux de changer de sujet ! Il n'est en forme ni pour la technologie, ni pour la politique, aujourd'hui !'

        "Alors, Henry, mon ami, comment s'est passée l'excursion marine ?" demanda-t-il d'un ton bruyant, qu'il accompagna de la traditionnelle tape sur l'épaule. "Tu étais encore en compagnie de Phèdre ! Dis donc, tu ne vas pas t'en amouracher de ma sœur, hein ?"

        "Bon sang, Paris," s'écria l'Américain qui n'en pouvait plus pour se contenir. "Mais après quoi courez-vous sur cette île ? Vous êtes peut-être fort en avance en ce qui concerne la technologie, je vous l'accorde. Mais en matière de sentiments, vous êtes un peu perdu, ma parole ! Hellènes ou non, les hommes sont tous les mêmes, et le fait que vous ayez créé votre propre monde, inconnu de nous, n'y change rien !"

        "Marqué ! Un point, Henry," concéda Paris d'une voix neutre.

Puis, reprenant aussitôt son ton habituel, il ajouta : "J'espère que tu as compris que je plaisantais."

        "Moi aussi, je plaisantais !" répondit Henry sans sourire. "Je ne dirais pas que je l'aime, cependant je dois avouer que ta sœur me plaît beaucoup, mais… Il semble que je ne sois pas son type !"

        "Eh bien, ta réaction me met dans l'embarras. Je ne voudrais pas que, pour m'être permis une plaisanterie en pensant imiter vos moyens d'expression, nous entrions en controverse. Je propose donc que nous revenions sur un sujet moins brûlant. Veux-tu ?"

        "Oui, bien sûr, Paris. Excuse mon stupide ressentiment."

        "Alors, si je continue à te faire découvrir le système de production d'énergie déjà en action dans notre pays depuis des centaines d'années, cela te convient ?"

        "Essayons," répondit l'Américain, qui, ce soir, avait décidément bien du mal à se concentrer.

Paris sourit devant l'effort évident de son hôte et ajouta d'un air malicieux : " Je dois te dire, cependant, que je ne pense pas comme toi…"

        "Pardon ?"

        "Je ne crois pas que Phèdre ne t'ait pas en sympathie ; au contraire ! Et si vous, les humains, n'étiez pas si doués pour les complications…"

        "C'est-à-dire ?" demanda Henry, plus curieux d'entendre les arguments de Paris à propos de sa sœur que sur la production énergétique de Kallitala.

Mais comme Phèdre précédemment, son frère sembla battre en retraite : "Ce sont des situations que les femmes gèrent mieux que nous. Aussi, tu devrais écouter Phèdre à ce sujet. Ma tâche, à moi, est de t'expliquer notre technologie ; tout au moins les parties qui vous sont encore inconnues, à vous les humains."

        "Et que nous n'utiliserons jamais !" répliqua Henry, piqué par la pédanterie de son hôte.

        "Ne t'irrite pas, Henry. N'as-tu pas baptisé nos voitures des astromobiles ?"

        "Oui, et alors ?"

        "D'où t'est venu ce mot ? Peut-être en possédez-vous, vous aussi ?"

        "Les nôtres, nous les avons déjà utilisées sur la lune !" répondit fièrement l'Américain, sans toutefois réussir à cacher totalement un certain embarras.

Et voilà ; il s'en doutait ! Sa repartie suscita un éclat de rire de Paris : "C'est toute autre chose, mon ami ! Quoique, je doive bien l'admettre, vous avez fait des choses magnifiques. Si seulement vous aviez commencé avant…"

        "Avant ? Mais avant quoi ?"

        "Plus tôt… Au moins après l'Empire romain," renchérit Paris. "Mais, trêve de sensibilité ; il se fait tard et demain matin, j'aurai un engagement plus difficile que d'habitude dans mon établissement. Nous devons nous dépêcher."


4 - DECOUVERTES ET INVENTIONS

 

 

Henry se surprit à accomplir un geste très hellénique : il frappa, de deux coups légers, l'épaule gauche de Paris, comme pour l'exhorter à commencer ses explications.

"Nous vivons deux réalités dans le domaine de l'énergie. Tout d'abord, l'énergie que nous pouvons considérer comme domestique et puis celle, bien sûr, plus puissante, que nous définissons comme industrielle, commença le fils de Achelais. En ce qui concerne la première, je pense que tu l'as observée. C'est l'énergie solaire que chaque maison, surtout dans les campagnes, accumule pour ses besoins privés grâce aux panneaux photovoltaïques. Ils ont une durée illimitée et une capacité d'accumulation d'énergie mille fois supérieure aux vôtres. Avec douze heures de soleil par jour, tous les jours, tu peux imaginer combien de consommation ils peuvent couvrir. L'excédent de chaque maison est acheminé, par le biais d'un réseau de distribution capillaire, aux grandes centrales d'accumulation situées à proximité du mont Taygète. Tous les petits panneaux que tu as vus, parsemés dans toute la campagne, servent pour la consommation énergétique nécessaire à l'agriculture : ils alimentent les machines électriques utilisées pour les récoltes et le recyclage des produits. Puis le surplus est acheminé à son tour, vers les grandes centrales thermiques de transformation…"

        "Lesquelles alimentent, j'imagine, la grande ville de Poséidon…" l'interrompit Henry.

        "Non !"

        "D'autres villes, alors ?"

        "Pas du tout, Henry. Chaque ville a sa propre production qui dépasse toujours d'un bon trente pour cent les consommations…"

        "Excédent envoyé à la centrale du Mont Taygète," récita l'Américain.

        "C'est vrai. Mais ne tire pas de conclusions trop hâtives ; tu pourrais t'y perdre. Écoute plutôt !"

"Oh, Pardon…"

        "Excusé !" tança le professeur d'un soir qui poursuivit : "Donc, tu sais maintenant, dans les grandes lignes, comment les consommations des familles de Kallitala sont assurées par des panneaux solaires ; que ce soit à la campagne, dans les villes ou le long de la côte. C'est la même chose pour l'eau. L'as-tu remarqué ? Durant ces deux heures de pluie nocturne, même si cela te semble n'être qu'une bruine, il tombe une telle quantité d'eau qu'elle suffit pour compenser toute la consommation des ménages, mais aussi pour fertiliser le sol et alimenter les nappes phréatiques des rivières, des ruisseaux et des canaux d'irrigation nécessaires aux cultures de riz et d'autres produits de la terre. Quant à la production de l'énergie industrielle en plus de faire fonctionner fabriques et usines, elle sert de propulseur à ce que tu nommes nos 'astromobiles'. Bien que ce terme soit plus adapté pour définir nos aviolobes.'

        "Vos quoi ?"

        "Aviolobes ! Tu ne les as pas encore vus parce qu'ils se déplacent entre les villes et ne volent que le long des côtes."

        "C'est avec ces aviolobes que vous venez voler dans mon monde pour nous espionner ?"

        "Tu cherches à deviner, mais ta conclusion est illogique et précipitée. Nous ne sortons jamais de notre territoire. Mais t'expliquer notre technologie introspective, dont le rayon d'action est plus vaste que tu ne peux supposer, sera le sujet d'un autre soir. Maintenant parlons d'une chose qui t'étonnera peut-être parce que vous les humains n'avez pas su la maîtriser… Bien que vous ayez déjà fantasmé sur ce point, tentant même une expérience ridicule… Je veux parler de l'énergie atomique !"

        "Expérience ridicule, dis-tu ?" rétorqua Henry sur un ton de triomphe moqueur.         "Mais si, mon ami, dans mon pays des États-Unis, nous l'exploitons déjà, et aussi pour produire de l'énergie électrique, pour nos moteurs et…"

        "Boum !" tonna Paris, comme un gosse surgissant de derrière une porte et faisant sursauter Henry, concentré à se défendre. "Quels qu'ils soient, ce sont, en définitive, tous des engins explosifs à horlogerie. Et s'il arrivait le malheur d'un accident, non seulement beaucoup d'entre vous mourraient, mais votre expérience atomique polluerait l'environnement pire que la fumée continuelle des millions de gaz d'échappement libérée par vos moteurs. Vous feriez mieux de laisser tomber ! Heureusement pour nous, notre calotte électromagnétique est capable de bloquer n'importe quelle radiation nucléaire, à une centaine de kilomètres au-delà de ses bornes."

        "Donc, même l'air pollué… ?"

        "Ça, ce sera le sujet d'un autre cours ; le plus épineux sans doute," plaisanta le jeune professeur improvisé. "Mais nous n'avons pas été onéreux, jusqu'ici, n'est-ce pas ?"

        "Pourquoi, alors, ne pas me proposer ces enseignements sur toute la journée, ce qui réduirait d'autant mon séjour sur ton île et…" osa Henry, incapable, à cette idée, de cacher une note d'espoir.

        "Pour le simple fait que tu t'embrouillerais les idées. Il ne suffit pas de connaître intellectuellement nos conquêtes et nos découvertes. Le meilleur système est l'imprégnation. Il faut que tu t'acclimates. Crois-moi, Henry, nous savons que ça n'est pas facile mais nous faisons tout le possible afin que tu y réussisses !"

        "Tu dis cela pour justifier que je devrai rester votre pensionnaire plus longtemps que prévu ?" s'enquit Henry d'une voix rendue monocorde par l'effort qu'il s'imposait de cacher sa panique, face au présage, qui avait provoqué un flash dans son esprit. Bon sang !' Songeait-il, se peut-il que ces étranges hommes aient l'intention de me tenir séquestré de nombreux jours encore ?'

        "Cela se peut ! En toute franchise, ami Henry, je ne pourrais pas te le dire. Déjà avant que tu n'arrives, mon père avait reçu les directives pour t'héberger. De prime abord, Phèdre et moi, ne savions rien. Ce n'est que le second jour que nous avons été chargés d'être tes mentors.'

        "Mais quand il m'a vu, ton père ne savait même pas d'où je venais."'

        "C'était sa façon de ne pas te paniquer. Il t'a reçu comme un invité, qui est sacré chez nous."

        "Pour le sacrifier, par la suite, sur vos autels…"

        "Tu exagères ! Nous ne tuons personne ! Pas plus que nous ne pratiquons des sacrifices puisque nous n'avons pas de religion."

        "Chez moi, on dit que l'être humain est naturellement religieux et c'est un mode de vie que nous pratiquons pleinement et avec bonheur !"

        "De notre côté, les technologies tant génétiques que chimiques et physiques développées nous ont permises de nous affranchir de ce que vous appelez votre bonheur '! Et puisque nous parlions de nos astromobiles, je te propose pour ce soir, de revenir sur ce sujet."

        "Ouais, je serais curieux de savoir comment elles sont propulsées ainsi, et comment il se fait que leur moteur soit aussi silencieux ! De plus, j'avoue avoir trouvé très étonnant le fait qu'elles peuvent évoluer sur n'importe quel terrain sans soulever la moindre poussière !"

        "Nous y arrivons. As-tu déjà entendu parler de fusion nucléaire froide ?"

        La surprise se peignait sur le visage de l'ingénieur américain. Bien sûr qu'il en avait entendu parler : depuis des années, ses équipes tentaient en vain d'exploiter ce procédé, sans parvenir à en tirer une fusion qui soit opérationnelle. Paris sentit la frustration dévorer son hôte et résolut de ne pas prolonger le suspens.

        "La raison de vos tâtonnements est très simple. Il vous manque deux éléments importants afin que ce type de fusion se produise. Le premier élément, nous l'avons obtenu chimiquement : il s'agit de l'Istre. Quant au second, le mengané, il n'existe pas dans la nature, mais a été obtenu chimiquement. Les Hellènes l'ont créé ici, voici quelque cinq cents ans. Ce sont ces éléments qui, uni au Césium 66 et au Deutérium 15, se décomposent en engendrant une énergie dix fois supérieure à celle de la fusion de l'atome. De plus, elle ne produit ni émission de rayonnements ni déchets dangereux, parce que le volume de matériel employé dans la fission à froid est si infime qu'il est aussitôt consommé dans sa totalité."

        "Et chaque propulseur, chaque générateur d'énergie fonctionne sur ce principe ?"

"Oui ; avec des rendements d'autant plus astronomiques que la consommation est très réduite ! Chez vous, hommes occidentaux, l'autonomie de vos moteurs est très limitée, parce que vous utilisez un carburant qui brûle vite et que vous devez renouveler, en moyenne, tous les six à sept cents kilomètres - et encore pour les meilleures de vos voitures ! - Les conséquences de cette pollution sont terribles pour la santé des êtres vivants, qui absorbent les particules de ces poussières fines résiduelles. Nous, nous insérons ceci dans nos véhicules…"

        Et, tendant la main vers la réserve de son astromobile, Paris s'empara d'un petit bloc qui fit sourire Henry : "Un pain de savonnette ?"

        "Non, que veux-tu que nous fassions de savon dans une voiture ? Ce 'pain' est en réalité une sorte de catalyseur. Il contient tous les éléments nécessaires à la fission à froid, qui se déroule à l'intérieur du moteur. Je pense que, chez vous, humains, il faudrait encore des centaines d'années d'études et d'essais pour parvenir à concevoir un tel procédé. Mais une seule de ces 'savonnettes' dont tu ris est suffisante pour couvrir cent mille kilomètres. Ainsi, chez nous, nous faisons le plein de carburant environ une fois tous les trois ans !"

        "Même dans les usines ?"

        "Bien sûr. Partout où l'on a besoin de cette énergie."

        "Alors, pourquoi une telle abondance de panneaux solaires ?"

        "Voilà une observation intelligente. La fission à froid de l'atome, ainsi que nous l'avons imaginée, génère beaucoup d'énergie contrôlée mais, chose étrange à croire, si nous voulions utiliser le même procédé avec l'électricité, ce type d'énergie nucléaire subirait un contre-choc très dangereux. Tous les véhicules sont équipés de panneaux solaires spéciaux pour les fonctions électriques des instruments de navigation et pour l'éclairage, bien que, la nuit, le trafic soit quasiment inexistant. De même, tu as pu voir dans nos habitations ces nombreux panneaux qui transforment les neutrinos envoyés par le soleil en électricité. Cela est plus que suffisant pour tous nos usages du quotidien."

Devant l'énormité de la découverte, Henry oublia, pour un instant, l'abandon de Phèdre. Il était tout ouïe aux propos de son mentor.

        "Et ceux qui sont ici, alors, quel est leur usage ?" demanda-t-il en montrant du doigt les panneaux solaires parsemés autour de lui, entre les habitations et sur les pelouses de chaque îlot urbain.

        "Ils acheminent les neutrinos jusque vers les grandes centrales. Mais je te détaillerai cela plus tard."

        "Mais… Paris, explique-moi un peu mieux comme vous avez réussi à obtenir la fission nucléaire à froid…"

        "Je ne serais pas en mesure de remonter le temps pour te le détailler exactement. Je devrais consulter les anciens manuels relatifs à cette découverte pour être précis.         Mais… En quoi cela t'intéresse-t-il ?"

        "Simple curiosité," répondit Henry avec prudence. "Tu sais, étant moi aussi ingénieur…"

        Eh bien mon cher, je dois t'exhorter une fois encore à ne pas chercher à tout saisir. Mets de côté ta curiosité, car il existe de multiples choses que nous ne pourrons pas te dévoiler. Mais quand tu seras informé de ce qui est nécessaire, concernant notre vie, ici, à Kallitala, tu pourras enfin être admis devant le Grand Jury présidé par l'Archonte. Enfin, ami Henry, si tu étais moins curieux et moins récalcitrant, le temps d'attente pour que nous t'accompagnions, Phèdre et moi, jusqu'à Poséidon se réduirait considérablement. Alors, s'il te plaît, essaie de nous faciliter un peu la tâche !"

Et, sur cette pirouette en forme de recommandation à peine déguisée, Paris, d'une tape sur l'épaule, signifia à Henry que, pour ce soir, la discussion était close.


                                       ΩΩΩ


Le voyageur devait mettre définitivement de côté l'idée stupide de s'enfuir avec son bateau. Sans moteur et avec seulement l'aide d'un vent faible, il n'irait pas très loin. Et il savait désormais que, quoi qu'il tentât, les phères le ramèneraient à son point de départ. Même si Paris et sa sœur eussent excusé sa tentative d'escapade, il aurait fait triste mine en présence de Hécube et de Achelais. Non. S'il devait fuir, il fallait qu'il le fît avec un moyen de transport Argien…

Il devait impérativement inspecter le moteur de l'astromobile au plus vite. Mais comment faire, si les deux véhicules des Achelais étaient presque toujours occupés au point que lui et Phèdre se déplaçaient de plus en plus souvent à pied ? Henry se promit de convaincre Phèdre pour qu'elle l'accompagne vers la grande chaîne montagneuse. Il prétexterait le désir de visualiser l'étendue de l'île. Après maintes tergiversations, il résolut de mettre son plan en action dès le lendemain matin. Il profiterait du moment toujours plus intime où la jeune Hellène venait le réveiller, à l'heure matinale où sa langueur n'était pas encore dissipée par la conscience de sa mission, pour solliciter cette promenade.

Il se coucha plein d'espoir. À condition qu'il sût ruser et obtienne de Phèdre qu'elle lui expliquât comment il pouvait l'utiliser, il fallait encore supposer que la vitesse de l'astromobile surmontât la force d'attraction exercée par les bords de la coupole pour empêcher l'entrée et la sortie du territoire Argien. Mais après cela, cette étrange voiture, pourrait-elle filer sur l'eau ? Si elle faisait fi des aspérités du terrain, que, d'une certaine manière, elle rasait à peine, pourquoi ne ferait-elle pas de même sur une superficie liquide ? À moins que… Absorbé par ses pensées, il appuya, par erreur, sur le bouton rouge de la télécommande qui fermait la fenêtre et sombra aussitôt dans le sommeil.

Aucune lumière ne le réveilla. Pour la première fois depuis son arrivée, Henry ouvrit les yeux de lui-même, après huit heures d'un sommeil ininterrompu. Il s'attendait à voir, face à lui, comme à l'accoutumée, le visage nacré et le regard iridescent de Phèdre, mais le cadran lumineux de son chronomètre marin lui indiquait déjà neuf heures. Il fouilla sous l'oreiller en grognant : Mais pourquoi n'est-elle pas là, justement aujourd'hui ?'… Et attrapa la télécommande. Il fit attention de ne pas appuyer sur d'autres touches que celle qu'il savait être la troisième, sur la droite. Il effleura de l'index les deux premiers boutons et appuya donc fermement sur ​​le troisième. La fenêtre s'ouvrit faisant flotter dans la pièce des vagues de lumière, qu'accompagnait le joyeux gazouillis des oiseaux : moineaux, pinsons et mélodieux rossignols, qui avaient élu domicile, en permanence, dans le jardin des Achelais.

Il fallut un temps pour que la vue de Henry s'adaptât à l'intensité de la lumière. Puis il se leva et alla jusqu'à la fenêtre, d'où il se pencha avec discrétion, cherchant à apercevoir si Phèdre était dans le jardin. Il entrevit à peine sa belle chevelure, noire comme l'aile d'une hirondelle, alors qu'elle se déplaçait d'une haie à l'autre. Il se demanda ce qu'elle faisait en ce lieu, lorsqu'elle sortit à découvert et lui fit un geste de salut. Il ne lui avait pas fallu une minute pour le repérer, alors qu'il se croyait dissimulé par le pan du rideau. Comment ces gens devinaient-ils quand on les observait ? Bah ! Il ne se l'expliquait pas… Pas plus que tant de choses encore qui lui semblaient si étranges ! La promesse de Paris de raccourcir le temps de son séjour auprès des Achelais, lui semblait irréalisable, s'il devait tout savoir. Mais, alors qu'il continuait de l'observer, son pessimisme s'effrita à l'idée que Phèdre allait sans doute le conduire en excursion. En effet, il vit l'astromobile - celle-là même à bord de laquelle ils étaient arrivés jusqu'à la maison des Achelais - garée devant l'entrée.

        "Tes parents doivent aller à Poséidon ?" lui demanda-t-il à voix basse, alors que la jeune fille s'était approchée sous sa fenêtre.

        "Non, ils y ont été hier matin. Mon père n'y retournera que demain pour assister à la réunion du Conseil."

Henry faillit suivre son instinct naturel et lui demander si, par hasard, ce Conseil n'était pas le Grand Jury auquel Paris lui avait fait allusion. Il se retint à temps, se souvenant de l'avertissement voilé de son jeune hôte, la veille au soir.

        "Irons-nous visiter les montagnes lointaines, ce matin ?" interrogea-t-il nonchalamment, tout en conjurant en lui-même le mauvais sort, pour que Phèdre ne lui répondît pas le contraire.

        "Bien sûr. C'était au programme ! Mais…" réagit-elle soudainement, "comment le savais-tu ? Je ne te l'avais pas dit. Est-ce que Paris… ?"

        "Non, Je l'ai juste… Deviné… Supposé, si tu préfères. Bon, je m'habille et je descends tout de suite."

        "D'abord tu dois prendre ton petit-déjeuner. On ne sort pas de la maison des Achelais sans avoir renouvelé ses énergies !"

Évidemment, elle se référait au prodigieux sucre filamenteux fondant dans le café.


                                     ΩΩΩ

 

Contrairement aux voitures occidentales, les astromobiles ne possédaient pas de pédales. Les commandes étaient sur le volant et sur ​​sa colonne de direction, à portée de main, sans que le mouvement du bras exigeât le déplacement du buste vers l'avant. Le tableau de bord portait un petit téléviseur d'environ douze pouces qui donnait au conducteur non seulement les indications de vitesse, les témoins d'alerte des pièces du moteur et de l'assiette du véhicule, mais aussi sa position sur le terrain. Elle était marquée par une diode rouge, qui se déplaçait sur une carte géographique à mesure que l'astromobile filait.

Phèdre feignait l'indifférence. Mais elle avait remarqué comme Henry observait attentivement toutes choses. Quand elle vit qu'il regardait le paysage fuyant rapidement autour d'eux, elle le rassura : "Sur la machine fonctionne un dispositif, quasiment similaire à notre coupole protectrice. Il repousse de côté n'importe quels corps étrangers qui viendraient à se trouver sur son passage."

        "Voudrais-tu dire, même les autres voitures que nous croiserions ?"

        "Bien sûr ! À cause de la vitesse à laquelle nous évoluons, il serait extrêmement dangereux de rouler sans cette protection. Quoique, avec l'ampleur de la route, il soit presque impossible qu'une voiture vienne nous percuter, ou que nous percutions l'une d'elles. D'autant plus que tout le monde va à la même vitesse. C'est pourquoi nous n'avons pas, comme chez vous, des 'bouchons' sur nos routes, ni la nécessité de doubler une autre automobile. Comme tu le vois sur l'écran, à ce moment, nous dépassons de peu les trois cents kilomètres à l'heure !"

        "C'est remarquable, en effet ! Mais si, comme cela arrive souvent chez nous, tu roules alors qu'une autre voiture se trouve devant la tienne, juste à quelques mètres, que fais-tu ? Tu restes collée à son arrière-train ?"

        "Chez nous, c'est impossible !" répondit Phèdre avec un petit ricanement. "Tant que cette automobile n'est pas éloignée d'au moins trois kilomètres, la mienne, pas plus que n'importe quelle autre, ne peut pas s'engager sur la même route. On s'engage seulement lorsque la sécurité est assurée. Bien sûr, ça fonctionne ainsi seulement sur les routes principales !"

Il ne servait à rien de tenter d'admirer le paysage. Sur les côtés, la vitesse prodigieuse ne permettait de voir qu'une bande blanchâtre, à peine semblable au marquage d'une flèche. La route était nivelée, sans virages brusques ni côtes abruptes. On ne devinait le passage à un virage, très large, qu'à l'indication du GPS de bord, et une montée qu'à la lecture du niveau d'altitude.

Lorsqu'après seulement une heure de voyage, ils arrivèrent au pied d'une imposante chaîne de montagnes, l'astromobile réduisit sa vitesse et quitta la route principale pour commencer à gravir les pentes. Elle flottait à environ un mètre du sol.

        "Eh bien… Je n'aurais pas imaginé que nous pourrions nous élever aussi aisément !" remarqua, surpris, le jeune américain peu habitué aux roideurs des monts hellènes.

        "Avec ce véhicule nous pouvons gravir des pentes qui s'élèvent jusqu'à trente pour cent ! Le Mont Ida est élevé de cinq mille huit cents mètres et l'Olympus, comme la crête que tu vois là en haut, atteint les six mille cinquante. Nous l'avons appelé comme ça parce que, de loin, ses roches rouges dolomitiques ressemblent à la couronne d'un roi."

        "Mais il n'y a aucune trace de neige ! À cette hauteur, les montagnes devraient être blanches…"

        "Pas ici ! La température à l'intérieur de la calotte ne descend jamais au-dessous de vingt degrés et l'air a la même consistance que celui que nous respirons au niveau de la mer. Moins l'iode, bien sûr !"

Devant eux se profilait une épaisse barrière de sapins qui semblait s'étendre sur plusieurs kilomètres. Henry se demanda comment l'astromobile allait parvenir à la traverser. Il fut désenchanté quand Phèdre, d'un toucher léger, braqua le véhicule qui s'enfila dans un passage étroit, coupant la sapinière en deux.

        "Ah !" Dit-il benoîtement, "un coupe-feu ! Même dans nos forêts, nous avons l'habitude de créer de tels espaces entre les arbres pour faire place aux équipes de pompiers lorsqu'il s'agit d'éteindre les feux. Et, même chez vous, d'après ce que je vois…"

        "Ce n'est pas ce que tu penses ! C'est juste un passage pour les automobiles !" s'insurgea Phèdre. "Et… Tiens, voilà une clairière, arrêtons-nous. Regarde ce beau champ fleuri…"

Il semblait que le véhicule fût télécommandé tant Phèdre réalisa une manœuvre d'atterrissage parfaite… À moins qu'il ne faille la présumer particulièrement expérimentée. Henry profita de cet exploit pour, d'un élan d'admiration, tenter une brèche : "Il est difficile de conduire cette asrt… Automobile ?"

        "Pas du tout ! Il suffit de gérer les bonnes commandes et de suivre la route principale. Quand on prend des routes secondaires, on suit les directions sur la carte ; comme chez vous, non ?" s'enquit-elle, moqueuse.

        L'Occidental préféra ignorer la pointe et feignant la modestie : "Et je…" balbutia-t-il, " Je pourrais, moi, aussi bien que toi ?"

        "Bien sûr !"

        "Vraiment ? Et… Si je te le demandais… Tu m'enseignerais à la conduire maintenant ? Enfin, je veux dire, sur le chemin du retour ?"

Phèdre, qui venait d'ouvrir la portière et s'apprêtait à sortir, se retourna brusquement. Elle fixa les yeux de son compagnon avec une curiosité quasi inquisitrice puis, d'un haussement d'épaules, elle lui répondit, sur un ton d'indifférence : "Avant de repartir, je te montrerai les commandes. Tu verras comme c'est simple !"

        "Ah, oui, seulement les commandes…"

        "Je te la ferai même conduire si tu y tiens. Mais seulement au bout de la rue. Plus tard…"

        "Je te remercie, Phèdre. Tu es bien aimable !"

Il valait mieux, pour l'instant, ne pas trop forcer l'avantage. Henry décida d'en rester là et admira le paysage alentour. Les montagnes qui les entouraient semblaient un rempart infranchissable. Le petit plateau où Phèdre avait garé l'astromobile se trouvait à une altitude de cinq mille mètres, le maximum au-delà duquel ils ne pourraient pas aller, à moins qu'ils ne fussent tous deux des alpinistes chevronnés. Mais, comme lui expliqua la jeune fille, les Hellènes forment un peuple de mentalité très pratique. Ils n'aiment pas ce sport dangereux qui ne rapporte rien de concret.

        "Et puis, comme nous avons la possibilité de survoler très aisément les plus hauts sommets, avec nos aviolobes, pourquoi tenter le hasard et courir des risques aussi inutiles qu'épuisants ?" conclut-elle avec flegme.

Elle entreprit alors de lui expliquer comment les véhicules aériens reliaient entre elles les huit villes principales de l'île. Il n'y avait pas d'aéroport sur l'île de Kallitala, puisque tous les aviolobes étaient en mesure d'atterrir et de décoller à la verticale sur un espace ouvert de petite envergure, et quelle que soit la configuration du terrain. Le système aéroportuaire était donc des plus simples. Une fois arrivé à destination, le passager réceptionnait son bagage sur un tapis roulant qui jaillissait du ventre de l'aviolobe. À quoi bon des contrôles en effet, puisqu'ici, personne n'aurait pensé à voler, à tuer… Donc encore moins à causer un attentat ! S'il n'avait pas pris sa propre voiture et si personne ne venait à sa rencontre, le voyageur utilisait l'automobile publique. En ville ne circulaient que des automobiles dont certains propriétaires agréaient pour servir au « droit public » : il suffisait de lever la main, en direction de l'une d'elles, reconnaissable à son macaron de couleur, pour que le chauffeur s'arrêtât et, d'un sourire engageant, acceptât de conduire l'esseulé jusqu'à sa destination. Les moyens de transport publics, bruyants et polluants du monde occidental, tels que les bus, les tramways, les autobus ou les trains n'existaient donc pas à Kallitala, bien que sa population - qui, selon le dernier recensement semestriel demeurait stable avec ses 6 333 000 individus, parfaitement répartis entre les deux sexes - se déplaçât continuellement d'un bout de l'île à l'autre.

Phèdre aurait volontiers expliqué à Henry comment les Hellènes arrivaient à contrôler de façon si efficace les flux de sa population mais elle le sentit soudain étrangement inquiet. Depuis que la jeune fille lui avait promis qu'il piloterait l'automobile jusqu'à l'autoroute principale, rien ne semblait plus l'intéresser. Il ignorait totalement le magnifique panorama dont Kallitala pouvait s'enorgueillir à cette altitude. Bien que la barrière de montagnes empêchât la vision du restant d'un tiers de l'île, ce qu'ils voyaient maintenant suffisait à donner une idée de son ampleur, et comprendre pourquoi elle était, à juste titre nommée l'île continente. De son promontoire, Henry vit pour la première fois la ville de Poséidon. Elle était très belle, d'une blancheur tirant sur le vert, reflet de la mer étincelante sur laquelle sa baie s'allongeait paresseusement, comme pour mieux goûter ce bain de soleil quotidien. Il ne chercha même pas à découvrir si des bateaux étaient amarrés au long des quais, parfois insuffisants de ce côté de la ville. Faisant mine d'observer ce que Phèdre voulait qu'il voie, il n'avait qu'une idée, fixe : piloter l'astromobile !

        "Mais c'est vraiment très facile !" reconnut-il, quelques minutes après que Phèdre lui eut enfin cédé le volant.

L'automobile obéissait sans délai dès qu'il effleurait l'un ou l'autre des boutons de commande. Il éprouvait un sentiment de griserie à forcer l'allure, aussi appuya-t-il un peu plus que permis sur la molette d'accélération. Il reçut, en contrepartie, un coup d'œil désapprobateur de Phèdre. Pour se donner une contenance, il interrogea : "J'ai l'impression de voler. Mais, est-ce qu'on ne peut pas augmenter l'altitude ?"

"Ce n'est pas un avion. Le système d'hypersustentation n'agit pas au-delà d'un mètre, voire un mètre et demi de la surface," répondit Phèdre.

Il trouva prodigieux qu'elle usât du mot « surface » alors que son esprit à lui, était justement fixé sur celle de la mer, depuis le moment où il avait pris en main le pilotage de l'astromobile.

        "Est-ce que cet engin fonctionne de la même manière, au-dessus de la mer ?"

        "Pas du tout. Il n'a été conçu et testé que pour la traversée de rivières, canaux et torrents, mais après à peine un kilomètre, il n'est plus en mesure de se maintenir au-dessus d'une surface liquide. Le moteur s'arrête automatiquement et la voiture se pose et se met à flotter. Seuls le panneau solaire qui alimente l'équipement électronique de détection de position, et celui, automatique, d'appel de détresse restent actifs."

        "Il n'y a pas le danger qu'elle coule alors ?"

        "Non. Tout ce qui pourrait arriver au conducteur serait qu'il fasse mauvaise impression, et qu'il doive payer pour l'intervention… Sauf s'il arrive à prouver que son comportement a été accidentel. De plus, il devra faire procéder à la vérification du véhicule. Les contrôles ne se font que dans l'atelier spécialisé, situé à la périphérie de Poséidon et ils sont très coûteux. Alors, il faut vraiment y réfléchir à deux fois, avant de tenter la baignade avec nos astromobiles et leur préférer les navires ! D'ailleurs, j'espère que tu as remarqué, depuis le Mont Ida, que de nombreux bateaux sont amarrés à Poséidon."

        "Je n'y ai pas fait tellement attention. Ainsi, il est possible de voyager en mer, mais seulement avec les navires de Poséidon ?"

        "Exactement. Mais seuls les passionnés en usent. Et ils sont très rares. Les Hellènes ne sont pas friands de voyages en mer."

        "C'est étrange pour des insulaires. Habituellement…"

        "Les Hellènes se sont battus contre la mer pendant des siècles et des siècles. Aussi, quand ils ont finalement réussi à la contenir - comprends que je parle ici de l'installation des coupoles et du dressage des phères - ils se sont limités à la parcourir au long des côtes de sable. Ils s'éloignent difficilement au-delà de cent mètres de la rive."

        "Alors, ces embarcations-là, à qui servent-elles ?"

        "Aux armateurs ou aux pêcheurs. Paris en possède une qu'il utilise juste quelques jours pendant sa période de congé. Et, puisque tu es curieux de mécanique, sache que les deux moteurs qui y sont installés sont similaires à ceux de notre automobile. Ils sont simplement modifiés pour fonctionner en contact avec l'eau de mer."

        "Deux moteurs. Qui sait à quelle vitesse elle sillonne les flots…" fit Henry à part soi.

        "Ne crois pas ça. Elle touche à peine les cinquante nœuds !"

        "La vitesse des phères, alors," répliqua sournoisement le jeune marin.

Phèdre ne sentit pas l'espièglerie de la question et répondit aussitôt : "Mais que dis-tu ? Les phères ne dépassent pas les vingt nœuds ! Leur espèce a évolué en privilégiant une puissance maximale de poussée, au détriment de leur vitesse, qui s'est d'autant amenuisée."

        "Les petits remorqueurs de la mer !" ricana Henry, sous cape.

Désormais, ils étaient arrivés à proximité de la grande artère routière et Henry, tenant sa promesse, arrêta l'automobile dans une clairière. Il ouvrit la portière pour libérer la place de pilote, que Phèdre allait reprendre, quand elle posa une main sur son épaule. Il se retourna et frôla son visage, comme en attente. Se souvenant de l'indéfinissable étourdissement qui l'avait saisi la première fois, il posa ses lèvres sur les siennes, on ne peut plus chastement. Ce fut elle qui lui saisit la nuque à deux mains et, l'attirant à elle, imprima sur la base de son cou un baiser si lascif que le jeune homme, ébaudi d'une concupiscence déchirante, se sentit défaillir. Alors Phèdre desserra son étreinte et se glissa hors d'atteinte. Il éclata, saisissant son bras : "oh, non. Pas cette fois ! Tu ne peux pas m'étourdir de cette façon puis jouer les jeunes filles pudiques. S'il est vrai que vous, Hellènes, êtes justes et respectueux de la nature, rappelle-toi que moi aussi j'en fais partie et que tes brusques écarts m'alanguissent ! Mais enfin, vous, qui ne voulez pas être compté parmi la race humaine, avez-vous au moins du sang dans les veines ?" termina-t-il d'un ton affligé.

Elle s'assit mélancolique et plongea ses yeux dans ceux de l'homme. Lui, contemplant les feuilles d'or de ses iris, parut se noyer dans les sillons chatoyants de leurs opales encerclées de noir. Il perdit tout raisonnement et, oubliant ce qu'il venait à peine de dire, il enserra à son tour son visage de Madone athénienne qu'il embrassa sur la joue. Phèdre, se détachant cette fois d'un léger mouvement gracieux, lui rendit le compliment, d'une caresse dont un doigt chuta sur la bouche entrouverte du jeune Céladon.

        "Je ne veux pas jouer les vierges dédaigneuses, cher Henry, mais je ne peux te laisser aller plus loin," dit-elle, mettant dans sa voix tout le charme capable de le convaincre. "Non que je ne t'aime pas, mais parce que ton être ne supporterait pas l'influx du mien et je déplorerais que notre appariement ne soit pour toi source de mort. Tu me plais… Et peut-être que je tomberai amoureuse de toi, mais…"

Henry la fit taire, posant sur la bouche de Phèdre, sa main qu'elle baisa langoureusement.

        "Moi aussi. Pardonne-moi, mais je devais te le dire. Je le suis déjà…"

        "Tu es déjà… ?"

        "Amoureux, oui ! C'est tellement vrai que j'en ai oublié ma fiancée qui m'attend à New York et… Toutes les femmes de ma vie : ma mère… Ma sœur," énuméra-t-il. "Tu as absorbé tous mes sentiments… Phèdre, je…"

        "Tais-toi, je t'en prie !" commença la jeune fille en reculant de nouveau. "Avant que nous puissions créer quoi que ce soit entre nous, il est nécessaire que tu passes par des phases d'adaptation difficiles et peut-être longues. Mon Pays est pour toi un monde nouveau : t'es-tu aperçu que ta vue peut planer avec l'acuité d'un faucon, que ton poids a été réduit de près de la moitié et que, en revanche, tes sensations se sont développées de manière phénoménale ? N'éprouves-tu pas un tourment seulement à me toucher et un étrange vertige quand tes lèvres rencontrent avidement mon visage ? Non, cher Henry, ton cœur d'humain ne pourrait jamais supporter l'intensité paroxystique de nos baisers répétés… Ou profonds. Non, tu en mourrais !"

Devant son regard hébété, elle insista : "Comprends-tu ce que je te dis ?"

Il avait oublié jusqu'à ses désirs de retour.

        "Peu importe," rétorqua-t-il, la voix rendue rauque par la passion.

        "Voudrais-tu dire que, malgré le risque encouru, tu serais prêt à aller plus loin dans une relation profonde avec moi, sans attendre ?"

Il lui jeta un regard de chien battu, hésita… Elle voyait quel combat livrait l'âme du jeune américain. Enfin, il articula avec peine : "Non ! Mais je veux pouvoir exprimer toute ma joie de savoir que tu m'aimes. Il devra alors me plaire et me suffire d'être avec toi, d'entendre ta voix caressante, de dévorer des yeux ton corps de déesse et de me rassasier de ton regard d'ange. Te toucher et t'embrasser…" laissa-t-il alors jaillir dans une plainte contenue, pareille au brame de langueur du cerf privé de sa biche. "Malheureusement, l'instinct masculin m'encourage à aller plus loin. Comment ne plus l'éprouver… Même si tu es assez habile pour l'éviter ? Mais je me contiendrai… De toutes mes forces !"

"Merci, Henry. L'Archonte, une fois de plus, a montré sa sagesse dans le choix d'un homme qui a des principes sains et des sentiments sincères."

Puis, d'une pirouette, Phèdre fit dévier la conversation, de façon si nette, que Henry crut rêver : "Très bien. Maintenant, retournons à la maison. J'imagine que tu dois avoir faim. En tout cas, moi oui !"

Quelle drôlesse de femme ! Comment pouvait-elle penser à son estomac, après ce qu'ils venaient de partager ?

Comme pour se faire excuser de son impuissance à lui donner plus, Phèdre invita Henry à s'installer de nouveau sur le siège du pilote : "Conduis-la jusqu'à la maison ; je veux que mon père voie comment tu t'habitues à notre mode de vie."

        "Mais je ne sais pas si, à cette vitesse, je pourrai…"

        "Il est plus facile de la conduire ici que hors de la route. Allez, démarre et aligne-toi sur la bande. Sur les premiers kilomètres, tu retiens l'accélérateur au niveau 60, puis tu le porteras lentement à 85, ce qui n'est qu'une allure de croisière. Tu verras que cela ira très bien !"

Henry effectua les manœuvres recommandées. Il eut un mouvement de surprise quand il vit que le tableau de bord indiquait la vitesse de trois cents kilomètres à l'heure. En l'absence de circulation, mais aussi à cause de l'extrême largeur de la route, il ne lui semblait pas rouler aussi vite. Il osa une question intrépide : "Et si, par hasard, la limite de l'accélérateur était montée jusqu'à 100, quelle vitesse atteindrions-nous alors ?"

        "Tu n'as jamais essayé sur ta voiture, d'amener l'aiguille du tachymètre dans la partie rouge ? Cela peut marcher durant quelques secondes, en cas d'urgence, mais si tu la tenais ainsi bloquée, tu emballerais le moteur et tu l'endommagerais. Ce serait la même chose sur nos automobiles. Seulement, après seulement dix secondes, un dispositif spécial de sécurité éteindrait le propulseur."

        "Et s'il n'y avait pas ce dispositif ?"

        "Nous devrions faire face à deux risques : le premier serait une perte d'adhérence et de protection contre les obstacles éventuels et le second serait que le moteur fondrait, se transformant en un bloc compact. Comme vous dites, il n'y aurait plus qu'un tas de ferraille !"

        "Mais pourquoi ? Ce n'est pas du fer ?"

        "Effectivement, je n'ai employé qu'une expression imagée car il n'existe rien de métallique, chez nous ; pas de fer ! Mais ça, Paris te l'expliquera mieux que moi. Maintenant peux-tu tourner l'écrou d'accélération sur 85 si nous ne voulons pas arriver en retard. Achelais est toujours ponctuel comme une horloge."

Henry s'habituait-il vraiment à vivre en Hellène ? Non seulement il avait piloté l'astromobile avec adresse, arrivant juste au moment où Achelais et son épouse étaient dans le jardin pour une promenade préprandiale, mais il négocia également une manœuvre de stationnement parfaite qui attira l'attention des époux. Alors que Henry faisait sortir Phèdre et s'apprêtait à le faire à son tour, après s'être assuré de n'avoir laissé en fonction aucun bouton de commande sur les panneaux intérieurs, Achelais lâcha le bras de Hécube et s'approcha de l'astromobile : "Bravo, jeune gars !" lança-t-il en guise d'accueil. "Je vois avec plaisir que tu t'habitues à notre milieu. C'est un très beau progrès !

        "Conduire l'astromobile est d'une extrême facilité, Achelais," répondit modestement Henry.

        "Ça, je le sais, mais je ne me référais pas à ceci. Ma satisfaction, c'est de voir que tu t'adaptes bien. J'ai déjà vu que tu appréciais notre nourriture, maintenant tu pilotes un de nos véhicules… Et qui sait encore ce que tu réussiras dans les prochains jours ? Mes enfants disent que tu progresses beaucoup. Tu sais, il nous est déjà arrivé de…"

        "Père," s'immisça Phèdre. "Le dîner est presque prêt et tu as laissé maman seule !" puis, lui adressant un léger froncement de sourcils : "Je t'en prie… Achelais !"

Elle entraîna l'ancien vers les salons tandis qu'Henry saisissait à la volée le sens de cette intrusion : si Phèdre l'avait appelé par son prénom, cela signifiait que son père avait parlé plus qu'il ne fallait. Que leur était-il donc arrivé qu'ils dussent taire, malgré la confiance dont les Achelais gratifiaient le jeune Américain ? Est-ce que quelqu'un, avant lui, avait déjà abordé sur l'île ? Comment s'était-il comporté alors ? Henry avait l'impression de toucher une vérité, d'approcher la porte d'un coffre-fort… Pas si hermétique que cela ! Peut-être, comme lui-même avait pensé à le tenter, ce voyageur d'un autre temps avait-il réussi à s'enfuir, emportant avec lui quelque formule qui… Car il n'était pas pensable que qui que ce soit eût pu revenir la tête ou les mains vides du savoir découvert ici !Mais quand ? Et comment ? Et enfin, quelle nouvelle invention le voyageur avait-il pu rapporter dans 'son Occident' ?

Le cœur du jeune homme battait la chamade alors que son esprit courait d'hypothèses en élucubrations. Jamais il n'avait autant échafaudé d'assertions depuis son dernier examen ! Après la découverte de la fusion nucléaire, il ne lui semblait pas que lesdits Occidentaux eussent inventé quoi que ce soit de révolutionnaire. Certes, ils avaient mis au point des équipements qui avaient évolué à l'excès mais la radio, le téléphone, le moteur à combustion interne, l'avion tout ce qui faisait notre modernité, avaient été conçus au début du siècle, tandis que des solutions, semblables à celles qu'il voyait ici - la création d'une coupole protectrice et surtout, la fission nucléaire à froid - étaient encore à venir, à condition que quelqu'un eût le talent de les concevoir. Alors, cet individu qui avait été invité à Kallitala avant lui, devait être venu dans le siècle dernier ? Et le temps, pour les Hellènes, étant beaucoup plus lent que chez les humains…

        Mais oui, bien sûr !'

        Et s'il avait été capable de s'échapper, son prédécesseur avait sans doute été à l'origine d'une découverte révolutionnaire pour l'époque occidentale, mais qui n'était en fait qu'un secret volé ici. Et cette chose pouvait tout aussi bien avoir été la radio, ou l'électricité ou, mieux encore… Le moteur à combustion ? Non, non, ce raisonnement était juste une fantaisie idiote. De telles inventions étaient nées de façon trop primitive et, l'homme qui aurait réussi à voler une formule secrète sur la Grande Île de cet Atlantique, l'aurait révélée dans toute la splendeur de sa découverte ! Mais quoi alors ? Qu'avait-il pu se passer ? Quelle stupidité que le mystère échappé de la bouche de Achelais, ait été étouffé dans l'œuf par l'intervention péremptoire de Phèdre. Quels secrets cachaient donc ces gens si évolués ?

        Et si cet être humain avait été repris par les phères ? Et si les Hellènes l'avaient emprisonné ? Si l'on considérait le fait qu'ils se défendaient de tuer les êtres vivants autres que les poissons, peut-être était-il mort de vieillesse, dans un antre obscur ?

        L'angoisse s'empara à nouveau de lui et Henry ne put retenir une grimace de mâle peur : Serai-je alors destiné à subir le même sort ? Et si cela était, en découvrirai-je un jour l'obscure raison ?'


5 - L'EVASION

 

 

Avant le repas, Henry saisit le premier prétexte venu pour s'éclipser quelques instants dans sa chambre. Il avait besoin de se ressaisir s'il voulait continuer à donner le change pour ne pas nuire à ses chances d'évasion. Apparemment, Phèdre commençait à ressentir plus qu'une affection polie pour le jeune américain. Il était donc plus important que jamais qu'il continue à leur laisser croire à son acclimatation possible, et sans regrets, sur Kallitala.

Tandis qu'il spéculait en solitaire, la jeune fille échangeait avec son frère un ressenti bien loin des suppositions d'Henry : "Il me paraît assez nerveux," disait Paris. "Quand nous discutons, et bien qu'il pose de nombreuses questions, je m'aperçois que son esprit semble cependant absent !"

        "Je crois qu'il cherche à s'enfuir. Il m'a posée maintes questions sur les capacités de notre automobile et quand je lui ai dit qu'elle ne peut pas voler au-dessus de la mer, il est resté très déçu, comme un enfant auquel on refuse une gourmandise. Cependant, son désir de fuite me semble bien étrange !"

        "Étrange ? Mais pourquoi cela ?"

        "Eh bien, il m'a avoué qu'il m'aime… C'est plutôt antithétique, ne crois-tu pas ?"

        "Et qui ne t'aimerait pas ? Tu es très belle, ma chère sœur et quiconque demeure près de toi est en grave danger d'amour, sourit son frère avec sollicitude. Fais cependant attention à Méléagre."

        "Qui ? Ton présomptueux collègue de bureau ?"

        "Ne sortez-vous pas toujours ensemble ?"

        "Mais qu'est-ce que tu dis, Paris ? C'est arrivé une seule fois, lors d'une mission intérimaire où j'avais été envoyée avec lui ! Je n'aime d'ailleurs pas vraiment ce job !"

        "Ah bon ? C'est bien la première fois que tu…"

        "Mais non, je ne parle pas de mon emploi habituel, mais de cette tâche à laquelle on m'a assignée ! Tenir compagnie à Henry n'est pas de tout repos pour mes émotions ! Et, je ne voudrais pas risquer de perdre mon emploi pour une mission en extra qui dure plus que prévu. Je n'en serais pas contente du tout."

        "Aucun risque, Phèdre. Et puis, dis-moi la vérité : il ne te plaît vraiment pas cet humain ? Ne m'as-tu pas souvent dit que tes prétendants sont… Un peu fades ? Celui-là doit être d'une autre trempe, non ? Comment se comporte-t-il avec toi ? Est-il si… Envahissant ?"

        "Ça, tu peux le dire ! Il ne rate jamais une occasion de tenter sa chance. Il me touche et me tâte comme le ferait une personne aveugle, dès que nous sommes seuls ! Mais il est agréable, je dois bien l'avouer ! Seulement, tu sais très bien qu'il ne peut pas continuer à me tourner autour ainsi. Si je me laissais aller, moi aussi, à l'embrasser, je…"

        "Si tu le laissais faire, ce serait une complexité de plus à gérer, Phèdre. Au lieu de l'envoyer plein de santé et bien instruit devant l'Archonte, nous le lui apporterions… Les pieds devant comme on dit chez lui !"

        "Ne t'inquiète pas. Je sais l'arrêter à temps. Enfin, jusqu'à maintenant," laissa tomber Phèdre, comme pour elle-même. "Mais nous devrions plutôt songer à résoudre un problème plus harcelant encore ! Nous devons faire en sorte que, s'il osait une tentative, il en perdrait l'envie d'essayer encore et trouverait la paix de l'âme ici… Bon gré mal gré, il faut qu'il finisse par s'assimiler et devienne l'un d'entre nous !"

        "Tu parles de son envie de fuir ?"

        "Oui, Nous ne pouvons pas prendre le risque de le perdre comme nous avons perdu l'autre scientifique qui fut amené à Kallitala, voici seize de nos années !"

        "Cela n'arrivera pas, sœurette ! Et pour deux raisons : la première, c'est que ce type venait d'un monde trop sous-développé en matière de technologie, c'est pourquoi il a ressenti ces terribles traumatismes psychologiques lorsqu'il réalisa le poids de nos avancées… Et enfin, ajouta Paris, taquin, nos pères n'avaient pas songé à engager une jolie femme, talentueuse, pour le distraire ! Si Henry t'a déclaré son amour, sois tranquille : il ne lui déplaira pas, finalement, de demeurer ici."

        "Bien… Si tu le dis," concéda la jeune fille. "J'espère que tu vois juste. En ce cas, que décidons-nous ?"

        "Comme tu l'as suggéré, donnons-lui une occasion de croire une évasion possible. N'a-t-il pas dit qu'il serait intéressé par une promenade en bateau ? Eh bien, satisfaisons-le. Nous provoquerons une opportunité qui lui permettra de voler le mien. Nous le laisserons errer pendant quelques heures, puis les phères le ramèneront à l'arrière de l'Île. Puisque, pour l'instant il nous est interdit d'aller à Poséidon, demain je ferais amarrer mon cruiser derrière son voilier. Après, ce sera à toi de…"

        "Ça va, j'ai compris ! C'est une bonne idée, mais… Achelais sera-t-il d'accord ?"

        "Je pense que oui. Avant le dîner, je lui en toucherai un mot. Et, demain il en référera au Grand Jury."

 

                                    ΩΩΩ

 

Ce soir-là, Le dîner se prolongea plus que d'habitude. Après une délicieuse soupe aux fruits de mer, furent servies des langoustes dont, comme chacun sait, la partie plus savoureuse se trouve dans les pinces. Aussi, tous prirent un grand soin à bien les nettoyer de leur contenu. Toutefois, Henry ne fit pas grand honneur à la table. Sa déclaration d'amour à Phèdre, en partie repoussée par un 'peut-être', le faisait intensément réfléchir sur les mystères de Kallitala. D'un côté - et pour l'heure, c'était celui-ci qui prédominait - Henry désirait rentrer chez lui et retrouver une vie 'logique' pour son regard d'Occidental, ainsi que l'avaient étiqueté les Hellènes. Il voulait reprendre son emploi d'ingénieur de recherche, même si, pour cela, il lui fallait retrouver, puis résoudre l'obstacle de sa liaison compliquée avec Liza. Cette seule pensée lui entravait le cœur ! Cependant, depuis trois jours que son voilier était amarré sur l'un des flancs de cette île mystérieuse - mais tellement paradisiaque - il avait inconsciemment développé une certaine soumission le poussant à y rester pour la période prévue par cet Archonte dont il n'avait toujours aucune nouvelle. Car, outre l'amour qu'il vouait à son ravissant amphitryon, laquelle ne le quittait pour ainsi dire pas entre le matin et l'heure du souper, l'aiguillon d'une curiosité accrue le poussait à vouloir connaître, sinon la totalité, du moins tout ce qu'il pourrait découvrir des secrets du peuple hellène. Henry, féru d'histoire, et songeant à toutes les exterminations qui avaient jalonné la route des humains au fil des millénaires, voulait savoir comment Kallitala avait pu survivre à tout cela. Il se disait que, si ce continent avait été découvert par des personnes de la trempe de Colomb aux Antilles, ou de Cortès dans les territoires Incas, il aurait sans doute, et depuis longtemps, été effacé de la surface de la terre. Avec l'appui du fanatisme religieux qui caractérisait alors ces temps obscurs dans lesquels on donnait plus d'importance à l'édification des temples, à la composition de chants d'Hosanna et aux pénitences d'autoflagellation qu'à la déférence envers les êtres d'autres cultures, l'île serait maintenant un territoire esclave, une colonie, comme le furent Cuba, Hispaniola, et tant d'autres îles caribéennes envahies après des combats sanglants et fratricides.

Qu'en est-il aujourd'hui encore ?' Songeait le jeune américain. L'actualité continue de mentionner les émeutes et guerres civiles qui hantent ces lieux, sinon explicitement, du moins sous forme d'intimidation ou d'injustes emprisonnements. Combien d'opposants aux régimes disparaissent sans que jamais la lumière ne soit faite sur leur absence ?'

Dans de telles circonstances, la beauté de Phèdre aurait tracé sa destinée : les proxénètes les plus en vue se seraient sournoisement étripés pour la vouer à la prostitution… Tous ces délits étant accompagnés d'une misère profonde qui, bien entendu, ne s'agrippe qu'aux plus faibles.

Mais qu'est-ce que cache cette île ?'

        Ainsi l'ingénieur discourait-il avec lui-même. Eh bien qu'il fût professionnellement habitué à résoudre des énigmes, il ne trouvait pas le point d'ancrage qui lui aurait permis de dénouer celle-ci. Désenchanté du monde dans lequel il avait vécu les trente-deux années que la vie lui avait déjà offertes, il ne croyait pas à la perfection.

        L'esprit humain est fondamentalement corrompu, ou du moins, corruptible. Il n'y a aucune raison qu'il en soit autrement chez les Hellènes ! Les passions de la vie sont bien trop excessives pour qu'un être doté de sentiments, ou même d'instinct, puisse demeurer stoïque jusqu'à la pureté ! Hélas, cela n'est même pas concevable ! D'autant plus si l'on pense qu'ici, on vit jusqu'à deux cent quarante de nos années : c'est juste bon à connaître quatre fois plus de tentations et d'états d'âme, à lutter quatre fois plus contre soi-même et contre son prochain !'

        L'appel à venir se sustenter, et auquel l'Américain avait répondu sans se faire prier, n'était toutefois pas parvenu à l'extraire des questionnements qui le taraudaient. Jusqu'à présent, Phèdre et Paris lui avaient présenté la façade la plus attrayante de leur existence. L'île était belle, sans aucun doute, comme ses habitants, songeait Henry au souvenir des quelques personnes qu'il avait déjà rencontrées. Aucune ne portait les marques d'une dégénérescence humaine sur son visage ou sur son corps. Quelle différence avec sa Terre où pullulaient les hommes et les femmes de mauvaise vie, estropiés par des unions consanguines, soumis à des maladies qui les conduisaient vers une mort précoce. Peut-être la conscience de leurs imperfections avait-elle porté ses semblables vers la médiocrité, les incitant à provoquer des guerres dans lesquelles ils trouvaient la justification de leurs principes, si douteux fussent-ils… Car, enfin, peut-on être bon quand on est laid, difforme ou constamment malade ? Grande question !

        'Ah voilà bien le véritable malheur du monde : les principes, la religion et une philosophie dérangée, ne peuvent que nous apporter la corruption et l'hypocrisie,' songeait Henry, en proie à d'étranges sentiments qui ne le laissaient pas sans interrogation.

Entre les massacres guerriers et les inquisitions, les injustices et les tragédies naturelles ; après l'obscurantisme de plus de dix siècles, il aurait pourtant été logique que la terre vienne à résipiscence, qu'elle finisse par accéder à une forme de dignité morale, au point que ses habitants auraient compris la valeur de la vie et sauraient jouir de ses beautés naturelles, similaires, en certains lieux, à celles que renfermait l'île de Kallitala.

Alors que les 'hommes' se déchiraient, ici, la science médicale et la technologie industrielle avaient plus que triplé l'espérance et la qualité de vie. Cela n'était pas une rareté, mais une normalité à laquelle les Argiens étaient parvenus dans le bref laps d'à peine deux cents ans de notre temps cosmique. Henry en arrivait à se demander si, finalement, il ne serait pas plus heureux ici.

Ainsi perdu dans ses pensées, il n'avait pas encore touché à la langouste offerte à ses papilles. Phèdre l'observait avec attention. D'un léger coup de pied sous la table, elle finit par le rappeler à la raison et, d'un regard, attira son attention sur les autres convives qui le dévisageaient avec surprise. Jusqu'ici, il avait tant fait tant honneur aux repas, invitant même l'ancelle à lui donner une seconde portion du plat qui aiguisait le plus son appétit. Que lui arrivait-il donc ?

        "Henry, mon ami…" fit Achelais, le seul habilité à prendre la parole au cours du repas, "est-ce que tu ne te sens pas bien ? Ou est-ce cette langouste qui t'a fait du tort ?" tenta-il dans un effort de diversion taquine. "N'est-elle pas à ton goût ? Pourtant, ne m'avais-tu pas dit combien tu en étais gourmand ?"

        "Pardonne-moi, Achelais. Et vous tous aussi… La langouste est sans doute très savoureuse. Mais j'étais vraiment perdu dans mes pensées. Vous savez, avec toutes les nouveautés que j'apprends depuis que je suis ici, je me suis laissé emporter dans des réflexions intenses… Qui n'ont pas leur place à table, je le reconnais," répondit Henry.

Et, s'emparant de la pince métallique, il se concentra sur celles du crustacé qu'il détacha pour en enlever la chair.

 

                                     ΩΩΩ

 

"Mon ami Henry," dit Paris quand, une fois le dîner terminé, ils furent sortis dans le jardin pour l'habituelle promenade. "Si je t'ai dit, hier que la durée de ton séjour dans la maison de mes parents pourrait ne plus être très longue, ce soir je suis malheureusement dans l'obligation de t'informer que j'ai fait erreur."

"Dieu veut que non !" rétorqua Henry inquiet. "Et pourquoi ce brusque revirement, Paris ? Peux-tu me le dire ?"

"Ces pensées profondes dans lesquelles tu t'isoles, même lorsque tu es en compagnie, laissent à penser qu'elles occupent ton esprit plus qu'il ne le faudrait au cours des journées et, qui sait, peut-être aussi, inconsciemment même, quand tu dors. Ce n'est pas un bon signe, car cela signifie que tu ne réussis pas à t'acclimater."

"M'acclimater ? Mais voyons il est très aisé de s'adapter à votre climat : vous êtes toujours au printemps ! Quant à vos usages et à votre nourriture, je ne vois pas ce qui…"

"Non, Henry. Ceci n'est qu'une infime partie d'une acclimatation ! Nous attendons beaucoup plus de toi."

"Et puis quoi encore ? N'en aurez-vous donc jamais assez ?" répliqua l'Américain irrité par ces énigmes sans fin.

"T'acclimater sous-entend que tu deviennes comme l'un des nôtres ! Attends, ne t'énerve pas," prévint Paris d'un geste de la main. "Je t'explique : dans ton esprit, et du fait que le temps s'écoule plus lentement ici - ce qui, selon toi, est une fadaise irréelle - tu penses qu'avec la rapidité de réflexion acquise dans le monde d'où tu viens et grâce à tes connaissances en physique spatiale, il ne te sera pas difficile d'ouvrir une maille dans le filet de notre continent. Eh bien, tu as tort ! Et tu ne pourras pas te présenter devant l'Archonte et tout le Grand Jury constituant l'Assemblée, si tu ne raisonnes pas à l'instar des Hellènes, comme on apprend à raisonner avec une langue étrangère que l'on veut apprendre. Tant que tu n'arriveras pas à vaincre cet exercice, ton métabolisme restera sous l'influence de ton continent et, pour toi, notre temps continuera à s'écouler « au ralenti » Tu ne pourras pas entrer pleinement dans nos pensées si tu ne t'intègres pas à notre atmosphère… Et, d'un autre côté, coincé ici, tant que l'Archonte ne le permettra pas, tu n'as aucune chance de pouvoir repartir avec ton bateau…"

Oui, tu l'as bien dit : avec mon bateau, peut-être que non. Mais avec le tien, je ne le parierais pas !' Songea Henry en aparté.

Mais, devant Paris, il prit un air confus : "Tu veux dire que je serai assis entre deux chaises ? C'est bien cela que tu essaies de me faire comprendre ?"

        "En quelque sorte," répondit Paris. "Enfin, plutôt entre deux mondes !"

        "Ce n'est pas facile, je t'assure," répondit le jeune ingénieur de la manière la plus humble qu'il lui était possible d'afficher. "Mes pensées les plus profondes sont pourtant dictées par la volonté de m'adapter. Heureusement, ta sœur m'aide, m'enseignant des choses qui, unies au plaisir de visiter vos lieux exotiques, sont plus faciles à absorber."

"Tu as raison. Je dois admettre que mes observations peuvent paraître plus pédantes parce qu'elles sont techniques… En outre, il est vrai que nos flâneries, dans ce jardin éclairé d'une lumière artificielle, ne sont pas vraiment une invite à la connaissance. Mais, je te promets que, dans deux jours, je te consacrerai une journée entière sur mon week-end pour aller faire un tour en bateau."

"Mais dans deux jours, ce sera mardi ! Vos week-ends sont placés de façon bien étrange dans le cours de la semaine !"

"Effectivement, si j'utilisais ton langage, cette appellation semblerait inappropriée. Mais ici, nous appelons week-end les jours de repos bien mérités par chacun de ceux qui besognent… Ainsi, mon week-end est toujours placé sur le mardi et mercredi, alors que ceux de mon père et de ma sœur sont variables en fonction de leur planning de travail."

"Mais que faites-vous alors des samedis et dimanches ?" insista Henry.

"Chez nous, le repos dominical n'existe pas. Ce sont des jours comme les autres, parce que le travail ne s'arrête jamais. Simplement, chacun a droit à deux jours de repos sur sept, auxquels s'ajoutent parfois d'autres congés."

"Veux-tu dire aussi que, contrairement à nous, vous n'avez pas de congés d'été ?"

"Exactement. Mais tu sais, cela nous donne satisfaction, à tous ! En effet, notre climat étant constant, il n'y a aucune raison d'adopter vos mauvais usages de surpeuplement, tous en même temps, les routes et les lieux d'intérêt touristique. Avec vos voitures polluantes, toutes têtes à queues, comment s'étonner des accidents qui provoquent morts et blessés en nombre parfois impressionnant ? Belles vacances, en vérité !"

"Les accidents n'existent donc pas chez vous ?"

"Je dirais que non, en règle générale, mais… Oui," admit Paris, "nous avons quelques accidents. Ils ne sont pas le fait d'automobilistes imprudents ou excédés par les bouchons ; comme je te l'ai démontré, cela est impossible. Il s'agit, en général, de randonneurs téméraires, négligents ou distraits, qui vont sans précaution dans des endroits inaccessibles. Cela arrive, hélas ! Cependant ils ne causent jamais la mort ; juste quelques blessures, plus ou moins graves, qui sont soignées dans nos hôpitaux."

"Vos hôpitaux ! Ainsi, vous en avez donc quand même !"

"Mais bien sûr ! Et pourquoi nous ne devrions pas en avoir ?"

"Je m'étais fait à l'idée que, outre le fait que vous vivez longtemps, vous étiez également exemptés des inconvénients de notre pauvre humanité."

"Tu fais de l'ironie à bon marché, mon ami ! Te rends-tu compte que tu as des idées préconçues ?"

"Non, non, je t'en prie, Paris, ne le prends pas mal. C'était juste une… Misérable blague. Revenons au thème de ce soir, veux-tu ?" demanda Henry, tentant un vif intérêt.

Paris plongea son regard dans le sien et pensa y lire un regret sincère. Il accepta donc l'armistice et se prépara à instruire son confrère sur un sujet qui, tout ardu qu'il soit, méritait que l'on s'y arrêtât.

        "Donc…" commença-t-il, "tu m'avais demandé pourquoi nous accumulons l'énergie solaire par le biais des panneaux spéciaux qui la dévient vers les grandes centrales. Te souviens-tu de ma réponse ?"

        "Oui," récita Henry. "Cette énergie sert à donner l'électricité aux industries et le surplus, qui représente cinquante pour cent de la production, est envoyé dans la grande centrale de transformation du Mont Taygète."

        "Bravo," commenta le professeur du soir, "tu as bien retenu la leçon ! Mais sais-tu la raison pour laquelle ce mont s'appelle Taygète ?"

        "Quoi, votre montagne ?" demanda Henry un peu hébété. "Du peu dont je me souvienne de mes cours d'histoire de la Grèce antique, je pense que c'était de là que l'on jetait les enfants difformes. Ai-je tort ?"

        "C'était bien cela ! Ils étaient jetés dans le gouffre de Apotéte, parce que les Spartiates s'arrogeaient le droit de n'élever que des enfants qui, pour devenir des guerriers, ne devaient avoir aucun défaut physique. Comme te l'a expliqué Phèdre, parce que nous voulons garder un certain lien affectif avec la patrie d'où viennent nos très lointains ancêtres, nous utilisons la mythologie pour nommer nos lieux. Mais il n'existe aucun autre lien entre notre Mont Taygète et celui du Péloponnèse que… Comment dire ? Une cicatrice !"

        "Une cicatrice ? Comment cela ?"

        "Il s'agit en fait d'un gouffre, que nous nommons aussi Apotéte. Il se perd dans les entrailles de Kallitala, pour rejoindre un cône volcanique à douze kilomètres de profondeur, donc sous l'Océan Atlantique. Notre île fait partie de la chaîne des monts sous-marins qui représentent la conjonction ou, si tu préfères, la cicatrice d'une blessure causée par le mouvement des continents. Elle arrive jusqu'à l'Antarctique. Notre territoire est le seul émergé qu'ait laissé poindre cette cicatrice. Il est situé entre les plaques continentales nord-américaine et africaine ; exactement sur le tropique du Cancer."

        "Comment mon voilier a-t-il pu couvrir une telle distance ? Je croyais être arrivé aux Bahamas ou, tout au plus, à Cuba," lâcha Henry, avec une expression de stupeur.         "Mais c'est énorme !"

        "Environ trois mille cinq cents kilomètres. Mais les phères savent faire des miracles, crois-moi. Et enfin, sais-tu combien de temps tu es resté évanoui ?"

        "Mais… Un maximum de quelques dizaines de minutes. Le coup de la bôme sur ma   

"Ah, parce que tu penses vraiment avoir été frappé par la bôme de ton navire ?"

        "Certes, oui ! J'étais sur le pont, au gouvernail ; je venais à peine de me mouiller la tête avec l'eau de ma bouteille. J'ai trop lâché et je… Et boum ! Ou… Non ?"

        "Mais comment cela aurait-il été possible ? Réfléchis un peu : le simbleau t'aurait frappé si tu étais resté debout sur le pont ; d'autant plus que tu me dis avoir été à la barre, tout en tenant la drisse qui commande la grande voile…"

        "Oui, mais je l'avais quasiment lâchée," se défendit Henry qui perdait pied… Songeant soudain à l'impossibilité que son accident fût vraiment survenu comme il l'avait cru.

        "C'est une phère-mère qui t'a narcotisé en te projetant un jet liquide dont elles se servent d'ordinaire contre leurs congénères récalcitrants. Ce produit, dont nous nous targuons d'avoir été les découvreurs, nous l'utilisons aussi lors d'interventions chirurgicales."

        "Et elles m'auraient poussé ? Sur trois mille cinq cents kilomètres ? Mais c'est impossible ! Tu m'as dit que leur vitesse ne dépasse pas les quarante nœuds… Soixante-seize kilomètres à l'heure !"

        Henry secouait la tête comme un enfant buté dans ses retranchements : "Impossible," insista-t-il. "Tu t'imagines le temps qu'il leur aura fallu pour…"

        "Cette vitesse, c'est seulement si elles nagent librement en surface, sans être contrecarrées par une mer agitée. Non, même en s'escrimant, les phères ne peuvent pas l'atteindre au milieu de l'Océan Atlantique. Il n'est jamais parfaitement calme et le risque est grand aussi de couper la route de quelque navire qui les emporterait. En fait, c'est un aviolobe de transport qui a amené ton bateau jusque dans notre mer," confessa le jeune Hellène. "Après que les Phères se sont assurées de ton endormissement, elles ont dirigé ton navire au large. De là, l'aviolobe l'a automatiquement élingué, puis soulevé à une altitude d'à peine quinze mètres au-dessus de la surface de l'eau pour le transporter jusqu'à nos bornes."

        "Et personne, sur toute cette distance, n'a rien vu ?"

        "Ah ça…" lâcha le frère de Phèdre qui n'avait rien à lui envier pour cultiver l'énigme. Puis il continua, comme si rien n'était venu l'interrompre : " après quoi, les phères de la mer intérieure sont intervenues. Elles t'ont amené à quai en deux heures environ. Tu comprends bien que, poussant un bateau, elles ne pouvaient pas exploiter toute leur vitesse. Si elles t'ont réveillé au milieu de l'après-midi, c'est parce que le moment où tu pensais avoir été assommé par la bôme était aux environs de midi. Il fallait que l'accident reste plausible."

        "Alors que je pensais avoir parcouru à peine une centaine de miles…" frémit Henry d'une voix monotone. "Jamais on ne me retrouvera, si loin de là-bas…"

Comment et où repartir maintenant ? L'explication l'avait déprimé. Même s'il s'en aperçut, Paris n'en laissa rien paraître. De sa tape coutumière sur l'épaule, il interpella son hôte : "Bien, ami Henry. Maintenant tu sais comment tu es arrivé chez nous et, par conséquent, choisi pour une mission."

"Mission ?"

Henry écarquilla les yeux. Et, d'un ton qu'il s'efforça de rendre brave et volontaire : "Quelle mission ? Dis-le-moi, je t'en prie. Je suis prêt pour n'importe quelle tâche, à condition…"

        " Que vous me laissiez retourner chez moi," récita Paris. "C'est bien ce que tu voulais dire ? Mais n'as-tu pas compris que tu n'es pas notre prisonnier ?" ajouta-t-il avec un froncement de sourcils.

        "Alors, laissez-vous m'en aller !"

        "Tu es comme un chien qui se mord la queue ! Te laisser aller ne dépend ni de moi, ni de Phèdre, ni même de Achelais ! Penses-tu qu'il n'y ait aucune raison pour laquelle toute cette manœuvre ait été mise en chantier ? Cela n'a pas été simple, tu sais ; même pour les Hellènes, crois-moi !"

Continuer à pleurer sur soi, n'aurait servi à rien sinon à démontrer ses craintes. Aussi, Henry n'insista-t-il pas et, se raclant résolument la gorge pour l'éclaircir, il se contenta d'un : "Donc, ce gouffre ?"

        "En fait, c'est un four. Étrange, n'est-ce pas ? Un four au-dessus d'un autre four… Au-dessus d'un autre four… Et cela, de façon perpétuelle… Enfin, tant que ça dure !"

        "Je ne comprends pas."

        "Toute la cicatrice qui coupe en deux l'océan, ne renferme rien d'autre que du magma ! Pas des roches fondues, ainsi que vous les hommes le croyez, mais des roches en formation ; c'est ce que nous avons découvert."

        "Pardon, mais je ne peux pas te suivre !"

        "Le moteur de la Terre, ami Henry, se trouve dans son ventre ! Et quoique notre temps de vie, dont la relativité par rapport au vôtre soit beaucoup moins fugace, il est évident qu'il connaîtra aussi un épuisement, dont le délai est fixé par son feu intérieur. Tant que ce grain de poussière qu'est notre planète dans le contexte cosmique, implose en son intérieur, il s'assure la vie ; parce que sa rotation sur soi-même, et autour du soleil, développe tant de magnétisme qu'elle retient l'atmosphère et, avec elle, l'eau, éléments de base qui nous permettent de vivre. Mais quand ce feu s'éteindra - et déjà en ce moment, il est en train de perdre de sa vigueur, parce que la lave, crachée par les volcans depuis des milliers d'années, augmente la croûte terrestre - quand il s'éteindra, te disais-je, notre planète, perdue dans sa course au cœur du cosmos, se désintégrera ou se heurtera à d'autres organismes errants. Bien sûr, cela fait partie d'un futur que même notre technologie avancée n'est pas en mesure de quantifier. Pour le moment, grâce au gouffre artificiel que nous avons créé à l'emplacement de cette profonde cicatrice, nous tenons allumé un feu qui empêche la fuite du magma terrestre. Nous utilisons cinquante pour cent de l'énergie captée par les panneaux solaires pour maintenir la calotte protectrice et vingt pour cent pour faire fonctionner nos grandes industries. Le reste est transformé en chaleur, que nous détournons dans le ventre de Apotéte. Elle génère un feu dont les caractéristiques sont les mêmes que celles du magma. En descendant dans le gouffre, elle empêche celui qui bout dans les entrailles de la Terre de surgir en haut."

        "Un contre-feu, en quelque sorte ?"

        "Si l'on veut, oui. Mais ce n'est pas le seul but qui nous pousse à le maintenir constamment allumé. Ce four nous sert aussi à éliminer tous les déchets organiques, quels qu'ils soient, parce que, absolument rien ne doit pourrir sur notre territoire exposé à l'atmosphère."

        "C'est-à-dire ?" fit Henry, intrigué par cette vision catastrophique.

        "Que tout ce qui est mort ou avarié, doit être précipité dans ce grand four, de sorte que, en un millionième de seconde, tout se transforme en magma."

        "Donc, les animaux, les déchets organiques et…"

        "Oui ! Même nous, les Hellènes. Rien ne doit corrompre notre air si précieux, pas plus que les bassins de captation de nos terrains… Et encore moins notre milieu marin."

        "Alors, vous n'avez pas de cimetières ?"

        "Nous en avons, mais pas comme vous les envisagez, vous, les hommes. En souvenir de chaque Hellène qui meurt, on ajoute une plaque de phrésite dans l'un de nos lieux dédiés à la mémoire."

        "De phrésite ?"

        "Afin de ne pas épuiser les ressources de cette terre généreuse envers nous, nous avons transformé tous les minéraux précieux, qu'il s'agisse de métaux ou de pierres précieuses, en des composés d'éléments issus de la production industrielle. Ainsi, nous avons inventé la phrésite, aussi belle que le marbre de Carrare, mais indestructible dans le temps. Nous avons aussi conçu l'un des métaux les plus importants pour nous : le rocrois. Il possède des caractéristiques redoutables : avec un poids dix fois moindre que votre titane, sa résistance est néanmoins dix fois supérieure, notamment grâce à son extrême élasticité."

        "Je parie que c'est avec ce matériel que vous avez construit les aviolobes, les automobiles et, j'imagine, même les bateaux," émit Henry.

        "Pari gagné. Et de nombreux autres appareils, très utiles. Par exemple, les chambres intérieures de production énergétique de moteurs, que vous appelez des chambres d'explosion. À la suite de cela, d'ailleurs, et grâce à un procédé qui implique une double réalisation du composé, nous avons obtenu le rouprice avec lequel nous fabriquons les pièces principales des moteurs et de tous les engrenages. Puis il y a divers matériaux pour la construction de bâtiments, pour le pavage des routes, pour les installations de nos portes et fenêtres et bien d'autres choses que je te montrerai plus tard. Mais ce n'est pas le plus important…"

Henry n'avait pu refréner un bâillement, que remarqua Paris. Poliment, ce dernier l'excusa d'un sourire : "Mais je t'entretiendrai une autre fois, là-dessus. Maintenant, nous devons nous retirer. Il est tard et demain je dois être au travail avant l'horaire habituel pour compenser le jour de fête d'après-demain, que je me suis réservé pour te conduire en bateau.

"Effectivement, Paris, il se fait tard," répondit Henry dans un souffle après avoir regardé sa montre, qui s'était étrangement conformé, bien avant lui, au rythme temporel de Kallitala.

Il ne réussissait plus à garder les idées claires. Toutes ces informations sur des techniques qu'il fallait comprendre une à une, et tout ce temps qu'il lui faudrait encore pour cela, l'épouvantaient. Au début de son aventure, il avait envisagé avec enthousiasme l'idée de ramener chez lui le secret de la fission nucléaire à froid. Mais tous ces noms qui lui éclaboussaient maintenant la tête, et dont il craignait de ne pas retenir les sens et les composants lui ôtaient l'envie de s'adapter à ce genre de vie. C'était comme imaginer Léonard de Vinci, que la chance avait également doté d'une série d'intuitions géniales, se réveillant en plein New York, dans le siècle d'Henry, alors que ses épigones utilisaient les dernières découvertes de la technologie occidentale. Quelle réaction aurait été la sienne ! Sûrement, il n'aurait eu d'autre empressement que celui de s'en retourner au château d'Amboise pour se consacrer à ses études bien-aimées dans la paix de sa campagne française, où il aurait pu, enfin, respirer l'air pur et balsamique convenant à ses narines. La qualité de l'air de Kallitala : de cela, ils n'avaient pas encore parlé. Certes Paris et Phèdre y avaient fait brièvement allusion, s'interrompant tout aussitôt comme si effleurer ce sujet avait ouvert une porte interdite.

Henry se demanda combien de temps il pourrait continuer à feindre de cette manière ? Demain et demain encore, la sœur et le frère lui rempliraient la tête d'autres choses étranges qui le confondaient. Déjà, il ne se rappelait plus le nom de l'expédient capable de faire cesser cette douleur lancinante et, bien sûr, au réveil, il aurait de même oublié les noms étranges, mais fascinants, de phrésite, rouprice et rocrois, ces composés métalliques et conglomérats de pierres que Paris avait mentionnés ce soir.

Singulier pays où son corps s'était allégé de moitié, où sa vue portait cinq fois plus loin que la meilleure des paires de jumelles, mais où sa mémoire était restée faible et faillible ! Si seulement il avait eu la précaution de noter tout ce qu'il apprenait… Mais pourquoi l'aurait-il fait ? À quoi cela aurait-il servi puisqu'il n'avait pas la moindre idée de la façon dont ces composés avaient été créés ?

Tout était plongé dans un silence absolu. Même les oiseaux du jardin dormaient, à l'instar des Hellènes et de leurs animaux. Argus, le chien berger de Achelais, qui ne le quittait jamais un instant, partout où il allait, dormait dans la chambre de son maître. Habituellement, Phèdre l'attendait quand il rentrait de sa promenade crépusculaire avec Paris et elle était la dernière à lui souhaiter un bon sommeil. Mais ce soir, elle ne s'était pas montrée.

Il y avait quelque chose de magique cette nuit, bien que, dans cet endroit semblable à un domaine de fées, une telle réflexion fût pléonastique ! Les étoiles et les planètes, agrandies à démesure par l'effet optique de la coupole électromagnétique, éclairaient déjà les alentours, bien avant qu'un croissant de lune géante pointât l'un des sommets de la puissante chaîne montagneuse des Monts Ida et Olympus. Peut-être était-ce pour cela que les Achelais dormaient avec des fenêtres hermétiquement fermées. Cependant, ces lumières provoquaient un effet inverse sur Henry. Non seulement il n'avait pas sommeil, mais il n'avait, de plus, aucune envie de se dévêtir pour se glisser sous les draps caressants. C'était ainsi chaque soir et pourtant, à peine appuyait-il sur le premier bouton commandant la fermeture de sa fenêtre, qu'il s'endormait d'un coup !

'Cette télécommande doit contenir quelque somnifère, se dégageant avec l'impulsion électronique qui fermait les volets,' songea-t-il.

Ce soir-là, il ne ferma pas sa fenêtre. Il regarda dans la cour devant la maison et vit les deux astromobiles garées. Il éprouva l'étrange envie d'en prendre une et… D'aller visiter le bateau de Paris, amarré face à son voilier. Il savait que, s'il mettait son moteur en marche, elle n'aurait pas fait le moindre bruit. Et, même si, au pire, le moteur à fusion froide eût sifflé un tant soit peu, la distance était assez grande pour qu'on ne l'entendît pas de l'intérieur ; d'autant plus si l'on considérait le fait que la demeure était particulièrement bien insonorisée ! Il n'osait cependant pas sortir de la maison par ses couloirs. Les Achelais et leurs ancelles ne se réveilleraient certes pas, mais Argus, comme ses congénères, avait l'ouïe fine et, même s'il dormait plus de douze heures par jour, il ne tombait jamais dans un sommeil profond.

Henry se pencha à sa fenêtre. Elle était éloignée du sol d'au moins sept mètres. Tenter un saut par-là signifiait, sinon mourir, du moins se casser les jambes. Mais… Mais… À mieux y penser, il se souvint que son poids était réduit de moitié.

        'Peut-être que,' envisagea-t-il, 'si je me tiens au parapet de la fenêtre et que je tends bien les bras, vu que je mesure un mètre quatre-vingt-cinq, je réduirai la chute d'un peu plus de trois mètres.'

Cela pouvait valoir le coup d'essayer !

Mais que faire de la fenêtre ouverte ?'

Il pouvait prendre la commande avec lui et la fermer de l'extérieur. Et si, se trompant de commutateur, il s'endormait ? Non, il devait tout laisser en l'état, même après avoir éteint les lumières…

Un dernier point, et de taille, demeurait : s'il tentait de rentrer par la porte après sa randonnée nocturne, alors Argus l'entendrait et, glapissant à sa manière, il réveillerait Achelais. Il n'était donc pas possible de sortir puis de rentrer sans être vu ou entendu. Par conséquent, s'il quittait la maison, il devrait s'enfuir ! Henry ne pouvait plus tergiverser : il lui fallait prendre une décision.

Mon Dieu, les phères !' In fit, à part soi.

Puis, se ressaisissant : 'Courage ! Si je fuis avec le bateau de Paris qui, comme me l'a expliqué Phèdre, a les mêmes commandes que l'astromobile, mais deux moteurs, les phères ne seront pas en mesure de me suivre.'

Il regarda encore en dessous. La lumière avait considérablement augmenté car le croissant de lune jaillissait maintenant bien au-dessus des monts. L'éclairage plus intense lui donna l'élan nécessaire pour se décider sans continuer à soupeser le succès ou l'échec de sa tentative d'évasion, non plus que les conséquences s'il était repris. Il descendit le long du mur et, une fois bien étiré, bras levés, il ferma les yeux et se laissa tomber. Il aurait franchement pu se croire sur la lune ! Non seulement, il toucha le sol sans dommage, mais, mieux encore, il rebondit même d'une dizaine de centimètres. Les choses s'annonçaient bien. Il entra dans l'astromobile et appuya sur le petit bouton rouge du démarrage. Aucun bruit ! Il crut que le moteur ne s'était pas allumé mais, regardant la console et tous ses indicateurs, il vit que le propulseur tournait au minimum. Il n'alluma pas les phares et, suivant l'itinéraire déjà emprunté avec Phèdre, il se dirigea vers la grande route, glissant sur la campagne. Enfin, il accéléra et, en moins de vingt minutes, il atteignit la partie de terrain dénudée, face à la plage. Il quitta l'astromobile à la base du quai et, désormais conscient d'avoir bravé une interdiction, il rejoignit les deux bateaux. Son cœur battait la chamade. Il jeta un regard compatissant vers son voilier et, tournant résolument la tête, il monta sur le bateau de Paris. La mer était aussi lisse qu'une table ; on ne se sentait pas même un léger clapotement.

        'Ce silence absolu me rend fou ! Et puis ces lumières célestes, jointes à la lueur de cette immense demi-lune, me donnent la sensation d'être le protagoniste de L'Odyssée de l'Espace,' se dit Henry, essuyant un frisson qui lui traversa toute l'épine dorsale.    

Pas certain que les moteurs ne feraient aucun bruit, mais espérant qu'on ne l'entendrait pas, vu la distance à laquelle il se trouvait des habitations, il essaya de pousser l'un des deux petits boutons rouges. L'indicateur de puissance du propulseur oscilla vers la droite. Il fit de même avec l'autre commutateur. Tout semblait fonctionner normalement. Sans chercher à savoir comment était l'intérieur du bateau, ni s'il y avait de l'eau et un peu de nourriture, il sauta rapidement sur le quai et largua les amarres de proue. Puis il dénoua l'amarre de poupe de son bollard et, le tenant bien en main, il sauta à bord dès que le bateau se mit légèrement de travers. Il prit le gouvernail, augmenta un peu la puissance des moteurs et s'orienta Nord-Ouest.

Après avoir parcouru dix milles à un rythme doux, effrayé de ce qu'il faisait, il jeta un regard en arrière pour entrevoir si quelqu'un le poursuivait. Quand il se fut rendu compte que, sur la superficie lisse éclairée par les rayons de la lune, on n'entrevoyait nul sillage des phères, ni d'aucun autre danger, il s'amusa à augmenter la puissance des moteurs au maximum permis. Le navire se mit à planer sur l'eau, volant presque, à une vitesse qu'il n'avait jamais éprouvée en mer, surtout en l'absence de rugissement des moteurs atomiques ! Seul le léger bruit velouté de la vague brisée gargouillait le long de la coque avant d'être fouettée par les turboréacteurs. La direction semblait correcte puisque même le navigateur à large spectre indiquait la pointe extrême de la Floride.

Il avait calculé que, à la vitesse à laquelle il naviguait, il devrait arriver à la limite de la coupole dans une heure et, bien qu'il ignorât encore quoi faire une fois ce but atteint, il tira fermement à lui le levier vert de la barre automatique. Puis il s'apprêta à descendre dans la cabine pour voir si le cellier et le frigidaire recélaient suffisamment de nourriture au cas où, comme il le craignait, il devrait faire le tour complet du dôme avant de trouver un point de sortie.

La cabine était plongée dans une profonde obscurité. Il avait bien remarqué, avant d'entrer dans le bateau, que tous les rideaux avaient été tirés mais, pris dans la frénésie du départ, il n'avait pas accordé d'importance à ce détail. Encore il l'eût fait qu'il aurait supposé que ces Hellènes, peut-être fatigués de vivre tous les jours sous les rayons du soleil, préféraient la lumière artificielle lorsqu'ils se retiraient dans un espace clos. Il tâtonna à la recherche d'un commutateur sur le panneau intérieur… Rien à droite ; rien à gauche. Craignant de trébucher dans l'opacité de la pièce, il venait d'opter pour une incursion dans le poste de pilotage, à la recherche d'une lampe torche, quand toutes les lumières intérieures s'allumèrent d'un coup, éclairant le petit salon meublé avec élégance et révélant, vers la proue, un couloir recouvert de panneaux marmorisés, qui menait aux cabines, puis…

        "Qu'est-ce… Qu'est-ce que tu… ? Hélas, Phèdre," s'écria Henry, écarquillant les yeux.

        "Viens ici à t'asseoir à mes côtés," répondit l'interpellée d'une voix mélodieuse.

        "Mais le bateau… Tu sais… Je ne voudrais pas que…"

        "Laisse-le aller. Il n'y a pas de danger."

Henry ne parvenait pas à se ressaisir. Il ressemblait à un petit garçon pris en faute par sa mère, alors qu'il aurait volé le chocolat interdit. Il devait reprendre le contrôle de ses paroles. Il ne voulait pas demeurer, tout balbutiant de sa surprise, devant la jeune fille. Par conséquent, après lui avoir murmuré de l'attendre un instant, il se détourna d'elle et, faisant mine d'inspecter vers la console de commande, il s'aperçut que le voyant du display de navigation, indiquait un changement de direction vers le sud-ouest. Comme il l'avait imaginé, à l'approche des bornes de la coupole, les commandes électromagnétiques repoussaient le bateau, comme elles l'auraient fait dans son monde occidental. Cependant, s'il avait pu entrer avec son voilier, un passage devait sûrement exister ! Il chassa de son esprit l'idée folle d'induire Phèdre à s'enfuir avec lui. D'ailleurs, la voix de la jeune fille qui l'appelait le ramena à la réalité : on ne corrompt pas aisément son geôlier !

Henry avait repris le contrôle de ses actes. Aussi, descendant les cinq marches qui menaient au salon, il eut l'effronterie de dire : "Je n'avais pas sommeil, alors j'ai voulu essayer ce bateau."

Pour toute réponse, d'un battement de mains sur le rembourrage du canapé, elle lui fit signe de venir l'y rejoindre.

        "Toi aussi, tu n'avais pas sommeil ?" lui demanda bêtement Henry.

        "Mon ami Henry !" déclama Phèdre. "C'est bien ainsi, que t'interpelle Paris, n'est-ce pas ?"

Et au signe affirmatif de l'Américain, elle poursuivit avec douceur : "Ce que tu as fait est tout bonnement une folie. Mais nous ne t'en avons pas empêché, car il fallait que tu te rendisses compte qu'il est impossible de sortir de Kallitala, sans une volonté supérieure. Garde donc ton esprit en paix, mon ami Henry !" conclut-elle avec une pointe de sarcasme.

        "La paix ?" rétorqua-t-il, perdant son aplomb. "Auparavant, vous me disiez que le terme de mon séjour chez vous serait d'un mois - Bon, d'accord, au pire, quatre de mon monde ! - Et maintenant tu affirmes que je vais rester ici toute ma vie ! Phèdre, s'il te plaît !"

        "Ça ne dépend pas de moi, mais de vous, occidentaux."

        "Mais qu'ai-je donc fait, moi, pour subir cela ?" s'enquit Henry d'une voix plaintive.

"Est-il question de toi ? De toi, alors que tes semblables - et peut-être toi aussi, bien qu'indirectement - vous êtes tous en train de conduire votre planète vers une mort prématurée !"

        "Mais de quoi parles-tu ?"

        "Ne fait pas l'innocent, Henry ! Quoi qu'il en soit, seul l'Archonte peut te parler de ces choses. Désormais…" ajouta-t-elle avec une pointe de résignation.

        Les yeux d'Henry brillèrent.

"Eh bien ! Désormais, justement, il serait temps que je sache quel sera mon destin !"

"Quitte cet air arrogant, Henry. Si l'Archonte venait à connaître ta tentative d'évasion, tu serais relégué à Boadicée !

"Qu'est-ce que c'est ? Une prison ?"

"Nous n'avons pas de prisons ici ; pas plus que nous n'avons de cimetières semblables aux vôtres. Ces termes sont vos ouvrages d'humains ! Boadicée est une belle vallée, au centre de l'île. Il y pénètre un air, dans lequel les Hellènes ont voulu préserver les caractéristiques de votre monde occidental. Elle est certes, toute proche de l'ouverture de la coupole, mais c'est là-bas qu'ont été relégués, sans espoir de retour, ceux de tes semblables que l'on a invités à Kallitala pour des buts scientifiques, et qui ont refusé de coopérer… Ainsi que tu le fais maintenant…"

"Et que font-ils là-bas, s'ils ne sont pas prisonniers ?"

"La même chose que tous les hommes sur votre terre : ils survivent ! En cultivant la terre, en subissant les inclémences du temps, l'excessive sécheresse ou les pluies trop abondantes, le froid, la chaleur… Mais sans aucun moyen mécanique qui puisse atténuer la dureté de leur travail dans les champs. Et ne crois pas que, là-bas, tu pourras continuer à te réjouir de la légèreté de ton corps, ou de l'acuité de ta vue. Tu verras le ciel comme dans ton monde ; seulement quand les nuages te le permettront et, chose plus importante encore, le temps s'écoulera comme chez vous ; tu seras enclin à tomber malade et à mourir quand arrivera ton tour. Mais tu ne pourras plus sortir de là-bas et si tu tombais malade, tu n'aurais que les herbes officinales pour te soigner. Car, j'ai oublié de te mentionner une dernière chose : à Boadicée, le temps s'est arrêté à l'an mille. Est-ce que te cette période te rappelle quelque chose ?"

"Le Moyen-Âge. La période la plus sombre de l'humanité !"

"C'est vrai. Ce n'est pas une perspective attrayante, n'est-ce pas ? Dans cette vallée ont été accueillis de nombreux scientifiques indociles, dont l'un, excellent physicien nucléaire italien, était arrivé à Kallitala dans votre année 1938. Se refusant à coopérer et, n'ayant pas eu - estime-toi chanceux - l'alternative que l'on te proposera, il termina ses jours à piocher la terre."

"Ah," fit alors Henry avec une note d'espoir, "j'aurais donc une alternative à ces limbes. Laquelle serait-elle ?"

"Avant que je ne te la révèle, va éteindre les moteurs. Ce bruissement d'eau et le balancement du bateau me gênent. Tu sais, peu d'Hellènes aiment naviguer… Paris est l'un des rares et, jusqu'à ce jour, je n'ai jamais accepté ses invitations renouvelées pour explorer le tour de l'île."

Le temps qu'Henry monte sur le pont, déconnecte le pilote automatique et éteigne les moteurs, non sans donner un coup de gouvernail pour diriger l'errance du navire vers la terre, les lumières du petit salon s'étaient éteintes. Seules demeuraient celles du couloir. Lorsqu'il revint, Phèdre n'était plus sur le canapé. Une harmonie de sons célestes, venant de la chambre, se propageait partout. Magique, elle l'attirait et Henry ne put échapper à cette invitation, bien qu'il craignît obscurément un péril. De ses rares lectures d'étudiant, il se rappela le chant des sirènes jaillissant entre Charybde et Scylla. Seulement, lui n'était pas attaché, comme Ulysse, pour y résister. Aussi, se dirigea-t-il vers la pièce inconnue où, peut-être, l'attendait le danger qui le verrait succomber.

Phèdre était là, pareille à la maya. Mais elle était d'une beauté telle que ni Goya, ni même Léonardo de Vinci ou Botticelli, n'avaient jamais eu l'occasion d'étendre sur la toile. Il resta bouleversé à la porte de la cabine où seul le corps de la jeune femme était éclairé. Quelque chose dans ses formes harmonieuses entre les voiles - étaient-ce les doux contours de sa poitrine ? - Lui donnait la sensation d'être en présence d'une déesse.

"Allonge-toi à côté de moi," imposa-t-elle.

Et quand Henry s'exécuta, encore vêtu, elle fit couler sur lui un regard mi moqueur, mi amusé et lui murmura : "Croise tes mains avec les miennes."

"Mais Phèdre… Tu m'avais dit que…"

        "Tu vois cette petite boîte sur la table de chevet ? Ouvre-la, enlève la seringue et injecte-la sous ta peau."

Voyant son regard réticent, elle le pressa : "Dépêche-toi, Henry ! Ce n'est pas douloureux. C'est du Bufutrin, une substance qui rendra ton plaisir supportable parce que, maintenant, ta vie m'est devenue chère."

"Cela signifie-t-il qu'à partir de maintenant, tu m'aimes sans 'peut-être' ?"

Elle sourit : "Je t'ai aimé dès que je t'ai vu sur ton voilier ; même si tu as l'air si hagard."

"Vraiment ?" répondit Henry avec un ricanement chthonien.

Il s'injecta le Bufutrin, puis posa une main sur l'épaule de sa compagne. De l'autre, il attira son visage à lui et y déposa trois baisers… Tellement chastes que, dans un état normal, il s'en fût désespéré. Puis, d'un coup, il s'endormit.

 

ΩΩΩ

 

Il avait accepté l'accord : Phèdre nierait qu'il avait tenté de s'évader, ce qui lui aurait coûté, sans délai, la peine d'assignation à Boadicée. Elle s'engageait à laisser croire à une rencontre programmée entre eux, pour se déclarer l'un à l'autre, à l'écart des témoins indiscrets. Ce qui n'était pas tout à fait faux, puisque Henry était tombé amoureux de Phèdre dès le moment où elle était entrée dans sa chambre, au premier matin de son éveil sur Kallitala. Quant à lui, après qu'il l'eut embrassé, et eût sombré dans ses bras, le Bufutrin - dont il reconnut n'avoir jamais eu médication aussi formidable ! - Lui avait fait toucher les sommets d'une grande paix intérieure. Il n'avait pas attenté à la virginité de Phèdre et se trouvait pourtant plus repu d'amour qu'après une folle nuit avec sa Liza ! Il se sentait satisfait de la vie et l'idée obsessionnelle de faire voile vers les États-Unis semblait s'être évaporée à jamais de son esprit. Il demeurait cependant intrigué de connaître les raisons pour lesquelles ce peuple sympathique l'avait choisi, lui, tout particulièrement, parmi des milliards d'humains, pour le faire pénétrer dans Kallitala et à quelle mission il serait destiné. Il savourait le plaisir, qui ne saurait désormais tarder, d'être enfin accueilli à Poséidon, ville après laquelle tous les Achelais soupiraient, et d'être admis dans la présence de l'Archonte et de son Grand Jury. Phèdre lui laissa entendre qu'il suffirait de leurs noces pour qu'on le considérât enfin, et à tous égards, comme un Hellène, même s'il lui restait bien d'autres choses à apprendre pour intégrer totalement leur mode de vie quotidien. Mais Henry ne s'avérait pas vraiment pressé de franchir ce pas. Pour l'heure, il lui suffisait de jouir pleinement de l'engagement de Phèdre à son encontre.

S'il souffrit d'une petite déception, au retour de cette apothéose idyllique au bras de celle qu'il aimait, ce fut en constatant, à l'approche du quai, que son voilier avait disparu. Il posa un regard interrogatif sur elle, mais la jeune femme ne put lui donner aucune explication. Sa bonne humeur prit finalement le pas sur les soupçons malveillants et l'esprit désormais assouvi de Henry ne se répandit pas en inquiétudes, comme il l'aurait fait la veille. Commençait-il déjà à raisonner comme les Hellènes ? Il crut logique d'interpréter cette disparition comme une nécessité d'abriter son bateau dans un autre lieu. Peut-être bénéficiait-il même de l'accueil du port de plaisance de Poséidon, où étaient amarrés les yachts des rares amants de la mer, dont celui de Paris ?

Achelais fut heureux d'accueillir au sein de la famille l'ami Henry, selon la formule désormais consacrée de Paris. Mais, plus que son mari encore, Hécube, le voyant au bras de Phèdre, le salua d'une expression rituelle exprimant sa joie et son espoir. Nul ne doutait, en effet, qu'il serait bientôt membre à part entière de leur famille, fils et frère, puisque, selon toute apparence, il épouserait très bientôt la radieuse jeune femme. De belle qu'elle était depuis toujours, Phèdre était aujourd'hui resplendissante, tant il est vrai que l'amour partagé transforme les êtres. Au regard de Henry, elle semblait une Madone et, si elle ne l'avait pas invité du regard, à l'étreindre, il ne l'aurait pas même effleurée tant il éprouvait une respectueuse dévotion à son encontre.

Le mariage, ainsi que le vivaient les habitants de Kallitala, ne pouvait pas être plus simple. Il s'agissait pour les futurs époux d'apposer leurs signatures sur un écran qui, en guise de contrat, serait transmis immédiatement au bureau d'état civil de la Capitale. Puis, au moins trois fois dans l'espace d'un mois, ainsi que le lui avait expliqué Phèdre, cette page-écran serait de nouveau soumise à la famille des Achelais et à l'époux, ainsi qu'à tout Argien qui voudrait la consulter. Après ce laps, si les confirmations reçues n'avaient pas été contestées, le mariage serait transcrit comme légitime. Henry et Phèdre seraient ainsi définitivement mariés. Ensuite, il leur serait demandé s'ils souhaitaient continuer à porter le nom de la famille des Achelais ou former leur propre branche. Le cas échéant, ils devraient choisir un nouveau nom de famille puisque, dans leur situation, le nom de Henry Campbell ne pourrait pas être accepté. Il fallait, en effet que leur patronyme évoquât un nom tiré des antiques classiques ou de la mythologie Grecque.

Toutefois, Henry ne pourrait pas convoler avant de s'être présenté à l'Archonte : il devait être accepté par lui et, pour cela, connaître la raison de son arrivée à Kallitala et les engagements futurs auxquels il devrait se soumettre.

Henry demeurait cependant encore, de la racine de ses cheveux jusqu'à la plante de ses pieds, un véritable Américain. Et, comme tel, quoiqu'il fût heureux d'épouser la magnifique fille de Hécube, il ne pouvait s'abstenir de poser la question légitime du divorce. Cette pratique existait-elle à Kallitala ? Phèdre ne lui répondit pas sur le champ. Avait-elle été choquée par cette question osée ? Puis un soir après le dîner, alors que Henry pensait rejoindre Paris au jardin pour leur promenade rituelle au cours de laquelle il lui avait promis, la veille, de l'entretenir encore sur les nombreuses choses qu'il devait apprendre, il fut surpris de ne pas l'y trouver. Il attendit un long moment, se retournant plusieurs fois, curieux que son futur beau-frère tarde tant et, au moment où, las de patienter, il s'était presque décidé à rentrer, il vit venir vers lui Hécube, la mère silencieuse de Phèdre. En ce moment, il semblait qu'elle fût décidée à rompre son silence légendaire. Elle le prit par le bras et, avec grâce et légèreté, l'invita à parcourir avec elle les sentiers de ce jardin enchanté, éclairés par une lumière céleste.

"Cher enfant…" commença-t-elle d'une voix de velours, "à Kallitala le divorce n'existe pas. Non parce que la loi impose aux couples l'obligation de rester unis pour toujours, mais pour la simple raison que chez nous, la transgression n'existe pas. En d'autres termes, nous ne sommes pas en mesure de commettre ce que vous, les humains, définissez comme délits."

"Tout le monde ira au paradis, alors…" intervint ironiquement le futur époux.

"Le paradis, mon fils ? Mais c'est ici… Ton paradis ! Nos ancêtres ont sué sang et larmes pour rendre cette terre ainsi. Ils sont même allés jusqu'à parvenir à modifier nos chromosomes !"

"Vraiment ?" lui renvoya Henry, qui avait soudain perdu tout sarcasme, tant cette dernière remarque avait piqué sa curiosité.

"Paris ne t'avait pas encore parlé de cela ?"

"Peut-être était-ce le sujet de ce soir, mais il n'est pas venu."

"Désolée, mais j'ai voulu qu'il me laisse la priorité pour intervenir et satisfaire ta curiosité, puisque tu as demandé à ma fille si on pratiquait le divorce à Kallitala. Mais vois-tu, ici, il n'y a aucune raison à cette pratique !"

"Oui, pour vous… Mais moi, je n'ai pas votre ADN. Un jour, il se pourrait que…"

"Non, car tu es en train de devenir Hellène, mon jeune ami," le repris Hécube avec une inflexion dans la voix qu'Henry ne put s'empêcher de comparer à celle d'un confesseur.

"Très bien," répliqua l'Américain. "Je m'oblige à apprendre tout ce que m'explique Paris mais…"

"Ce n'est pas seulement cela, mon fils…"

"Que veux-tu dire, alors ?"

"Que, avec le mariage…"

Il ne lui laissa pas terminer sa phrase, convaincu qu'il pourrait la compléter logiquement : "Je deviendrai un Hellène, comme vous tous, à tous égards !"

"Ce que tu es aujourd'hui, mon cher fils, ne pourra jamais devenir comme nous," réfuta l'épouse de Achelais. Cela sera effectif seulement après que… Comment puis-je le dire ?"

La douce voix de Hécube commença à se fissurer.

"À quoi devrais-je encore me soumettre ?"

"À rien de grave. Seulement une modification génétique devra être réalisée, pour inclure certains chromosomes dans ton ADN et en expulser d'autres."

"Mais je…" peina à bafouiller Henry, conscient que, très bientôt, il n'aurait plus aucun autre choix.

"Tu seras heureux… Tu verras !"

Ils approchaient déjà de la maison et Argus vint à la rencontre de Hécube pour lui lécher la main, tandis que Achelais et Phèdre les attendirent. Lorsque les deux conjoints le saluèrent avant de se retirer dans leurs pièces, Henry prit le bras de Phèdre pour continuer sa promenade bucolique. Son esprit était très agité et son instinct lui suggérait, en ce moment, de hurler son désespoir ; mais qui aurait su lui expliquer par quelle étrange alchimie il s'en sentait incapable ? Peut-être, prévoyant son trouble, avaient-ils introduit un orviétan de leur composition dans sa nourriture ? Du Bufutrin ou quelque autre diablerie ; qui sait ? Il n'hésita qu'un court instant : "M'a-t-on administré une substance apaisante, tandis que je mangeais ?" demanda-t-il sans finasserie.

Phèdre n'eut pas plus d'hésitation à lui répondre : "Du Cardilox. C'est un sédatif qui prévient les traumatismes psychophysiologiques."

        "Un antistress ?"

        "Qui sait quelle aurait été ta réaction, lorsque ma mère t'a confié que, pour devenir mon époux et, par conséquent, un Hellène, tu devrais subir la modification de ton ADN ?"

‘Ce produit chimique doit être vraiment prodigieux !' Songea Henry, qui n'eut, curieusement, aucune autre réaction que celle de vouloir tout connaître sur cette nouveauté. "Est-ce pour cette raison que tout est ordonné dans cette île ?"

"Il y a longtemps, alors que mes ancêtres avaient déjà assuré une existence paisible à Kallitala, il y eut des contestations de la part d'un groupe d'Hellènes plutôt turbulents. Ils voulaient à tout prix s'arroger la gouvernance du pays. Ils avaient développé en eux un fort penchant de toute-puissance, ce même mal dont souffrent beaucoup de tes contemporains, actuellement au pouvoir dans le monde extérieur n'est-ce pas ? C'était, comme chez vous maintenant, une cacophonie d'opinions contradictoires, énoncées seulement pour affirmer des personnalités. Voilà ce qui arrivait, même chez nous, quand un groupe de chercheurs mena à terme des études sur l'acide désoxyribonucléique, ce qui permettait d'identifier tous les chromosomes. Ainsi réussirent-ils à modifier certains codons afin d'annuler des réactions du caractère encore pétri d'homo sapiens des Hellènes. Voilà pourquoi nous ne nous définissons plus, maintenant, comme des humains, ce que toi, tu es pour encore un peu de temps !"

        "Combien de temps ?" s'enquit Henry, avec une feinte indifférence.

        "Tout au moins jusqu'à ce que tu sois présenté à l'Archonte…"

        "Mais pourquoi personne ne peut-il me dire la raison pour laquelle il m'a amené ici ? Ne le sais-tu pas, toi ? Maintenant, tu peux me le dire !"

        "J'en sais seulement quelques bribes. Mais j'ai pour consigne de ne rien divulguer. Aussi, laisse tomber, Henry, je ne parlerai pas à la place de l'Archonte."

Devant le regard fermé de son compagnon, Phèdre tenta de ranimer son intérêt : "Je te disais donc que, une fois qu'ils eurent achevé les études sur l'ADN et trouvé le système pour le modifier, il devint nécessaire d'inoculer cette nouvelle combinaison à tous les habitants de l'île. À cette époque, ils ne dépassaient pas un million d'unités. Pour les villes de Poséidon, Katanas et Naxos, les seules existantes en ce temps-là, cela ne causa aucun problème. Mais face aux minorités qui vivaient dans les campagnes aussi isolées que l'est notre demeure, ce fut un vrai casse-tête, aggravé même par le fait que la plus grande partie des contestataires se trouvait justement dans ces lieux-là ! Considérant que nous n'employions aucun moyen de coercition ni - et encore moins - des armes, la seule solution fut de piéger les plus récalcitrants dans la vallée de Boadicée, comme on le fait d'un troupeau de bœufs que l'on veut faire entrer dans leur étable. Et, une fois, qu'ils furent encerclés et repoussés dans cette vallée, où les conditions de vie étaient semblables à celles des hommes du Moyen Âge, il suffit d'un laps de seulement trois mois pour qu'ils ne nuisent plus à notre héritage…"

"Ils ont cédé et abandonné leurs prétentions aussi vite que cela ?" s'étonna Henry.

"Disons qu'après que leur ADN a été légèrement modifié, il n'y eut plus aucune difficulté ! Bien sûr, nos ancêtres auraient pu choisir d'assainir la vallée, mais ils préférèrent la laisser en l'état, prévoyant de l'utiliser pour des cas similaires… Ou encore pour ces humains qu'un Archonte juge bon, de temps à autre, d'inviter à Kallitala, s'ils se refusent à adopter le mode de vie et le statut des Hellènes comme tu es en train de faire. Ils sont alors obligés d'y vivre jusqu'à la fin de leur vie terrestre."

"Y a-t-il des humains là-bas, en ce moment ?"

"Le dernier est mort de vieillesse, voici deux ans. Mais nous venons de vivre une période durant laquelle plusieurs y entrèrent. En effet, toute une lignée d'Archontes avait jugé fondamental d'étudier de plus près les êtres humains."

"Dans quel but ? Nous sommes si différents de vous ? Je ne vois pas ce que…"

"Ils n'excluaient pas l'idée de les modifier, pour en faire des Hellènes. Sans entrer dans les détails, que nous le voulions ou non, nous avons besoin de connaître et de sonder les humains pour des raisons génétiques… Ou pour les cloner," acheva la jeune femme, comme si une telle éventualité était aussi naturelle que la plus simple des adoptions. Henry en frémit d'horreur.

"Pour les cloner ? Dieu, quelle énormité ! Chez nous, cela est légalement interdit !"

"Parce que vous ne pourrez jamais atteindre notre perfection techno chimique. Chez nous, quand un homme est cloné, nous ne créons pas un autre humain qui deviendrait sa répétition… Nous reproduisons seulement une part de lui : ses traits de caractère et ses connaissances et nous les transférons sur un Hellène. Mais celui-là, bien qu'il ait acquis une part de l'autre, demeure intrinsèquement ce qu'il est. Ainsi, il peut interagir comme l'homme sans renoncer pour autant à sa personnalité."

"Mais à quoi cela vous sert-il ?"

"L'air est la seule chose qui entre librement de votre monde dans le nôtre. Eh bien que nous disposions d'un équipement spécial, dont les ondes électro magnétiques voyageant dans ce continuum, absorbent toutes vos données techniques et scientifiques, nous devons mettre à jour nos connaissances sur le mode de pensée des gens ordinaires pour nous introduire dans votre vie quotidienne d'humains, dans vos façons d'être…"

Henry avait écouté, bouche bée, cette tirade. Les questions se pressaient sous son crâne. Il lui fut difficile d'en sélectionner une seule. Soupesant ce qu'il venait d'entendre, il se lança : "Ah, justement ! Parlons de cet air, dont ton frère semble faire tout un mystère. Respirez-le-vous même ici que chez nous, les Hommes ?"

Surprise par cette question directe et cruciale, Phèdre hésita un peu. Puis, songeant que ses hésitations même auraient pu générer des soupçons chez Henry, elle opta pour une réponse neutre : "Le nôtre est aussi pur que celui que nous respirions ici, voici plus de cent ans, mais… Il nous arrive de l'Atlantique."

Mais Henry, encore trop humain pour cueillir la nuance, était plus curieux de savoir qui étaient les hommes capturés à Kallitala, que de relever cette dernière information.

"Oh, juste quelques aviateurs, lui répondit Phèdre. Certains d'entre eux, déstabilisés par nos interférences magnétiques avaient perdu leur route et, plutôt que de les laisser s'abîmer en mer avec leurs avions et d'y mourir, nous les avons fait amerrir sans dommages. Ensuite, les phères ont reçu de l'Archonte l'ordre de les conduire sur ​​une plage."

"Celle-là même où je suis arrivé ?"

"Non, une autre plage déserte ; de l'autre côté de l'île."

"Dans notre monde, nous avons perdu mystérieusement beaucoup d'hommes, que nous avons crus engloutis par le Triangle des Bermudes. N'auraient-ils pas, par hasard, fait partie de ceux-là, que vous avez recueillis ?"

"Le Triangle des Bermudes ? Rien que ça ! Vraiment," ironisa la jeune femme, "vous les humains, vous avez de la fantaisie à revendre !"

"Faire fausse route sur plus de trois mille kilomètres… Ça me semble vraiment exagéré !"

Phèdre s'abstint de retenir l'invective de son ami.

"Seuls ceux qui avaient une autonomie suffisante réussirent à rejoindre nos bornes. Pour les autres, je ne sais pas."

"Et que sont-ils devenus ?"

"Ils étaient militaires. Aussi, tu te doutes bien qu'ils n'acceptèrent pas de devenir Hellènes. Ils furent donc confinés à Boadicée. Ils y sont morts, soit de maladie, soit de vieillesse. Ce fut aussi ce qui arriva au scientifique italien dont je t'ai déjà parlé."

"Donc, maintenant, il n'y a plus personne là-bas ?" s'enquit Henry avec un léger tremblement dans la voix. Il comprenait soudain que, s'il n'eût pas accepté de devenir Hellène, il y aurait été confiné dans la solitude.

"Exactement !" répondit Phèdre, en adressant à son soupirant un regard significatif.

C'en était trop ! Henry préféra se donner l'illusion, ne serait-ce que pour un instant, que tout cela n'avait été qu'un cauchemar ; qu'il vivait une vie ordinaire de jeune fiancé. Il revint aux banalités d'une conversation logique : "Il faut que tu me promettes d'aller à Poséidon, Phèdre. Ton devoir est terminé et je pense que tu devrais reprendre ton emploi. Paris me l'a dit."

"Oui, mais j'ai reçu la permission de m'absenter jusqu'à l'achèvement de la tâche reçue," rétorqua sa compagne.

Aimante et sûre d'être aimée, elle ne semblait plus aussi pressée de terminer sa mission…

        "Qui a été de me convaincre de t'épouser…"

        "Non ! Tu es injuste, Henry ! Je t'aime vraiment," se fâcha-t-elle. "Ce dont je devais te convaincre était d'accepter de devenir Hellène. Ma sympathie, puis mon amour pour toi, se sont développés naturellement, par la suite. Il faut que tu me croies : je t'aime vraiment et je ferais n'importe quoi pour toi !"

        "Même t'enfuir de Kallitala avec moi ?"

        "Même ça ! Mais c'est impossible, je te l'ai déjà dit. Il nous faudrait l'aide des phères et elles ne répondent qu'aux ordres de l'Archonte."

        "Nous pourrions l'imiter ! Ne viens-tu pas de me dire que vous pouvez cloner les êtres ?"

        "Tu es vraiment sot, humain ! Une fois élu, l'Archonte n'est absolument plus imitable. En outre, pour cloner un être, quel qu'il soit, il faut accéder à des codes nombreux et très compliqués, retenus dans un appareil spécifique, qui ne fonctionne que lorsqu'il reconnaît les cinq sens de l'Archonte en charge."

        "Ses cinq sens ?"

        "Oui : l'imposition de sa main, l'analyse de sa vue… Et de sa salive, pour le goût…"

Phèdre s'interrompit et, lui jeta un regard noir : "Tu ne vaudrais pas que je fasse la servante, j'espère ?"

        "Que veux-tu dire ?"

        "Penses-tu vraiment que dans notre île nous soyons prêts à adopter les mauvaises règles en vigueur chez vous… ?"

        "Mais…"

        "Tu sais bien de quoi je parle ! Des personnes réduites aux travaux les plus humbles et, pire encore, de celles qui meurent de faim ou à qui manquent les moyens nécessaires pour vivre dignement. Vous les hommes, vous ne vivez pas tellement dans la dignité ? Est-ce à cela que tu voudrais m'assigner en me suggérant de fuir avec toi ?"

Henry allait répondre quand, d'un geste hiératique, la douce Phèdre l'arrêta. Son regard se fit soudain plus sérieux : "Chez nous, tous les Hellènes sont égaux ; ils ont les mêmes droits et devoirs et peuvent tous aspirer aux opportunités que la vie politique et naturelle nous offre. Les internats et les pensionnats sont pour tous identiques et ne coûtent rien. Nous avons de la nourriture en quantité ; nos vêtements de toutes tailles et de toutes les modes ont tous le même prix et, ce qui est très important, tous les habitants ont un revenu qui leur assure une vie confortable, même s'ils effectuent un travail que vous, les humains, considéreriez comme humiliant. Il n'y a rien d'humiliant chez nous et… Rien de glorificateur ; chacun occupe sa place et c'est suffisant ! Beaucoup de personnes, comme les jeunes Archidaure, Antée et Zénon qui cultivent les palourdes et les moules ou comme les frères Ménélas et Agamemnon qui font les fromagers et s'occupent des troupeaux, le font par libre choix. Même Déjanire qui sert dans cette maison… Alors que d'autres se sont obligés à le faire pour des motifs de conscience."

        "Comment est-il possible d'entrer dans une profession par motif de conscience ? Vous êtes bien étranges, vous…" réussit à rétorquer Henry.

        "C'est simple, futur Hellène !" affirma Phèdre, touchée au vif. "Je t'ai dit que Kallitala ne possède ni prisons ni condamnations. Quand quelqu'un se tache d'une faute - bien légère chez nous, si l'on compare aux vôtres, puisque nos chromosomes ne nous permettent pas d'aller jusqu'aux crimes - il se condamne lui-même et, bien que tous travaux chez nous soient respectables, il abandonne la tâche de prestige qu'il pratiquait pour une autre, de plus bas niveau, pour une durée fixée par le code de déontologie de chacun."

        "Et si quelqu'un est marié ; s'il a des fils ?"

        "Rien n'est modifié. Sa femme et ses enfants continuent à vivre leur vie, tandis que le mari s'écarte très loin du lieu de sa résidence, parce que le choix d'un nouveau lieu de travail est, en ce cas, impérativement dans une autre région que la sienne. La ville de Poséidon, qui est la ville principale où réside le Grand Jury, gère la région la plus étendue ; elle s'étend sur plus de trente mille kilomètres carrés ! Cependant, il arrive même que le travailleur puisse rentrer chez lui pour le dîner car, comme tu l'as vu, nos automobiles sont très rapides et, en moins d'une demi-heure chaque 'auto puni' est en mesure de rejoindre sa demeure."

        "Et l'emploi qu'il a laissé ?" s'enquit Henry, alarmé à l'idée qu'il devienne impossible de retrouver sa place, à la fin de son temps d'autopunition.

        "Il est temporairement occupé par un autre, jusqu'à ce que son titulaire revienne. Cependant, mon cher futur mari, te rends-tu compte que nous vivons, à Kallitala, aussi bien que dans le monde occidental… Quoique sans la hantise de la délinquance ni toutes vos choses futiles ?"

        "Comme la télévision et…"

Il se souvint soudain d'un point capital qu'il avait jusque-là quasiment oublié : "Et le téléphone ! Pourquoi n'avez-vous pas de téléphone ? Chez nous, nous possédons aussi des portables, de sorte que…"

"Vous passez tout votre temps à vous parler, même sans besoin. Et vous ne savez plus vous écouter !" sourit Phèdre. "Bien sûr que nous avons la télévision ! Elle transmet seulement des films, privés de cette détestable publicité qui vide l'esprit des gens… Nous n'avons pas nous plus vos spectacles ni vos divertissements qui n'amusent personne. Pour ce qui est du téléphone, chacun porte sur lui un appareil si petit que tu ne l'as jamais vu. Mais nous l'utilisons uniquement en cas de danger. Les lignes fixes, que nous utilisons dans le déroulement de nos activités, sont toutes reliées par câble, pour ne pas interférer avec la coupole magnétique, ni avec l'air qui nous surplombe. Tu as bien vu, je pense, que nous n'avons pas de câbles d'électricité. Ils sont tous enterrés à plus de cent mètres de profondeur et leurs accès pour les autos-réparations et l'entretien nous évitent de tout casser au moindre souci. En cas de besoin, des équipements spéciaux, semblables à ce que les humains nommeraient robots, descendent dans les entrailles de la terre pour accomplir ces tâches. Nous n'avons jamais déploré d'incidents…"

Phèdre secoua la tête devant la tentative d'autres questions : "Maintenant, je t'en prie, rentrons ! Il se fait tard et demain nous devons aller ensemble à Poséidon."

"À Poséidon ? Tu ne me l'avais pas encore dit…"

"Tout d'abord, je devais t'expliquer ces choses, Henry. Et vérifier ton émulation. Qu'y a-t-il ? Tu n'es pas content ?"

"Très content, Phèdre ; très content !"


6 – UNE VILLE CHAOTIQUE

 

 

Bien qu'il y ait été préparé, la confusion de l'aéroport le mit en émoi. Pourtant, jusque-là, tout s'était très bien passé. Il avait même réussi à s'entendre avec le directeur de l'entreprise qui lui avait affrété le bateau. Méfiant s'il en fut, l'homme avait néanmoins accepté ses explications : le jeune américain ne s'était jamais perdu en mer mais, vu que dans le frigidaire et la petite cambuse, il avait trouvé de quoi se rassasier pour plusieurs jours, il s'était éloigné de la côte pour profiter du silence de l'océan.

"Pendant quatre jours !" s'était exclamé Mister Ridges, le propriétaire de l'agence et du bateau, avec une expression hésitant entre l'étonnement et la colère. "Mais la Coast Guard de l'air a dû s'aventurer à de plus de deux cents miles de la côte et n'a pas vu votre bateau, même avec le radar à longue portée… Et pourtant…"

Et il était resté avec ce dernier mot sur ​​les lèvres, jugeant inapproprié d'insister, dès lors que l'autre eut tiré de sa poche un considérable paquet de dollars, qui le dédommageait largement de l'absence de son voilier.

Celui que tous considéraient comme un revenant, quasi miraculé, avait dû passer une série des coups de téléphone à son bureau où la rumeur de sa disparition en mer s'était répandue, avant qu'ils ne le remplacent au poste important et délicat qui était le sien. Puis il avait fait la même chose avec Liza : lui demandant pardon de ne l'avoir pas emmenée en vacances avec lui, il lui avait promis de tout lui expliquer à son retour, dans deux jours. Elle avait grommelé un peu mais, libérée de devoir elle-même implorer son pardon alors qu'elle-même avait trahi son fiancé, elle se réjouit qu'il s'excusât pour son comportement. Il valait mieux, songeait-elle, ne pas lui faire trop de reproches, puisqu'il semblait que sa longue excursion avait si bien endormi son jugement, qu'elle lui avait fait perdre la mémoire des événements récents. C'est en tout cas ce qu'espérait Liza.

Et le voilà enfin ! À peine débarqué du bruyant avion qui avait mis plus de quatre heures à rejoindre New York, dans un aéroport bondé de passagers entrant et sortant. Lorsqu'il s'enfila dans le long cortège de ceux qui attendaient d'être palpés sur chaque partie du corps, il s'en effraya. L'attentat des Twin Towers avait rendu les Américains hystériques : ne se satisfaisant pas d'avoir envahi l'Afghanistan, et s'apprêtant à faire de même en Irak pour en chasser le dictateur qu'ils savaient uni aux pires terroristes, ils étaient en état de guerre jusque chez eux. Cette agitation fébrile laissait à penser que tous les déploiements d'investigation, rendus célèbres dans le monde entier par le cinéma, étaient branlants dans chaque secteur. Si la situation n'avait pas été critique, portant le souvenir de centaines de morts, le voyageur aurait souri : Ces investigateurs ressemblaient à des passants qui, ayant trouvé une fois et par hasard, un billet de cent dollars au sol, continueraient, tout au long de leur vie, de marcher le nez rivé à leurs pieds, dans l'espoir d'en trouver un autre.

Bien que le brouhaha insistant arrivât presque à masquer le grondement continu des moteurs d'avions en mouvement derrière la vitre qui l'en séparait, il supporta toutes ces formalités et l'essaim des passagers pressés et aigris d'être ainsi manipulés, avec une patience digne de Joseph, attendant son heure de gloire, au fond des prisons de Pharaon. Quand il sortit de l'aérogare, il dut subir pour la première fois, la pression de l'air glacial qui, lorsqu'il en respira les bouffées liminaires, lui piqua les poumons où s'immisçait une atmosphère si polluée qu'il craignit de s'en étouffer. Il se demandait comment on pouvait supporter, durant des années, ces choses qu'il ressentait comme dangereuses pour la survie de l'humanité. Il prit sur lui pour ne pas laisser paraître et s'y adapter rapidement et, alors qu'il commençait à s'inquiéter de ne pas voir arriver Liza, laquelle lui avait promis de venir l'attendre à l'aérogare, une longue voiture se plaça à son côté. La vitre de la portière arrière s'abaissa et le petit visage gracieux de Liza lui envoya un sourire éblouissant : " Vite, Henry, monte ! Nous ne pouvons pas rester ici !"

De fait, deux policiers se rapprochaient déjà de la limousine avec l'intention évidente de la bouter hors de son stationnement improvisé. Le voyageur monta rapidement, tandis que le conducteur rangeait à la hâte les deux valises dans le coffre.

        "Méchant !" minauda Liza dès qu'il fut assis à ses côtés. "Me laisser toute seule pendant que tu t'en allais errer sur l'océan !"

Tactique toute féminine pour éviter d'être grondée, mais que son fiancé décela parfaitement. Aussi n'accorda-t-il aucune importance au reproche : "Disons que j'avais besoin de me reposer et, surtout, de réfléchir," il fit, en écho, effleurant à peine sa joue d'un baiser hâtif qui la laissa pantoise.

Maintenant, la voiture roulait sur ​​l'autoroute Van Wick et se dirigeait vers l'Upper East Side ; plus précisément dans Park Avenue où demeurait Liza Limerick, enfant gâtée du président de l'USOIL, la plus grande industrie mondiale de pétrole. Son magnifique appartement occupait la moitié du vingt-septième étage d'un gratte-ciel qui portait son nom, juste en face de Central Park.

Depuis près de six mois, Henry avait été persuadé par Liza de vivre avec elle. Elle avait aménagé, à cet effet, un petit appartement quasi indépendant, au cœur même de son étage. Quand Liza s'absentait, il pouvait y entrer par l'entrée de service, située à l'arrière de l'immeuble. Ainsi lui avait conseillé sa jeune amie, afin qu'il ne soit pas questionné sur ses allées et venues solitaires. Elle dut le lui rappeler lorsqu'ils arrivèrent en bas de l'immeuble et que, lui ayant demandé s'il avait toujours la clé des communs, il avait semblé faire preuve d'amnésie à ce sujet : "Décidément, Henry, tu sembles bien perdu depuis ton arrivée," s'amusa-t-elle. "Ou est-ce que tu en aurais marre de cette double vie ? Dans ce cas, mon chéri, nous devrons prendre une décision importante !"

Il l'avait regardé sans état d'âme qui pût révéler un indice à la jeune femme perplexe. Elle, n'avait pas oublié que, s'il avait accepté ce logement, c'était cependant bien à contrecœur : il aurait préféré vivre dans son petit appartement des Queens, tout près de Oak Gardens. Mais, se rendant aux instances renouvelées de sa fiancée, il avait fini par convenir du fait qu'il n'aurait plus à subir ainsi les deux longues heures de transports publics imposées par l'éloignement de son entreprise. Il se retrouvait là, à quelques minutes de son poste de travail, situé dans la Quatorzième Ouest, où siégeaient les laboratoires de la Westcox Engeenering Research. Mais, après deux mois de cohabitation, leur relation avait déjà commencé à grincer ; au quatrième mois, elle avait donné quelques signes d'affaissement. Dans les cinquième et sixième mois, il n'était pas rare que les deux tourtereaux s'affrontent. Leurs altercations, qui devinrent quotidiennes, naissaient la plupart du temps après le dîner, quand Liza avait ingurgité son troisième verre de bourbon, et n'acceptait plus d'être raisonnée.

Maintes fois, Henry l'avait exhortée à ne plus boire. Ce vice, lié à sa consommation excessive de cigarettes, lui avait toujours laissé à penser qu'une rupture définitive deviendrait, un jour, inévitable. Aussi, avant que cela n'arrivât, il avait demandé à son directeur une partie de son congé. Cachant presque trop bien son ressentiment, Liza avait accepté sa décision avec fair-play. Que Henry s'en aille au diable pour un peu de temps ! Elle était certaine que, s'habituant à ne plus le voir dans ses appartements, elle l'oublierait plus facilement.

Cependant, deux jours s'étaient à peine écoulés depuis le bref coup de fil de son fiancé lui annonçant sa villégiature à Key West, qu'elle l'avait rappelé avec bonheur. N'obtenant aucune réponse, elle l'avait cherché avec hystérie jusqu'à ce qu'elle apprenne, par la compagnie d'affrètement que Henry Campbell, n'étant pas retourné au sol le soir où il avait affrété un de leurs voiliers, était porté disparu en mer. La Coast Guard avait juste commencé à effectuer des recherches. Heureusement, la nouvelle n'avait pas encore été donnée aux journaux du Nord ; seul le Florida News avait lié cet événement à une probable disparition dans le Triangle des Bermudes où, naguère disparurent des navires marchands et des avions militaires. Ensuite, lorsqu'au bout de trois jours, ils découvrirent le voilier ne montrant même pas les signes d'un improbable ouragan, l'histoire n'avait plus intéressé aucun journaliste. Seul le propriétaire de la compagnie d'affrètement s'inquiétait encore de connaître le fin mot de l'histoire. Mais une fois qu'il eût encaissé la somme convenue, généreusement multipliée par quatre, et à laquelle Henry avait encore ajouté un substantiel bonus, afin de clore cet événement, le propriétaire s'était contenté de la version de son client : le transpondeur satellitaire s'était endommagé et Henry, privé de repères, avait, dit-il, erré trois jours en pleine mer, avant de retrouver enfin la voie du retour.

Pour lui, l'impact dudit retour, avait été plus traumatisant : tous ces badauds assemblés sur le quai, l'observant avec curiosité quand il s'était amarré par une habile manœuvre, aidé seulement d'un jeune homme qui, se trouvant là, avait bouclé les câbles de proue et de poupe, puis était monté à bord pour couper le contact du voilier que le marin, surpris par l'agitation de la foule et le bruit, n'avait pas eu le réflexe d'éteindre. Ils ne lui avaient pas laissé un instant, comme s'il fût une attraction de cirque. Heureusement l'argent mis à la disposition de Mister Ridges, qui avait même accepté de le conduire à l'aéroport, avait fait taire les interrogations.

Le jeune homme avait enfin réussi à se défiler. Mais plus tard, quand il s'était rendu au guichet pour acheter son billet sur le premier vol navette pour New-York, il n'avait pu se défendre d'une terrible gêne à être entouré de tant de gens bruyants et, pour certains, jusqu'à l'impolitesse, chacun pensant égoïstement à soi. Il remarqua une femme âgée, en difficulté pour ranger son gros bagage à main… Mais nul autre ne semblait s'en préoccuper. Lui, qui se trouvait à une certaine distance, ne voyant personne qui l'aidât, se fraya un chemin entre les passagers. Ils étaient tous pressés… Et Dieu seul sait pour quelle raison, puisque l'avion était encore relié à la rampe d'embarquement télescopique ! Il s'approcha, lui prit le sac des mains et le rangea pour elle dans le compartiment au-dessus des sièges, sous son regard ébahi. Les hôtesses, peu habituées à ces tâches de routine, avaient perdu la grâce et la gentillesse de servir les passagers. Il le réalisa quand, d'un léger signe de tête, il refusa le plateau contenant le repas de midi ; il reçut, en retour une œillade mauvaise.

Dans l'appartement de Liza, maintenant qu'approchait le soir, il commença à ressentir la faim… Il n'avait rien mangé de toute la journée. Par conséquent, il regarda autour de lui si, par hasard, le majordome qui l'avait reçu d'une manière hautaine, allait bientôt les inviter à passer vers la salle à manger que le jeune homme imaginait déjà apprêtée pour le dîner. Rien de tout cela ! Bien au contraire, Liza était intervenue pour lui demander de la rejoindre dans sa propre chambre. Ses valises étaient déjà là et la femme de chambre allait s'occuper de ranger soigneusement ses vêtements dans son armoire.

Comme pour lui compliquer une existence dans laquelle il avait décidément bien de la peine à se retrouver, Liza insista : "Maintenant… Tout de suite…"

Elle ne peut donc pas attendre !' Se dit le pauvre hère, affamé.

Le regard de sa fiancée le fit frémir. Il ne s'était pas trompé sur son avidité à l'embrasser et à recevoir ses flatteries, mais il avait espéré qu'elle attendrait qu'il se fût restauré. Se fortifiant l'esprit, il décida finalement de se prêter aux exigences de Liza, sans tergiverser. Elle le désirait avec tant de fougue qu'il ne voulut pour rien au monde la décevoir.

"Laisse-moi juste un peu de temps pour passer à la salle de bains, veux-tu ?" supplia-t-il, s'étant repris.

La salle de bains était aussi grande, à elle seule, que l'ancienne chambre de Henry, dans le Queens. Le jeune homme retira sa veste, endossa le confortable peignoir en cachemire que Liza tenait toujours à sa disposition et y empocha une injection de Bufutrin dont l'essence biologique s'injectait sous la peau, de préférence au niveau du ventre, moins sensible à la douleur d'une piqûre. Il pensait qu'il réussirait aisément cette petite opération, en s'approchant du corps de la jeune femme.

        "Aïe !" s'écria Liza. "Mais qu'est-ce… Une épingle, peut-être, dans ton habit… Mais enlève-moi cette ridicule robe de chambre !"

        "Oh, je suis désolé," fit Henry, cachant dans sa poche ce qu'il tenait encore en main. "Je ne voulais pas que tu me reproches de rester en petite tenue !"

        "Quoi ?" répliqua la jeune fille qui décidément ne comprenait plus le comportement de son ami.

Elle se leva, stupéfaite de constater à quel point il était embarrassé et en oublia aussitôt qu'elle avait été piquée.

        "Oh, Henry…" soupira telle, se reflétant dans ses yeux bleus. "Je ne croyais pas te… Te bouleverser. Reste à ton aise, voyons."

Depuis que, bien à contrecœur, elle s'était séparée de son amoureux, elle avait retrouvé cette arrogance caractéristique des âmes blessées… Et riches ! Cependant, les deux seuls baisers qu'il échangea avec elle eurent sur Liza un effet étrange : elle se remémora soudain le temps où la petite fille qu'elle était, pas encore corrompue par les gâteries paternelles, avait un caractère doux et soumis.

Elle avait retrouvé Henry et, sans qu'elle pût se l'expliquer, le désir de redevenir cette enfant-là. À partir de ce moment, elle se comporta avec l'humilité que l'on acquiert de la meilleure éducation, au point de stupéfier tous les membres du personnel de l'hôtel particulier qui ne s'attendaient plus à être salués les premiers, ni que Liza Limerick leur posât des questions, s'intéressant à la famille de chacun. Ils commencèrent à murmurer entre eux que ce n'était pas possible, que le jeune gars qui partageait sa vie lui avait jeté un sort ; qu'il devait s'agir d'un sosie ou d'une sœur jumelle qu'on leur aurait cachée jusqu'à ce jour, dans un endroit secret. Ils étaient en pleine littérature du dix-neuvième siècle et lui, riait dans sa barbe. Bien qu'atténués par le Bufutrin, substance qui régulait l'excès, en le diluant dans le temps, il savait quels étaient désormais les effets de ses baisers. Liza se trouvait maintenant dans un état semi-hypnotique qui durerait au moins vingt-quatre heures… Assez pour donner à son ami la possibilité de se représenter au travail le lendemain matin et de gérer sa journée sans être interrompu par les assiduités de sa belle. Le soir, à son retour à la maison, il répéterait l'opération. Il avait quitté Kallitala doté d'une douzaine de flacons de Bufutrin, autant que nécessaires pour accomplir sa mission, entre autres choses importantes…

"Non, Monsieur. Whiting… C'est que… Ça m'avait semblé si important que j'ai cru plus urgent de venir vous avertir tout de suite, répondit Frederick avec une certaine confiance. “Il n'avait toutefois pas assez pris en compte les exigences affectives de Liza. Rentré chez lui de son poste de travail où il avait été reçu sans plus de questions que celles dont on presse normalement ceux qui rentrent de congé, il la trouva particulièrement nerveuse. Il était clair, vu les signes évidents d'impatience peints sur son visage, qu'elle n'allait pas lui laisser le temps de prendre une douche et de manger, avant qu'il ne la rejoigne dans le petit salon où elle l'attendait déjà, en tenue légère, offerte et impatiente de recevoir les signes de son attachement. Il ne s'attendait pas à une telle attitude, presque maladive qui bouleversait en grande partie ses plans. Jusqu'à maintenant, tout avait filé lisse, comme sur un tapis roulant. Ses collègues ne lui avaient adressé aucune question embarrassante, non plus que son directeur, Ernst Whiting. L'ingénieur en chef de la recherche sur les matériaux à accumulation d'énergie, ne lui avait pas même demandé s'il avait fait un bon séjour dans les Keys. À peine arrivé, il s'était, au contraire, enquis de l'avancée de ses réflexions : "Tu sais ce que je pense du temps libre, mon cher Henry ; pour moi, c'est du temps que l'on peut considérer comme gâché si on ne l'utilise que pour soi-même ! Alors j'espère que tu as bien mis à profit le calme de ces jours pour cogiter sur les maigres résultats auxquels nous étions parvenus avant ton départ !"

"Très maigres, en effet," sourit ironiquement son subalterne.

Puis, se parlant à lui-même : 'Avec ce que j'ai apporté, je bouleverserais une bonne partie de leurs principes physiques et chimiques, et je résoudrais tous les problèmes, s'ils m'en laissaient seulement…'

        Il fit cesser, d'un soupir, ses présomptions.

 

ΩΩΩ

 

Malheureusement, il ne réussit pas à faire jaillir un autre 'ahi' aigu de la gorge ouverte de Liza, déjà dans les premiers spasmes du plaisir, tant elle l'avait attendue. Mais il se concentra et, lorsqu'il lui rendit son second baiser, langoureux s'il en fut, il parvint à lui inoculer une autre dose de Bufutrin. Avec cette injection, qu'il avait décidé de forcer un peu lorsqu'il l'avait vue si nerveuse, elle serait paisible, délivrée d'un désir inassouvi, et sous sa coupe durant au moins trente-six heures. Si le Bufutrin ne produisait pas enfin l'effet escompté sur les prédispositions de la jeune femme, il tenterait alors le Sapotran, qu'il lui ferait respirer comme un nouveau parfum à tester. Ainsi ne se rendrait-elle ne compte d'aucune manipulation à son encontre.

Il lui fallait néanmoins agir prudemment. Il devait réduire le temps prévu pour mener à bien les opérations qui lui avait été confié. Autant pour son bien que pour éviter d'être démasqué. Il sentait déjà ses bronches enflammées d'avoir respiré tant d'air pollué… Et il n'était là que depuis deux jours ! Heureusement, l'appartement de Liza disposait de climatiseurs qui filtraient l'air provenant de l'extérieur mais, dès qu'il sortait, il se sentait agressé. Il ne pouvait cependant pas se promener avec un masque de protection sur le visage comme le font les pékinois ! Par conséquent, obligé de respirer l'air contaminé qui l'empoisonnait, et les odeurs agressantes pour ses sens, obligé de subir le bruit assourdissant de la circulation routière, il lui tardait d'en finir.

Par chance, les jets de ligne ne survolaient plus New York depuis que les Twin Towers avaient été détruites. Mais les hélicoptères, toujours plus nombreux, ne s'en étaient pas détournés, pas plus que les automobiles qui, comme un torrent en crue, s'engorgeaient sur toutes les routes. Lui-même ne pouvait faire autrement que de rejoindre son bureau avec la limousine mise à sa disposition par Liza. Tout au moins avait-elle l'avantage d'atténuer les bruits extérieurs sur son trajet.

Quant aux bureaux de la Westcox Engeerering, ils possédaient également une installation efficace d'air conditionné et, à l'intérieur même du laboratoire dirigé par l'ingénieur Whiting, l'atmosphère était stérile, première condition pour garantir un minimum de résultats positifs à leurs recherches scientifiques.

Campbell savait qu'ils en étaient encore au point des recherches sur certains composants bios métalliques de nature filamenteuse, les plus sensibles à la lumière. Mais ils négligeaient complètement le fait que, du soleil, ce n'était pas la lumière qu'il fallait exploiter, mais son énergie, que l'on pourrait tirer de la chaleur qu'il irradiait sur notre planète. Dès qu'il eût mieux cerné le caractère de son supérieur direct et qu'il se fût assuré que, du moins durant les premières phases de sa démonstration, aucune nouvelle ne filtrerait à l'extérieur, il avait soumis à son attention l'un des panneaux qu'il avait rapportés dans sa mallette. Par chance, à première vue, ces panneaux, encadrés d'une mince bande de métal similaire à l'acier et recouverts d'un sombre cristal anti-rayure, pouvaient faire figure de petits tableaux naïfs pour touristes, comme ceux peint par les nombreux mulâtres qui se pressaient dans les Floride Keys.

C'était ça, la première clé vers l'espoir d'une meilleure santé pour les êtres vivants. Un seul panneau était en mesure de produire, dans un seul jour, l'énergie égale à celle développée par un moteur brûlant deux cents litres d'essence et de kérosène, ou trois cents de gasoil ; mais, contrairement à ces combustibles, il ne détruirait pas le monde ! Une fois installé sur un véhicule qui, nécessairement, devrait être équipé d'un moteur électrique dont il avait étudié le projet, il garantissait l'efficacité d'un mouvement perpétuel qui, sans causer aucune pollution atmosphérique, garderait les mêmes caractéristiques propulsives et de fonctionnement qu'un moteur à combustion interne.

Deux grandes inconnues demeuraient cependant : le jeune ingénieurne connaissait pas encore assez son supérieur et craignait donc, de sa part, une réaction autre qu'une simple admiration face à une trouvaille géniale, alors que cette invention était si importante pour l'avenir. Mais, plus encore, il craignait les réactions du marché. Quelles seraient-elles ? Il savait de quelles folies sont capables les hommes, quand ils sont séduits par l'appât du gain. Dans tous les champs d'action, de génération en génération, ils avaient démontré leur concupiscence et adoraient le veau d'or plus sûrement qu'ils ne s'embarrassaient de principes philosophiques.

 

                                               ΩΩΩ

 

        "Monsieur Whiting," commença le jeune ingénieur, dès qu'ils se trouvèrent seuls dans l'un des boxes de leur salle, au laboratoire de physique nucléaire.

        "Oui, Henry ?"

        Il regarda à nouveau autour de lui et aperçut John Frederick, dans la zone opposée à la leur. À son poste, vers la console des computers, il semblait très occupé par ses recherches et ne se souciait pas d'eux.

        "Vous souvenez-vous de m'avoir demandé si lors de mon… Euh… Congé, j'avais pensé aux études d'un nouveau composant pour le panneau solaire ?"

        "Bravo ! Tu as y pensé, alors ?"

        "Oui et non, Monsieur Whiting."

        "Que veux-tu dire ? Je te vois bien indécis. L'as-tu fait ou non ? Aurais-tu eu quelque idée nouvelle ?" insista son patron, d'une voix qui, dans les derniers mots, avait monté d'un ton, qui fit se retourner Frederick.

        "Vous voyez, chef…"

        "Qu'est-ce qui ne va pas ? As-tu un problème ?"

        "C'est que…" balbutia-t-il en baissant la voix, "je voudrais vous en parler en privé. C'est une chose très personnelle."

        "Personnelle ? As-tu quelques soucis avec ta fiancée ?"

Whiting connaissait bien Monsieur Limerick et, par conséquent, de quelles folies était capable sa fille. Intrigué, il tenta une ouverture : "Tu es encore logé dans l'immense appartement de ta belle, et donc…"

"Non, non, Monsieur Whiting… Tout va pour le mieux," répondit Henry.

        Et, baissant encore la voix, il s'approcha de son chef au point que celui-ci se demanda quelle confidence allait bien tomber dans son oreille, puis murmura : "C'est juste à propos du panneau solaire. J'aurais pensé que…"

"OK, Henry. Allons dans mon bureau," répondit son supérieur.

Se tournant vers Frederick, le seul qui les observait dans le laboratoire, alors que les trois autres employés étaient absorbés dans leur travail, Whiting lui lança : "Hé, John, je m'en vais pour une petite demi-heure. Continue ta recherche, nous regarderons ensemble où tu en es à mon retour."

Il entra dans le secteur administratif, suivi de Henry. Arrivé vers son bureau, il jeta un regard vers la secrétaire. Elle leva les yeux de son travail, prête à recevoir ses directives : "Miss Martha, s'il vous plaît, ne me passez aucun appel téléphonique ; je ne suis là pour personne !" lui dit-il à la hâte, avant de refermer la porte derrière eux.

        "Alors Henry," demanda-t-il à son jeune et prometteur assistant, une fois qu'ils furent installés auprès de son bureau, sur les deux chaises d'invités, dans un face-à-face libéré de la barrière hiérarchique, "quelle serait cette idée de génie ?"

        "Idée de génie ?" répéta l'autre, écarquillant les yeux.

        Eh bien… Il me semble avoir saisi que tu avais développé notre projet initial…" répondit son supérieur d'une voix neutre.

        "Non, ce n'est pas ça ! Vraiment non, Monsieur Whiting," se défendit Campbell qui, reprenant son aplomb, poursuivit, sans pouvoir retenir un sourire de connivence : "Notre recherche ne pourra pas obtenir un véritable débouché professionnel, mais, mieux que ça, elle peut considérablement améliorer les performances des panneaux solaires actuellement en usage ! Cependant, les coûts seront élevés et je pense que, commercialement parlant, elle n'aura pas de succès."

"Parbleu, Henry !" éclata l'autre, impatient. "Alors, pour quelle raison as-tu voulu me parler en particulier ? Pour quoi faire ?"

"Pour vous montrer ceci," répondit le jeune homme d'une voix mystérieuse.

Prenant dans la poche de sa blouse une feuille pliée en quatre, il la déploya sur la surface du bureau. Durant quelques minutes, l'ingénieur Whiting étudia le projet dans un silence religieux. Dès les premières lignes, il émit des signes convaincus d'approbation mais, au bout d'un moment, il se redressa, perplexe : "Qu'est-ce que c'est, cette formule, Henry ? Je n'arrive pas à la saisir !"

         "C'est juste la clé qui nous conduit à exploiter non la lumière du soleil pour engendrer de l'énergie, mais chaque source de chaleur qui nous parvient de l'atmosphère ; qu'il s'agisse du soleil ou même, de la pollution produite par l'homme."

         "Veux-tu parler de l'effet de serre ?"

         "Exactement. Si nous absorbions l'effet de serre, non seulement nous réduirions la pollution de la planète, mais avec le mouvement de sa turbine, chaque véhicule purifierait l'air."

Whiting ne lui répondit pas. Il se remit à étudier le projet. Cependant, malgré les premières indications de la formule qui venaient de lui être expliquée, il ne réussit pas à poursuivre. Les calculs et équations suivants dépassaient ses connaissances. Du ton de celui qui, quand même, en sait plus que son élève, il lui dit, chargeant sa voix d'une certaine impériosité : "Peut-être aurais-tu, finalement, mieux fait de dédier tes vacances au tourisme, Henry, plutôt qu'à inventer des contes de fées !"

        "Mais Monsieur Whiting, ceci est un vrai projet, et je vous assure que je l'ai expérimenté !"

        "Où, sur ton bateau de location, peut-être ? Et comment aurais-tu fait, dans le peu des jours où tu as été absent ? Tu sais très bien qu'entre le projet et son expérimentation, il se passe au moins six à douze mois. Et puis, allez ! C'est une absurdité, tout cela, Henry. Je te prie pour ne pas me faire perdre du temps précieux. Je considère ça comme une blague, que j'accepte de bon gré, mais maintenant, revenons-nous à notre travail. Il m'est venu une certaine idée…"

        "Je ne me serais jamais permis de vous faire une blague ! Vous êtes le chef du plus important laboratoire de recherche de la Westcox. Vous avez été et vous êtes encore mon maître. Comment pouvez-vous penser que je puisse me moquer de vous ? Je vous prie, accordez-moi encore un peu de temps… S'il vous plaît !"

L'accent sincère de ses paroles frappa Whiting. Tenant compte du fait que son meilleur collaborateur s'était toujours montré un chercheur intelligent et perspicace, peut-être avait-il quand même quelque chose de sérieux à lui soumettre. Il fallait que ce fût sérieux pour qu'il insistât autant.

"OK, Henry, je t'octroie mon temps. Même toute la matinée, si besoin."

"Merci, Monsieur Whiting. Vous verrez que je ne vous décevrai pas."

Ils rentrèrent dans le laboratoire où le personnel au complet avait rejoint Frederick. Henry murmura qu'il aurait été mieux de faire l'expérience sans aucun curieux.

        "C'est très important, Monsieur Whiting. Il s'agit vraiment d'une découverte révolutionnaire et il serait imprudent que l'un des assistants en parle à l'extérieur."

        "Nous ne pouvons pas les envoyer dehors, Henry. Nous leur mettrions toute de suite la puce à l'oreille. Mais enfin, qu'est-ce qu'il te faudrait pour me faire ta démonstration ?"

        "Un moteur électrique me suffirait, Monsieur."

        "Je ne saurais pas lequel te proposer… As-tu une idée ?"

        "Oui. Celui de l'ascenseur de service qui mène au garage, par exemple. Il suffirait que vous en interdisiez l'utilisation durant seulement une demi-heure."

Whiting sortit à nouveau, suivi d'Henry. Il rejoignit son bureau d'où il ordonna aux gardiens en service d'isoler l'ascenseur. Du reste, Il n'était question que de trois étages… Henry retira les contacts d'alimentation du moteur électrique, libéra de son emballage de plastique transparent ce que tout le monde avait pris pour un petit tableau acheté dans le sud de la Floride et, l'appuyant sur le plafond de l'ascenseur, il relia ses deux pôles aux prises du moteur. Puis il descendit à travers la trappe et se plaça aux côtés de son patron, qui le regardait avec stupéfaction et secouait la tête, déçu par avance.

        "Bien. Monsieur Whiting, veuillez entrer avec moi pour monter au troisième étage."

        "Henry…" protesta son supérieur avec modestie, "ne risquons-nous pas de rester enfermés dedans, ou que sais-je encore ?"

        "Mais Monsieur Whiting, quel danger voulez-vous qu'il y ait ! Au pire, l'ascenseur restera immobile où il y est. Vous avez bien vu que j'ai débranché les fils électriques, non ?"

        "Ouais, quel imbécile je fais !" s'exclama Whiting avec un grognement de satisfaction, à peine réprimé.

        Convaincu que l'ascenseur ne bougerait pas, il proféra bravement : "Partons, donc !" Et il y entra le premier, invitant Henry à le suivre et, narquois : "Allez, maintenant, fais-moi ta belle démonstration. Appuie même sur le bouton du troisième étage !"

Henry le regarda droit dans les yeux. Son regard avait quelque chose de mystérieux qui effraya l'ingénieur en chef. Il se recula sans mot dire dans un coin de la cabine et afficha un air plus sérieux. Henry appuya le bouton du Troisième. Les deux battants coulissants se fermèrent et l'ascenseur monta au troisième étage, comme on le lui avait ordonné, si ce n'est que Whiting ressentit une vitesse légèrement supérieure à celle habituellement programmée. De plus, le moteur émettait à peine un sifflement.

"Mais as-tu vraiment détaché le fil électrique, Henry ?"

"Certainement. Mais, descendons et allons vérifier."

        Quand ils arrivèrent au rez-de-chaussée et sortirent de la cabine, ils se trouvèrent nez à nez avec à un policier de la sécurité intérieure, en combinaison d'urgence, prêt à intervenir. John Frederick, l'avait rejoint, sous prétexte de devoir communiquer à son chef une découverte de la plus haute importance.

        "C'est très urgent, Monsieur. Je l'ai enregistrée provisoirement sur le bureau de mon ordinateur, mais il faut que vous voyiez ça !"

        "Je ne vois pas l'urgence, Frederick ! Cela ne s'effacera pas… Et d'ailleurs, ne l'as-tu pas copiée ?"

        "Mais est-ce vraiment si important ? J'avais dit que…"

        "Chef, je ne serais pas venu vous déranger !"

Tout en parlant, Frederick regardait Henry qui, avec une ingénuité quasi naturelle, l'observait d'un air neutre.

        "Eh bien, je dois d'abord faire un petit contrôle et tout de suite après, je monterai au laboratoire," répondit Whiting et, se tournant vers le gardien : "S'il vous plaît, installez-moi ce petit escalier dans l'ascenseur."

Frederick devança le gardien et, connaissant peut-être déjà le contrôle qui devrait être effectué, plaça l'escabeau dans la cabine. Puis, sous le prétexte de veiller à ce que Whiting ne tombe pas, il l'aida à monter sur le toit de l'ascenseur. Une fois l'espace libéré, il y monta lui-même, et s'avança pour observer avec attention l'étrange panneau et ce que faisait l'ingénieur-chef.

Pris par surprise, Henry, ne put pas intervenir. Peut-être, se montrant trop réservé avait-il apporté lui-même la confirmation de ses soupçons à son collègue, dont chacun connaissait la curiosité. Cependant, il opta pour la sérénité : Frederick ne représentait quand même pas un danger ! En outre, Henry était également curieux de savoir quelle espèce de découverte il avait fait à partir des calculs de son ordinateur. Il était fermement convaincu que les études menées jusqu'à présent n'auraient conduit à rien de plus qu'à une ridicule augmentation de capacité énergétique du nouveau panneau solaire, avec des coûts plus élevés pour les industries qui n'auraient pas jugé avantageux de les construire en série.

"Vraiment extraordinaire !" laissa échapper Monsieur Whiting,

Entrevoyant avec quel intérêt Frederick suivait son exploration, il estima prudent et opportun se corriger : "Je ne sais pas comment tu y es arrivé, Henry, mais avant de te faire mes compliments, il est nécessaire que tu fasses d'autres tests en laboratoire. Ici, entre la montée et la descente, je suis désolé, tu sais, mais je ne me rends pas parfaitement compte."

Henry ne pouvait pas l'entendre. Il s'était déjà hissé sur le toit de l'ascenseur pour démonter le panneau et reconnecter le câblage électrique. Quand il descendit, ramenant le petit escalier, il fit signe au gardien que tout allait bien et qu'il en pouvait à nouveau rendre l'ascenseur accessible.


9   DEVENIR  HELLENE

 

 

Pausanias ne l'avait pas quitté un instant depuis le quatrième jour de sa permanence à Poséidon. Cependant ses explications étaient claires et plus explicites que celles qu'il avait reçues de Phèdre, sa future épouse, ou de son frère Paris. Eux, n'avaient su que lui répondre avec confusion, tandis que la glose du vieillard était tellement plus cohérente qu'il en saisissait aussitôt la logique : ses arguments, finement liés les uns aux autres, permirent à Henry de comprendre plus aisément une bonne partie des mécanismes qui réglementaient les différentes activités de Kallitala. Tellement absorbé à suivre les enseignements de son mentor, il en oubliait d'être déçu de l'absence de Phèdre, ou de n'avoir toujours pas pu visiter l'Île.

Pausanias le conduisit dans l'une des ailes de l'immense palais pour visiter ce qu'il lui pressait le plus de faire connaître à Henry. Il avait déjà fait allusion, à quelques reprises, à un puissant élaborateur chimio électronique. À l'entendre sur ce sujet, Henry se disait qu'enfin, il existait bien une chose monstrueuse dans ce pays qui, jusqu'à présent, lui avait semblé être le paradis sur terre ! Le contraire aurait été étrange. Jusqu'à ce jour, il avait vu trop de bonté entre les gens d'ici, trop d'organisation, trop de silence, trop de bonheur ; ce gouvernement trop bon était trop écologique, trop ordonné pour qu'il n'existât aucune fausse note. Bah, c'était inévitable ! Et les dix jours qu'il avait passé à découvrir les merveilles de cette île paradisiaque, perdue au milieu de l'Atlantique, étaient certainement faits pour le préparer au pire !

Déjà, le simple fait d'entendre ce terme de chimio processeur lui avait inspiré une idée inquiétante. Chimio était synonyme de douleur, de mort, peut-être… De cancer qu'on arrive si peu souvent à traiter, même avec ce procédé ! Pausanias, dont la perspicacité appréciait Henry Campbell pour ce qu'il était vraiment désormais - tellement plus Hellène qu'humain - riait à part lui en devinant ce que son disciple redoutait. Il s'amusa à le laisser mijoter encore un peu dans son angoisse latente. Quand ils entrèrent dans un salon circulaire avec un haut plafond en forme de dôme, recouvert d'un blanc du pseudo-marbre que lui avait déjà décrit Phèdre, son regard découvrit une trentaine d'employés des deux sexes, taciturnes tant ils étaient absorbés par leur travail. Chaque personne fixait la console reliée à un grand écran plat qui se trouvait devant elle. Pausanias, qui s'était jusque-là tenu silencieux, lui dit enfin : "Voilà le chimio processeur au travail ! Nous l'appelons familièrement ‘Protée'. Ses multiformes combinaisons gouvernent toute la bureaucratie de Kallitala. Ceux que tu vois ici, ce sont les terminaux ; chacun d'eux exerce les fonctions d'un ministère, comme ceux de votre monde occidental. Mais avant de t'expliquer les tâches des opérateurs, que je ne voudrais pas déranger maintenant, je t'invite à me suivre."

Avec sa télécommande, Pausanias fit glisser une porte qui s'ouvrit sur la paroi à l'arrière des postes de travail et Henry, après un clin d'œil adressé aux opérateurs qui s'étaient tournés vers lui, suivit le Conseiller. Ils descendirent un escalier elliptique dont les proportions considérables donnaient sur un espace éclairé par le jour, et dont le sommet semblait plus petit que la base. En son centre, s'érigeait une grande cabine qui émettait des signaux lumineux par le biais d'une myriade de leds bariolés. Chose étrange à croire, dans un pays où le bruit avait été écarté avec une application soutenue, au même titre que les polluants, un léger sifflement hantait les lieux, comme celui qu'il entendait habituellement chez lui, quand il mettait en marche son transformateur électrique.

        "Voilà la chimio informatique," poursuivit Pausanias, ne se souciant pas de cacher un petit sourire de satisfaction. "Le terme de 'chimio' t'avait induit en erreur, n'est-ce pas ?"

        "Mais je… Vraiment…" furent les premiers mots que parvint à prononcer Henry, depuis qu'ils étaient entrés dans cette zone.

        "J'ai remarqué ton tremblement quand tu as entendu ce mot. Rassure-toi, cela n'a rien à voir avec les soins que tes désormais ex-concitoyens tentent pour guérir les différents types de cancer, ces maladies irréversibles qui détruiront l'humanité entière si on ne s'évertue pas à éliminer les sources de la pollution. Nous l'appelons ainsi, parce qu'il est une version du cerveau humain…"

        'Nous y voilà,' songea, Henry. 'Maintenant, il me présente la monstrueuse entité…'

Lorsque Pausanias commença à en décrire les caractéristiques, il fut convaincu qu'il s'agissait bien là d'une entité monstrueuse ! De l'ordinateur traditionnel, il n'avait que les circuits intégrés. Et Henry découvrit bien vite que, si on les comparait aux matériaux divers employés dans le monde occidental, ceux-ci avaient une conductivité cent fois plus élevée. Leur système n'était pas binaire, mais constitué d'impulsions neuronales, dues à la solution chimique dans laquelle se croisaient les innombrables contacts électro propulseurs qui s'approchaient beaucoup du tissu cérébral humain. Avec cette combinaison électrochimique, l'énorme et puissant chimio-élaborateur développait une capacité intellectuelle supérieure à celle de plus d'un million de cerveaux humains surdoués, au Q.I. compris entre cent cinquante et deux cents. Un vrai génie, doté d'une mémoire cosmique, que l'on avait gavé de tout le savoir des Hellènes, et d'une partie des connaissances humaines… En particulier, en ce qui concernait les langues. Contrairement aux ordinateurs traditionnels, celui-ci n'était pas constitué de dossiers, de fichiers ou de programmes mis en place dans des compartiments étanches, privés d'interaction, ou de communication entre eux. Mais tous ses canaux étaient ouverts, ce qui lui donnait la possibilité d'élaborer quasiment n'importe quelle réflexion. En bref, si ce n'était le fait qu'il était privé de sentiments, Proteus était un cerveau humain capable de créer, d'inventer, d'écrire correctement et de traduire dans d'innombrables langues connues sur toute la planète. Dans son système on avait également incorporé de nombreux écrits humains. Bien évidemment, ils ne parlaient pas de manière trop explicite de sexualité ou de violence, et si l'un de ceux-ci avait été classifié comme d'une importance littéraire primordiale, il avait aussi été épuré de certaines crudités. Des Codes civils et pénaux des humains, il ne restait que les bases, car il est universellement reconnu que, dans la pléthore de lois et de règlements qui régentent nos nations, il en existe toujours une qui contredira l'autre… Ce qui donne aux juges humains le moyen et l'excuse pour infliger des châtiments criminels à des personnes qui ne marchent ou ne pensent pas à leur convenance.

        "Le dernier jour que tu passeras en ma compagnie, sera mis à part pour discuter de la question raciale. Tu comprendras alors pourquoi, ici, à Kallitala, nous sommes tous blancs," précisa Pausanias, entre deux explications sur les capacités du chimio processeur. "Je t'assure que ce n'est pas, comme tu as semblé le croire, parce que nous sommes racistes ! C'est tout autre chose…"

Et, tronquant ce sujet, il invita Henry à s'approcher de l'énorme machine. Du côté opposé à celui où ils se trouvaient au préalable, il ouvrit un portillon assez grand pour y introduire aisément leurs deux têtes. Là, il lui indiqua un panneau transparent qui montrait une section intérieure éclairée.

        "Tu vois, c'est la matière chimique qui, comme tu peux clairement le noter, est traversée par les circuits. Vois-tu comme ils sont nombreux et serrés ?"

        "On dirait des cheveux," répondit Henry, un peu dégoûté de voir ce substrat visqueux dans lequel ils baignaient, et qu'il associait avec dégoût à une substance cérébrale.

Une fois dans sa vie, il avait vu cela et cette vision horrible avait été suffisante pour le hanter encore aujourd'hui. C'était dans le Queens, à l'époque où il ne fréquentait pas encore Liza. Passant par hasard dans une rue où une personne venait de se suicider, en se précipitant d'un immeuble de dix étages, il avait vu ce qui restait de sa tête : une pastèque, émiettée en morceaux, qui avait éclaboussé de sang et de matière grise toute la largeur du trottoir !

        "Oui ! Pense un peu, Henry : chacun de ces 'cheveux' est capable de transporter, à la vitesse de la lumière, des millions d'informations qui seront traitées dans l'hypothalamus central ! Il occupe la partie majeure de l'ordinateur et les autres zones exercent les fonctions périphériques. Nous les appelons 'cortex' dans le cerveau hellène. Celles que nous sommes en train d'observer, en font partie ; plus exactement, il s'agit du lobe cortical oriental, qui contient les données scientifiques.

        "Mais, Pausanias, et les résultats ? C'est-à-dire… Je veux dire…" balbutia Henry, impressionné par cette merveille, "à quoi aboutissent-ils ? De quoi ce chimio processeur est-il capable ?"

        "De millions des choses ! Son activité est certes réduite pendant la pause nocturne, mais, contrairement à nos cerveaux, Protée ne dort jamais. Bien sûr, c'est toujours une machine… Il faut donc bien l'entretenir. Aussi, nous l'arrêtons une fois tous les quatre ans pour une révision générale. Durant ce temps, il est remplacé par un processeur de réserve, identique, qui est située dans la salle adjacente."

Ce que produisait Protée n'aurait pu être énuméré. Il ne s'agissait pas, en fait, de millions d'actions mais d'une infinité telle que, pour les lister, il aurait fallu au moins un million de volumes de plus de mille pages chacun. À quoi bon les connaître toutes ? Pausanias lui en cita quelques-unes, parmi les principales, que connaissaient aussi les nombreux employés de la chambre supérieure, ainsi que leurs collègues disséminés par centaines dans les sept autres villes principales de Kallitala.

"Tout d'abord, en ce qui concerne le gouvernement du Pays : tu sais que notre Archonte représente la plus haute fonction publique institutionnelle. Le Grand Jury le seconde. Mais ces personnes suivent généralement les instructions du chimio ordinateur qui, jour après jour, élabore les meilleures stratégies. Libre ensuite à l'Archonte de les avaliser ou non. Dans la plupart des cas il les approuve motu proprio. Celles pour lesquelles il subsiste un doute dans son esprit, sont soumises aux membres du Grand Conseil."

"Le Grand Conseil ?"

"Oui, ils sont au nombre de vingt. Leur renouvellement se produit un par un, année par année. Par conséquent, le changement total du Conseil s'effectue sur vingt ans. A ce moment, c'est le doyen d'entre eux qui, à son tour, reprend la charge d'Archonte. Une fois son mandat terminé, l'ancien Archonte retrouve sa vie privée. Chaque citoyen de Kallitala peut être nommé conseiller s'il est choisi pour cela."

"Ainsi, toi ou Paris, pourriez être élus prochainement ?"

"Non, pas encore. Le conseiller doit être père de famille ; il doit aussi avoir au moins deux fils qui exercent dans une carrière politique, quelle qu'elle soit. Et jamais il ne serait nommé par le chimio ordinateur relié à un conseiller ou à un ami. Ainsi, cela évite la possibilité d'un choix basé sur l'affectif ou la consanguinité. Voilà aussi ce qui explique, en partie, qu'à Kallitala l'idée du vol n'existe même pas. Cette activité majeure du monde des humains provoque de milliers de milliards de dollars d'intérêts pour construire des outils de protection ; le népotisme y est source d'ennuis que nous voulons éviter ici !"

"Alors, comment faites-vous pour nommer vos conseillers ?"

"C'est Protée qui, tenant compte de tout cela, et connaissant la vie de tous les citoyens, gère et confirme les nominations. Chez nous, les gens n'ont pas besoin de carte d'identité ou de carte bancaire. Il suffit qu'une personne pose un jour son regard sur un œillet spécial, placé dans chaque magasin, lieu de spectacle ou autre et la machine débite aussitôt son compte bancaire de chaque dépense. C'est comme cela que chaque citoyen est immédiatement individué par l'ordinateur."

Henry savait déjà que tout le monde à Kallitala travaillait et percevait un salaire crédité automatiquement sur son compte, une fois que les dix pour cent dus à l'état, en avait été systématiquement retiré. Ce salaire était alors administré par l'ordinateur central, au centime de drachme près, avec un coût nul et sans taux d'intérêt. La drachme était la monnaie courante de Kallitala où n'existait pas l'inflation. Depuis des centaines d'années les prix étaient fixes et très peu élevés et les dépenses de nourriture ne dépassaient jamais le pourcentage accordé à l'État. Ce dernier garantissait une retraite identique à chacun, à l'orée des cinquante ans, ainsi que l'assistance médicale et hospitalière. Les quatre-vingts pour cent du salaire restant servaient à l'éducation scolaire des enfants dans l'internat, à l'achat et à la gestion de la maison, des vêtements, de l'automobile, aux voyages, aux vacances, aux dépenses de loisirs, et à l'épargne.C'est ainsi que Achelais et Hécube, après des années de travail, avaient acheté leur grande ferme.

En outre, Protée programmait les cultures, la pêche, l'entretien des forêts et des littoraux. C'était aussi cette prodigieuse machine qui écrivait les manuels scolaires et créait les programmes d'études pour les pensionnaires, depuis les très petits jusqu'aux plus âgés. L'école commençait à trois ans et se terminait, avec le plus haut degré, à l'âge de douze ans. Le cours des études pouvait être interrompu par chacun, à huit ans. À cet âge-là, un Hellène maîtrisait déjà la lecture et l'écriture, les mathématiques, l'histoire et la géographie du monde, la langue anglaise en plus de la leur propre et l'une ou l'autre des principales langues du monde occidental. Ceux qui poursuivaient les études jusqu'à douze ans recevaient une attestation particulière qui leur donnait la garantie d'un emploi dans une carrière de direction. Les spécialisations étaient diverses, mais quelle que soit celle choisie, et contrairement à ce qui se passait dans le monde des humains, l'apprentissage de la culture humaniste ne subissait aucune réduction. Ceci explique aussi pourquoi tous les Hellènes lisaient beaucoup. La lecture était, pour un Hellène, ce qu'est la télévision pour un « homme Occidental ».

Protée vomissait des essais historiques ou actuels, des livres scolaires de tous les niveaux jusqu'à l'université, y compris tous les dictionnaires. Hormis les livres d'études, la littérature était, bien entendue, rédigée par des écrivains. En effet, bien que le chimio-élaborateur possédât une intelligence équivalente à de nombreux cerveaux humains, il n'avait pas la capacité de pratiquer l'humour, les sentiments, et toutes ces fantaisies imaginatives qui, comme on le sait, pèsent tellement plus que la connaissance. La narration et la poésie étaient donc produites par les esprits ingénieux de certains Hellènes, qui avaient la satisfaction - jointe à celle de leur éditeur - de voir leur livre acheté à des centaines de milliers d'exemplaires. Enfin, les portes de la culture étaient également ouvertes aux ouvrages des humains, mais seulement pour les œuvres reconnues comme étant d'un grand intérêt culturel par le Grand Conseil.

        "Je ne veux pas t'ennuyer trop, ami Henry," dit finalement Pausanias, le quatrième jour. "Je parie que tu as à peu près cerné les capacités de Protée. Les autres choses concernent la bureaucratie sans laquelle, même à Kallitala, on ne peut pas fonctionner. Toutefois, aucun Hellène n'est obligé, comme dans le monde d'où tu viens, de faire la queue des heures durant, pour obtenir ce dont il a besoin. À chaque question civile, il y a tout de suite une réponse aimable, juste, toujours complète et jamais inefficace !"

        "Tu m'avais dit que tu me parlerais de la question raciale, Pausanias," demanda Henry, espérant que s'il pouvait clarifier cette question en quelques mots, cela lui donnerait le bonheur de revoir bientôt sa Phèdre bien-aimée.

        "Oui, c'est vrai. La question de la couleur de la peau !" répondit son compagnon, un peu méditatif.

Et, pour la première fois depuis qu'il était assisté par lui, Henry le sentit triste.

"Chez nous, ça n'existe pas parce que, comme tu le sais, nos ancêtres étaient de peau blanche et venaient de la Magna Græcia. Cependant quand ils furent secourus et logés sur la côte de l'Afrique du Nord, ils revinrent avec un couple de jeunes berbères. Ils étaient particulièrement experts en connaissances maritimes. Mais quand ils commencèrent à les entendre s'exprimer en disant : 'Que soit faite la volonté de Allah' ou 'Allah est grand et miséricordieux et nous aidera', mes ancêtres leur dirent très clairement que là où ils allaient, dans l'endroit où ils s'arrêteraient pour toujours, on ne voulait aucune religion. Si Ahmid et Fahtma s'engageaient à oublier la leur, comme eux tous avaient fait de leur mythologie grecque peuplée d'un nombre infini de dieux, alors ils seraient invités à continuer leur voyage. Les deux époux, plus par superstition que par conviction religieuse, déclinèrent l'invitation. Ils le firent néanmoins sans agacement, mais poliment, remerciant au contraire les Hellènes de les avoir informés à temps."

"Je comprends, Pausanias. Mais cela est plus une question religieuse qu'une question raciale. Je croyais que tu voulais me parler de la race noire ; de ces pauvres diables réduits en esclavage et amenés vers le nouveau monde qui est maintenant… Mon ex-pays !"

"Cela n'a pas existé pour nous : lorsque mes ancêtres débarquèrent sur cette île, les noirs vivaient seulement en Afrique et ton ancien pays était une lande peuplée d'animaux, et encore inconnue des hommes. Ceux-là croyaient qu'au-delà des Colonnes d'Hercule, et du Grand Océan existaient les bornes du Monde. Moi-même, je m'y intéressai quand, avec nos équipements perfectionnés, nous découvrîmes la traite des esclaves entre l'Afrique et la côte de Virginie. Je demandai à l'Archonte de cette époque d'intervenir afin qu'il fasse cesser cet ignoble trafic. Nos phères réussirent à faire retourner en arrière divers navires, mais le résultat fut désastreux. Presque tous les noirs, serrés comme des sardines dans les cales, moururent étouffés ou par manque de nourriture et d'eau. La seule solution aurait été de les laisser entrer sous notre coupole mais avec eux, malheureusement, même les négriers seraient arrivés. Si nous l'avions fait, cela aurait été la fin de Kallitala… Certainement pas par la faute des pauvres noirs, que nous aurions été en mesure d'éduquer, mais par celle des négriers, êtres cyniques et barbares, que la cupidité avait rendus pareils à des bêtes sauvages !"

"Avec quelques incursions des phères, vous avez donc résolu le problème du racisme !" fit Henry, avec une teinte d'ironie.

"Nous comprenons bien ce terme, comme tout ce qui vous concerne, vous les hommes, ami Henry…" répondit Pausanias avec bonté, "mais, garde bien en tête que nous sommes Hellènes et non hommes. Et tu es le seul qui soit en train de devenir comme nous, grâce à ton amour pour ta Phèdre et à ton acquiescement ! Quoique…"

        Ces derniers mots terrifièrent Henry.

        "Veux-tu dire que… ?" commença-t-il, effrayé.

        "Nous savons que tu as essayé de t'échapper avec le bateau de Paris et si ce n'avait pas été pour Phèdre, à ce moment tu te trouverais dans la belle vallée de Boadicée… Va-t'en maintenant !"

        Se rendant compte qu'Henry hésitait, il l'engagea fermement : "Vas-tu aller vers ta future épouse ? Elle a été prévenue et t'attend à l'entrée du palais."

"Mais, Pausanias… Avons-nous terminé ?"

"Oui, ami Henry. Les autres choses, tu les apprendras comme Hellène."

"Permets-moi cependant de te rappeler que tu devais m'expliquer le travail des employés plus haut placés !"

"Ce n'est plus important pour l'instant. Allez, vas… S'il te plaît !"

        Et lui montrant la voie à suivre, le vieillard l'invita pour la dernière fois à sortir du palais, alors qu'il se dirigeait vers l'escalier opposé.


10   BRANLE-BAS EN HAUT-LIEU

 

 

Le jeune ingénieur ne put s'empêcher d'utiliser sa télécommande, envoyant deux décharges de Sapotran sur les deux hommes qui lui faisaient face, armés de pistolets. Ils tombèrent à terre, d'un coup… Pour ne plus se relever. Il était sur le point de se retourner pour riposter de même vers ceux qu'il devinait déjà dans son dos, quand un coup sur la tête l'étourdit : avant de perdre totalement l'équilibre, il eut cependant le temps de projeter une dernière dose de Sapotran sur deux autres adversaires, qui rejoignirent les premiers, au sol. Allongé lui aussi, sur la chaussée, il tenta de reprendre quelques forces et, s'apprêta à utiliser l'injection sous-cutanée du Stetopan dont il s'était prémuni lorsqu'il avait quitté, en toute hâte, l'appartement de Liza. Mais trop tard : le dernier de ses agresseurs encore debout parvint à s'emparer de sa mallette avant de fuir à toutes jambes vers la troisième voiture où il s'enfila, sans prendre le temps de récupérer l'arme qu'il avait perdue dans la mêlée.

Mais sa corpulence lui fit perdre quelques précieuses secondes pour reculer le siège conducteur. Cela suffit à Campbell qui venait de se redresser. S'élançant comme un ressort vers le véhicule, il s'agrippa au montant de la portière dont la vitre était baissée. Doté d'une force et d'une résistance quasi surhumaine, que l'on pouvait croire mues par l'urgence de la situation, il ne se laissa pas prendre au dépourvu quand l'homme démarra dans un crissement de pneus et, tentant de se débarrasser de sa victime, donna un coup de volant sec vers la droite, au risque de monter sur le large trottoir. Le jeune homme, toujours agrippé à la portière parvint à s'enfiler, tête la première, sur le siège du passager. Alors, le fugitif, calant la mallette entre ses jambes, tendit la main pour ouvrir la boîte à gants à la recherche de l'arme qui devait s'y trouver. Mais, remis de son étourdissement, Campbell lui attrapa le bras à la volée et le serra d'une étreinte en tenaille qui fit crier l'autre de douleur. La voiture, lancée à toute allure, fit une embardée spectaculaire. Le bandit, rendu fou par la souffrance, appuyait de tout son poids sur la pédale d'accélérateur et la voiture, qu'il ne dirigeait que d'une main - l'autre étant toujours prisonnière de la poigne de son adversaire - alla heurter un gros fourgon qui venait de la dépasser. L'ingénieur Campbell, toujours tête en bas, libéra sa main gauche qu'il tendit vers le pied de son adversaire. Le soulevant de l'accélérateur, il le tordit violemment, provoquant un étirement si soudain, que le conducteur ne put retenir un hurlement bestial de douleur. Cependant, cette manœuvre désespérée eut l'avantage de faire ralentir l'automobile qui, livrée à elle-même, alla cogner son museau contre une borne d'incendie, dont elle arracha littéralement le socle du sol.

La confusion qui s'ensuivit, les passants qui hurlaient, l'eau qui éclaboussait tout alentour, inondant badauds et commerçants attirés par le vacarme des voix et de l'accrochage, donnèrent au jeune homme l'occasion de se débarrasser de son voleur, affaissé et inconscient contre l'airbag du volant qui lui compressait la poitrine. Il reprit sa mallette, sortit du véhicule à la sauvette et profita de la cohue des curieux pour disparaître au plus vite. Un badaud, cependant, le vit partir, et le montra du doigt, criant qu'il était le responsable de ce désastre. Le temps qu'on réagit, il s'était déjà engagé dans la cinquante-septième et, de sa démarche extraordinairement souple et légère, il avait parcouru près de trois cents mètres. Profitant de la confusion des badauds, il s'esquivait déjà dans la First Avenue. Un regard en arrière… Il semblait que personne ne le poursuivait !

Il arriva en vue du Palais des Nations Unies, sur le côté opposé. Il lui restait quelque deux kilomètres à parcourir à peu près, qu'il aurait pu franchir au pas de course, en un laps très court, mais il ne devait pas éveiller de soupçons. Aussi prit-il le temps de réajuster son habillement, passablement malmené dans la bataille et, d'un pas de promeneur, il s'enfila dans la rue à la suite des citadins, dépassant de temps à autre un petit groupe plus lent, s'attardant quelques secondes à regarder les vitrines des magasins les plus élégants, s'arrêtant parfois au son d'une sirène d'ambulance ou de police. Mais il pensait que plus personne ne le suivrait ; les témoins du fait, le croyant sans doute enfui vers la grande avenue du côté du fleuve où était survenu l'accident. Aussi se mit-il à songer intensément à ce qu'il allait faire une fois arrivé au palais de l'ONU.

Peut-être à cause de sa tenue et de sa mallette, mais surtout à cause de son air déterminé, Henry parvint à entrer dans le hall du Palais de Verre, sans éveiller aucun soupçon. De sa démarche légère, il parcourut alors rapidement le vaste espace et dépassa sans complications la zone des détecteurs. Il parvint à un ascenseur bondé qui s'arrêta au huitième étage. Ne sachant pas à qui s'adresser, l'ingénieur sortit à la suite d'un fonctionnaire qui, vêtu d'un costume gris parfaitement coupé et portant, comme lui, une mallette en main, se dirigeait avec détermination vers le couloir de gauche. Ils arrivèrent dans une grande salle où une douzaine d'employés travaillaient devant l'écran de leur ordinateur. Tant qu'il suivit l'homme sans hésitation, aucun d'entre eux, pas plus que l'homme de la sécurité, ne vint lui demander ce qu'il faisait là. Ce n'est que lorsqu'il eut franchi le seuil de son cabinet privé, dont la porte leur fut ouverte par une employée diligente probablement sa secrétaire puis refermée derrière eux, que l'élégant fonctionnaire, sur le point de s'asseoir à son bureau, s'aperçut de sa présence.

"Pardon ?" prononça-t-il d'une voix étranglée par la surprise…

Puis, se ressaisissant, il toussa, pour s'éclaircir la gorge : "Excusez-moi, vous êtes sans doute le Docteur Longwood ? Asseyez-vous, s'il vous plaît."

        L'ingénieur, profitant de l'opportunité offerte, s'assit sans mot dire, posant sa mallette sur ses genoux. Il jaugea en silence l'important fonctionnaire, un type plutôt méticuleux, au visage glabre et aux cheveux abondamment parsemés de blanc, qui distribuait le contenu de sa mallette entre l'un des tiroirs sur le côté de son bureau et le plan vide et brillant de celui-ci. Après avoir retiré de la poche intérieure de sa veste un étui en cuir rouge d'où il sortit une paire de lunette aux montures d'or, il les chaussa pour jeter un coup d'œil sur le dossier qu'il venait de poser devant lui. Ce n'est qu'après, qu'il sembla se souvenir de son hôte.

"Oh, veuillez m'excuser… Prendrez-vous un café avec moi, Docteur Longwood ?"

"Oui, volontiers. Merci," répondit son vis-à-vis, d'un timbre de voix décidé.

Il parvint enfin à connaître le nom du fonctionnaire, quand sa secrétaire, appelée sur l'interphone : "Veuillez servir le café pour deux…" répondit : "Tout de suite, Mister Benson."

        Étrangement, il semblait que Monsieur Benson ne fût pas pressé d'entrer dans une discussion professionnelle avec celui qu'il croyait être le docteur Longwood, puisqu'après avoir tourné légèrement la tête vers la baie vitrée derrière son bureau, il énonça cordialement : "Vraiment une très belle journée pour l'hiver new-yorkais, ne vous semble-t-il pas ?"

        "Oui, en effet, Docteur Benson. Une chose presque inhabituelle," répondit Henry, qui commençait à s'agiter, craignant à tout instant que le véritable Longwood se fît annoncer.

        Il cherchait comment lancer le sujet qui lui pressait, mais se résolut finalement à attendre que la secrétaire leur apportât le café. L'occasion lui en fut apportée par celle-ci même qui, entrant dans le bureau avec son plateau chargé, déposa soigneusement le tout sur le bureau puis, tout en les servant, informa le docteur Benson : "Le docteur Longwood vient de téléphoner, Monsieur. Il dit qu'à cause de la circulation, il aura une dizaine de minutes de retard."

"Mais il est ici, Miss Ashley. Ne le voyez-vous pas ?" rectifia Benson.

Puis, prenant soudain conscience que l'autre ne lui avait rien dit qui laissât entendre son identité, il ajouta d'une voix enrouée : "Donc, alors… Alors ?"

        Il regarda l'homme en face de lui, puis, effaré, reporta son attention sur sa secrétaire : "Comment est-il possible que… ?"

        Et, fixant à nouveau son interlocuteur : "Il semble qu'il y ait mépris. Vous n'êtes pas le docteur Longwood ?"

        "Eh bien," répondit en retour le jeune homme qui, depuis l'entrée de la secrétaire, et en prévision d'une situation de ce genre, manipulait sa télécommande d'injection que l'on eut pu prendre pour un petit portable, "peut-être que Mademoiselle Ashley a confondu la voix de la personne qui l'a appelée."

        "Mais, Monsieur !" s'exclama-t-elle d'un ton offusqué. "J'ai très bien compris bien que…"

Elle n'ajouta rien d'autre et tomba évanouie…

Il avait profité de ce qu'elle le servait tout en parlant, pour diffuser, face à elle, une faible dose de Sapotran. Aussi, pour enlever tout soupçon, il fit mine d'aller secourir la pauvre femme, de tenter de la réanimer. Miss Ashley reprendrait, de toute façon, paisiblement ses esprits dans le quart d'heure qui suivrait. Pendant ce temps, en proie une certaine confusion, le docteur Benson s'était dirigé vers le salon pour demander de l'aide. Les portes des bureaux adjacents s'ouvrirent et une douzaine d'employés accourut, plus pour se rendre compte de ce qui se passait que pour apporter une aide efficace. Un tâcheron qui semblait tout connaître de la médecine avança que la pauvre secrétaire devait sans doute son évanouissement à une simple chute de sucre : "Je connais bien Miss Ashley. Elle a toujours été fière de ne 'petit-déjeuner' qu'avec une tasse de café. Mais quand on sait tout le travail qu'elle abat dans une matinée, je ne sais pas si…"

        L'intervention de cet employé calma le docteur Benson. Cet intermède lui avait fait oublier les derniers mots de sa secrétaire qui, entre-temps avait repris connaissance. Mais elle se sentait tellement étourdie qu'il l'exempta de travail pour le reste de la journée : "Reposez-vous, Miss. Il semble que vous en ayez grand besoin. Et je vous conseille d'aller consulter… Il ne faut pas négliger de telles alertes…"

        La chance voulut que le docteur Longwood ne fût toujours pas arrivé. Aussi, l'ingénieur profita de l'occasion pour présenter sa mallette au docteur Benson.

"Qu'avez-vous là ?" demanda l'important fonctionnaire, prenant en main le panneau solaire et le regardant attentivement, après avoir à nouveau chaussé ses lunettes.

"L'avenir de l'humanité," répondit le jeune homme, sans retenir une note de triomphe.

" Il ne me semble pas que ce soit le moment de plaisanter, Docteur Longwood. Je ne vois ici qu'un petit tableau naïf inséré dans un cadre bien étrange !"

"En réalité, il s'agit d'un panneau solaire dont la capacité de charge d'énergie vous stupéfierait," répliqua Campbell, sans se départir de son regard serein.

"Ah, vraiment ? Eh bien, Docteur Longwood, ce n'est sûrement pas vers moi qu'il fallait vous adresser. Je ne suis pas ingénieur mais dirigeant de la section diplomatique, ici, à l'ONU."

        Puis, scrutant attentivement, et pour la première fois, le visage de son interlocuteur, il proféra d'une voix soudain altérée par ce qu'il venait de réaliser : "Mais peut-être que… Maintenant je me rappelle… Ma secrétaire était en train de me dire que… Êtes-vous vraiment le docteur Longwood ? Ce… Cette chose," balbutia-t-il en lui restituant le panneau, "cette chose n'était pas prévue dans l'ordre du jour de notre rencontre !"

        "Attendez !" rétorqua brusquement son vis-à-vis, en se levant de son siège. "Que vous soyez ou non un ingénieur, peu importe. Vous êtes un diplomate et il est votre devoir de m'écouter !"

        Il alla fermer à clé la porte du bureau : "Ne vous inquiétez pas. Il est vrai que je ne suis pas le docteur Longwood, mais je suis inoffensif. De plus, je suis vraiment un ingénieur, même si mon nom ne vous dit rien."

"Mais pourquoi êtes-vous venu vers moi, alors ?"

"Je ne savais pas où aller et, vous voyant dans l'ascenseur, je vous ai suivi. On m'a pris pour votre attaché et cela m'a évité d'être retenu par la sécurité."

"Mais… Quelles sont vos intentions ?" demanda Benson d'une voix rendue blanche par la peur.

"Je vous répète que je n'en ai aucune malveillance, ni envers vous ni envers qui que ce soit, dans ce palais qui me semble une fourmilière. Appelez-moi Henry Campbell et, si cela peut vous rassurer un peu, sachez que je suis fiancé à la fille de Limerick, le magnat du pétrole que vous ne pouvez pas ne pas connaître. Maintenant, écoutez-moi attentivement. Ceci que j'ai ici - ainsi que les deux autres, semblables, qui sont dans ma mallette - est un panneau à neutrinos solaires. Lorsqu'il est adjoint à un moteur électrique, il en permet un fonctionnement à vie, parce qu'il absorbe l'énergie du soleil, mais aussi celle libérée par la pollution de l'air présent à toutes les latitudes. Il peut très bien remplacer n'importe quel moteur, sans provoquer aucune sorte d'émission nocive. Je suis ici pour que vous me fassiez rencontrer Monsieur le Secrétaire Général, à qui je veux soumettre cette invention !"

"Mais pourquoi ici ; au Siège des Nations Unies ! Pourquoi ne l'offrez-vous à quelque industrie mécanique ou automobile ? Nous, que pouvons-nous en tirer ?"

"Les industries l'arracheraient, certes. Mais pour l'appât du gain. Or, je ne veux pas que cela se produise. Vous représentez quasiment tous les peuples de la Terre et je veux que le monde entier puisse disposer, dans le même temps, de cette nouvelle technologie… Avant qu'il ne soit trop tard."

"Trop tard ? Tard pour quoi ?" demanda le docteur Benson, de plus en plus étonné par la tournure des événements.

"Est-ce parce que vous êtes diplomate que vous devez ignorer l'avenir de l'humanité ? Ne vous rendez-vous pas compte que le monde court à sa perte ? Oui, je peux vous assurer qu'il n'y va pas lentement, comme cela semblerait le cas, quand il ne s'agit que de tremblements de terre ou d'éruptions volcaniques, phénomènes terrifiants, mais relativement naturels. Non, il y court… Dix, vingt, cent fois plus vite ! Des calculs effectués indiquent que, d'ici trente ans, beaucoup des choses changeront sur cette planète : des pays entiers disparaîtront sous la mer, la moitié des terrains fertiles deviendra déserte et une bonne partie des terres se congèlera, alors qu'aux Tropiques, la chaleur sera si brûlante qu'elle fera éclater le cœur de chaque être vivant sur sa surface."

        Si Benson le regardait jusque-là avec une certaine consternation, née de la tromperie dont il avait été victime par cet individu introduit dans son bureau. S'il en était confus, lui qui, jusqu'alors, avait réussi à vivre une vie sans heurts malgré le siège proéminent qu'il occupait dans l'organisation des Nations Unies. Lui, dont le Secrétaire général de cette éminente Organisation écoutait les déclarations posées et réfléchies avec déférence, il resta littéralement terrifié devant son interlocuteur : comment savoir s'il avait affaire à un fou ou à un prophète des derniers temps ?

"Êtes-vous sûr de ce que vous dites ?"

"Tenez, prenez ma mallette, si vous croyez que je suis un fou qui veut attenter à votre vie. Mais, je vous en prie, conduisez-moi auprès du Secrétaire Général, s'il vous plaît ! Je prouverai ce que je dis. Si vous le faites, une partie du mérite d'avoir sauvé l'humanité retombera sur vous. Et même si, un jour, malgré tous nos efforts de prévention, tous les êtres vivants, animaux et végétaux, devaient disparaître, la vie se régénérera. Et qui sait si, dans quelques millénaires, une combinaison de chromosomes ne les fera pas renaître… Grâce à vous," susurra obséquieusement l'ingénieur.

        Le docteur Benson prit le récepteur du téléphone rouge et, plongeant fixement son regard dans celui de l'homme qui se disait Henry Campbell, comme s'il voulût y lire la confirmation de ce qu'il avait entendu, il poussa trois boutons. Après une attente d'une dizaine de secondes qui leur parut durer une éternité, il prononça, sans tergiversations : "J'ai besoin d'un entretien urgent !"

        Puis il raccrocha. Ces quelques mots prononcés sans préliminaires à l'intention du Secrétaire Général faisaient probablement partie d'un code d'entente signifiant des situations d'urgence.

"Venez avec moi," dit-il à Campbell.

        Passant à nouveau par le grand salon où des employés s'activaient, le docteur Benson, s'adressant à un homme de la sécurité, lui murmura de le suivre. Il lui demanda sans doute aussi s'il était armé, nota l'ingénieur, parce que le policier frappa de la main son côté gauche, où reposait le pistolet. Ils furent rapidement introduits auprès du Secrétaire Général : " Alors, Peter ? Quelque chose de grave ?"

        "Je dirais que oui, Monsieur. Mon instinct m'a persuadé de croire aux dires de ce jeune homme, Henry Campbell. Je ne voudrais pas m'avancer, mais il me semble fiable. Voyez l'invention qu'il veut nous soumettre !"

        Et, se tournant vers son hôte : "Montrez-lui, ingénieur Campbell !"

        Campbell ouvrit la mallette et en ressortit l'un des mystérieux cadres. Il réitéra, pour le Secrétaire Général, les explications qu'il avait déjà développées devant le docteur Benson, les enrichissant de quelques détails techniques qui, pensait-il, persuaderaient le docte personnage de la véracité de son histoire. Puis, en guise de conclusion, il tenta : "Je vous démontrerais mes dires s'il existait, dans ce palais, un lieu doté d'un moteur électrique de n'importe quel type. À l'extrême, même le moteur d'un ascenseur ferait l'affaire."

        "Nous pouvons demander au chef de l'entretien," répondit le Secrétaire Général, "bien que j'ignore encore où cela nous mènera. Êtes-vous certain de ne pas me faire perdre mon temps ? Je devrais annuler un engagement prévu dans dix minutes."

        "Écoutez-moi, Monsieur le Secrétaire. À l'extérieur du palais des Nations, des émissaires de grandes compagnies pétrolières, et vos plus hautes instances militaires me donnent la chasse pour s'emparer de ma trouvaille, que je n'ai pas la prétention d'appeler une invention, puisqu'elle m'a seulement été donnée par l'observation de principes naturels. Si vous ne m'écoutez pas et me laissez en pâture à ces hommes, ma tentative de prévention d'un désastre partira en fumée. Je suis ici auprès de vous parce que vous représentez presque tous les pays de notre planète… Et je souhaite que tous puissent profiter de ces panneaux solaires. Je puis vous assurer qu'en peu de temps, nous pouvons en produire plus d'un milliard d'exemplaires."

        Le Secrétaire donna des dispositions précises à son Chef de Cabinet, fit annuler le rendez-vous prévu puis, accompagné d'un groupe bien armé d'agents de sécurité intérieure, ils se rendirent à l'atelier d'entretien, pendant que l'ingénieur leur expliquait brièvement les fonctions du panneau.

"Mais comment pouvez-vous affirmer que vous pouvez en produire… Combien avez-vous dit ? Plus d'un milliard d'exemplaires ! Quelle industrie serait en mesure de…"

"Monsieur le Secrétaire Général, je vous en prie. Laissons de côté ces détails et concentrez-vous sur les fonctionnalités de ce panneau," répliqua son interlocuteur.

        Il paraissait si sûr de lui que les deux fonctionnaires, tout importants qu'ils fussent, s'abstinrent désormais de commentaires jusqu'à leur entrée dans l'atelier d'entretien du grand palais. Là, comme s'ils étaient déjà attendus, le responsable du laboratoire d'entretien les dirigea vers un moteur à turbine, préparé pour l'expérience. Il est bien évident que, dans un complexe aussi colossal que le Siège des Nations Unies, hébergeant les assises mondiales, tout devait être rigoureusement prêt à réagir au premier ordre. Aucune panne, aucun blocage ne devait interférer dans les rouages du fonctionnement, bien huilé, de l'immense bâtiment où circulaient chaque jour des centaines de milliers de personnes. Aussi, des moteurs électriques de toutes sortes étaient là, prêts à se substituer à la moindre défaillance de l'un de leur semblable. Le chef d'atelier détacha lui-même les contacteurs électriques et, sur un signe d'entente, Campbell relia ceux-ci au minuscule panneau solaire.

        Malgré le ronflement des différents moteurs en fonctionnement, chacun ressentit le silence sépulcral qui les entourait. Du Secrétaire Général jusqu'aux gens d'ateliers, nul ne pipait mot ; retenant jusqu'à leur respiration, tous attendaient anxieusement que le jeune ingénieur mît la machine en mouvement. Prêts à intervenir, deux agents posèrent la paume de leur main sur le renflement que formait le pistolet sous leur blouson. Mais seul un observateur extrêmement attentif aurait pu remarquer ce geste de précaution. Tout occupé qu'il fût à sa manœuvre, Campbell, lui, les remarqua…

        Enfin, sans quitter des yeux les deux importants personnages, leur étrange visiteur appuya sur le bouton de démarrage… La turbine hésita, puis commença à tourner au ralenti.

"S'il vous plaît, venez voir de près comment cela fonctionne !" leur intima-t-il.

        Le premier qui se rapprocha fut le chef des ateliers. Quand il vit que le moteur électrique fonctionnait vraiment sans électricité, il perdit de sa méfiance et se présenta complaisamment comme l'ingénieur Milland. Persuadé, il invita lui-même le Secrétaire Général et le Chef de la Diplomatie à s'approcher. À ce stade, l'opérateur de la télévision interne qui avait été invité à les suivre aussi, mit en route sa caméra et filma toutes les phases de l'expérience. Lorsque les trois hommes furent enfin convaincus qu'un si petit panneau parvenait bien à actionner le puissant moteur, ainsi qu'on le leur avait affirmé, Campbell augmenta le potentiomètre d'une entaille et la turbine se mit à tourner à sa vitesse maximale.

        "Vous voyez, ingénieur Milland, c'est le maximum que puisse supporter votre turbine. Si j'augmentais la puissance du panneau d'un seul millimètre, tout fondrait !"

        "Et que pouvez-vous me dire de l'autonomie de cet… Euh… De ce panneau ?" demanda Milland, bouleversé par ce qu'il venait de voir.

        "Elle est pérenne ; elle se renouvelle et se nourrit de son fonctionnement. Je pourrais laisser ce panneau ici, sans plus m'en soucier et soyez sûr que la turbine continuerait à fonctionner ! Si elle devait s'arrêter, ce ne serait certainement pas par manque d'énergie, mais sans doute parce que le matériel avec lequel elle a été construite finirait par se détériorer !"

        Après un signe de connivence avec le responsable d'entretien du vaste complexe, il s'adressa aux deux dirigeants qui avaient accepté de l'entendre : "Alors, Monsieur le Secrétaire Général et vous, Docteur Benson, êtes-vous maintenant convaincu de l'importance de cette découverte ? Seriez-vous prêts à aller plus loin et en concevoir le plan de distribution ?"

"Très volontiers, mais pas ici ! Venez dans mon bureau," convint le Secrétaire Général, ajoutant, à l'intention de Benson : "Suis-moi, toi aussi !"

        Au grand regret de l'ingénieur Milland, leur visiteur détacha le panneau du moteur électrique et, lui faisant un signe de solidarité, le remit dans la mallette qu'il n'avait jamais laissée sans surveillance.

 

                                       ΩΩΩ

 

        "Je dois tout d'abord convoquer les ambassadeurs accrédités auprès du Palais de Verre de l'ONU pour entendre leur avis sur la question," dit le Secrétaire Général à Benson. "Veux-tu toi en charger, Peter ?"

        "Bien sûr. Je vais lancer les convocations dès maintenant," répondit le fonctionnaire.

        "Faites-le d'ici, mais attendez, s'il vous plaît," demanda l'ingénieur Campbell au Secrétaire Général. "Vous le permettez, n'est-ce pas ? Vous savez bien dans quelle situation je me trouve. Aussi, personne ne doit quitter ce bureau avant que je ne sois assuré de l'accord de tous."

        "Franchement, ingénieur Campbell," fit le Secrétaire Général, "je ne vois pas…"

        "Monsieur, hors du palais des Nations Unies, il y a au moins trois ou quatre groupes envoyés soit par vos politiques, soit par d'autres compagnies pétrolières ou encore de grandes banques d'investissement… Ils ont cherché à m'atteindre… Et ils chercheront encore, aussi…"

        "Oh, oui, je comprends !"

        "Et tout cela pour peu de chose car, même si, par hasard, ils parvenaient à s'emparer de l'un des trois panneaux que j'ai ici, avec moi, ils pourraient certes l'appliquer sur un moteur électrique et le faire fonctionner pour un temps indéterminé… Mais que pourraient-ils en faire d'autres ? Ils n'ont pas la formule qui leur permettrait d'en tirer d'autres usages. Ils me la voleraient qu'ils ne réussiraient pas à la comprendre ! Sans vouloir me vanter, Monsieur," ajouta-t-il à l'adresse de l'éminent homme, "je vous assure qu'elle est rédigée de façon si compliquée qu'ils n'en tireraient rien sans l'aide du constructeur. Ils devraient donc tenter d'ouvrir un panneau pour espérer en comprendre la fabrication. Eh bien, qu'ils le tentent ! Dès que le panneau serait ouvert, il s'autodétruirait, emportant avec lui celui qui le touche, et ne laissant de l'un comme de l'autre, qu'un petit tas de métal et d'os carbonisés. Leur dernière alternative serait donc de me torturer pour me faire parler… Mais ce moyen médiéval ne m'effraie pas : ils ignorent que j'ai reçu l'ordre suprême, en tel cas, de m'occire, moi aussi ! Et je le ferai sans l'ombre d'une hésitation !"

        À mesure que le jeune homme parlait, les deux diplomates ouvraient de grands yeux. Vraiment, cet étrange ingénieur semblait avoir tout prévu. Quelle était l'organisation apte à soutenir ainsi, derrière lui, un tel projet, porteur de tant de promesses et si bien sécurisé… Sans aucun appât de gain ? Cela dépassait leur entendement ! Lui, tout à son argumentation, ne se laissait pas attendrir par leur mine déconfite : "À la suite de cela, vous aussi finirez de même… Mais votre pollution demeurera… C'est d'ailleurs elle qui finira par avoir raison de vous et, même si cela prend du temps, la chose est mathématiquement certaine !"

        "Vous êtes sous la protection des Nations Unies, ingénieur Campbell. N'ayez donc plus de crainte. Quoique nous eussions la nécessité de sortir du Palais de verre, vous êtes sous immunité diplomatique."

        "Puisqu'ils connaissent désormais l'importance du panneau, ils se fichent bien de l'immunité diplomatique, Monsieur le Secrétaire Général," répondit son interlocuteur, sans affectation, mais avec ce calme qui le distinguait… Et les déstabilisait.

        "Voulez-vous m'expliquer…" intervint Benson, "quelles seraient les autres applications de ce formidable panneau solaire et comment vous pouvez prétendre qu'il pourrait sauver l'humanité entière ?"

        "Certainement, Docteur Benson. Détailler et illustrer après l'essai technique, fait partie de mon programme !" répondit Campbell tellement satisfait de leur bonne volonté qu'il se rapprocha du bureau afin que les deux hommes ne perdissent pas un seul mot de sa diatribe : "Comme vous l'avez vu dans la pratique, tant que le soleil existe, le panneau fonctionnera et il ne se détériorera pas, parce qu'il est construit avec matériel indestructible qui se fortifie au fil du temps. Dans tous les lieux de la Terre, qu'ils soient couverts par les nuages, ou que le soleil soit déjà couché, il absorbe la charge des neutrinos qui viennent des plus lointaines étoiles. Un panneau comme celui que je viens de vous montrer est capable de faire fonctionner une voiture, un camion, voire un gros autobus. Et même après qu'ils sont hors d'usage, le panneau peut être inséré dans un nouveau véhicule. On peut également l'appliquer sur les avions, mais trois sont nécessaires pour chaque moteur électrique, en particulier pour les gros-porteurs. Vous rendez-vous compte qu'un avion fonctionnant de cette façon, sans le fardeau ni le danger du kérosène, serait beaucoup plus léger et volerait sans souci en frôlant le mur du son ? Il ne polluerait pas et, dans le cas d'un impact au sol, il n'exploserait pas. De nombreuses vies pourraient être sauvées ainsi. Si tous les véhicules automobiles utilisaient ce système, ils ne généreraient plus aucune pollution. De plus, ce panneau a été conçu pour absorber la pollution existante qui, actuellement, flirte avec les limites de la tolérance ! Aujourd'hui, le pétrole, dès son stade liquide et visqueux, se transforme en fumée qui s'en va Dieu sait où, pour reprendre une expression populaire. Les hommes supposent peut-être qu'il s'évapore dans le cosmos ? Mais vous, Messieurs, hommes de science, vous savez bien qu'il revient sur le sol et sur la surface des eaux ! Vous savez que les fonds de la mer sont presque entièrement recouverts d'une couche de ce polluant !"

        Les deux plénipotentiaires ne purent qu'acquiescer à ces évidences. Et leur hôte continua, avec plus de véhémence encore : "Enfin, ces panneaux solaires du troisième millénaire peuvent transformer tous les déserts en jardins, fertilisant les terrains, transformant l'eau salée en eau potable, et leur apportant même des engrais naturels, par le biais de son action sur la pollution. Nous nous plaignons toujours de la pénurie d'eau parce que nous oublions les réserves naturelles des mers. De puissants dessaleurs placés partout dans le monde, alimentés par ces mêmes panneaux, résoudraient le problème de la sous-alimentation par une production agricole réellement écologique. Une autre chose très importante," ajouta le jeune ingénieur qui, conscient des regards béats braqués sur lui, mit à profit un laps de silence, pour créer un suspens pesant…" si nous parvenons à mettre en fonction, sur toute la surface du globe, au moins cent millions de ces panneaux, la fission de l'atome deviendra quasiment impossible, de sorte que les émissions de rayonnements nuisibles de toutes sortes seront en black-out, et que l'arsenal nucléaire de notre planète se retrouvera paralysé, perdant sa capacité explosive. La situation physique de notre Terre sera aussi pure que celle que connut le Moyen-Âge, mais sans perdre les bienfaits de la technologie du troisième millénaire. Que dites-vous de cela ?"

        "Formidable, extrêmement intéressant !" répondit avec enthousiasme le Secrétaire Général. "Docteur Benson, convoque tous les ambassadeurs et prépare un mémorandum de ce que nous avons vu et entendu. Demande également que le film de l'expérience dont nous venons d'être témoins soit rapidement disponible. Réunion d'urgence ! Vous, ingénieur Campbell, vous vous déplacerez toujours à mes côtés, avec une escorte de six gardes de la sécurité armées jusqu'aux dents et, en attendant l'avis des pays décideurs mondiaux, vous pourrez loger dans mon appartement privé."

        "J'ai mieux encore, Monsieur le Secrétaire Général," répondit Campbell. "S'ils ne me voient pas sortir, ceux qui en veulent à ma mallette, augmenteront en nombre autour de ce palais. Je vous suggère une chose, dont je m'estime maintenant assez expert."

        "Qu'est-ce que c'est ? Dites-le-moi sans inquiétude. Si cela est réalisable, je suis à votre disposition," répondit le Secrétaire Général, avec affabilité.

        "Trouvez-moi un sosie ! Personne ne connaît vraiment mon visage, si ce n'est l'ingénieur Whiting et mes collègues de la Westcox dont je doute qu'ils fassent partie de mes poursuiveurs ! Si votre homme a ma taille et ma physionomie, s'il endosse mes vêtements et sort d'ici avec une mallette identique à la mienne, cela suffira pour faire diversion et les mener sur une fausse piste, nous laissant les coudées libres pour un temps supplémentaire. Et, puisqu'ils savent à peu près à quoi ressemblent les panneaux que je transporte, nous introduirons dans sa mallette un petit tableau naïf. Vous devez bien avoir cela, j'espère, dans ce palais colossal !"

        "Je crois que oui," s'interposa le docteur Benson. "L'ambassadeur de la République Dominicaine nous a donné plusieurs tableaux exécutés par des Haïtiens de Port-au-Prince qui, grâce à la bienveillance des gardes-frontières, se vendent jusqu'à Barahona."

        "Bien, Peter, fais-en détacher trois ; qu'ils soient vitrifiés et de taille identique aux panneaux solaires, puis remis à l'intérieur d'une mallette. Note bien mes instructions ; qu'elles soient suivies à la lettre… Et d'urgence, s'il te plaît."

        Sur un signe d'acquiescement, Benson s'éloigna pour accomplir les ordres de son supérieur.

 

                                       ΩΩΩ

 

L'attente était épuisante. Le jeune homme ne savait que faire. Au début, il avait été pris d'une certaine d'euphorie quand ils lui avaient dit que le subterfuge du sosie avait marché à merveille. Ils l'avaient accompagné en voiture, sous escorte, à l'aéroport de La Guardia. De là, il avait embarqué sur un avion transocéanique réservé à l'exécutif gouvernemental pour un vol direct sur Rome, comme partant en mission pour le compte de la FAO. Rien n'indiquait que d'autres jets se soient lancés à sa poursuite, depuis les aéroports de la côte orientale, cependant l'information avait « transpiré » de façon que nul de ses poursuivants ne puissent l'ignorer. Aussi, il ne faisait aucun doute que les agents de la CIA crédités auprès de l'ambassade des États-Unis à Rome, seraient sur les dents… De même, les producteurs des dérivés du pétrole trouveraient-ils aussi moyen de notifier à leurs correspondants italiens cette évasion organisée. Et même s'ils finissaient par découvrir la supercherie, le Secrétaire Général aurait gagné du temps pour obtenir une réponse des ambassadeurs accrédités auprès de l'ONU.

        Une réponse ? Elles arrivèrent dès le lendemain, par centaines ! Tous, à l'exception de celles des pays pauvres, bien que contrastantes dans leur contenu, étaient unanimes pour refuser de suivre l'ingénieur. Campbell était de nature calme et réfléchie ; il avait également le mérite d'être un humoriste de la meilleure veine ; par conséquent, il parcourut les diverses réponses que chaque ambassadeur avait fait parvenir sous pli fermé, au Docteur Benson, comme s'il s'agissait d'une simple licitation ou d'un appel d'offres privé pour des travaux publics.

        Déjà certains des réponses des États-Unis et du Royaume-Uni, il laissa ces missives pour la fin. Il parcourut la réponse française. Qu'en pensait ce grand pays ? La République Hexagonale possédait une des plus puissantes sociétés pétrolières et la plus grande industrie d'avions commerciaux au monde, des centaines d'industries automobiles de renom ; ses entreprises mécaniques et électroniques nourrissaient l'Europe ; ses centrales nucléaires étaient parmi les plus sûres et, orgueil national, elle ne démentait pas porter en son sein l'arme atomique. On la disait en possession d'une force de frappe supérieure à celle de tous les pays donnants sur la Méditerranée. Compte tenu de tout cela et du tempérament français si cartésien, peu enclin à se laisser impressionner par la nouveauté, la missive s'affirmait poliment 'désolée de devoir répondre par la négative' : le fonctionnement dudit panneau solaire n'avait nullement convaincu son gouvernement, lequel ajoutait que le film de ladite expérience semblait truffé d'effets spéciaux hollywoodiens. La réponse émanait de Monsieur le Président dont l'avis était loi : la proposition de l'ONU ne pouvait être acceptée !

        La réponse de l'Allemagne suivait, de façon plus ou moins sensible, la même ligne d'opinion. Depuis quelque temps, les deux pays de l'Europe Unie gouvernaient avec une convergence d'idées, dont la fin suprême était d'indiquer aux partenaires européens la voie à suivre. Aussi, même si l'ambassadeur allemand croyait aux fonctionnalités du panneau solaire, il n'avait pas été en mesure de convaincre le gouvernement de désavouer la France pour l'accepter.

        La réponse de l'Italie était positive. Au contraire des deux premiers, son gouvernement félicitait les USA pour cette initiative. Cependant on devait attendre l'avis des deux branches du Parlement, à savoir la Chambre des députés et le Sénat. Mais pour que la motion soit votée par ces institutions importantes, elle devait tout d'abord être soumise aux trois syndicats, à la MEDEF et aux ministères concernés… Le temps pouvait s'écouler sur quelques années avant d'obtenir un accord massif !

        L'Espagne refusait, elle aussi. Maintenant que le pays avançait enfin vers l'industrialisation, il n'était pas question pour eux de tout abandonner. Et puis, l'air du pays ibérique - et le Portugal partageait cet avis - était pur et la mer, contournant ses côtes pittoresques, était plus que clair.  

        La Hollande calquait en partie son avis sur celui de la France. Rotterdam étant le plus important port du monde, ils n'avaient aucune envie de voir baisser son niveau d'activité marchande : cette source de revenu était trop importante pour le petit pays qui, grâce à elle, avec ça avait colonisé la moitié du monde. C'était donc un « Non, merci ! » ferme et… Apparemment définitif.

        La Russie ne voyait aucune raison de relever l'offre, tant celle de l'ONU que celle d'une éventuelle entente politique. Les vastes espaces sibériens absorbaient déjà le peu de pollution qui s'y vérifiait : "Les Seigneurs des États-Unis d'Amérique n'avaient-ils donc jamais, respiré l'air pur de la Jacuzia-Sana ?" ajoutait, quelque peu ironiquement, la missive.

        La Grèce, comme l'Italie, donna un avis favorable, mais ayant les mêmes problèmes de gestion politique, ils ne pourraient pas, eux non plus, s'engager avant deux ou trois années !

        Bien sûr, tous les pays islamiques, producteurs de pétrole, qui, dans le quotidien, se regardaient toujours de travers, plus pris par leurs problèmes religieux que politiques ou sociaux, rejetèrent la proposition avec, pour une fois, une belle unanimité ! Ils laissaient entendre avec subtilité que, si on se mettait à utiliser les panneaux solaires de Monsieur Campbell, leurs nations seraient appauvries à un point tel qu'ils ne pourraient plus se fournir en 'armes de protection' ni maintenir la notoriété de leurs chefs. Le monde entier connaissait en effet le mode de vie sardanapalesque des émirats et des hommes d'États de ces pays des Mille et Une Nuits.

        La Chine avait un territoire tellement vaste que le peu de trafic, en matière de pollution, ne leur causait pas un souci majeur, disait-on en haut lieu. De plus, ils ne pouvaient causer le risque de voir faiblir leur fort développement, né de la sous-traitance qu'ils offraient aux pays partenaires, plus industrialisés qu'eux ; l'Italie étant parmi leurs plus importants acheteurs. Quant à Taïwan, il n'avait aucun droit de répondre sur cette question.

        Le Japon rejetait l'offre, presque avec indignation. L'économie du pays se vantait de ses solides fondements en industrie mécanique et électronique ; ses produits étaient exportés dans le monde entier à des prix particulièrement compétitifs. Et puis de quelle pollution parlait donc Monsieur le Secrétaire Général de l'Organisation des Nations Unies ? Le Japon était un conglomérat d'îles de différentes tailles dont l'étendue dans l'Océan Pacifique, sur plus de deux mille kilomètres, leur apportait l'opportunité de forts vents qui balayaient en mer les poudres polluantes.

        Tous les pays de la Scandinavie étaient unanimes à rejeter l'offre : en effet, au-dessus du cinquantième parallèle nord, l'air était d'une pureté rare et subissait un changement continu grâce aux agréables rafales du vent arctique. Comme on le sait très bien, le froid, même s'il ralentit la fonction des neurones conserve tout… À cette lecture, l'ingénieur Campbell, eut réellement besoin de tout son humour !

        La nation-continent d'Australie, se réjouissait également de l'absence de pollution sur ses terres. Mais, quoi qu'il en soit, elle s'en remettait à l'avis de l'Angleterre !

        Ainsi, toutes les Nations, petites et grandes, qui firent partie du Commonwealth britannique, y compris l'Inde, malgré la surpopulation dont elle souffrait, malgré son manque de nourriture et sa religion lui imposant un système de caste archaïque à cause duquel seul un Indien sur mille pouvait se vanter de posséder assez pour acheter une voiture, malgré aussi son fleuve sacré qui, sous prétexte de purifier les âmes, véhiculait en son sein toutes les eaux usées produites par leurs activités pauvres et dégradantes, tous, sans exceptions, multipliaient les efforts pour s'ajuster à la production des principaux Pays industrialisés…

        Les pays d'Afrique, à l'exclusion des nations islamiques, n'avaient pas de problèmes de pollution causée par les véhicules, puisque le fameux cheval de Saint-François y était encore le moyen de locomotion le plus utilisé à tel point que nombre de célébrités sportives dans le domaine des courses et des marathons sont issus de ces peuples. Mais ce qui les faisait frémir d'envie tout autant que de crainte fut la possibilité d'avoir de l'eau potable en abondance pour cultiver des terres à l'infini. Qui cultiverait alors ces terres ?

        La République d'Afrique du Sud répondit avec un peu d'irritation : "Qu'on les laissât tranquilles, car ils avaient d'autres problèmes d'importance nationale à résoudre !"

        Ils avaient cru trouver une solution en éliminant l'Apartheid. Cependant, les grandes ressources étaient toujours exploitées par les mêmes qu'avant et, pour les gens de couleur, la liberté continuait à devoir résoudre, jour après jour, le problème d'unir le déjeuner avec le dîner.

        La lettre la plus intéressante, qui avait rejoint celles du Royaume-Uni et des États-Unis pour être lue parmi les dernières, fut celle-ci de l'Ukraine : le plus grand grenier d'Europe, qui venait de délaisser le blé pour le maïs, doté de ses célèbres centrales atomiques, et donc autosuffisant dans sa production d'énergie, disait, en substance : "Je vous remercie, non ! Des énergies, nous en possédons même trop. Il y a quelques années, nous en avons exporté partout dans le monde, au point que nous ignorons même où nos exportations ont fini leur course. Si par hasard, certains pays affiliés à l'ONU voulaient profiter…"

        Le Canada sut être diplomatique : tout en affirmant le principe de la Scandinavie selon lequel, au-dessus du cinquantième parallèle, la pollution ne perdurait pas, puisque le froid en empêchait les effets néfastes, il reconnaissait que le problème subsistait dans les grandes villes situées au cœur des États-Unis. Pour cette raison ils s'en remettaient aux décisions du pays frontalier. La même détermination altruiste émanait du Mexique et de tous les pays de l'Amérique Centrale.

        Les producteurs privés de pétrole rejetèrent la proposition dans son intégralité, arguant que, sans la production de l'or noir, les gens mourraient de faim. Ils ne tenaient pas en compte qu'il en était déjà ainsi, de longue date, puisque les bénéfices des extractions tombaient dans les poches d'une élite peu populeuse.

         Les plus petits pays Sud-Américains auraient volontiers adhéré, mais ils ne possédaient pas les moyens d'installer ces merveilleux panneaux solaires, tandis que le Brésil, immense poumon oxygénant du monde, n'en voyait pas l'utilité et que l'Argentine, pays de grandes traditions, était si prostrée par sa faillite financière qu'ils ne tergiversaient pas, du moins pour l'instant, sur l'importance de résoudre d'autres problèmes que le leur ; fut-ce celui de la pollution.

        La situation de la Colombie s'avérait différente : tellement occupée à combattre les narcotrafiquants de cocaïne, à jouer aux gendarmes et aux voleurs, elle était comme un chien qui court après sa queue… Et n'imaginait même pas avoir le temps de penser à autre chose.

        Enfin, arrivèrent les deux dernières lettres. Campbell donna priorité à celle du Royaume-Uni : "Votre proposition est très alléchante mais, considérant que tous les panneaux seront à la disposition de chaque pays, nous exigeons que, dans le cas où nous ne pourrions en construire nous-mêmes, une double quantité nous en soit réservée, par rapport à celle qui sera remise aux autres pays - notamment à l'Italie et à l'Espagne. Nous exigerons aussi que soit garantie la construction des moteurs électriques pour toutes les colonies qui dépendent de notre couronne et pour celles qui ont fait partie du Commonwealth, y inclus Hong Kong ! En outre, puisque le Royaume-Uni est membre du petit cercle des Pays Conseil de sécurité de l'ONU, nous voulons être habilités à décider des dotations de ces panneaux envers les Pays fomentèrent d'émeutes ou d'attentats."

"En vertu du fait que nous sommes une nation démocratique," commençait la lettre de l'ambassadeur des États-Unis, "nous sommes, en principe, d'accord sur ce projet mondial de panneau solaire, à condition que son installation ne soit effective qu'après plusieurs expériences, qui devront se tenir exclusivement sur notre territoire. Par conséquent, hormis quelques exemplaires destinés à la Grande-Bretagne qui devra s'engager à observer strictement nos directives, nous n'autoriserons pas l'Organisation des Nations Unies à les distribuer, dans un premier temps, à tous les pays. Nous exigerons que lesdits panneaux soient testés, aux États-Unis seulement, durant un minimum de deux ans, afin d'éviter que les pays de forbans qui alimentent et soutiennent les actes terroristes dans le monde entier n'en prennent possession, notamment contre nous. Nous voulons aussi être décisionnaires dans la distribution de ces panneaux solaires d'une conception nouvelle. En outre, puisque nous avons déjà défendu militairement les pays envahis, lors des deux guerres mondiales, et que nous pouvons être amenés à réitérer cela, il est impératif que le gros de la production des nouveaux moteurs électriques soit confié à l'industrie nord-américaine."

        À l'humour du départ suivit une cuisante déception. Le jeune homme, qui pensait avoir accompli sa mission et se réjouissait déjà de recevoir les promesses d'accord internationales, confiné dans l'appartement qui lui avait été prêté, ne retrouva un peu de vivacité que lorsque le docteur Benson fit son entrée.

" Avez-vous vraiment tout lu, ingénieur Campbell ? C'est décourageant !" soupira ce dernier.

"Peut-être est-ce parce qu'ils n'ont pas bien saisi l'expérience," répondit l'interpellé, cherchant une dernière lueur d'espoir.

"Ils l'ont vue… Et mieux que nous qui étions présents sur le terrain. Je peux vous dire que le cameraman a été particulièrement attentif aux moindres détails."

"Je ne sais plus que faire d'autre !" Soupirale jeune homme attristé.

        Benson hocha la tête en signe de solidarité. Puis, après avoir réfléchi un instant, il demanda : "Mais, vraiment, vous… Votre… Votre organisation… Vous dites qu'elle est une association humanitaire ! On a du mal à l'imaginer, puisque vous n'avez jamais parlé de récompense… En somme… Dites-moi, ingénieur Campbell… Seriez-vous vraiment en mesure de distribuer plus d'un milliard de ces panneaux solaires d'un genre si nouveau ? Vous plaisantiez, je suppose ? Allons, dites-le-moi, maintenant : vous avez voulu impressionner votre auditoire afin que tous acceptent ?"

        "Il faudrait très peu de jours pour qu'un navire chargé de ces panneaux arrive en un point de l'Atlantique que je ne peux préciser actuellement. Cela pourrait aussi être en un endroit convenu sur les côtes d'un pays loyal. Il suffirait alors de quelques heures pour décharger ces panneaux, les rassembler dans un aéroport, et les expédier dans le monde entier, à bord des avions cargos à destination de chaque pays. Croyez-moi, ce serait une chose facile. Un panneau…"

        Il soupesa celui qu'il avait en main, puis le tendit à Monsieur Benson : "Avez-vous vu ? Seulement deux cent cinquante grammes ! La charge totale de tous ces panneaux serait de deux cent cinquante mille tonnes. Pour les plus petites nations, il suffirait d'un seul avion-cargo pour transporter sa part des panneaux solaires. Pour d'autres, deux, voire trois seraient nécessaires. Qu'est-ce que cela chose face au prix du salut de l'humanité ? Enfin, pensez à l'épargne qui résulterait du fait de ne plus utiliser les produits pétroliers et tous leurs dérivés !"

        "Je ne comprends pas tout, ingénieur, mais même si cela était, comment fabriquerions-nous nos matières plastiques, nos huiles et nos lubrifiants dont nous ne pouvons tout de même pas nous passer ? Les raffineries devraient, de toute façon, fonctionner puisque le plastique est un des sous-produits du pétrole ? Que ferait-on alors des essences et des hydrocarbures ?"

        "Reconversion," répliqua son interlocuteur qui ne perdait pas l'espoir que les dignitaires revinssent sur leur décision. "Même ceci est prévu !"

        "Je ne vais pas vous demander plus d'explications, car elles dépasseraient sans doute mes compétences et développer serait sûrement une perte de temps. Après avoir assisté à la démonstration des capacités de votre panneau, je ne peux que vous faire confiance quand vous me certifiez avoir d'autres inventions derrière celle-ci !"

        "Et le Secrétaire Général, Docteur Benson, qu'a-t-il-dit, après avoir lu les réponses de ses pairs ?"

        "Dire qu'il en est mortifié serait restrictif. Il s'est enfermé dans son bureau avec interdiction qu'on le dérangeât. Je l'ai entendu téléphoner, à plusieurs reprises et s'entretenir avec les chefs de gouvernement de diverses nations. Sans doute il a appelé les plus importants décisionnaires afin de tenter de les rallier à notre cause commune. Mais il ne semble pas y avoir eu moyen de leur faire comprendre l'importance de cette nouvelle découverte. Il a également proposé sa démission immédiate, espérant les ramener à la raison, mais cela n'a eu aucun effet. C'est pourquoi il m'a envoyé vers vous, séance tenante, pour vous assurer de toute notre assistance dans le cas où vous voudriez quitter le Palais de Verre. Il vous offre la position de diplomate aux Nations Unies, d'attaché de l'une de nos ambassades et un jet diplomatique pour rejoindre le pays de votre choix, là où vous n'aurez pas à craindre pour votre vie. Je vous suggère la Chine. Les agents de la CIA et les producteurs de pétrole ne viennent pas aussi aisément y fouiller que chez nous. Qu'en dites-vous ?"

        "Je préférerais rester encore un peu ici," répliqua le jeune homme qui semblait avoir retrouvé sa sérénité. "Nous pourrions faire une autre tentative. Pourquoi ne pas inviter tous les ambassadeurs à assister, en personne, à une nouvelle démonstration ?"

        "Ce n'est pas possible, Monsieur Campbell," répondit le docteur Benson. "Malgré toutes nos précautions, il y a, hélas, eu des fuites et, dès demain matin, tous les journaux relateront la nouvelle. Aussitôt que j'ai eu vent de cela, je suis parvenu à bloquer le service télévisuel de la CNN. Mais si vous ne partez pas au plus vite, nous ne pourrons plus répondre de votre anonymat car dès demain matin, toute la place devant le Palais de Verre grouillera de journalistes. Même une souris serait alors incapable de passer inaperçue."

        "Dommage. Je vous remercie néanmoins, ainsi que Monsieur le Secrétaire Général. Mais je trouverai un autre plan !" répondit l'ingénieur Campbell.


11    POUR UNE INTERFÉRENCE  DE  TROP

 

 

         En fin de compte, il était vraiment un incurable naïf ! Hormis le doux prestige qu'il pouvait avoir sur sa fiancée, il ne connaissait rien aux règles qui font bouger les passions humaines !

        De retour à la maison en fin d'après-midi, après les habituelles séances de caquetage avec ses amies, Liza s'étonna qu'Henry ne fût pas rentré à l'heure habituelle. Elle savait que souvent, comme la plupart des Américains, une fois son travail terminé, il se rendait au Bullock Bar avec un de ses collègues. Là, en sifflant quelques bières, ils continuaient à parler travail. Mais jamais il n'était rentré après dix-neuf heures. Or, il était plus de dix-neuf heures et la jeune femme, tout à son amour retrouvé, commença à se sentir nerveuse. Elle laissa passer encore dix minutes, durant lesquelles elle consulta dix fois sa montre, puis finit par oser appeler directement le domicile de son supérieur, l'ingénieur Whiting. Sa femme répondit, lui disant que son mari l'avait informé qu'il ne rentrerait probablement même pas pour dormir car ils étaient engagés dans une phase de travail très importante.

        Dès ce moment, la fille du grand pétrolier New-Yorkais commença à 'faire le diable à quatre'. Rien ne répondait dans les bureaux de la société Whiting. Aussi, aidée d'un verre de bourbon bien tassé, elle commença à appeler toutes leurs relations communes et finit par obtenir d'une connaissance travaillant au FBI, l'information qu'Henry Campbell s'était envolé au Palais des Nations Unies, sans pouvoir lui préciser à quel titre. Lui-même avait appris cela d'une connaissance qui l'avait entendu d'une autre.

"Mais qu'importe," ajouta-t-il. "S'il n'en est pas encore sorti, cela doit être pour une raison de la plus haute importance ! Selon moi, il y aura sans doute passé la nuit… Pas de quoi s'inquiéter, vraiment !"

        Mais la rétive enfant du milliardaire Limerick, habituée à ce qu'on la servît, ne sut pas demeurer tranquille. Elle usa d'insistance et de charme pour alerter les districts policiers, leur assurant que son ami avait été enlevé. Puis, n'ayant pu obtenir l'assurance d'une intervention virulente et immédiate, elle téléphona à la rédaction des plus importants quotidiens et chaînes télévisuelles, dont la CNN qui, devant ses arguments, se résolut à se mettre en chasse. Et voici comment la nouvelle disparition d'Henry Campbell finit par alerter jusqu'aux diplomates du palais de verre !

        À six heures précises, alors qu'il commençait à peine à se détendre de sa lourde journée, le docteur Benson sonna à la porte de l'appartement du Secrétaire Général. Il fut introduit dans sa zone privée.

        "Il semblerait que la fiancée de notre invité, Mademoiselle Limerick tienne vraiment à lui. Elle a tant parlé et tant remué ciel et terre depuis son départ qu'il a fini par être découvert. Il faut que nous mettions instantanément en œuvre le plan de fuite de l'ingénieur Campbell. En dessous de nos pieds, l'équipe de la CNN est déjà sur le pied de guerre et une horde de journalistes, des plus importants quotidiens lui emboîte le pas. J'ai parlé avec le dirigeant de la CNN et j'ai tenté de le convaincre qu'il n'y avait rien à voir ici. Cependant, les médias ont dû être hautement renseignés, car il m'a rétorqué que, même s'ils acceptaient de remettre leur déclaration à demain, ils ne pourraient différer longtemps leur intervention, de crainte de se voir damer le pion par la Fox News et la presse imprimée."

        "Que faire, alors ?" demanda le Secrétaire Général.

        "Anticiper le départ de Campbell ! C'est la seule solution…"

        Le Secrétaire Général ouvrit les bras en signe de résignation.

        D'accord. Tu as carte blanche ! Cependant, je reçois des invités à dîner et je ne veux aucun tohu-bohu chez moi ! Heureusement que cet appartement est immense. Va-t'en rejoindre ce jeune homme dans la zone des invités et tâches de le convaincre d'un départ imminent !"

"Dois-je mettre en action le plan de l'ingénieur Campbell ou notre 12 bis ?"

        "Dans la mesure du possible, suive ses instructions. Nous serons moins embarrassés qu'avec le 12 bis, n'est-ce pas, Peter ? Et… Bonne chance !" conclut-il d'un geste las.

 

                                     ΩΩΩ

 

        Il avait eu le temps de monter les mirillinis pour en faire un ordinateur portable d'une puissance inégalée, qu'il relia à l'un des panneaux solaires. Outre qu'il en tirerait l'énergie nécessaire pour son fonctionnement, le petit tableau ferait aussi office d'écran. Un très rapide calcul lui suggéra l'endroit où l'avion des Nations Unies devrait atterrir : Port-au-Prince, dans la République de Haïti. Précisément en raison de son instabilité politique interne, ce pays ne serait pas envahi, comme tant d'autres, par des espions déguisés en attachés diplomatiques. L'ordinateur, pareil à ceux qu'Henry découvrit sur Kallitala, cherchait pour lui un plan sûr, tenant compte autant des données humaines que politiques. Il lui dénicha, sur l'île de Haïti, un certain Charles Hyppolite, humble pêcheur dont la seule richesse consistait en une petite barque incapable de le conduire bien loin en mer ouverte. Aussi, les sorties en pêche de sa carcasse naviguant à la désignation, encore trop prétentieuse pour elle, de « bateau de pêche », n'étaient jamais contrôlées par la police. À quoi bon puisque la barque ne lui permettrait pas de quitter la frontière pour s'infiltrer en République Dominicaine par la mer ? Sa coque fragile n'aurait même pas été en mesure de traverser la Canal de Saint Marc pour atteindre l'Île de Gonave. Inutile donc de se figurer qu'il put, même en longeant la côte, arriver de là à Cap Dame Marie puis à Cabo Rojo, où abordaient habituellement les fugitifs qui étaient rejetés par les Dominicains, ou arrêtés pour être expulsés vers les lieux de leurs origines s'ils avaient tenté de débarquer à Pedernales. Trop nombreux étaient déjà entrés clandestinement en République Dominicaine et, bien que relativement enrichie par le tourisme de masse, l'île ne disposait pas de ressources suffisantes pour sa population qui avait, elle-même déjà trop augmenté dans les dernières années.

        Hippolyte Charles vivait seul dans sa modeste cabane de pêcheur sur la plage des environs de Troutier, au nord de la Capitale et proche de l'aéroport. Il avait récemment perdu sa femme, consumée par le chagrin de la mort de leur fils unique Toussaint. Le jeune haïtien avait été tué par la balle perdue d'un policier, lors de la première tentative de destitution du président Aristide. Toussaint se trouvait, par hasard, à Port-au-Prince avec l'un de ses amis. Ils étaient partis vers la Capitale dans l'espoir d'y trouver un emploi. Pour cette bavure, la famille de Toussaint avait reçu une indemnisation sonnante et trébuchante. On ne la refusa pas car elle permit à la mère brisée de donner à son fils bien-aimé une sépulture digne de l'immensité de sa peine. Avec le reste de la somme, Hyppolite avait remis à neuf sa barque : il l'avait calfatée et peinte d'un beau bleu marine, sur lequel une mince bande rouge sang portait la mémoire de celui que son fils avait versé en vain, sous la folie meurtrière des hommes.

        L'ingénieur américain disposerait d'une somme importante, en dollars américains. Il transformerait le tout en billets de la valeur de cinquante et de cent dollars chacun. Il suffirait qu'il éventât seulement l'un de ces billets de banque sous le nez d'un Haïtien désargenté, pour que celui-ci se prêtât à n'importe quel service afin de le gagner. Son ordinateur lui avait suggéré le projet de se procurer un moteur électrique et, séparément pour n'éveiller aucun soupçon, un axe muni d'un réducteur de tours et une hélice. Avec l'aide de Hyppolite, il ne serait pas difficile de monter ce moteur sur la petite barque, qu'il aurait opportunément lestée sur la proue pour éviter que le puissant propulseur ne la fît cabrer. Ainsi, la modeste embarcation atteindrait sans effort une vitesse supérieure à celle des vedettes à moteur de la Garde Côtière Haïtienne.

        Hyppolite Charles perdrait donc sa précieuse petite barque, son unique richesse. Mais pas pour longtemps ! Avec la grosse somme d'argent qu'en contrepartie, il recevrait de l'américain, et sans se demander comment sa coque usée pourrait avoir soudain pris tant de valeur, il accepterait de la dire perdue et s'en achèterait une autre, plus solide. Le pêcheur était assez intelligent, soulignait l'indicateur de données, pour ne pas éveiller de soupçons au sujet de son soudain enrichissement, ni révéler quoi que ce fut de ses transactions avec l'homme de New-York. Et, puisque les agents de police ne circulaient pas, ou si peu, dans cet endroit oublié, il peut mettre à profit le reste de son gain, pour y vivre convenablement, mais modestement encore, jusqu'à la fin de ses jours. Le plan de fuite semblait donc parfait !

        Tôt le matin, revêtu d'un uniforme d'agent de la sécurité intérieure, l'ingénieur Campbell servit d'escorte sans arme au docteur Benson. Il l'accompagna jusqu'au parking souterrain et s'embarqua aux côtés du chauffeur dans la limousine qui sortit en plein air sans que personne ne les retînt. Un journaliste seulement, plus curieux que les autres et qui ne croyait pas la rumeur selon laquelle on l'aurait déjà transféré en Italie, contrôla soigneusement si, par hasard, ce phénomène d'ingénieur à l'invention extravagante n'était pas aux côtés du diplomate. Mais la supercherie était solide et rien ne retint son attention.

        La voiture fila donc sans encombre tout au long de Little Italy, s'enfila dans le souterrain de l'Holland Tunnel pour traverser la rivière Hudson et s'engagea sur l'autoroute soixante-dix-huit. Elle s'arrêta enfin au parking de la zone Business de l'International Airport de Newark dans le New Jersey. Le docteur Benson, ouvrant la voie à son protégé, se rendit vers la partie réservée au corps diplomatique. Là, le jeune homme troqua son costume d'agent de sécurité contre l'élégant costume d'été qui l'attendait.

        Il semblait que personne n'eût remarqué sa fuite. Aucun journaliste en vue ni quiconque aurait pu être soupçonné d'être un espion. Ils avaient laissé New-York sous les nuages, et eurent la surprise de jouir d'un soleil brillant qui se reflétait sur le Cessna 750 Citation X, entièrement blanc. Bien que l'appareil flambant ne portât aucun emblème des Nations Unies, il en était indéniablement la propriété : lorsque le docteur Benson y entra le premier, il fut accueilli comme un habitué, voire le patron, par deux des trois pilotes et l'une des trois hôtesses. Leur manière cordiale prouvait que le diplomate ne voyageait pas avec cet équipage pour la première fois. En conformité avec les normes internationales, le jet pouvait voler avec deux pilotes et une seule hôtesse, voire une seconde, dans certains cas. Cependant, on les informa qu'un commandant pilote qui, pour l'occasion, serait aussi le navigateur, et deux hôtesses seraient ajoutées à l'équipage, à la dernière minute. Mais il semblait que cela fût habituel, puisque le docteur Benson n'y trouva aucune raison de s'en inquiéter.

 

                                     ΩΩΩ

 

        Une course rapide sur la piste, un cabrage de trente degrés… Et en route vers le sud ! En seulement quatre heures, ils auraient atterri à l'aéroport international de Port-au-Prince, en Haïti.

        L'intérieur du jet diplomatique était un élégant petit salon séparé de la cabine de pilotage par une double paroi. Une autre paroi, sur la queue, masquait la zone cuisine où les hôtesses réchauffaient la nourriture pour le voyage. Henry, n'étant pas habitué à manger pendant la journée, refusa l'invitation à déguster le petit-déjeuner nourrissant dont ses compatriotes ne pouvaient se passer. Mais, afin de ne pas perturber le docteur Benson qui avait commandé un petit-déjeuner complet, il opta pour un café noir, qu'il se servit à même la cafetière que son accompagnateur venait de poser devant lui.

        Sa crainte était que, parmi l'équipage embarqué à la dernière minute, se cachât un agent de la CIA. Il ne pouvait se retenir de suspecter que la troisième hôtesse ait été ajoutée pour l'avoir à l'œil. Il avait besoin de consulter son ordinateur portable, mais il devrait le faire en toute discrétion. Les trois jeunes filles - d'ailleurs plus belles les unes que les autres, et très élégantes sous l'uniforme beige qui soulignait leur incarnat légèrement bronzé - qui papillonnaient autour d'eux se seraient étonné de la forme étrange de sa machine et, s'il avait raison de craindre l'une d'elles, elle en aurait tiré des conclusions… Qu'il ne voulait pas lui donner l'occasion de vérifier.

        L'ordinateur de Campbell fonctionnait sans souris ni clavier. Interactif, il répondait au seul regard de son propriétaire. Bien sûr, le fait de regarder un petit tableau naïf ne pouvait, en soi, donner lieu à des soupçons. Mais si, sur ledit tableau, des images différentes se présentaient à tour de rôle, révélant des écritures étranges, des plans de villes et des cartes de zones géographiques plus étendues ; si l'hôtesse y reconnaissait même l'itinéraire qu'ils étaient en train de parcourir en plein ciel, ses soupçons ne feraient qu'augmenter. Le jeune homme ne pouvait pas demander maintenant à Monsieur Benson, tout occupé à déguster son copieux petit-déjeuner, servi comme s'il fût un roi par deux hôtesses empressées et conviviales de les tenir éloignées d'eux.

        Il se força donc à l'attente. Une heure plus tard, le petit-déjeuner enfin desservi, Benson, s'installa sur le grand fauteuil, croisant ses longues jambes et, comme s'il venait à peine de commencer son voyage, se mit en tête de discourir avec son compagnon de voyage. Lui, en ce moment, espérait profiter de l'absence des hôtesses pour extraire le panneau de sa mallette de Calotex sécurisée.

        "Il est inconcevable qu'un Américain ne consomme pas un petit-déjeuner copieux le matin ! Pourquoi, ingénieur Campbell ? Vous sentez-vous stressé par le voyage ? Soyez tranquille, tout est normal ! Nous n'avons rien à craindre, croyez-moi. En à peine plus de deux heures, nous atterrirons à Haïti. Puis nous embarquerons sur une voiture de service qui nous attend dans la zone parking. Ensuite, nous filerons tout droit, sans aucune opération douanière ni policière, à la Mission Civile des Nations Unies où nous déciderons ce qu'il convient de faire. À moins que vous n'ayez déjà établi un autre programme ?"

        Je désire seulement consulter mon ordinateur portable, Docteur Benson…" répondit son hôte avec un sourire.

        Puis, regardant en direction de la cuisine, il ajouta en fronçant les sourcils : "Cependant, sans qu'elles circulent dans ce voisinage, si cela était possible…"

        "Vous ne devriez avoir aucune crainte de notre personnel navigant. Leur fiabilité a été mise à l'épreuve de la Sécurité," répliqua le fonctionnaire.

        "Ne vexez-vous pas, Docteur Benson, mais vous savez très bien comme les rumeurs savent circuler rapidement. C'est pour cela que nous sommes en voyage !"

        "Au Palais de Verre c'était différent : la nouvelle avait été divulguée à tous les ambassadeurs accrédités auprès de l'ONU et vous comprenez que… Enfin… Que quelques-uns des nombreux secrétaires ou assistants, aient pu laisser échapper quelque indiscrétion…"

        "Indiscrétion, Docteur Benson ? Mais les journalistes semblaient en savoir plus que vous !"

        "Que voulez-vous que puisse comprendre une simple hôtesse, si vous vous mettez à travailler avec votre ordinateur ?"

        "Mais c'est le même panneau solaire, Monsieur Benson !"

        "Vraiment ?" fit l'important fonctionnaire écarquillant les yeux. "Mais alors, cette invention est un vrai miracle !"

Puis souriant, malicieux : "J'en viendrai à me demander si vous pouvez aussi cuisiner avec cet engin !"

"Bien sûr," répondit l'autre, piqué au vif. "Puisque c'est un transformateur d'énergie, vous pouvez aussi le connecter sur une plaque électrique !"

        Pendant ce temps, fort des paroles rassurantes du docteur Benson, il avait extrait le panneau de la mallette et, ayant connecté l'assemblage des mirillinis, il était sur le point d'envoyer les impulsions de son regard, quand survint l'une des hôtesses. Était-ce un hasard ? C'était justement celle qui avait été ajoutée au dernier moment sur ce vol improvisé ! Entrée dans le petit salon, elle s'approcha de lui avec déférence, et lui demanda s'il voulait un jus d'orange… Mais non sans observer attentivement le petit tableau. À ce moment, le plan de l'aéroport de Port-au-Prince venait d'apparaître sur l'écran du moniteur. S'y ajoutaient toutes les directives menant au centre-ville et, en particulier, vers la Mission Civile des Nations Unies dont l'emplacement était illuminé par une led verte clignotant.

" Non, merci !" fut la réponse un peu agacée d'Henry Campbell.

        Avec l'ingénuité d'un petit garçon, il retourna l'écran sur ses genoux, montrant le paquet des mirillinis connectés au panneau.C'était, apparemment ce que l'assistante de vol voulait voir ! Elle lui répondit d'un ton de chattemite : "C'est dommage que vous ne la buviez pas, Monsieur. Vous n'avez pas déjeuné ; cela vous apporterait au moins les vitamines C nécessaires à une bonne journée ! Je vous la laisse sur la table ; peut-être changerez-vous d'avis !"

        Et elle enfila le long verre dans le conteneur adéquat, afin qu'il ne glisse pas au sol dans le cas où le navigateur ne pourrait prévenir un mouvement de lacet… Ce qui arriva presque immédiatement. Un trou d'air fit soudainement descendre, de quelques centaines de pieds, l'avion forcé à une dangereuse rotation sur son axe, juste au moment où ils commençaient à survoler le Golfe du Mexique.

        Prudemment, Campbell renonça à consulter son ordinateur. Il craignait que les impulsions envoyées fussent la cause de leur perte d'altitude. Après être parvenu à redresser l'appareil, le copilote sortit du cockpit et, se tournant vers le docteur Benson : "Nous nous excusons pour la soudaine perte d'altitude, Docteur Benson. Vous a-t-elle causé des ennuis ?"

        "Non, capitaine. Mon verre ne s'est même pas renversé. C'est normal, je pense. Un simple trou d'air ?"

        "Ce n'était pas un trou d'air, Monsieur," répondit le second pilote et, regardant Henry : "si je me peux permettre…"

        "Mais certainement ! Dites, capitaine ; mon hôte peut tout entendre !"

        "C'est justement pourquoi mon commandant m'a envoyé vous en référer. Il est arrivé une chose étrange ! Le pilote automatique s'est débranché tout seul et, durant une dizaine de secondes, tous les instruments se sont emballés. Mais ne vous inquiétez pas, tout est sous contrôle, maintenant. Si vous le souhaitez, vous pouvez venir en cabine pour parler au Commandant : il a repris le pilotage manuel actuellement."

        "Je crois…" grommela Henry à l'oreille du docteur Benson dès que le copilote se fut éloigné, "que c'est moi qui ai causé ce petit inconvénient !"

        "Ah, voilà ! Votre panneau transformé en ordinateur, hein ? Peut-être que…"

        "Vous êtes sur ​​la bonne voie, Docteur Benson," répondit l'ingénieur dont le regard capta celui de la même hôtesse…

        Elle venait de soulever le rideau de séparation, sous le prétexte de récupérer le verre encore plein. Benson lui fit signe de rentrer dans l'espace cuisine.

        "J'aimerais en savoir plus," demanda-t-il à son compagnon de voyage, dont la phrase était demeurée en suspens.

        "Le simple fonctionnement de l'ordinateur ne génère pas d'interférences avec les instruments de bord. Il est spécialement masqué pour les éviter. Seulement…"

        " Seulement quoi ?"

        "J'ai dû transmettre un ordre qui a duré à peine cinq secondes."

        "Ah, alors," éclata le docteur Benson. "C'est également un émetteur radio ? Un vrai et pur prodige ! Et penser que tout le monde l'a rejeté. Mon Dieu, que les hommes sont donc stupides !"

        Le dernier mot suscita chez son hôte un sourire spontané qu'il tenta de dissimuler sous ses paroles : "Que diriez-vous d'affronter la distribution d'environ un milliard de panneaux comme celui-ci pour les distribuer comme premier acompte?"

"Bien sûr, ingénieur Campbell ; mais je me demande comment diable vous pourrez les transporter ?"

        "Ceux-ci ont déjà été construits à trois cents millions d'exemplaires. Leur livraison est prête. Ils se trouvent au-dessous de nous, à cent cinquante mètres au-dessous de la superficie de la mer, dans un point du Golfe du Mexique que je ne peux vous dévoiler maintenant. Ils ne sont pas dispersés, flottant sous l'eau, mais embarqués à bord d'un navire sous-marin qui se déplace, de façon autonome, à la vitesse de trente nœuds. Je viens de lui envoyer l'ordre de retourner au point de départ en attendant les événements."

        "Et où se trouve donc votre fameux point de départ ?"

        "Loin, Docteur Benson, très loin ! Dans un endroit inconnu de tous !"


12 – HIPPOLYTE CHARLES

 

 

Étrangement, depuis que le jeune homme s'était bien gardé de commettre d'autres imprudences, le voyage s'acheva sans accroc. Le jet atterrit et, dès l'arrêt des deux moteurs, une hôtesse ouvrit la portière et commanda la sortie de la petite passerelle. Des flots d'air chaud et sec envahirent la carlingue et Campbell, qui suivait le docteur Benson, écarquilla les yeux face à la lumière aveuglante du soleil, à laquelle il n'était pas habitué. Il entrevit à peine la limousine qui les attendait, mais dut se soumettre, avec son accompagnateur, à l'inévitable rite de présentation au ministre des Affaires Étrangères de la République de Haïti qui s'était obligé à venir présenter ses hommages au chef de la diplomatie des Nations Unies.

        L'homme politique, bien que mis au courant, par son ambassadeur à l'ONU, de l'invention révolutionnaire de l'ingénieur Campbell, n'y fit aucune allusion. Peut-être ne voulait-il pas intriguer plus qu'il ne le fallait les quatre hommes de sa suite. Du reste, pensait-il, son pays avait surtout besoin de produits de première nécessité et d'investissements conséquents, mais certainement pas d'un propulseur pour les rares voitures qui y circulaient.

        Cela fit réfléchir Campbell sur les connaissances insuffisantes que les ambassadeurs accrédités auprès de l'Organisation des Nations Unies avaient de son panneau solaire. Il en vint même à soupçonner que quelqu'un eût entrepris d'en faire une contre-information plus que convaincante. Mais il ne se donna pas la peine de vérifier cette présomption, puisqu'un autre programme avait déjà été mis en place par son ordinateur à mirillinis. Dès le lendemain du départ du docteur Benson avec son avion, il parviendrait à se confondre dans la population comme un touriste ordinaire, même si très peu de blancs américains venaient visiter Haïti, fréquenté essentiellement par les Créoles et les Français qui arrivaient ici sur le vol régulier d'Air France. Ils atterrissaient à Pointe à Pitre en Guadeloupe ou à Fort de France en Martinique, avant de rallier l'ancienne île des esclaves.     

        Il eut à peine le temps de faire un tour en ville pour se rendre compte de la situation. Ne pouvant emporter sa mallette partout avec lui, il avait dû en retirer les mirillinis, et les reprendre dans leur forme initiale, c'est-à-dire qu'il transportait désormais avec lui de petits morceaux de forme carrée, rectangulaire, triangulaire et un rhombe. Tout cela donnait un croisement approximatif entre le jeu de dominos et le puzzle. Il laissa donc les panneaux solaires dans la mallette en Calotex. Aussi compacte qu'une plaque d'acier, elle était pratiquement inattaquable. Par acquit de conscience, il l'enferma dans le coffre-fort mural dont était doté le petit appartement mis à sa disposition par la Mission, où circulaient trop de gens à son goût. Parmi eux, il retrouva même le second commandant pilote, qui s'était acquitté de l'inutile tâche de navigateur durant leur voyage, ainsi que deux des hôtesses. Ils avaient décidé d'écouler tous ensemble, leurs trois jours de repos prévus, avant de rejoindre l'équipage d'un autre avion des Nations Unies en provenance du Brésil.

        "Bien qu'ils respectassent sa tranquillité durant les courtes heures qu'il séjourna à la Mission, et au cours desquelles, en compagnie d'hôtes respectables, il dîna avec appétit puisqu'il était à jeun depuis le matin, il préféra éviter tout contact avec le personnel navigant. Aussi, après huit heures de sommeil ininterrompu, où les lames de lumière filtrant de la fenêtre de sa chambre ne le perturbèrent même pas, il sortit dès l'aube, avec sa mallette pour tout bagage, et partit à la recherche d'un logement plus anonyme. Il le trouva dans le centre-ville, à l'Hôtel Plaza en Rue Capois. De là, il téléphona au docteur Benson pour le remercier de son assistance et lui souhaiter un bon voyage de retour. Si tout se déroulait bien, comme il le souhaitait, il le contacterait de nouveau.

Si tout se déroulait bien !' Voilà une phrase qui n'aurait pas dû entrer dans le vocabulaire d'Henry Campbell. Pourtant, depuis qu'il avait été victime de la réaction de l'ingénieur Whiting et, après lui, de tous ceux auxquels il avait offert la possibilité de résoudre le problème de la pollution avec son carburant révolutionnaire, il avait perdu confiance dans les hommes… Et était près de perdre aussi confiance en lui-même. Il n'avait pas prévu cela, mais il s'était écoulé trop de temps depuis qu'il avait fait retour vers Key West. Ses défenses psycho immunitaires s'étaient détériorées et maintenant, au bout de seulement une semaine, il sentait avoir perdu les sensibilités prodigieuses dont il était doté. Il ne savait plus percevoir ni la proximité des personnes, ni leurs intentions. Aussi devait-il avoir constamment recours à l'utilisation de son ordinateur à mirillinis portable, pour mieux se situer, pour calculer chaque imprévu et, surtout, pour pressentir les intentions de ses proches. Bien que la conformation de son montage fût pratique, il ne pouvait pas demeurer dans sa mallette lorsqu'il l'utilisait. Aussi devait-il, à chaque fois, se trouver dans un endroit isolé - comme sa chambre d'hôtel - pour le préparer puis le démonter après usage. Une perte de temps qui grandissait au fil des jours : le montage des mirillinis devait être fait sur un schéma précis qu'il connaissait encore par cœur le jour d'avant, alors qu'ils étaient en vol pour Haïti. Mais aujourd'hui, sa mémoire, rendue labile à mesure que s'allongeait le temps passé à l'extérieur, l'obligeait à avoir recours à son manuel.

        Il avait même oublié le nom du pêcheur et le lieu où il habitait. Comment pourrait-il alors se présenter à lui sans éveiller des soupçons ? Par chance, son ordinateur avait marqué l'endroit exact où se trouvait la cabane de Hyppolite. Mais tout d'abord, songea-t-il, s'il voulait vraiment passer pour un touriste, il devrait changer le costume trop clair, trop voyant, et trop chic qu'il portait et se procurer une tenue plus adaptée au personnage qu'il souhaitait feindre d'être. Il achèterait aussi une simple mallette de cuir, assez grande pour y cacher la sienne, trop voyante, durant le temps de son voyage. Il trouva tout ce qui lui était nécessaire dans une boutique non loin de l'hôtel, dont le propriétaire, réjoui d'avoir tant vendu à un seul client toucha le sommet du bonheur quand Henry lui dit qu'il n'avait que son billet de cinquante dollars en poche…

"Est-ce que, par hasard, un seul billet suffirait à payer tout ce que j'ai acheté ?"

"Ce… Cer… Certainement, Monsieur !" répondit le négociant, avec une voix étranglée par la surprise.     

        Sur l'étalon de la devise américaine, la valeur des marchandises ne dépassait pas douze dollars. Alors, tenant au dicton selon lequel un client ne doit pas être moins heureux que son vendeur, il lui proposa de retoucher gratuitement les jeans à sa stature, ce qu'il fit en moins d'un quart d'heure !

        Ainsi paré pour ressembler à un touriste lambda, Henry s'enquit des horaires de bus pour rejoindre le village de Troutier, auprès de la réception de l'hôtel. Troutier se trouvait à environ neuf kilomètres du centre-ville. Pendant la journée, plusieurs bus partaient de là, en particulier vers la petite ville de Blanchard, mais certains poussaient jusqu'aux villages en bord de mer. De là, il aurait plus d'un kilomètre à parcourir, sur la partie plus graveleuse de la plage de sable, pour se rendre au village de Hyppolite. Il n'avait encore rien perdu de sa légèreté ; faire ce trajet à pied ne lui demanderait donc pas beaucoup de temps, mais il ne voulait pas se faire remarquer avec sa mallette d'homme d'affaires à la main. Aussi décida-t-il que, puisqu'il était vêtu comme un touriste moyen, il valait mieux qu'il se confondît parmi la foule. Il serait donc opportun qu'il prît l'autobus desservant les petits villages de la côte jusqu'à Port Bambou. Pour l'heure, il devait demeurer attentif et veiller à ce que personne ne le suive. Il ne rencontra pas l'hôtesse qu'il craignait de croiser, rôdant en ville à sa recherche, ni personne d'autre qu'il-ait déjà vu.

        Le lendemain matin, dès neuf heures, il paya sa note et, peinant à convaincre les divers chauffeurs en quête d'une course matinale qu'il préférait faire une promenade, il se rendit à pied vers la zone portuaire. Par chance, le comptable de l'Hôtel Plaza lui avait remis en monnaie locale la somme afférente au trop-perçu. Par conséquent, le coût du ticket étant minime, il put payer son trajet de bus sans se faire remarquer avec de grosses coupures. À dix heures, il était déjà à Troutier. Il se mêla à la foule bariolée qui s'égaillait dans les ruelles étroites. Il fit un petit tour par le marché à ciel ouvert. Veillant à ne pas tenir sa mallette de façon ostentatoire, par la poignée, ce qui dénoterait sa qualité d'homme d'affaires, il la cala sous son bras. Il s'acheta un chapeau de paille aux larges bords effilochés. Muni de ce couvre-chef, il regarda autour de lui et se mit à marcher, d'un pas souple, sur la ligne de brisement de la plage… Continuant à déambuler en promenant un regard de touriste nonchalant sur le paysage et sur les barques, il arriva à la cabane d'Hippolyte Charles.

        Il le trouva en train de rapiécer un filet. De loin, eh bien que l'homme lui tournât le dos, il l'observa avec attention. Il était bien comme le lui avait décrit son ordinateur à mirillinis : un homme encore plein de vigueur, aux cheveux encore noirs et drus, aux épaules carrées de rameur bien campées sur un cou de taureau qui, baissé se concentrait avec attention sur les filets qu'il recousait avec une rapidité stupéfiante. Le léger crissement de graviers qu'émit l'étranger derrière lui attira l'attention de Hyppolite. Il se retourna et, sans un mot, le regarda dans les yeux avant de déposer, comme par un accord tacite, ses outils de couture sur une planchette de bois. Il se leva pesamment, s'avança à sa rencontre : "Le monsieur que voilà est venu jusqu'ici… Pour moi ?" demanda-t-il d'une voix singulièrement monocorde.

" Oui," répondit laconiquement le touriste. "Je suis l'ingénieur Henry Campbell."        

        Le pêcheur hocha la tête de manière étrange : "Ma barque est prête, Monsieur l'ingénieur."

        Ajoutant le geste à la parole, il la lui indiqua, qui flottait à quelques mètres.

"Je dois me procurer certaines choses. Peux-tu m'indiquer quelqu'un qui puisse me les trouver avec une certaine discrétion ?"

"Certainement, Monsieur. Paul est l'homme qu'il vous faut !"

"Est-il digne de confiance ?"

"S'il est bien payé, certainement que oui, Monsieur l'Ingénieur. Il est sans travail depuis un mois et a deux petits enfants à nourrir…"

"Pas de problème pour ça. Quand puis-je le voir ?"

"Mais… Tout de suite," répondit Hyppolite qui, enfilant deux doigts dans une bouche quasi édentée, émit un long sifflement aigu.

        De l'intérieur d'une masure, à plus d'une centaine de mètres de là, lui répondit un autre sifflet et, cinq minutes plus tard, un mulâtre fluet, de taille moyenne se présenta devant eux. Un soupçon de barbe sur le menton lui affinait le visage qu'il avait trop rond et dans lequel ses yeux semblaient ne jamais rester immobiles.

"Voilà Paul Lavalle," fit Hippolyte Charles. "Paul, Monsieur l'ingénieur voudrait te parler de quelque chose."    

        Quelle meilleure façon de convaincre cet homme, qui lui semblait plutôt astucieux, que de lui montrer de la monnaie américaine ? Toutefois, Campbell, semblant par trop méconnaître les comportements humains, fut assez imprudent pour sortir de sa poche tout un paquet de billets de cent dollars, que les yeux finauds de Paul eurent tôt fait de chiffrer au moins à dix mille dollars.

        "Je te donne un bon pourboire si tu me procures un moteur électrique, un axe de rotation en acier avec une hélice et un réducteur des tours," demanda Henry, tout en le fixant de telle façon qu'on eût pu croire qu'il voulait hypnotiser son vis-à-vis. Hyppolite, indifférent au paquet de monnaie, interrogea l'Américain du regard.   

        Ce dernier expliqua aux deux hommes que le matériel demandé lui servirait pour tenter une installation de fortune sur la barque du pêcheur : "Et, surtout, veillez à ce que le moteur électrique soit au moins aussi gros que celui d'une tondeuse ou, mieux encore, d'un petit tour !"

"Mais ingénieur…" demanda Paul Lavalle, intrigué, "à quoi vous servira un moteur électrique sur cette barque ? Il n'y a même pas l'électricité à bord ! Cherchez plutôt un moteur à essence !"

        Et avant qu'Henry Campbell répliquât, il ajouta : "Je connais une personne qui vous vendrait son hors-bord de quinze chevaux… À un bon prix, vous savez !"

        Sur le visage de Hyppolite naquit le sourire de celui qui sait à quoi s'en tenir !

"Non, Paul. Je veux ce que je t'ai demandé ; et rien d'autre ! As-tu vraiment envie de m'aider ou non ?"

        Comme le mulâtre faisait signe affirmatif, l'ingénieur insista : "Mais, es-tu vraiment en mesure de le faire ?"

"Oui, Monsieur l'ingénieur," répondit Paul d'une voix plus humble

"Et combien de temps te faudra-t-il ?"

"Juste le temps d'aller à Blanchard. J'ai un ami forgeron qui pourra me procurer le moteur d'un tour…"

"Et l'axe de transmission, l'hélice et le réducteur ?"

"Facile. Ces trucs je peux les acheter dans un magasin d'équipement marin. Si j'avais une voiture…" ajouta-t-il, pensif. "J'expédierais tout cela en moins de deux heures."

"Voici mille dollars et cent gourdes. Les premiers pour acheter le matériel et les espèces haïtiennes pour te payer le taxi. Pense-toi que cela soit suffisant ?"

"Certainement, Monsieur. Il y en aura même de reste !"

"Eh bien, ne tire pas sur les prix, cependant. Paye ce que l'on te demande. Comme récompense, à ton retour avec le matériel, je te donnerai mille autres dollars. Mais, je te recommande de ne dire à personne qui t'envoie, ni à quel usage je destine le moteur électrique. En ce qui concerne l'axe de l'hélice et le réducteur, je suis convaincu qu'ils ne furèteront pas."

        Puis, se tournant vers Hippolyte Charles, qui jusqu'à présent n'avait pas bougé un cil, il lui demanda avec fermeté : "Est-ce que puis-je lui faire confiance ?"

        Le pêcheur s'approcha du mulâtre et lui dit quelque chose à l'oreille, puis, "Oui, Monsieur l'ingénieur," l'assura Hyppolite. "J'en réponds personnellement. Avec ces mille dollars Paul Lavalle pourra faire vivre sa famille au moins deux ans. Pour lui, c'est une véritable manne du ciel !"

        Une fois que le mulâtre fut parti, l'Américain demanda à visiter la masure du pêcheur. Elle était misérable et manquait même de sanitaires, au point qu'il se demanda comment il arrivait à le tenir dans une propreté aussi étonnante.

        "Vous comprenez, si je la tiens toujours aussi propre que ma défunte femme savait le faire, c'est un peu comme si je l'avais toujours avec moi. De plus, la pêche est bonne ces temps-ci, et je ne reste en mer que trois à quatre heures. Une fois que j'ai réparé mes filets, je dispose de bien assez de temps pour briquer la maison."

        Quand la météo le permettait - ce qui était le cas, actuellement - il sortait tôt le matin et, à peine retiré la palangre, aux appâts de laquelle une bonne quantité de poissons avait mordu, il s'en revenait en bord de la mer où l'attendait le seul poissonnier de Troutier qui lui achetait toute sa prise.

        "Et voilà… Depuis le départ de ma femme, je vis comme ça… Tant que mes forces me le permettent. Après…" conclut-il d'un geste fataliste.

        "Pour après c'est moi qui y penserai, Hyppolite," l'encourageai le jeune homme.

        Le pêcheur rentra à l'intérieur de sa petite maison pour accomplir quelques tâches et son jeune visiteur en profita pour se dévêtir, ne gardant que sa tenue de bain, qu'il avait pris soin d'endosser sous ses vêtements de vacancier. Il se dirigea vers la barque amarrée à trois mètres du rivage, sur un fond sableux d'une cinquantaine de centimètres. Il y embarqua et commença à en étudier l'intérieur, cherchant comment installer le moteur et l'arbre de l'hélice.

        La plage était déserte. Il ouvrit sa mallette et monta, en peu de temps, le panneau à mirillinis qui retrouva sa fonction d'ordinateur. Après un repérage des lieux, celui-ci lui indiqua les meilleurs endroits pour installer le moteur et évider la partie où il ferait passer l'axe de l'hélice. Il mémorisa son projet, démonta le panneau et ferma sa mallette. Il ne craignait pas que celle-ci tombe à l'eau, car le Calotex, totalement imperméable aux liquides, la rendait flottante.

        Il fit signe à Hyppolite qui, sorti de sa maison, venait de le regarder avec curiosité, pour le rejoindre après sur la barque. Et quand il fut à bord, il lui demanda : "As-tu les outils pour faire un trou dans la poupe ?"

"J'ai tout dans un petit laboratoire là-bas," répondit Hyppolite, faisant un signe du menton vers une petite cabane en fer-blanc appuyée contre l'arrière de la maison.

"Très bien. Quand Paul reviendra, nous devons mettre la barque en sec et nous la préparerons ensemble."

"Il serait mieux que nous soyons seuls, justes nous deux, pour faire ça, Monsieur l'ingénieur," fit Hyppolite.

"Pourquoi ? Ne m'as-tu pas dit que Paul Lavalle était sûr ?"

"Oh, bien sûr ! Mais quand il aura encaissé ce que vous lui aviez promis, il ne le sera plus."

"C'est étrange," fit l'autre, douteux. "Je ne comprends pas…"

"Eh ben… On dirait que vous ne connaissez pas bien les hommes, Monsieur l'ingénieur. Vous êtes encore très jeune. Mon expérience me dit que même le bon Paul se sentira un autre quand il aura empoché vos mille dollars. Et la langue le démangera, pour sûr ; il ne sera pas heureux s'il garde cette bonne nouvelle pour lui seul… Et même s'il ne se confiait qu'à son épouse… Vous savez comment sont les femmes…" lâcha le pêcheur avec un clin d'œil entendu.

"Mais je ne resterai pas longtemps ici, avec ta barque. Il me suffira de deux heures pour avoir quitté les eaux territoriales de Haïti."

"Mais deux heures suffisent aussi pour faire pousser une rumeur, Monsieur !"

"Eh bien, alors je ne le payerai que… Tiens-toi, je vais plutôt te remettre cet argent à toi… Ainsi, dès qu'il arrivera avec le matériel commandé, il nous aidera à tirer la barque en sec, à installer le moteur et à faire le trou pour l'axe de l'hélice. Et tu ne lui donneras son dû que deux heures après mon départ."

"Eh, eh… Vous êtes très intelligent ! Bien qu'étonnement naïf parfois," rétorqua le pêcheur, acceptant cependant que la transaction se déroula ainsi."

        L'attente du retour du mulâtre fut éprouvante pour Campbell, tandis que Hyppolite qui semblait ne s'émouvoir de rien, terminât son ouvrage comme si ce jour était semblable au précédent. Il étendit son travail au soleil, commença à dévider l'une de ses deux palangres qu'il replaça dans son cageot tout en enfilant, à intervalles réguliers, un hameçon dans le cordage flottant, avec une habileté qui dénotait une longue habitude. Le touriste improvisé suivait les mouvements répétitifs du pêcheur, se laissant prendre un instant au jeu de leur monotonie. Mais, peu habitué à l'oisiveté, il finit par s'en ennuyer. Il décida alors de passer à l'action en tirant seul la lourde barque de pêche, hors de l'eau. Sans lâcher son ouvrage, Hyppolite le regardait faire, du coin de l'œil. Il commença par la décrocher du corps-mort qui la tenait fixe, à son mouillage. Puis, la tirant vers lui par la poupe, il la fit entrer sur le sable où les vagues venaient se briser. Il songeait qu'avec la force dont il disposait, le porter au sec aurait été un jeu d'enfant ! Il décida de s'y essayer, sûr d'arracher une exclamation d'émerveillement chez son hôte mais, lorsqu'il saisit fermement l'embarcation par les deux rambardes de sa poupe, et s'apprêta à la traîner sur le sable, elle y glissa d'à peine cinq centimètres, puis y resta entravée.

        'Mince,' se dit-il en lui-même, je suis réellement en train de perdre les forces de ma… Pfff ! Si ce mulâtre n'arrive pas à temps, je ne pourrai même pas prendre le large !'

        On eût dit que Hyppolite comprenait ce qui lui arrivait. Il s'approcha et l'encouragea du ton d'un père bienveillant : "Ne vous inquiétez pas, ingénieur. Paul arrivera à temps. Je sais bien que deux heures sont déjà passées, mais, avec la récompense que vous lui avez promise, il aura des ailes à ses pieds… Tiens, qu'est-ce que je vous disais ?"

        Il venait à peine de terminer sa phrase, qu'une voiture bringuebalant arrivait. Dans un bruit de ferrailles, elle s'arrêta juste en face de la masure du pêcheur. Il en sortit un Paul jubilatoire qui, au lieu de s'affairer avec le chauffeur à décharger ses achats, courut vers Hyppolite pour lui conter sa satisfaction d'avoir réussi à trouver le matériel demandé. Se tournant ensuite vers Campbell, il lui dit, du ton le plus respectueux qu'il put trouver : "Monsieur l'ingénieur, c'est bon ; j'ai eu la chance ! Vous ne vous attendiez pas à ce que j'arrive à tout trouver, en un temps aussi court, n'est-ce pas ?"

"Mais si," répondit l'interpellé qui ne pouvait cacher un sourire d'ironie. "J'en étais sûr : Hyppolite me l'avait garanti !"

"Mais, Hyppolite, comment savais-tu que…" interrogea Paul, faisant volte-face vers son ami.

"Ne perdons pas de temps, allez ! Décharge plutôt cette carriole et viens nous aider à tirer la barque au sec !" l'interrompit l'ingénieur avec autorité.

        Les huit jours qui lui avaient été accordés depuis son débarquement à New York, pour mener à bien sa mission, s'étaient déjà écoulés et ce temps supplémentaire n'avait pas été prévu, hormis pour un bref laps de récupération… Il sentait ses forces décroître.

        Il peut parfois arriver ainsi, que l'on donne une tâche particulièrement difficile à une personne ordinaire et qu'elle la réussisse, d'instinct, alors qu'un personnage instruit ou même un technicien en la matière serait incapable de la résoudre par l'intelligence. Quoi qu'il en soit, il fallait reconnaître que Paul Lavalle avait été malin ou particulièrement chanceux. Il avait dégoté le moteur d'un tour de puissance moyenne chez son ami forgeron. Celui-ci devait avoir un besoin urgent de liquidités pour le lui céder aussi vite. Quant à l'axe de transmission, il était on ne peut plus complet et le vendeur avait poussé le scrupule à y joindre des pièces de raccordement, ainsi que l'étoupe noire qui serait nécessaire pour colmater le trou dans la poupe, après y avoir inséré l'axe. Il ne pouvait savoir qu'en ce cas, l'étoupe ne serait pas vraiment nécessaire. En effet, muni du panneau solaire de l'ingénieur Campbell, le moteur donnerait une telle vitesse à la barque que le cockpit se viderait automatiquement du peu d'eau infiltrée.

        Hyppolite fut de parole. Il disposait vraiment de tous les outils nécessaires, de sorte qu'en moins de deux heures, le moteur et l'axe de transmission furent montés ainsi que le réducteur des tours et l'hélice. Campbell trouva alors une excuse quelconque pour éloigner le mulâtre qui, pareil au chien dont la langue pendante attend sa pitance, promenait autour de lui un regard langoureux, tant le burinaient l'espoir de recevoir enfin la récompense promise, Le jeune américain s'enquit : "Où m'as-tu dit qu'était ton transformateur, Hyppolite ?"

        Il se tourna vers le pêcheur qui comprit tout de suite son intention d'éloigner Paul. C'est pourquoi sa réponse s'éleva à l'adresse de ce dernier : "Oui. À l'intérieur du cagibi. Je crois qu'il est sur le troisième rayon à droite ; mais je n'en suis pas certain. S'il n'y est pas, cherche sur les autres rayons, veux-tu, Paul ? En tout cas, je suis sûr qu'il y en a un. Apporte-le s'il te plaît. Nous voulons le relier au moteur pour l'instrumentation."

        Paul Lavalle partit comme une fusée, convaincu d'être de retour dans les dix minutes.

"Nous avons le temps, Monsieur l'ingénieur," souffla Hyppolite qui lui lança un regard complice. "J'ai un transformateur, mais il n'est pas dans la baraque des outils."

        Henry, auquel cet appareil ne servirait nullement, puisqu'il n'avait pas prévu de s'encombrer d'instruments de navigation autre que son ordinateur, lui demanda avec curiosité : "Et où l'as-tu donc planqué ?"

"Euh, à la maison… Il me sert pour la radio !"

"Ah, d'accord ! Bon, maintenant, finissons-en avant qu'il ne revienne. Prends d'abord ces mille dollars que tu lui donneras après mon départ…"

"Et ce qu'il restera ?"

"Comment : ce qui restera ?"       

"Il n'aura sûrement pas payé mille dollars ce moteur et l'axe avec l'hélice ! À vue de nez, le connaissant, il n'aura pas dépensé plus de six cents… Et encore !"

"Laisse-les-lui ! Il les a mérités… Maintenant, écoute bien," continua le voyageur qui arborait soudain un air épuisé, "je dois partir sans tarder."

        Il sortit de sa mallette quatre gros paquets de billets américains.

"Prends cela, ils paieront ta barque et le reste t'assurera une rente substantielle. Mais ne laisse personne deviner ta bonne fortune. Qu'il ne te vienne pas à l'esprit de les déposer en banque, mais dépense-les, peu par peu… Si tu veux t'éviter tout ennui."

"Vous ne les avez pas volés, au moins ?" s'inquiéta le brave homme, éberlué.

"Non, je te le promets. Je suis honnête jusqu'au bout des ongles. Mais je suis pisté pour d'autres choses de haute importance… Si tu viens à divulguer ce gain, même le président ne te laisserait plus en paix."

        Sans plus poser de questions, Hyppolite se confondit alors en remerciements. Son hôte objecta avec simplicité : "Laisse tomber, Hyppolite. Aide-moi plutôt à remettre la barque à l'eau… Et puis… Adieu !" dit-il en lui tendant une main ferme, ragaillardie à la pensée du retour.

        Quand la barque commença à flotter sur une mer qui, heureusement se maintenait aussi calme qu'un lac, Henry monta à bord. Le pêcheur donna une vigoureuse poussée de poupe, de sorte que lorsque le navigateur eut fini d'appliquer son panneau solaire sur le moteur électrique, l'embarcation s'était déjà détachée du rivage d'une dizaine de mètres.

        Il démarra au ralenti, mais l'hélice, sous la poussée du moteur gonflé par la puissance solaire, se mit à tourner à son maximum. La barque se cabra, obligeant le marin à se déporter sur la proue, à l'opposé de la barre du gouvernail. Puis l'embarcation se mit à filer, droite comme un fuseau de tisserand. Il avait du temps devant lui et le mit à profit pour ouvrir sa mallette de Calotex. Il monta alors les mirillinis sur un deuxième panneau solaire, qu'il n'avait encore pas utilisé jusque-là. Tout fonctionnait à merveille et, de cette manière, le jeune homme put diriger l'embarcation en fixant simplement son regard sur le moniteur. Il choisit la direction opposée au soleil qui, à ce moment, avait déjà effectué le tiers de sa course dans le ciel. Il était environ quinze heures. La barque filait à trente nœuds et il ne pouvait en augmenter la puissance : elle se renverserait ou le moteur fondrait ! Mais il lui restait du temps : à cette saison, il bénéficiait encore de trois heures de jour avant d'arriver au lieu de son rendez-vous.

        À sa droite, la silhouette de l'île de Gonave filait. L'ingénieur corrigea légèrement la trajectoire de quelques degrés vers sud. Le rendez-vous prévu par l'ordinateur était au point d'intersection des dix-neuf degrés et dix secondes nord et soixante-treize degrés et quarante-huit seconds ouest, à environ soixante milles de Troutier. Là, un sous-marin de moyenne envergure, peut-être le même qui transportait le convoi des premiers panneaux solaires, devait faire surface pour lui porter secours…

        Juste une heure et demie de navigation ! L'embarcation répondait très bien aux commandes et négociait la longue vague de l'Atlantique avec agilité.

"Enfin, de l'air pur !" s'exclama-t-il d'une voix forte.

        Il était exalté à l'idée de rentrer très bientôt au bercail, malgré sa cruelle déception devant les comportements qu'il avait pu entrevoir durant cette longue semaine. Mais s'il vouait son amertume aux nations, il convenait que certains hommes, pris dans leur individualité, méritaient qu'on se battît pour eux. Hyppolite, humble pêcheur dans un pays qui fut toujours opprimé par ses dictateurs, avait un cœur pur et loyal. Et le jeune homme, ayant découvert que les sentiments sains habitent généralement dans le cœur des gens ordinaires, osait espérer que Paul Lavalle, heureux d'empocher un gain qui le rendait millionnaire, ne se montrerait pas plus avide, mais seulement affairé à veiller à la survie de sa famille.

        "Et toi, Soleil, bien que tu sois pour moi comme père et mère, tu me brûles en ces lieux, avec tes rayons trop ardents !" récita-t-il, à la manière d'un acteur sur le proscenium.

        En effet, ses rayons l'aveuglaient tellement que, pour voir la poupe de la barque, il devait se protéger les yeux d'une main. Son regard ainsi réduit ne vit que tardivement l'hélicoptère de type Comanche, pareil à ceux de l'US Navy qui, s'étant détaché de la Pointe Ouest de l'île de Gonave, semblait, depuis un moment déjà, survoler son embarcation.

        'Peut-être sont-ils intrigués par la vitesse d'une si petite barque naviguant en plein Atlantique et voudraient-ils m'enjoindre de retourner à terre,' se dit-il lorsqu'il le repéra enfin.

        À l'exaltation du départ succéda un sentiment d'appréhension. Aussi donna-t-il un dernier ordre à son moniteur avant de le ranger dans sa mallette, qu'il cacha sous le plancher de la proue. La barque fit un grand virage et orienta sa proue vers l'île d'où s'était envolé l'hélicoptère. Lorsqu'elle fut presque au-dessous de lui, bien qu'il fût assourdi par le vacarme des moteurs turbo et qu'il perdît son chapeau sous le jet d'air des pales rotatives qui lui ébouriffèrent les cheveux, il fit des signes très explicites : il n'avait pas besoin de quoi que ce soit et tout allait bien !

        Mais il ne semblait pas que les passagers de l'hélicoptère voulussent le persuader de retourner vers la terre où la barque filait maintenant, car ils ne répondirent pas à ses signes. S'intéressaient-ils donc à lui ? Avait-il été suivi ? Comment le savoir alors que tout avait semblé si bien marcher… Trop bien, peut-être ?

        Il ressortit sa mallette de sous la proue et donna l'impulsion à l'embarcation pour qu'elle reprenne son tracé primitif. Parviendrait-il à gagner du temps pour atteindre le point établi ? Il lui restait à peine une heure avant le rendez-vous. S'il y parvenait, les passagers de l'hélicoptère devraient alors se confronter au grand sous-marin dont les armes de dissuasion le rejetteraient vers la terre ferme, sans causer aucun dommage aux occupants. Mais comment empêcher qu'un membre de l'équipage ne parvienne à descendre sur son embarcation ? Si l'appareil volant portait à son bord des membres d'un commando subaquatique, terriblement habiles à de telles opérations, que pourrait-il faire pour les empêcher d'élinguer son navire jusqu'à eux ? Et avec lui, ses précieux panneaux… Et aussi… Les mirillinis ? Il avait reçu des ordres bien précis si cela devait arriver. À cette pensée, des frissons le saisirent !

        Heureusement, la barque qui n'était pas retenue par le vent, hormis celui généré par les pales de l'hélicoptère, filait rapidement, rendant impossible, pour l'instant, que quelqu'un de l'équipage réussît la démarche d'y descendre. Il les maintint à une distance respectable durant une bonne demi-heure. Alors, il commença d'espérer parvenir, sinon sur le lieu même de son rendez-vous, tout au moins suffisamment près pour que les sous-mariniers s'aperçoivent de la situation dramatique dans laquelle il se trouvait et interviennent pour chasser les intrus. Ces derniers étaient sans doute envoyés par un gouvernement qui, se croyant maître de la destinée du monde, voulait à tout prix en déterminer le destin. Qui sait ? S'ils avaient, eux les premiers, donné le bon exemple en acceptant les conditions fixées, peut-être les autres pays, habitués à singer depuis longtemps leur culture, auraient-ils par mimétisme, finalement accepté de les suivre ? Créant ainsi l'effet domino, ce grand pays aurait pu suspendre la menace que faisait peser sur la planète cette espèce de désaveu proche d'un suicide collectif.

        Ces réflexions l'aidèrent à faire passer au second plan de son esprit le souci d'une situation qui semblait désespérée. L'hélicoptère volait maintenant plus bas et ce vacarme, joint à l'odeur nauséabonde du kérosène qui brûlait progressivement, polluant l'air alentour, augmenta sa faiblesse et sembla lui ôter toute faculté d'étudier une solution d'urgence en consultant son ordinateur. Il serra les dents et tint bon : il restait peu de temps, finalement…

        Mais il n'avait pas pensé à la détermination des hommes au-dessus de lui. Tout à coup, l'hélicoptère prit de l'altitude et, quand il fut à la verticale de l'embarcation, le navigateur s'aperçut que quelque chose, peut-être un homme hardi, se jetait sur lui sans même un câble de sauvetage pour le retenir. Instinctivement il s'écarta et vit tomber… Non pas un homme, mais un objet informe qui chuta sur la petite barque avec une telle violence qu'il défonça le moteur électrique, lequel coula sans préavis. Malgré ce dommage, et après une brève hésitation, ce qui restait de l'embarcation continua à flotter sur le courant paresseux.   

        Demeuré miraculeusement indemne sur la proue qui, n'étant plus soulevée par la vitesse de la barque, s'était partiellement immergé dans l'eau d'où n'épointait qu'une cinquantaine de centimètres, Henry serra la mallette de l'ordinateur contre sa poitrine. L'hélicoptère commença à descendre et réduisit les tours des turbopropulseurs. Ce demi-calme permit au poursuivant de rassembler ses idées pour se préparer à accomplir son ultime mission.

        Décidé aussi à ne pas provoquer de dommages inutiles à l'encontre des occupants de la carlingue qui tanguait au-dessus de lui, il mit en stand-by le dispositif que ses chefs avaient inséré dans son corps pour faire face à une telle éventualité. Puis il scruta attentivement l'espace autour de lui, dans un dernier et vain espoir de voir émerger le sous-marin qui lui rendrait le salut. Mais l'horizon était plat ; à perte de vue, désespérément plat ! Même les côtes de l'île avaient disparu dans les brumes du soleil couchant. Il prononça alors ces seuls cinq petits mots, lourds de sens et de peine : " J'avais tant de vie !"

        Et, tenant contre son cœur, la mallette et son précieux chargement, il commanda la dernière impulsion au petit appareil inséré dans son épaule.

        L'hélicoptère dut effectuer un brusque cabrage pour éviter le pire…

                                      ΩΩΩ

       

De ce qui restait de la barque d'Hippolyte Charles, simple pêcheur d'un petit village Haïtien que les géographes n'avaient même pas jugé utile de mentionner sur les cartes touristiques, se leva une vague de feu rouge orangé qui dura quelques secondes pour s'éteindre enfin, en même temps que le soleil disparaissait de l'autre côté du globe, sans laisser plus de traces de fumée.    

        L'hélicoptère reprit sa position horizontale et le commandant de bord dirigea les phares pour mieux voir ce qui pouvait subsister de cet étrange phénomène. Sur la mer, de nouveau calme, ne restait plus qu'un triangle de bois. C'était l'extrémité de la proue, pointant là comme pour leur signifier que leur tentative de s'emparer des précieux panneaux avait été rendue vaine par le sacrifice de l'ingénieur Henry Campbell.


13   -    ENEE  DES  ANCHISES

 

 

Une opération d'une simplicité désarmante : il s'était inquiété pour rien car, à peine fut-il introduit dans le cabinet spécialisé de l'Hôpital des Esculapes, que le docteur Héphaïstos le reçut comme s'il était un vieil ami. En moins d'une minute hellène - soit exactement 240 secondes occidentales - il lui appliqua, au moyen d'une ventouse, un petit appareil dont l'une des extrémités était en contact avec la peau, juste au-dessous de la jugulaire.

        L'opération était achevée et son ADN modifié ; maintenant l'ingénieur Henry Campbell, homme d'origine Américaine, était devenu, en tous points, un Hellène. La seule chose qui lui restait à faire était de choisir un nouveau nom. Après quoi, il pourrait enfin épouser la belle Phèdre.

        Elle l'accueillit avec un sourire tendu, étrange pour une créature si lumineuse et toujours souriante.

        "Quelque chose qui ne va pas ?" lui demanda-t-il après l'avoir embrassée sur la joue.

        "Une mauvaise nouvelle, Enée," répondit Phèdre.

        "Enée ? Mais je m'appelle encore Henry, jusqu'à ce que…"

        "On t'a déjà assigné un nom. Maintenant, tu es Enée des Anchises."

        "Comment dis-tu ? N'ai-je plus la possibilité de choisir par moi-même le nom qui sera le mien, comme on me l'avait promis ?"

        "Calme-toi, voyons ! Ce n'est pas une imposition, mais une nécessité."

        "Une nécessité ? Mais pourquoi, ma douce ?"

        "Un grand malheur a frappé notre peuple. Une chose inouïe. L'Archonte veut t'en parler devant tout le Grand Conseil."

        "À moi ? Vraiment ? Es-tu sûre, Phèdre ? Ai-je commis quelque chose de grave ?"

        "Non. Seulement ce qui s'est produit te concerne personnellement et il est temps qu'on t'explique la raison initiale de ta présence à Kallitala."

        "Si ce n'est que cela, pourquoi ne te laissent-ils pas le plaisir de me le dire toi-même ? Après tout… Tu seras bientôt ma femme et…"

        "Mes parents, Paris et moi-même n'en connaissons pas les raisons. Nous avons obéi aux ordres de l'Archonte sans demander d'explications. Chose que tu feras toi-même, maintenant que ton ADN est modifié… Et quelles soient les décisions qui seront prises à ton encontre… Tu verras que pour toi, cela deviendra logique d'agir ainsi… C'est dans notre nature de peuple Hellène ! Mais dépêchons-nous maintenant, nous devons nous rendre auprès de l'Archonte."

        "Nous devons aller ? Pourquoi, toi aussi, cette fois-ci…"

        "Oui, Enée, cette fois je serai admise moi aussi, ainsi que Paris et nos parents."

 

                                      ΩΩΩ

 

        Il était à peine dix-huit heures. C'était, à Kallitala aussi, l'heure de pointe, où tous les attachés, dirigeants, employés, ouvriers et gestionnaires, terminaient le travail de la journée et rentraient chez eux. 

        Quoique les rues, les escaliers, les ascenseurs et les systèmes pneumatiques de circulation souterraine fussent bondés, tout fonctionnait à merveille et aucuns Hellènes ne gênaient le chemin de l'autre. Par conséquent Phèdre et Henry… Pardon : Phèdre et Enée arrivèrent rapidement dans la grande avenue qui conduisait au palais du Grand Conseil. Ils montèrent les escaliers et arrivèrent à la grande place en face du bâtiment néoclassique où ils retrouvèrent Achelais, Hécube et Paris, qui les attendaient. Phèdre courut vers sa mère qui la serra dans ses bras tandis que Enée reçut de Achelais, puis de son ami et futur beau-frère, la traditionnelle tape sur l'épaule. Comme la première fois, et même en cette occasion, aucun des employés du palais ne vint demander au petit groupe ce qu'il voulait, ni où il se rendait. Tout était déjà établi et, quand ils arrivèrent devant la grande porte de la Salle du Conseil où se retrouvaient régulièrement tous les membres du forum de Kallitala présidé par l'Archonte, deux huissiers en ouvrirent spontanément les battants et la famille des Achelais fit son entrée en compagnie de Enée.

        Le Conseil était au complet. Tous étaient déjà assis dans la vaste salle où de confortables fauteuils étaient disposés autour d'un hémicycle, dans la partie opposée de celle où s'asseyait habituellement l'Archonte sortant, puis Alcée, dont la nomination au nouveau titre d'Archonte serait effective au cours de cette même session. Les membres de la famille des Achelais furent conviés à s'installer aux côtés des deux Archontes, tandis que Pausanias, debout pour l'occasion, invitait Enée à rester au centre, en face des deux plus hautes autorités.

        Maintenant qu'il était vraiment Hellène à part entière, Enée n'éprouvait plus aucune gêne. Ce qu'on lui demandait faisait partie de la normalité des choses et sa légèreté toute nouvelle lui permettrait de n'éprouver aucune fatigue à rester debout, même si cela dut être long !

"Les hommes sont des créatures bien étranges !" commença l'Archonte à l'intention de leur nouveau compatriote. "Ils sont incapables de comprendre qu'ils vont tout droit vers un suicide, individuel à cause des vices de chacun, ou collectif, généré par la pollution qu'ils provoquent sur ​​la planète Terre. Nous pourrions nous demander pourquoi nous ne restons pas insensibles à tout cela, puisque, depuis des millénaires, nous vivons isolés et n'avons aucune intention, si petite soit-elle de cohabiter avec l'espèce humaine. Mais il se trouve que nous subissons leur course insensée vers la fin d'un monde hospitalier, puisque nos ancêtres et nous-mêmes qui sommes leurs épigones, n'avons pas été en mesure de créer l'air, ni l'eau… Et nous ne sommes même pas en mesure d'offrir à ces créatures - dont tu étais ! - Une possibilité de salut… Étant donné qu'ils sont plus têtus que leurs mules ! Ah ça, ils sont avides d'argent, de confort et de pouvoir sur leurs semblables ; ils sacrifient tout à leur égoïsme… Même leur qualité de vie ! Et ils sont assez insensés pour ignorer que, de cette manière, ils vont à la rencontre de la mort ! Stupides souches d'êtres vivants qui croient en un Destin et en un Dieu bienveillant qui les protégera toujours des conséquences de leurs actes stupides ! Nous, Hellènes, même si nous devons reconnaître que ces symboles représentent la partie plus noble, la plus généreuse et la plus compatissante de l'âme humaine, savons bien que leur croyance pour cette entité surnaturelle n'est qu'un leurre ! Pour preuve : nous qui n'y croyons pas, nous vivons en paix et en bonne santé, au point que notre temps en fut imprégné et tourna beaucoup plus lentement que le temps humain… Toujours à courir, comme ceux qu'il sert !"

Henry-Enée intrigué, allait questionner l'Archonte. Mais, alors que son regard se fondit durant quelques secondes dans celui de Phèdre, elle lui signifia qu'il n'en fasse surtout rien. Tant que l'Élu parlait, nul ne devait l'interrompre ! Il reporta donc son attention sur le discours dont il s'évertuait à saisir chaque détail : "Ami Enée des Anchises," continua l'Archonte d'une voix monocorde, mais qui sonnait néanmoins claire et limpide dans la grande salle, "un grand deuil nous a tous frappés et, si tu nous vois devant toi, non seulement attristés, mais aussi quelque peu désorientés, c'est qu'un tel événement n'était jamais arrivé dans le peuple de Kallitala ! Notre bien-aimé Enée des Anchises s'est sacrifié dans une mission qui ne nous semblait pourtant pas dangereuse. Mais les faits nous ont, hélas, prouvé le contraire."

        En quelques traits rapides, l'Archonte brossa, pour Henry-Enée, la mission qui avait été confiée à son alter ego, et son issue tragique.

"Ne t'étonne donc pas, ami Enée," continua-t-il, "si nous t'avons donné, à juste titre le nom de notre cher fils Hellène, comme il avait accepté de prendre le tien pour accomplir sa mission. Il était ton sosie…- Ton besson pourrions-nous dire - à tel point qu'on aurait pu le croire ton frère ! La nature est parfois étrange, n'est-ce pas ? Faire ressembler un jeune Hellène à un homme occidental comme une goutte d'eau ressemble à une autre ; de façon aussi évidente que l'air fut créé pour respirer, l'eau pour nous désaltérer ou la nourriture pour se sustenter… Une telle combinaison, n'aurait eu qu'un milliardième de milliard de chances de se produire, entre le cosmos infini, et le nombre macroscopique des habitants de la Terre. Et pourtant, cela est arrivé ! Comment n'aurions-nous donc pas profité d'une telle pertinence ? De plus, toi, tu es un ingénieur, et il l'était aussi, même si ses qualifications étaient hautement plus élevées que les tiennes. Tu travaillais à la recherche d'éléments susceptibles de capter la chaleur du soleil pour accumuler de l'énergie et lui, étais spécialiste de cette même matière, à la différence près que notre bien-aimé défunt Enée connaissait des choses sur lesquelles tu en étais encore à théoriser. Il savait notamment que l'énergie n'est pas produite par la lumière, mais par la charge des neutrinos qui se propage, comme une pluie continue, sur toutes les planètes autour du soleil. Il savait aussi que ces neutrinos arrivent sur la Terre avec une charge adaptée dans de justes proportions au système terrestre, alors qu'ils sont captés en très faible charge, depuis le système de Jupiter. De même, plus les neutrinos s'éloignent, plus ils s'épuisent dans leur course cosmique… Au point qu'ils sont même incapables d'arriver jusqu'aux anneaux de Saturne !"

        L'archonte poussa un profond soupir, que reprit en chœur le conseil dans son ensemble, comme un hommage discret envers celui qui s'était sacrifié pour tenter de faire entendre raison au monde entier. Puis, se tournant vers Alcée, il le désigna d'un geste pontifical : "Je suis arrivé à la fin du mandat que vous tous, membres du conseil, m'avez conféré et j'espère l'avoir acquitté du mieux possible. Maintenant, c'est la tâche de mon ami Alcée, dont nous devons désormais oublier le nom. À lui de formuler des projets… Mais au-delà de toute commisération ou critique de la philosophie humaine, je peux vous affirmer que notre situation future verra de nombreux événements tragiques si nous ne réussirons pas à détourner les hommes de l'autodestruction."

        Enfin, il s'assit, laissant place à son successeur. Avant que ce dernier ne prenne la parole, Pausanias s'approcha de Enée et l'invita à siéger à ses côtés.

"Chers amis," commença le nouvel Archonte d'une voix rauque, qu'il éclaircit en deux toux fortes… "Euh, pardon ; de toute évidence, je ne suis pas encore prêt à vous affirmer ce que nous devrions faire mais, dans les grandes lignes, je suis tout à fait d'accord, ainsi que le soulignait Patrocle, mon prédécesseur qui retrouve aujourd'hui son nom, pour user de tous nos efforts à convaincre la souche humaine d'accepter notre proposition. Cela est indispensable si nous voulons parvenir à annuler les effets de la pollution sur la planète. Notre messager, quoique bien instruit de telle sorte que, en plus d'être physiquement identique au véritable Henry Campbell, ici présent, avait cloné son histoire de vie dans les plus petits détails pour n'éveiller aucun soupçon chez ceux qui avaient vécu en étroit contact avec lui. Et cela fut un succès. Nous en avons pour preuve sa fiancée américaine qui, semble-t-il, le cherche encore désespérément aujourd'hui. Cependant nous n'avions pas imaginé des réactions aussi négatives du monde entier, si ce n'est des principaux dirigeants de l'Organisation des Nations Unies. Dans notre esprit, l'ingénuité et l'amour de notre prochain demeurent si intenses, qu'il semble inconcevable pour les gens ordinaires. Pour mieux les atteindre, il faudrait transformer réellement l'un de nous en un être vraiment semblable à eux."

        L'Archonte s'interrompit quand il vit la main levée de Enée. Par une simple expression de son visage, il lui accorda son consentement à intervenir.

"Archonte, ton analyse de l'âme humaine est juste, comme sont justes tes paroles réfléchies. Moi qui suis issu de cette engeance, que j'ai définitivement répudiée, je pourrais cependant être ce nouveau messager."

        Il y eut un léger murmure dans la salle et Phèdre réussit finalement à attirer l'attention de son futur époux, auquel elle envoya un froncement de sourcils fort expressif.

        "Je te remercie, ami Enée. Je n'ai aucun doute au sujet de ta loyauté. Toutefois, bien que tu sois l'un des nôtres à part entière, tu n'as pas encore absorbé suffisamment la formation qui te permettrait de comprendre et d'expliciter nos inventions et découvertes. Il te faudrait deux longues années pour atteindre le niveau technique de ton sosie disparu. Ce qui équivaut à huit ans du monde occidental. C'est trop pour espérer régénérer l'air et l'eau. Qui sait, durant ce laps de temps, ce que réussiront encore à inventer les hommes ? S'ils continuent à ce rythme ; s'ils n'accordent toujours pas plus de valeur à la vie, ils finiront même par déclencher une guerre nucléaire ! Comprends, alors, que nous ne pouvons pas attendre aussi longtemps !"

        À son tour, Pausanias leva le bras, réclamant la parole : "Archonte, je m'engage à enseigner à Enée tout ce que doit savoir un ingénieur hellène en moins de trois mois. Je ne pense quand même pas que, en une seule année, les hommes…"

"Pour cela, ami Pausanias, qui peut savoir ? Même en moins…" répondit le nouvel Archonte d'un air démoralisé et, marmonnant toujours : "même en moins… Encore moins de temps !"

        Enée reçut le regard d'encouragement de Paris qui lui permit d'oser, une fois de plus, s'immiscer dans la discussion : "Archonte, je suis prêt à sacrifier le maximum pour devenir rapidement un ingénieur Hellène digne de cette tâche. J'en connais les enjeux ; aussi, j'y sacrifierai tout le temps dont je dispose. Et, si cela est nécessaire, je suis également prêt à reporter mes épousailles avec ma bien-aimée Phèdre, pour tenter de raisonner les hommes au plus tôt !"

"Bien, ami Enée des Anchises, tu as mon consentement," consentit enfin l'Archonte.

        Un chœur d'applaudissements clôtura alors la séance. Mais Enée ne s'en enorgueillit pas. Il savait qu'il allait désormais marcher, à son tour, sur un chemin semé d'embûches.


14 -  CHOSES  INCONCEVABLES

 

 

L'explosion avait laissé stupéfaits les membres de l'équipage de l'hélicoptère, tellement ils étaient sûrs d'avoir traqué l'ingénieur Campbell par de nombreuses gens qui l'avaient cru fou, mais au contraire considéré par la CIA ou un génie du nouveau millénaire ou autrement l'émissaire de quelque puissance qui voulût, avec cet étrange panneau solaire, changer le normal cours des choses. Et puis cette flambée, si gigantesque telle à sembler pour quelques secondes un petit soleil qui n'avait pas laissé ni odeur ni fumée, la disait longue sur les capacités de la nouvelle invention.

Deux commandos plongeurs parmi les plus expérimentés de l'US Navy, s'étaient jetés sur le point exact où la petite barque avait coulé et ils étaient descendus jusqu'à plus d'une vingtaine de mètres sous la surface, mais, à l'exception d'un petit ridicule triangle final de cette absurde petite embarcation qui avait voyagé à une vitesse incroyable pour une coque similaire, il n'y avait rien d'autre. Seulement des petits restes de débris de cette qui étaient autrefois la proue avec une mince bande rouge, étaient restés là-bas à flotter, imperturbable, comme à vouloir témoigner le dédain. Un turlututu qui était coûté cher à l'ingénieur Campbell, lequel ne pouvait pas être disparu comme un elfe mythologique, mais plutôt désintégré dans la terrifiante explosion et, étant donné que le mouvement rotatoire des pales d'hélicoptère ridait la surface de la mer pour un diamètre d'outre trente mètres. Le commandant pilote Davidson avait fait lancer un petit canot, de sorte que les deux plongeurs y montassent, une fois que l'avion se fût éloigné de la zone, ayant l'avantage de chercher avec plus d'attention quelques éclats de l'explosion et notamment les restes du corps de l'homme ou, mieux encore, la mallette qui Janet Craig, la troisième hôtesse du jet exécutive de l'ONU qui, comme Henry avait deviné, était un espion de la CIA, avait référé fût faite en matériel indestructible.

        Malgré les recherches durées toute la nuit avec l'aide d'un remorqueur de haute mer fait venir expressément de l'île de Gonâve, ils n'avaient rien trouvé. Seulement ce misérable morceau de bois, dernier vestige de la petite barque, témoin de tel cataclysme, qui restait à flotter autour des hommes haletants en recherches infructueuses et qui, étrangement, ne se déplaçait plus de trente centimètres à la fois du point où avait disparu la barque avec son occupant. Y retournant à chaque clapotis, n'ait été même pas comme une bouée de position.

Les commandos plongeurs américains avaient profité pour reprendre les recherches le lendemain au petit matin avec la lumière du soleil, lorsque était arrivée sur cet endroit la US Draggett, un navire usine équipé de tout pour la recherche sous-marine. Mais avec aucun résultat, même avec l'appui du bathyscaphe qu'il n'avait pas pu descendre jusqu'au fond, parce que juste dans le point de l'explosion ceci dépassait cinq mille mètres. Une malchance jamais vue. Ce qu'étaient restés de l'homme, de la barque et de la mallette, cette dernière probablement encore intacte avec à son intérieur les précieux engins, avaient été engloutis d'une petite fosse d'à peine deux kilomètres de diamètre, mais de plus de sept mille mètres de profondeur, l'autre partie du fond marin, pour une très vaste zone contournant presque toutes les Antilles, ne dépassant que de peu les mille mètres.

Il y avait été puis, l'intervention décidée du Secrétaire d'État qui avait sanctionné l'ambassadeur américain à l'ONU, lequel à son tour s'était lui tourné contre, lui débitant le fait de ne lui avoir bien clarifié de quoi ne s'agît ni que l'ingénieur Henry Campbell, comme affirmé par le Secrétaire Général et le chef de la diplomatie de l'Organisation des Nations Unies, Docteur Benson, il eût posé comme condition que le monde entier jouît du miraculeux panneau solaire.

Personne, en vérité, n'avait compris grand-chose et le président des États-Unis, conseillé par ses experts, n'avait fait rien d'autre que suivre la procédure de l'obligation des différents tests, essentiels pour chaque nouvelle invention de la technique.

" Toutefois… Si vraiment ce panneau capture énergie, était déjà prêt, étant donné que le jeune ingénieur disparu avait fait signe qu'en avait déjà un milliard à disposition…"

Oui, mais où ?

En dépit du fait que son poids individuel ne dépassât pas les deux cent cinquante grammes, un milliard de panneaux solaires représentaient une charge de deux cent cinquante mille tonnes et il ne semblait pas qui existât au monde un navire ou même un sous-marin, de celle portée, puis ! Et enfin, allez ! Depuis que le monde est monde, le sous-marin a été toujours un moyen d'affrontement de guerre, même de taille réduite pour naviguer sous l'eau, pas vraiment un navire de charge !

Raison pour laquelle avait été émis l'ordre à toutes les unités de la flotte américaine éparpillées dans le globe et, par conséquent assistées en certaines zones, par ces Britanniques, de rechercher un gros navire de charge…

" Mais évidemment ! Ils se disaient au Pentagone : ceux n'existent pas d'aussi grands… Peut-être un pétrolier… Oui, bien sûr ! Seulement un de ces monstrueux navires pourrait transporter une charge aussi onéreuse… Lequel, à la place du pétrole brut, ait dans les réservoirs tous ces panneaux ?"

Ce n'était pas une recherche difficile. De ces navires n'existaient plus plusieurs. Ils en avaient été construits un bon nombre immédiatement après la crise du canal de Suez mais, résolu ce problème, dernier vestige du colonialisme anglo-français, car le canal de Lesseps, étant donné que les Européens ne s'en étaient pas bien souvenus, avait été coupé et exploité dans le territoire égyptien, la construction de ces aberrants énormes navires avait été abandonnée au profit d'autres beaucoup plus sûrs, quoique de portée inférieure. On s'était aperçu que leur longueur exagérée les rendait peu fiables à naviguer dans les mers orageuses, spécialement quand ils devaient doubler le Cap de Bonne Espérance, où les énormes vagues soulevées par les deux océans confluents, en se flanquant à leur trop longue coque, si pour un cas imprévu ils eussent formé un creux sous la structure flottante, en causaient la fracture.

Cependant, identifiés ce peu de supertankers qui venaient de naviguer au milieu de l'océan Pacifique, l'US Navy d'abord et les navires britanniques après, ne purent que constater que les géants de la mer transportaient seul uniquement de pétrole brut chargé dans diverses zones du Golfe Persique. Aucune trace, donc, du navire cargo transportant l'énorme quantité de panneaux solaires de nouvelle conception.

Étant cette étonnante nouvelle parue sur tous les médias, tout d'abord Greenpeace avec ses charrettes de la mer et, après, les verts, ils avaient commencé en premiers à aborder pacifiquement tous les navires de charge d'une certaine taille. Dans le même temps les diverses organisations d'écologistes de n'importe quelle couleur, à gronder contre les dirigeants d'autant de nations qui n'avaient pas accepté l'offre de l'ingénieur Campbell, de sorte qu'il s'était venu à créer un comité international qui critiquait indifféremment n'importe quel Pays, y compris le sien, qui avait décliné l'offre généreuse et, évidemment, les États-Unis, toujours comme cible préférait des contestataires même quand il n'y avait aucune raison.

        Mais dans ce cas, des raisons ils y avaient à vendre. Si son président eût donné le bon exemple, tous les autres Pays se seraient mis en file et, finalement, le monde aurait commencé à dénouer les chaînes qui depuis trop longtemps, désormais, les tenaient enlacées à l'utilisation insensée de produits pétroliers, cause directe et indirecte du mal du siècle écoulé et de l'Actuel : la tumeur maligne, ou mieux, la dégénérescence des tissus d'êtres humains.

Même les sous-marins atomiques, ceux qui précisément avaient une grande autonomie, étaient encore à la recherche du colossal bateau sous-marin qui devait forcément être en train de naviguer dans l'Océan Atlantique, océan où, selon ce qui vint référé par le disparu Henry Campbell, il serait émergé pour décharger dans un endroit convenu le milliard de panneaux solaires. Mais toutes les recherches avaient découlé vaines pendant une année entière pour être définitivement abandonnées, quoique les services secrets des majeures puissances mondiales tressassent encore leurs fils avec un engagement renouvelé, tellement à découvrir, mais tout à fait incidemment, certaines cellules d'Al-Qaïda prêtes à mettre en œuvre des insensés attentats dynamiteurs. Deux par des Marocains en Espagne, autant par des Pakistanais en Angleterre et, respectivement, un en France et l'autre en Italie, mais 'en sommeil', argotique expression journalistique pour définir le crime dans l'attente du feu vert.


ΩΩΩ

 

"Finalement, maintenant je puis être certain que tu es prêt," dit Pausanias à un Enée tellement épuisé, qui pour toute réponse se limita à fermer les yeux. " Es-tu fatigué, n'est-ce pas ? Je suis convaincu que, en embrassant à nouveau ta bien aimée Phèdre, tu retrouveras toute ton énergie. "

"Tu crois vraiment, Pausanias ? " répondit Enée. "Pourtant, pendant ces trois mois, tu m'en as tenu constamment à l'écart. Même le jour où elle était venue pour t'implorer une visite."

        "Nous aurions interrompu le rythme d'étude, cher ami Enée…" réagit le Grand conseiller, "et cela aurait impliqué une récupération qui nous aurait coûté au moins deux semaines de travail acharné. Tu t'es rendu compte du caractère logique et cohérent des éléments que tu as appris et du fait que nous ne pouvons pas perdre encore du temps. Si pourtant se sont écoulés trois mois, au-delà…" et il fit un vague geste vers la mer, "est passé une année et la situation s'est aggravée."

"Je dois reconnaître que tu as raison. Excuse-moi."

"Tu ne dois pas t'en excuser. Quoique ton ADN ait été modifié, tu es resté quelque chose d'humain. Chose qui nous les Hellènes supportons avec plaisir parce que seront précisément ces caractéristiques qui t'aideront à accomplir ta mission dans le monde occidental."

        "Je ne crois pas que j'irai faire comme le véritable Enée des Anchises, ami Pausanias. Mon ancien Pays n'est pas adéquat pour la réussite de mon engagement. Comme on avait été déjà programmé, selon mon avis, la Chine est la nation la plus appropriée. Un peuple laborieux constitué d'un milliard trois cents millions de personnes, dont les quatre-vingt-dix pour cent se déplacent à vélo ou à pied. Sais-tu en combien de temps ils emploieront pour construire autant de moteurs électriques sans faire d'histoires ! Et enfin, à qui d'autre dans le monde qui nous entoure, pourrions-nous offrir une issue de secours, étant donné que tous les autres ont démontré ignorance et égoïsme ?"

        "Nous en avons déjà parlé, Enée. C'est un peuple pauvre et n'aura pas les ressources pour construire tous ces moteurs sans que personne ne la paie."

"Je voudrais penser moi, à ça. C'est la dernière possibilité. Donnons-nous pour escompté que, quand même il soit un peuple qui se considère communiste, il suit les lois du profit et comme ils soutiennent, ils veulent le bien du peuple et vivre en paix avec tout le monde. Nous n'avons pas autre choix."

"N'estimes-tu pas pour faire une autre tentative avec les Occidentaux, ami Enée ?"

        "Maître Pausanias. Perdre la vie comme mon prédécesseur ne m'intéresse pas, mais je crois que nous nous exposerions trop ; Déjà beaucoup de monde se demande d'où vient notre offre, notre disponibilité et, surtout, notre technologie. Je ne voudrais pas que…"

"Tu as mon approbation, ami Énée des Anchises. Avances-tu," affirma le Grand Conseiller.

"S'il te plaît, à partir de maintenant, appelle-moi Henry. Henry Campbell, ingénieur américain. Disparu dans la mer des Antilles il y a trois mois, mais qu'il réapparaîtra à bord d'une barque sur le Huangpu Jiang, en face du parc Yuangpu avec une mallette et tout ce qui contenait celle-là de Enée, avec la différence, cependant… "

 

ΩΩΩ


Ils s'étaient donné rendez-vous auprès de la maison des Achelais, en campagne. C'était cela que Enée s'était promis après l'épuisant cours d'études dans le palais du Grand Conseil, sous la direction de Pausanias. Il avait eu des contacts avec un certain nombre de professeurs, chacun desquels lui avait enseigné, comme dans un puzzle, une partie de sa spécialisation et, grâce aussi à l'utilisation de la grande chimio ordinatrice, il avait réussi brillamment à surmonter les examens finaux. Pour les trois de chimie, physique et mathématique, étant considérés comme 'normaux' à Kallitala, il n'y avait été aucun problème, mais le plus difficile de tous, qui avait comporté un engagement à la limite de ses capacités intellectuelles, avait été cela de l'histoire de peuples de la Terre avec leur culture et, petite cerise sur la tarte, l'apprentissage de la langue chinoise, qui maintenant il parlait et écrivait à la perfection.

Phèdre lui avait manqué beaucoup. Et, considéré que s'il l'eût rencontrée à Poséidon, ils se seraient sautés au cou pour le bonheur, en donnant spectacle, vu comme peu convenable par les habitants de la Capitale, ils s'étaient mis d'accord de s'embrasser dans la maison de Achelais. Paris y aurait accompagné Enée avec sa voiture. Quoique ayant déjà commencé à faire préparer les documents pour le mariage, il n'eût lui pas octroyé suffisamment de temps de sorte que cette union se produisît régulièrement, étant donné qu'il devait partir dans trois jours, raison pour laquelle Énée avait décidé d'en passer deux avec Phèdre et sa famille et le dernier à Poséidon pour prendre en consigne le matériel à s'emmener avec, y compris l'argent en monnaie américaine, accepté dans tout le monde extérieur.

Mais comment les Hellènes réussissaient à se procurer les dollars américains, de même aussi, lorsque c'était nécessaire, d'autres devises ?

On lui avait expliqué Diomède, professeur d'économie et de finance. Lorsqu'on avait besoin, venait expédiés dans le monde occidental plusieurs bateaux de pêche avec leurs équipages, composés pour chacun d'une douzaine d'Hellènes, à décharger et à vendre des lots importants de produits de la pêche plus précieux, tels que les dentés, l'espadon et, en particulier, plusieurs crustacés, ces derniers très appréciés par les hommes, disposés à le payer à n'importe quel prix. Personne ne faisait pas attention à la généralité des pêcheurs, qui vendaient en bloc, encaissaient rapidement l'argent en espèces et, avant que quelqu'un se souciât d'eux, ils étaient déjà partis pour une autre opération marchande, mais allant pour décharger et à vendre dans un autre port. Le transfert de ces bateaux de pêche, compte tenu de la distance de Kallitala de la côte américaine, s'agissait pendant la nuit, presque sur le poil d'eau, grâce au transport super rapide avec les aviolobes-cargo et ainsi pour le retour. Évidemment le poisson venait pêché dans les eaux riches qui entouraient l'île-continent. De sorte que, au fil du temps, le 'trésor' du gouvernement de Kallitala s'était enrichi de sommes hyperboliques, par conséquent il n'y avait aucune limite de dépense, plutôt d'espace pour transporter tous ces billets de banque dont la valeur de chacun ne dépassait pas les cent dollars. Toutefois, lorsque Enée exprima la crainte de la façon de s'apporter cet énorme butin, fut Pausanias en personne à lui expliquer le mystère. Le Calotex, en outre à être un matériel indestructible, repoussant à l'eau dans laquelle il ne sombrait pas, avait la propriété de réduire le papier comme n'importe quel tissu, de plus de mille fois.

Y enfiler un milliard de dollars était un jeu, ainsi que tous les vêtements qu'auraient servi pendant la permanence dehors de Kallitala que, contrairement à l'Hellène qui avait pris sa place, dont la plaque monument ressortait dans le cimetière de Poséidon, comme mémento du premier et plus grand héros de la patrie, après avoir été le sosie du vrai Henry Campbell pour une assez courte période au cours de sa vie tranchée à l'âge vert de seuls trente-deux ans. Combinaisons de costumes ou vestes avec pantalons, chemises et chaussures, cravates, culottes, chaussettes et sous-vêtements : cela semblait un rêve, tout avait été soigneusement rangé en ordre et, dans un compartiment spécial, aussi insérés les panneaux solaires de démonstration et deux séries de mirillinis pour un éventuel leurs usages en cas de besoin, en outre à toutes les dotations nécessaires pour un long séjour dans le monde pollué. Et, merveille des merveilles, la mallette ne pesait pas plus qu'une équivalente qui habituellement s'apportait un normal homme d'affaires.

Énée, désormais transformé en un Hellène, quoique dût se présenter dans une autre partie du globe comme l'ingénieur Henry Campbell ressuscité, il aurait maintenu tous les sens aiguisés qui qu'il avait assimilés à Kallitala, essentiels pour se prémunir contre les pièges et, si nécessaire, se défendre contre d'éventuelles attaques, en particulier la vitesse de déplacement simplement en marchant, grâce à la légèreté du corps et à l'invention techno chimique mise au point notamment pour cette mission sur la base de ce qui était arrivé à leur premier messager du salut, qui lui avait été inséré sous la peau : un Kériosmate renforcé. Une sorte de petit moteur à impulsion chimio sensible qui réagissait aux essoufflements de l'utilisateur, le faisant disparaître immédiatement dans l'espace, juste le très court temps afin de désorienter l'ennemi.

Seul un bref signe d'entente avec Paris, chose inusuelle, étant donné qu'ils ne se voyaient pas depuis trois mois et puis, en voiture en direction de Anticire, tel étant le nom de l'endroit où était la campagne des Achelais. Paris était étrangement silencieux. Enée crut que cela serait dû à la manœuvre difficile pour sortir de Poséidon, mais quand ils entrèrent dans la grande autoroute qui dépassait les basses collines pour s'avancer dans la plaine, il s'émerveilla que son futur beau-frère, habituellement toujours discursif, ne dît pas une parole.

"Quelque chose te tracasse, Paris ?" il demanda, une fois atteint la vitesse de croisière, qui en moins d'une demi-heure les aurait conduits à destination.

        Paris le regarda avec une expression triste, de sorte que Enée insista en lui demandant si par hasard s'était produit quelque chose de grave en famille.

        "Il s'agit de toi, mon ami Henry," il répondit. Désormais il s'était collé à ce nom et ne lui arrivait pas spontané de l'appeler avec cela de l'ami disparu.

        "Moi, mais qu'est-ce que tu dis ! Qu'est-ce que je n'aurais jamais fait moi, si depuis trois mois je suis resté tout le temps dedans le palais du Grand Conseil ?"

"À Dieu ne plaît, mon ami ! Tu n'as fait rien de mal et puis, depuis que tu es devenu Hellène, sauf donner une grosse déception à Phèdre…"

"J'aime ta sœur et je préférerais mourir plutôt que de lui donner une douleur. Entendrais-tu dire qu'elle n'approuve pas ma participation à la mission ?"

"Cet engagement, je t'assure, il a le consentement de n'importe quel habitant de Kallitala. Il s'agit d'une question qui, quoique se présente insoluble pour un Hellène par naissance et à toi, au contraire, donne quelque garantie de succès, à nous tous les Achée lais apporte tant de tristesse et ne trouve pas l'approbation de Phèdre. Mais ne crois-tu pas que cela soit dû au renvoi du mariage. Ma sœur, qui t'aime à la folie, elle craint que tu ne reviennes plus chez nous."

"En outre de disposer de plus d'équipements de mon prédécesseur, je connais mieux que vous toute l'âme humaine et mon choix de réapparaître en Chine plutôt qu'en les États-Unis, cela assure la bonne réussite de l'opération 'panneau solaire'."

"Mais pourquoi juste en Chine ?" eut à répliquer Paris, avec une note de désespoir. "Un territoire si vaste et avec un nombre infini d'habitants…"

"Tous des travailleurs, qui depuis des siècles luttent contre les adversités pour survivre et ils ne sont pas habitués, comme les Occidentaux, au confort et aux commodités. Ils n'ont pas, en effet, un besoin particulier, au moins dans l'immédiat, de l'utilisation du panneau solaire, puisque la motorisation dans leur Pays est à peine au début, sauf dans les grandes villes, mais sois-tu sûr qu'ils iront tout de suite comprendre son importance commerciale."

"Qui serait cela de construire et d'exporter…"

"Des véhicules à moteur électrique alimentés par le panneau solaire."

"De cette façon, cependant…" objecta Paris, "les Pays pauvres ne seront pas en mesure de les acheter."

"Je poserai la condition que chaque lot de cent mille véhicules vendus, que mille soient destinés gratuitement à eux."

"Et aux producteurs de pétrole ?"

"Qu'ils se débrouillent. Du reste, ils ont drainé les richesses du monde industrialisé. Depuis leur état de Bédouins pauvres, ils sont devenus riches comme des Crésus et ont mal employé l'argent empoché. Je ne fais aucune référence spécifique, mais certains d'entre eux alimentent indirectement le terrorisme, se tâchant des crimes horribles dus à la haine qu'ils n'ont jamais réussis à vaincre contre les civilisations démocratiques, malgré ces dernières mêmes soient corrompues par le dieu argent."

"Dommage que tous les grands fabricants d'automobiles, des avions, des navires et des véhicules en genre, parmi lesquels on compte les marques célèbres, devront suspendre l'activité de leurs usines…"

"Cher ami Paris…" fit Enée affectant le visage d'un sourire sarcastique, "cette-ci est la confirmation que tu ne connais pas les hommes. Dès qu'ils seront mis en circulation les véhicules construits par les Chinois, tu verras comment ils se donneront pour faire ! Mon plan est juste ça. En achetant un véhicule chinois équipé d'un panneau solaire, ils se tiendront le panneau et l'adapteront à leurs moteurs et carrosserie et sois-tu certain, ils y apporteront des améliorations techniques et électroniques telles à allécher les nouveaux acheteurs de voitures de luxe et sophistiquées. Tout reviendra comme auparavant, du point de vue commercial, avec la différence que la pollution subira une chute vertigineuse."

"Il n'y aura, j'espère, l'éclatement d'une guerre !"

"Les Chinois sont plutôt durs et, confiant sur la temporisation des producteurs de pétrole et de l'indécision des pays industrialisés, ils réussiront à placer les cent millions de véhicules équipés de nos panneaux solaires. Ensuite, s'ils maintiendront des positions trop intransigeantes, c'est probable qu'éclate une guerre mais, comme le sais-tu bien, cela ne sera pas atomique."

"Ils vont mourir tant d'êtres humains…"

"Nous ne pouvons rien faire à ce sujet. Est dans leur nature de se tuer. La bête humaine est toujours en guet-apens dedans eux," dit Enée en soupirant. "Peut-être, si nous puissions agir sur chacun d'eux en inoculant cette petite modification à un codon d'ADN…"

"Les laboratoires de chimie de Kallitala ne réussiraient pas à produire une quantité suffisante d'adusbraline."

"Ah ! C'est comme ça qu'on l'appelle ?"

"Oui et, étant donné que son principal composé provient d'une substance produite par le corps hellène qui la crée une seule fois dans sa vie, nous en avons une réserve minimum que nous devons utiliser en cas d'urgence, comme cela s'est déjà produit jadis, "et, faisant signe à Enée ne pas l'interrompre, il ajouta : "On n'a mêmepas envisagé le plan de produire cette substance avec un processus chimique. Nos scientifiques peut-être y réussiraient, mais il faudrait au moins deux ans pour atteindre une production consistante."

      "Comme avec les panneaux solaires, non ?"

   "Certainement et, surtout, le moyen pour les transporter. Cet énorme navire sous-marin… Pour sa construction nous avons employé une année entière, en utilisant des ressources minérales importantes. En somme, ami Enée, dépêche-toi parce que Kallitala n'est pas une réserve inépuisable. La construction d'outre un milliard de panneaux solaires a presque épuisé nos réserves, en particulier celles de diamants, du cuivre, de la bauxite et du tungstène."

"Pourquoi, l'or, non ?"

"L'entreprise pour laquelle Phèdre travaille, comme tu sais bien, l'extrait de la mer, pompant l'eau sur les limites de notre territoire désormais exploité et la production est toujours en croissance. La construction de panneaux solaires n'a même pas entamé nos réserves, qui s'élèvent à cent millions de tonnes."

"J'ai lu dans les dispositions à moi consignées par Pausanias, que je dois récupérer ces minéraux précieux qui chez nous commencent à diminuer. Voici une raison pour laquelle je réapparaîtrai en Chine. C'est le seul régime qui n'octroie pas si facilement à son peuple de détenir de l'or et des bijoux en genre, quoique disposant d'énormes réserves de diamants. Il ne sera lui pas difficile de nous procurer également du cuivre et de la bauxite, tandis que le tungstène…"

        "Il sera difficile d'en avoir ?" demanda Paris, qui fronça les sourcils.

        "Pas du tout. Ma requête de tel matériel le fera simplement sourire. L'utilisation de ce métal vient progressivement abandonnée au profit d'autres composés qui sont en train de remplacer les filaments des lampes pour éclairage."


15 -    LE DEBARQUEMENT DU  SARGASSE

 

 

Quand même on lui eût dit et illustré, en plus d'une image sur l'ordinateur, Henry ne se serait jamais imaginé que cela fût si grand. Sa forme fuselée le faisait sembler un sous-marin de la classe des ceux atomiques en équipement à la Marine des États-Unis, mais le Sargasse, tel était son nom, non seulement avait une longueur dix fois supérieur et une largeur quadruple, mais il disposait de dix ponts, en huit desquels étaient systématiquement rangés les panneaux solaires qu'auraient été déchargés sur la côte de la Chine avec un système très original. Un très long bras comme une fausse passerelle qui serait sorti de la mer de façon de ne pas se faire apercevoir le grand sous-marin, aurait chargé les cent énormes canots pneumatiques qui pouvaient en transporter trente mille chacun. De sorte que, une fois mis à point les accords avec le gouvernement chinois, en moins de trois jours, travaillant jour et nuit, le premier milliard de panneaux aurait été déchargé, les canots rentrés sous l'eau - les derniers deux chargés, le premier de dix tonnes soit de tungstène que de cuivre et le deuxième de vingt tonnes de bauxite et cinquante kilos de diamants pour usage industriel, quoique chacun non inférieur à moitié carat. Ensuite le Sargasse, avec l'équipage au complet, aurait repris la route du retour à Kallitala, restant à l'ancre au large du port de Poséidon, à la disposition du nouvel Archonte pour être ou moins chargé avec d'autant panneaux, après leur construction avec les matériaux récupérés, en plus de ceux qui, naturellement, se trouvaient en abondance sur l'île-continent.

        Une autre surprise attendait Henry. Cela regardait le moment de son débarquement. Qui aurait été secret grâce au cheriosmate lui inséré sous la peau, qui lui aurait donné la faculté de se déplacer la nuit d'un aviolobe sur une barque chinoise flottant sur le fleuve Yangtze et, de là à l'Hôtel de la Paix de Shanghai. Cet aviolobe avait des caractéristiques tout à fait particulières. Ses dimensions étaient celles d'un petit avion de reconnaissance, mais sans ailes, qui cela pouvait transporter un passager en plus du pilote et il volait à l'intérieur d'un champ magnétique, de façon à n'être pas détecté par un n'importe quel instrument humain et ceci aurait couvert les huit cents milles entre le Sargasse et la ville chinoise en seulement cinq minutes. En fait, il n'ayant pas à contraster l'air, il pouvait voler en absence de poids comme les satellites font dans l'espace en arrivant à dépasser la vitesse de plus de trente mille kilomètres à l'heure.

        Enée-Henry, avait eu l'intuition, lorsqu'il avait été accompagné à visiter l'aviolobe, que ces deux sièges passagers derrière le poste de pilotage, doivent été insérés à la dernière minute, car habituellement dans ce type d'avion y avait un seul poste qui venait pris par le second patrouilleur. Il n'avait pas, toutefois, posé des questions embarrassantes à Héraclide, le commandant du Sargasse, en dépit qu'il lui eût démontré toute sa sympathie.

        L'instinct humain qui était en Henry l'avait découragé pour le faire, de peur qui lui dît ce qu'il envisageait et que, selon son avis, il aurait bouleversé ses plans. Seulement quand vint l'heure de s'embarquer sur l'avion, il s'aperçut d'en bas que le pilote venait de parler avec quelqu'un derrière son siège. Henry s'apprêta à gravir les marches de l'échelle très lentement, tandis qu'il réfléchissait avec le cœur en tumulte qui pourrait être cette personne. Si un préposé au contrôle qui donnait les dernières explications au pilote ou… Mais pourrait-il jamais être ?

        Henry prit sa place, avec quelques difficultés, sur le siège étroit et, immédiatement après s'y être installé, il reçut une légère tape dans l'épaule. Il se retourna et se trouva en contact avec un homme de taille robuste qui mal s'adaptait au petit siège sur lequel, plutôt qu'assis, il restait accroupi en telle manière que ses cuisses en débordaient envahissant tout l'espace libre, qui l'accueillit avec un sourire séduisant se dégageant d'un visage à la mâchoire carrée.

        "Bonjour ami Henry Campbell," il s'entendit dire d'une voix de stentor, "je suis Melésigène, ton compagnon de mission." Et, à la tentative d'Henri de répliquer, il ajouta : "Naturellement, au cours de notre séjour dans le monde des humains, je me conduirai comme un Américain étant donné que, comme à toi, on m'a changé le nom en Lloyd Clodell. Tu sais, pour les Chinois il sera plus facile à le prononcer."

        Après avoir dégluti pour la surprise, Henry, confus par une foule de pensées pour s'adapter à la nouvelle situation, émit un laconique : "Bonjour !" exagérant son attention à s'installer dans l'étroit espace qui avait été lui laissé. Ne trouvant pas assez place pour la ranger, il dut s'appuyer la mallette en Calotex sur les genoux et tandis que l'aviolobe se détachait du Sargasse, qui avait été exprès fait remonter à la surface, il réfléchit sur l'inhabituel fait qui démontrait la non pleine confiance que le nouvel Archonte mettait en lui.

        ' Peut-être… ' Il eut à se dire, ' m'étant resté quelque chose d'humain, je viens de me conduire selon mon ancienne nature, spécialement avec la remarquable somme d'argent que j'ai dans la mallette ensemble à tout l'équipement technique biologique et aux trois panneaux solaires de nouvelle conception. Ils doutent que ma modification génétique ne soit encore parfaite. Ils se trompent !' Conclut-il avec une tape sur la cuisse, attirant l'attention de Melésigène, qui ne se faisait échapper rien du comportement de son compagnon de mission.

        Mais il semblait que celui-ci dût s'attendre chaque et n'importe quelle réaction de mépris par Enée et il avait été instruit à la perfection grâce à l'ordinateur de bord qui était connecté avec Protée. Pendant la navigation, assez longue, étant donné que le commandant de l'énorme sous-marin avait préféré doubler le Cap de Bonne Espérance au lieu de passer au-dessous de l'orageux Cap Horn, Melésigène ne s'était jamais révélé à Enée, mais il était resté dans sa cabine pour recevoir des instructions par le super-ordinateur de Poséidon. Le repas du soir lui venait servi par une jeune femme de chambre spécialement choisie pour ce service. Sur le Sargasse le personnel navigant était mixte et rien ne justifiait la nette division entre hommes et femmes, non seulement en vertu du fait que tout le monde avait son propre logement privé mais, surtout, parce que cela était contraire à la manière de vie hellène. Ils n'existaient pas des préjudices qui justifiassent l'infériorité d'un sexe sur l'autre comme arrivait un peu trop souvent parmi les humains et la femme détenait une égale dignité et les fonctions d'un homme. Tous les deux interagissaient avec pour la meilleure réussite de leurs engagements. Le commandant du Sargasse était un homme seulement parce qu'il avait acquis une expérience dans le domaine plus qu'un autre de ses similaires, mais son second était une femme et c'était pareil parmi les autres membres de l'équipage, chacun desquels n'avait pas un degré, mais plutôt une tâche spécifique. La façon d'exposer le propre degré en public, en dehors de ses fonctions, était considérée peu démocratique parce qu'à Kallitala n'existaient pas les hiérarchies sociales.

        Henry ne resta pas trop à déplorer le fait qu'ils lui eussent donné un compagnon, mais tandis que l'aviolobe s'approchait à sa destination, il étudia à l'aide de l'ordinateur portable à mirillinis un nouveau plan pour la présentation aux Chinois et, dès qu'ils eussent fait descendre, non vus, sur une barque déjà prédisposée au milieu du fleuve Yangtze, il s'accorda avec Melésigène - que désormais il aurait appelé Lloyd - chaque manœuvre future qu'il pensait pour effectuer, en recevant l'approbation inconditionnelle.

 

ΩΩΩ

 

        Ils abordèrent dans une anse déserte du fleuve à quelques kilomètres de Shanghai et, grâce au Kériosmate, ils se trouvèrent en face de l'Hôtel de la Paix, chacun avec sa propre valise. Seulement Henry avait la mallette en Calotex, sa valise étant vide, mais alourdie pour faire croire que dedans y fussent ses choses personnelles. C'était évident que Lloyd avait été instruit dans le seul but de le défendre contre des éventuelles embuscades dont avait été victime le vrai Enée des Anchises, quoique fût encore latent en Henry le soupçon que, en plus de cela, Melésigène lui fût mis à ses trousses afin que, une fois dans son élément primordial, n'eussent pas prévalu en lui ses instincts d'homme. Soit l'argent qu'il s'emmenait avec ainsi que les trois panneaux solaires, auraient représenté pour n'importe qui la possibilité de devenir riche et puissant.

        Tout semblait parfaitement organisé parce que, comme ils se manifestèrent tous les deux devant l'entrée du renom hôtel, deux jeunes préposés pleins de bonne volonté et très courtois firent signe s'ils pouvaient prendre les valises et, une fois obtenu le consentement, ils leur firent chemin vers la magnifique entrée du grand hôtel.

        Les formalités furent parmi les plus expéditives et même pas un sourcil de deux commis à la réception s'arqua lorsqu'ils eurent en main les passeports des deux Américains auxquels vint assigné l'appartement de l'Impératrice, ainsi avait été baptisé ce logement de luxe. Cinq minutes plus tard, Henry et Lloyd s'y installèrent. Déjà tout prédisposé par Protée, la chimio ordinatrice de Poséidon, chacun si dirigea vers la partie assignée, étant donné que l'appartement impérial était composé de deux chambres somptueuses, chacune avec deux salles de bains en plus d'une élégante salle séjour de luxe, ayant en commun un salon de réception et une salle à manger. Choses du tout inutiles pour les deux occupants qui s'étaient présentés comme des hommes d'affaires qui n'avaient rien à voir avec une représentation plus diplomatique que commercial. Cela, au moins, avait pensé Henri dont dans son âme flottaient encore quelques sentiments humains, n'ayant pas tenu en compte, cependant, de ce qui avait prévu Protée.

        La chose plus appropriée. En fait, à peine une heure après, juste le temps que chacun d'eux eût rangé ses affaires et se fût rafraîchi, le téléphone vert à la tête du grand lit d'Henri, appareil qui se distinguait de l'autre couleur neutre dont les dérivations étaient éparpillées un peu partout dans le vaste appartement, trilla d'un son argentin, mais d'une intensité assez discrète.

        C'était un fonctionnaire de la grande usine métallurgique Whang Rong Automobiles, encore détenue par l'État chinois, qui demandait la confirmation, comme convenu, si dans l'après-midi à trois heures la délégation exécutive de son entreprise pouvait être reçue. Henry donna son assentiment. Le programme prévoyait la démonstration du fonctionnement du panneau solaire sur un moteur électrique que les ouvriers de l'usine automobile auraient installé dans le salon et, après avoir pris les accords préliminaires du cas, ils étaient tous invités au dîner de bienvenue, comme avait été prédisposé par la direction de l'hôtel selon les dispositions des deux importants hôtes.

        Lloyd Clodell se conduisait plus comme un garde-corps d'Henry que comme négociateur. Il ne le laissait pas un instant, de peur que l'ancien humain se fît prendre au dépourvu par l'avidité et la méchanceté des hommes. Il ne se retira même pas pour se reposer, sauf le temps nécessaire pour des hâtives ablutions, dans la zone de l'appartement lui assignée.

        " Lloyd, parce que tu restes ici avec moi ?" demanda Henri, en remarquant une certaine mauvaise humeur.

        "J'ai reçu l'engagement spécifique de ne pas te laisser pour un instant. Ne te fâche pas, ami Henry. Ce n'est pas par manque de confiance que l'Archonte m'a choisi comme ton compagnon, mais pour l'expérience que le pauvre de Enée des Anchises a dû essayer jusqu'à son extinction."

        "Mais ici nous sommes en Chine, Lloyd. Cet environnement n'est pas infesté d'espions et contre espions et, surtout, par des journalistes trop envahissants."

        " Le crois-tu vraiment ?" répondit le géant. "Rappelle-toi qu'aux sommets du monde des humains y sont toujours les plus rusés, les plus malins et les plus avides et non pas, comme chez nous, ceux qui servent le Pays pour idéalisme."

        "Nous sommes ici en paix à offrir à ce peuple de gens modestes et laborieux la possibilité d'exporter leur travail dans le monde entier à des prix très abordables. De sorte qu'en peu de temps nous réussirons à couvrir tous les besoins de l'humanité au sujet de véhicules à propulsion électrique et donc antipollution."

        "Cette ville que nous avons observée presque entièrement de la barque sur le fleuve, est une métropole moderne qui peut tenir la confrontation avec New York et autres grands centres urbains du monde occidental. Avec quels capitaux penses-tu que les chinois l'eussent construite ?"

        "Voulons-nous dire avec ceux occidentaux ?" répondit d'un faire moqueur Henri et, ensuite, très sérieux : "Oui, d'accord. Il y en a même des Américains et, en général, de tous les pays plus industrialisés. Mais il s'agit des accords commerciaux qui n'ont rien à voir avec l'industrialisation de la guerre comme dans mon ancien pays."

        "Écoute-moi, mon ami Henry. Quand même nos opérations soient rendues plus faciles en Chine plutôt qu'aux États-Unis, même ici tu doives tenir compte des intérêts opposés à la mise sur le marché de véhicules qui ne brûlent pas de combustibles à base de pétrole. Et je suis ici pour cela. Pardonne-moi si ma présence continue te coûte."

        "Mais qu'est-ce que tu dis, Lloyd ! Je ne voulais pas signifier ça. Seulement que…" Henry se tut parce qu'il savait que si eût continué sur cet insidieux argument, il aurait dévoilé son désir d'être le seul deus ex machina de l'opération ‘panneau solaire'. Justement ce peu du vaniteux instinct humain qui lui était resté vint à la surface de son esprit comme si, une fois l'opération conclue, son nom dût être perpétué comme sauveur de l'humanité. Si cela ait été deviné par Phèdre, sûrement elle ne l'aurait plus épousé et Pausanias après, peut-être il se serait fait promoteur d'un adéquat châtiment, quoiqu'on ne s'arrivât pas au fait extrême de l'envoyer définitivement à Boadicée…

        Le coup de sonnette du téléphone principal l'enleva de l'embarras, quand déjà Lloyd venait de l'observer avec une certaine intention inquisitoire.

        Le directeur en personne se permettait - authentique expression - de l'avertir que la délégation de l'industrie automobile chinoise, à peine arrivée au complet, attendait dans le hall que sa seigneurie, ingénieur Campbell, donnât son consentement à la recevoir.

        "Un moment…" fit Henry coupant la communication et, s'adressant à Lloyd, "pourrais-tu aller vers les ascenseurs à recevoir les invités qui sont en train de monter ? Pendant ce temps, je…" et, comme Lloyd hochait la tête, il réactiva la communication téléphonique, et, "Monsieur le directeur, dites-leur que je suis heureux de les recevoir dans mon modeste logement." Avec ça démontrant pour avoir bien appris les manières habituelles du mode de vie chinois.

        Ils étaient six personnes et Henry ne s'en émerveilla pas du tout. Les Chinois avaient toujours donné une grande importance aux grands nombres. Lorsqu'ils se présentèrent, deux d'entre eux eurent la complaisance de se présenter comme émissaires du gouvernement, ne faisant pas part, donc, de la délégation de l'usine Whang Rong, dont le directeur technique, ingénieur Wangfujing, un homme dans la cinquantaine qui sortait du moule classique du chinois type, étant grand à peu près comme Henry et beaucoup plus des autres cinq membres de la délégation. Ce directeur avait les traits somatiques plus européens qu'orientaux et la couleur de son teint, notamment sur son visage bien portant, d'une couleur nettement brunâtre, il pria son assistant de faire introduire dans l'appartement les quatre ouvriers qui attendaient dans le couloir, lesquels                                                                                                                                                                     transporté une lourde palette, de la taille d'un grand réfrigérateur, contenant un puissant et moderne moteur électrique.

        Les quatre petits hommes entrèrent dans la salle et en silence et avec habileté ouvrirent le conteneur à panneaux amovibles, en ôtant la bâche de protection d'un moteur de la taille d'un tour d'établi.

        Les deux délégués gouvernementaux se placèrent aux extrémités du moteur, tandis que l'ingénieur Wangfujing donnait des instructions à ses trois subordonnés, parmi lesquels il y en avait un, probablement son assistant, qu'il appelait avec une note plus cordiale, Lin Pao. Juste ce dernier joignit les prises du courant électrique du moteur électrique à un gros transformateur et d'ici il fit entrer la fiche dans une prise électrique du salon. Parmi un petit sourire entre l'ironique et l'amusé, reçu l'assentiment du principal, il appuya sur le bouton de l'allumage et lorsque le moteur commença à tourner lentement, comme s'il voulût démontrer la chose plus évidente à un enfant, il fit tourner de deux déclics le rhéostat afin d'augmenter la vitesse au maximum.

        "Très bien ! J'imagine qu'avec cette opération vous voulez me démontrer que votre moteur fonctionne à la perfection," Henry dit tranquillement, mais avec une légère pointe d'ironie. "Maintenant vous pouvez débrancher l'alimentation et enlever ce transformateur que je considère comme inutile pour l'expérience qui j'irai exécuter." Puis, montrant ce que tout le monde avait cru un petit tableau, auquel personne n'avait pas donné importance pendant le temps qui était resté exposé sur une console, il dit, en attirant l'attention de toute l'assemblée : "Voilà, ici. Ceci est le panneau dont j'avais vous fait mention. Drôle, n'est-ce pas ?"

        Les Chinois, moins le directeur technique, ils rirent en babillant, reprochés tout de suite par leur chef qui s'approcha à Henry auquel il demanda le panneau. Il l'observa attentivement et écarquilla les yeux quand il vit disparaître l'image naïve. Puis, comme un aveugle, le tâta partout, se le tourna dans les mains, l'examina soigneusement avant et arrière et, ne réussissant pas à dissimuler sa déception de n'y avoir pas découvert un truc ou un remaniement, il le rendit à Henry.

        "Vous, ingénieur Wangfujing, n'êtes-vous pas vraiment Chinois ?"

        "En tant que citoyen, j'en suis sûrement, mais ma mère était eurasienne, exactement de Mashad dans le nord-est de l'Iran. Pourquoi me pesez-vous cette question, ingénieur Campbell ?"

        "Seulement pour votre taille et la couleur de la peau, qui ont suscité ma curiosité. C'est tout."

        Lloyd, instruit sur les opérations à accomplir, demanda aux invités de se placer soigneusement autour du moteur électrique, puis, en appuyant le panneau sur le plat au-dessus du rotor de la machine, le relia électriquement au moteur et ensuite il se mit de côté dans l'attente des instructions de Henry. Qui, en regardant bien dans les yeux de tous les Chinois, à la fin fixa son regard sur ceux du directeur technique. "Ingénieur, à vous le privilège d'appuyer sur le bouton d'allumage."

        L'ingénieur Wangfujing s'approcha au moteur et, avec une légère crainte, d'abord posa légèrement le doigt sur ​​le bouton rouge en regardant les présents, puis, presque ayant honte de son incertitude, le poussa décidément et la machine électrique démarra. Tout le monde, à l'exception d'Henry et de Lloyd, ils se regardèrent autour, si par hasard il y fût un fil électrique caché qui reçût le courant électrique de l'hôtel. Mais n'ayant rien découvert, en particulier les deux fonctionnaires du gouvernement qui n'eurent même pas la pudeur de se faire entrevoir pour fouiller même sous le grand tapis ni de soulever les rideaux si derrière fût une connexion électrique quelconque, le directeur technique de la Whang Rong Automobiles, il commença à tourner le curseur pour augmenter la puissance du rotor qui atteint bientôt sa vitesse maximale.

        "Assez, ingénieur !" presque cria Henry, lorsqu'il s'aperçut que le chinois venait de faire déclencher le curseur d'une entaille de plus. "Le moteur est déjà au maximum, si vous augmentez encore, pourrait se fondre la bobine."

        En face des spectateurs restés bouche bée de ce qu'ils croyaient un miracle, Henry expliqua les caractéristiques du panneau qui, malgré dans un lieu clos ne se pût charger au mieux à cause du blindage des murs, il disposait déjà d'une charge de vingt-quatre heures, suffisant au fait qu'avant de s'épuiser, il pût récupérer l'énergie dépensée. Évidemment, si au moins une seule fenêtre du salon ait été ouverte… Toutefois l'utilisation de l'énergie pour faire tourner à vide une simple dynamo, était si peu qu'il aurait eu une autonomie quasi illimitée. Pour une voiture, cela aurait été bien différent, mais l'automobile, comme tout le monde sait, cours sur les routes en plein air et le panneau se serait 'nourri', soit des neutrinos que de la pollution terrestre.

        D'un faire ironiquement triomphant, l'un des deux commissaires du gouvernement, un certain Xuahn Li, sûr de mettre dans l'embarras les deux Américains, il dit : "Eh bien, Messieurs. Nous avons déjà préparé une voiture avec un moteur électrique, à laquelle on a enlevé les batteries. Voudraient leurs Excellences la faire marcher avec ce… Euh… Petit tableau ?"

        "Mais…" intervint l'ingénieur Wangfujing, "vraiment, le programme prévoyait une conférence de l'ingénieur Campbell sur l'utilisation du panneau solaire, de sa composition et sur de probables effets négatifs, que je sais… Sur les hommes ou sur l'environnement…" et, à un signe d'Henry qui voulait intervenir de manière décisive pour rebattre qu'il n'y aurait pas été d'effets indésirables, le directeur technique réussit à terminer la phrase. "Et, puis, le dîner qui scellera l'accord avec notre entreprise."

        "Ami Xuahn Li…" finalement put intervenir Henry, "je serais prêt à vous montrer comment mon panneau solaire pourrait faire marcher la voiture, mais, entre la sortie de l'hôtel pour nous rendre auprès de l'usine, qui est situé à la périphérie de Shanghai et effectuer cette énième expérience, s'écoulerait longtemps. Le dîner déjà prédisposé par l'hôtel sauterait et, en outre, comme justement a souligné l'ingénieur en chef, je considère très utile que je vous explique en détail les caractéristiques du panneau solaire, car il me semble que certains d'entre vous, en dépit qu'ils aient assisté à l'expérience, ils ne se sont pas encore convaincus. Je peux renvoyer à demain l'épreuve qui vous a demandé. Entre-temps…"

        "Entre-Temps ?" répliqua Xuahn Li.

        "Je vous énumérerai les conditions que je poserai à votre gouvernement, sans le précis et irréprochable respect desquelles, cet                                                          entretien sera servi seulement à nous connaître et…" ayant entendu les trois coups de sonnette du téléphone, "maintenant pensons-nous à goûter l'apéritif de l'Hôtel de la Paix, après quoi le dîner sera servi. Ne voudriez-vous pas le gâcher, non ?"


16 - CHAINE DE MONTAGE

 

 

Évidemment, le jour suivant l'expérience sur la voiture électrique, dépouillée de ses encombrantes quatre lourdes batteries, eut le succès prévu. Son moteur fonctionnant à la perfection, cette fois rendant les spectateurs exempts de n'importe quel doute sur la qualité de l'invention, le spécial panneau solaire vint laissé pour toute la journée sur la voiture, de sorte que les roues continuassent à rouler à pleine vitesse sur le chevalet sur lequel le moyen de transport avait été placé.

        L'ingénieur Wangfujing, de métis qu'il était, au contraire du tempérament chinois qui savait bien masquer les sentiments, se fit prendre par l'enthousiasme et demanda illico à M. Campbell de lui montrer le projet de nouveau moteur électrique, qui devait être de dimensions plus petites et plus puissantes, de sorte que la coque de la voiture vînt allégée en utilisant moins de matériel et, par conséquent, avec les coûts de production réduits.

        "Je ne suis pas autorisé à le faire jusqu'à votre gouvernement ne souscrira pas entièrement le contrat que j'ai avec moi," répondit Henry auquel, étrangement, Lloyd Clodell si mit au flanc comme s'il voulût le protéger d'une éventuelle agression.

        À ce moment intervint Xuahn Li. "Si vous ne pouvez pas le montrer, étant donné que je me suis aperçu combien vous tenez votre mallette tout près, pourrais-je savoir, au moins à grandes lignes, qu'est-ce que voulez-vous ? Vous savez, je dois en rendre compte à mes supérieurs."

        "Juste à grandes lignes, comme vous dites, M. Xuahn Li, j'en avais mention pendant le dîner. Toutefois, peut-être tout le monde distrait par la saveur de mets préparés par l'incomparable chef de l'Hôtel de la Paix, son attention s'est un peu relâchée."

        "Eh bien, pourrais-je vous les répéter, ingénieur Campbell," s'immisça le directeur technique de l'industrie Whang Rong, qui pensait à tort que Xuahn Li eût l'autorité de donner le signal immédiat à l'opération.

        "Merci, non, ingénieur," fit Henry. "C'est bon que maintenant que vous tous restiez à m'écouter très attentivement."

        Ils s'assirent dans le salon de réunions et Henry, invité à s'asseoir de côté du président et du directeur général de la société, avec tout près de lui le loyal Lloyd, ouvrit la mallette en Calotex et en sortit un deuxième panneau solaire derrière lequel il monta, avec une expertise très avisée, une série de mirillinis le transformant en un ordinateur. Quand même tout le monde l'observât d'une curiosité accrue, personne, même pas l'ingénieur Wangfujing, s'en émerveilla.

        "Le point principal, Messieurs…" commença à dire Henry dès qu'il recevait progressivement les informations de l'ordinateur, "est de sauver le monde de la pollution insensée qui a déjà dangereusement érodé sa délicate structure. Avec ça je voudrais me référer soit à l'air qu'à l'eau, mais je n'exclurais pas que, poursuivant à ce rythme, tout l'environnement se désertifie, de sorte que même les enzymes qui rendent le terrain fertile pour la culture de ces plantes qui se transforment en nourriture, viendront à nous manquer. Nous…" il poursuivit, "et avec ce mot j'entends une institution dont je ne voudrais pas préciser quoi que ce soit, raison principale pour une éventuelle rupture de l'accord si n'importe quelle personne voulût s'enquêter sur ce qui soit et d'où moi et mon assistant nous venons, nous voulons sauver la planète et, avec elle, tous les êtres qu'y vivent. Nous avons choisi votre peuple que nous considérons, en outre que grand, industrieux et moins impliqué dans les intérêts pétroliers de tous les grands pays industrialisés du monde. Le panneau à neutrinos solaires, dont vous avez pu constater le potentiel, est un élément indestructible et impossible à être fabriqué par qui ce soit, sauf par ceux qui l'ont conçu et assemblé. De sorte que nous sommes disposés à en fournir jusqu'à deux milliards d'exemplaires afin de pourvoir aux besoins de n'importe quel propulseur qui soit une simple machine, un avion ou une installation électrique qui fasse fonctionner un atelier ou même, une entière grande usine. Nous avons calculé que dans le monde circuleront, d'ici à dix ans, au moins huit cents millions de voitures particulières. Le restant milliard et deux cents millions de panneaux solaires seront utilisés pour toutes les autres activités qui, elles-mêmes, iront croître au fil du temps. Par conséquent, nous prévoyons, en plus de ceux dont nous disposons maintenant, d'en fournir une autre tranche d'un milliard d'exemplaires."

        "Toujours à nous, non ?" Encore une fois, l'indiscrète Xuahn Li.

        "Ce n'est pas dit," répondit Henry. "À ce point, les extractions de pétrole se seront arrêtées et la mentalité des dirigeants des grandes nations se sera modifiée. Pensez-vous un peu comment sera meilleure la vie dans ces temps et, j'en suis sûr - mais c'est ma personnelle opinion - ne se produiront plus des attentats terroristes parce que ceux ne seront plus pris en charge par personne."

        "Vous pensez que soient les grands capitalistes Arabes à le produire ?" fit Xuahn Li, en essayant d'orienter le débat sur la politique afin de tâter les intentions de cet homme étrange, américain même, qui venait d'offrir à la Chine, un Pays dans lequel s'était enraciné tout court le communisme et qui n'avait jamais exprimé beaucoup de sympathie pour les États-Unis, quoiqu'après la courte période du président Nixon, y eussent trissé des valides affaires commerciales.

        "Loin de moi l'idée de dire une telle chose, M. Xuahn Li," répliqua Henry. "Seulement que, il faut reconnaître qu'une assez remarquable quantité d'argent a tourné dans ces endroits, une partie duquel arrive, quand même pour de voies transversales, à certaines minorités fondamentalistes en colère. Celles-là, en effet, qui fomentent des soulèvements au nom de principes dépravés, lesquels non seulement ne rentrent pas du tout dans la religion islamique, mais sont de simples aberrations mentales, dignes d'examens psychiatriques minutieux et approfondis. Le dédain pour la vie des autres et de la leur, est un vestige de l'âge des ténèbres que l'homme a vécu peut-être dans le néolithique, quand son cerveau ne s'était pas encore assez développé…"

        Reçu, cependant, un discret coup de coude par Lloyd, il ne se rendit pas compte pour ne pas parler somme un Hellène, mais comme un homme et en plus avec une certaine veine polémique : "Messieurs…" il se limita à dire calmement et scandant bien les paroles de son frais accent chinois, "je vous demande humblement des excuses. J'ai dit des bêtises sur un sujet qui est en dehors de ma tâche. Revenons-nous pour parler de l'affaire des panneaux, s'il vous plaît."

        "Ah, alors," s'écria Xuahn Li. "Il s'agit d'une question d'affaires, donc. Et, de grâce, qu'est-ce que voudriez-vous en échange ?" il affirma, en regardant ses compatriotes avec ironie.

        "Croyez-vous vraiment que s'agisse d'un accord commercial ce que je viens de vous proposer ?" répondit Henri d'un ton vexé. "Je vous justifie, M. Xuahn Li, parce que vous voudrez faire une bonne impression envers vos supérieurs auxquels vous devrez référer, peut-être immédiatement après cette conférence informelle, en donnant votre opinion qui, à moins à entendre vos arguments, ne sera pas du tout à fait favorable." Il s'arrêta et épingla son regard sur le visage de tout le monde avec un froncement de sourcils tel que personne n'eût l'envie de répliquer. "Je vous assure que vous vous trompez et si les autres dussent en penser comme vous, même eux seraient tombés en erreur. Une erreur très grande, je vous l'assure."

        " Je crois fermement à ce que vous aviez dit, ingénieur Campbell," dit-il d'une petite voix aiguë, mais décidée, le président de la Whang Rong, jusqu'alors resté silencieux à écouter attentivement l'échange de vues. "Je souhaite que le camarade Dr Xuahn Li soit de mon avis et qu'il vous ait fait ces questions seulement pour sonder mieux vos intentions."

        "Qui sont, croyez-moi, Monsieur le président, entre les meilleures," répondit Henry.

        "Mais, c'est vrai, ne voulez-vous rien en échange ?" demanda timidement le directeur général, en dépit d'être soutenu par un regard complice de son président.

        "Bien entendu que nous voulons quelque chose," fit Henry, tambourinant sur la mallette en Calotex pour démontrer sa sécurité. "Quand même pour vous tout ça soit une bonne affaire et, dans la mesure où vous serez autorisé, même énormément rentable, puisque cette affaire pour la construction des moteurs électriques sera plutôt lourde. Car, pour leurs montages, selon les plans que je viens de vous consigner à peines signées l'accord avec votre gouvernement au complet, engagera vos ouvriers en une manière tellement massive, que vous serez obligé à adjuger ce travail aussi à des autres usines partout en Chine."

        "Mais qui nous garantit que nos moteurs avec votre panneau inséré, soient achetés ?" dit le directeur général, qui désormais se sentait en droit d'intervenir.

        "Vous irez créer des points de vente dans tous les lieux plus industrialisés du monde, faisant des démonstrations qui parviendront à des accords de franchise et, par conséquent, aux ventes."

        "Mais il nous faudra un énorme capital que le Whang Rong ne pourra pas supporter. Savez-vous combien coûte la création d'une succursale ? Une énormité, qui doit être multipliée par un nombre disproportionné de sièges dans le monde industrialisé. Nous n'avons pas ce capital pour démarrer, même si je dois reconnaître que nous irons en tirer un gain très remarquable. Et enfin, cher ingénieur Campbell, il faut tenir en compte de la construction de ces spéciaux moteurs électriques. Où prendre l'argent nécessaire pour acheter l'énorme quantité de matériel dont nous avons besoin ?"

        Henry répondit d'abord avec un sourire, toujours tambourinant les doigts sur la mallette, puis d'un faire résolu, étant donné qu'il s'attendait pour arriver à ce point, il dit : "Ce que vous êtes en train de me référer, c'est un problème que je résoudrai, ne vous inquiétez pas." Il voulait dire qu'il avait tout dans la mallette, mais il s'arrêta à temps. Qu'auraient pensé les Chinois, s'ils l'eussent vu sortir un milliard de dollars ?

        "Ne voudriez-vous pas me dire que vous l'avez déposé dans une banque chinoise sans que nous n'en sachions rien," intervint Xuahn Li, avec l'habituelle voix douceâtre.

        "Cher ami…" sourit Henry, "je ne voudrais pas étonner à l'excès cette assemblée, mais je préfère procéder par degrés. Maintenant, il est essentiel que l'accord soit soussigné par votre gouvernement."

        "Et s'il n'eût pas l'argent et tout cela fût une blague ?" fit tranchant Xuahn Li, s'adressant aux dirigeants de la Whang Rong. "S'il eût seulement ces deux panneaux qui nous ont montrés et non le milliard comme promis ?"

        "J'ai en promis une certaine quantité jusqu'à arriver à un milliard et si les choses seront réalisées avec soin et respect des accords, n'est pas exclu que vous viennent assignés même des autres centaines de millions. Ces panneaux à neutrinos solaires, ainsi que l'argent dont vous avez besoin pour organiser la distribution dans tout le monde, viendront au bon moment," répondit Henry benoîtement, démontrant une patience céleste.

        " Mais, je voudrais dire…"

        "C'est assez !" La petite voix sèche et vibrante du Président gela la salle. "Vous, Docteur Xuahn Li venez de dépasser chaque limite de la décence et vos insinuations sont en dehors de vos tâches. Laissons-nous que l'opération progresse. Le gouvernement chinois n'a qu'à y gagner. Ce panneau solaire est vraiment merveilleux et, même le simple fait que les amis ici présents se soient déplacés pour nous le montrer, pour nous c'est un gain, parce que comme vous affirmez, s'ils n'eussent pas de l'argent nécessaire ni du milliard de panneaux, dites-moi Docteur Xuahn Li, qu'est-ce nous y perdrions, hein ?" Et, en faisant couler le regard sur les visages de tous les spectateurs afin de découvrir toute réaction indésirable, le fixa dans les yeux de l'inspecteur du gouvernement. "C'est de la millénaire tradition la bienvenue courtoise que le peuple chinois a toujours exercée à l'égard de tout étranger, qu'en dites-vous ? L'avez-vous perdue de vue, par hasard ?"

        "Je vous demande pardon, Monsieur," répondit Xuahn Li baissant la tête. Puis, s'adressant aux deux hôtes : "S'il vous plaît pardonnez-moi, je me suis laissé emporter par mes devoirs d'enquêteur."

        "Il n'y a pas de quoi, cher ami," fit Henry avec un sourire libératoire. "C'était seulement une déformation professionnelle excusable. Veuillez-vous avoir la bonté de référer à votre gouvernement et le solliciter pour soussigner l'accord ?"

        "Je vais le faire illico aujourd'hui, quand j'arriverai à Beijing avec le Falcon de l'Armée."


ΩΩΩ

 

        À bord du Sargasse la vie se dévoilait au même rythme de toujours, quoique tout l'équipage - une centaine de personnes de deux sexes - ne se sentît pas à propre aise. On savait que les Hellènes n'aimaient pas particulièrement se promener en mer, une idiosyncrasie leur transmit par les ancêtres qui pour découvrir Kallitala avaient souffert pendant des dizaines et dizaines de jours de navigation dans une mer qu'ils avaient crue fût un enfer, tellement cela se présenta comme une expérience atroce et… Inconnue. Ni le composant de l'équipage pouvait compter, si la mission avait dû durer longtemps, pour un changement de personnel, car ils étayeraient les seuls qualifiés pour ce travail particulier depuis que tout d'abord Protée, la puissante chimio ordinatrice, puis le Grand Jury au complet et enfin la décision de l'Archonte, avait été délibéré que pour sauver la planète Terre, le peuple hellène devait donner aux hommes les panneaux à neutrinos solaires. Ils avaient eu le temps pour se dresser au cours de la construction et la préparation du moyen sous-marin sur lequel maintenant était en train de naviguer sous la surface de la mer de la Chine. Zone celle-là qui n'était pas particulièrement infestée par des sous-marins nucléaires américains, présents dans presque tous les coins du globe. Toutefois, le commandant Héraclide se tenait continuellement en alerte devant le panneau de contrôle de l'équipement spécial capable de détecter tout corps qui flottait autour d'eux dans un rayon de dix kilomètres.

        L'autonomie du Sargasse était illimitée. Ses quatre moteurs puissants et silencieux à énergie atomique produite par la fusion froide, gardaient le grand navire comme si ce fût la version miniaturisée de Kallitala. Les serres, créées spécifiquement dans les deux étages en dessous de celui de commandement et de logements pour le personnel, maintenues à une température constante de vingt-cinq degrés et avec une humidité idéale, trempées par une bruine nocturne d'eau enrichie de sels minéraux et vitamines, produisaient dans un mois des humains tous les produits de l'agriculture, en particulier fruits et légumes.

        Un système électromagnétique, placé dans la poupe du Sargasse, travaillait comme un chalut, seulement que son rayon d'action ne dépassait pas les trente mètres de profondeur, de sorte que le sous-marin pouvait s'approvisionner de poisson frais seulement en émersion. Dans ce cas, comme dans le petit aviolobe qui avait transporté Henry et Lloyd pour les déposer sur le fleuve Huangpu Jiang, venait créer une coupole magnétique sur le modèle de celle de Kallitala, afin de devenir indétectable par tout instrument humain à la fois naturel et électronique.

        La vie à bord venait rendue moins monotone par l'engagement de l'ensemble de l'équipage en train de dévoiler leurs tâches et, pendant les longues heures de repos, avec le dévouement à la lecture ou à la vision des films et des documentaires. Dans le sous-marin, dont les huit ponts inférieurs étaient chargés de panneaux solaires, il y avait aussi une salle de fitness équipée de tout avec un attenant champ de handball réglementaire. Cette spécialité sportive venait largement pratiquée à Kallitala et comptait sur plusieurs équipes dans toutes les villes de l'île-continent, qui se disputaient un championnat à différents niveaux. Ce sport de compétition comme tous les autres pratiqués par les humains, conciliait mieux, cependant, les relations sociales, parce qu'il donnait la manière au spectateur de suivre tous les tours qui se dévoilaient à quelques mètres des tribunes. En outre cela ne prévoyait pas une multitude de gens qui, pris par la passion sportive, auraient provoqué des mouvements brusques de foule, quoique involontaires, qui pouvaient produire des dommages aux personnes et choses.

        Dans le prolongement de la tour d'observation du Sargasse étaient rangés les deux aviolobes de reconnaissance, similaires à ce qui avait transporté Henry et Lloyd dans les environs de la ville de Shanghai. Ces avions, qui volaient à l'intérieur d'une bulle électromagnétique telle à les rendre invisibles soit aux yeux qu'aux machins technologiques inventés par les humains, ils avaient en plus la tâche d'intervention d'urgence dans le cas où les deux Hellènes, qui venaient de négocier avec le gouvernement chinois, ils devinssent les cibles à frapper ou enlever par les services secrets des majeures puissances industrialisées, producteurs de pétrole y compris. Ces moyens aériens étaient capables, une fois alertés par le système de sécurité du Sargasses, d'intervenir dans un délai d'à peine une demi-heure pour neutraliser avec la pulvérisation ciblée de Sapotran tout agresseur et embarquer les deux compatriotes pour les sécuriser.

        L'Archonte avait donné des dispositions précises afin qu'il n'arrivât pas la même chose qui s'était produite trois mois auparavant à Enée des Anchises, auquel avait été érigé un monument à la mémoire d'un héros du sixième siècle à peine commencé. Le calendrier de Kallitala marquait en fait la date de l'année six cent quatre.

        De sorte que les tours de travail de tout le personnel de l'énorme sous-marin, étaient organisés en manière de ne jamais perdre les contacts à travers les monitors avec Henry Campbell, l'engagement de Lloyd prévoyant seulement son intervention immédiate en cas de danger. Ce dernier ne devait jamais interférer sur les négociations qui devaient être menées exclusivement par le nouvel Enée des Anchises. Les monitors du Sargasse étaient reliés soit à Protée qu'au cela portable à mirillinis, à condition qu'Henry dans ces précis moments l'eût monté sur le panneau solaire. Pour les solutions d'émergence aurait été le cheriosmate qu'aurait donné l'alarme et indiqué la trace de soudains déplacements de deux Hellènes.

        Dans le dernier pont inférieur, c'était la grande salle avec les quatre puissants moteurs atomiques assistés par autant pompes qui, aspirant l'eau, la jetaient à travers les tuyères d'une telle force à imprimer à l'énorme bateau une poussée de plusieurs tonnes pour le faire naviguer à la fantastique vitesse de plus de trente-cinq nœuds à trois cents mètres sous la surface de la mer. Le système de navigation était parmi les plus sophistiqués, car la route venait tracée par la grande chimio ordinatrice et par un système d'un super radar qui peu à peu la corrigeait progressivement pour éviter tout obstacle quoique de petite taille, en particulier les semi-submergées grosses épaves ou les grands mammifères marins.


17 -    OPÉRATIONS EN COURS

 

 

"Paris, dis-moi. Es-tu sûr que Enée ait fait le meilleur choix ? Je crains que…"

        "Cette fois, ma chère sœur, il n'y a aucun risque. Le Sargasse a deux aviolobes très rapides qui peuvent intervenir pour le sortir de n'importe quelle entrave."

        "Le sortir d'une entrave ! Mais ici s'agit de sa vie, autre qu'entrave, Paris…"

        "La vie de… Allez Phèdre, n'es-tu en train d'exagérer ? Même le risque de la vie !"

        "Et ce pauvre homme qui a dû se faire anéantir à condition de ne pas révéler nos secrets ?"

        "Eh bien, selon mon avis il s'est fait prendre par l'orgasme. Nous en avons parlé à l'usine. Ayant perdu toutes les particularités de notre ADN qui, comme tu sais, s'autodétruisent en vivant plus de huit jours dans le monde des hommes, il ne réussissait plus à raisonner. S'il se laissait capturer par l'équipage de l'hélicoptère, à peine une demi-heure après serait intervenu le Sargasse."

        "Qu'est-ce qu'il aurait pu faire si le sous-marin n'avait pas à bord un aviolobe ?"

        "Une fois dans un rayon d'un kilomètre de l'hélicoptère, créer une coupole magnétique et l'envelopper ensemble aux autres."

        "Et qu'est-ce qu'en auraient des hommes pris au piège ?"

        "Lorsqu'ils eurent porté Enée hors du danger, les auraient laissés libres où l'avaient capturé."

        "Après avoir vu cet énorme navire sous-marin ! Tu sais comment sont faits les humains ?"

        "Pas exactement. Tu, oui ?"

        "Cela me l'a expliqué Énée," répondit Phèdre, dont le visage rougit en révélant à son frère un secret appris d'Henry.

        "Et alors, ma sœur ?"

        "Ils auraient donné la chasse au Sargasse et, quoiqu'ils n'eussent pas la possibilité de le débusquer parce qu'il réjouit de l'invisibilité comme notre île, ils auraient alimenté leurs soupçons sur l'existence d'un peuple inconnu et peut-être, surtout les Américains, au lieu de se flemmarder pour envoyer des objets dans l'espace dépensant d'énormes capitaux, auraient dépensé toutes leurs énergies à la découverte de Kallitala."

        "Ils ne seraient jamais réussis."

        "Es-tu vraiment certain ?"

        "Mais certainement ! Ils ont une technologie plutôt en retard par rapport à la nôtre, cependant…"

        "Cependant ?"

        "S'ils dussent faire exploser deux bombes à hydrogène dans le centre Atlantique…"

        "Qu'est-ce se passera- t-il ?" demanda tremblante et effrayée, Phèdre.

        "Que nous tous en mourrions et le volcan sous notre île ira exploser parce que les bombes humaines déclencheraient un tremblement de terre d'une telle ampleur qui détruirait toutes les terres qui se trouvent dans l'arc du golfe du Mexique, la mer des Caraïbes et le golfe de Guinée. Avec nous périront aussi des millions et des millions d'hommes et d'animaux. Ce serait une catastrophe planétaire."

        "Donc, il a eu raison notre Archonte à affirmer que le premier Enée des Anchises a été un héros. "                                               

          "Dans la situation d'émergence actuelle, nous ne pouvons plus nous permettre de maintenir cette vallée. L'Archonte a décidé de la rendre vivable pour et de rétrécir le cône à l'entrée de l'air. Le savais-tu qu'y sera construite une grande usine pour…" Paris lui dit de quoi s'agissait, mais lui murmurant à l'oreille.

        "Nous sommes arrivés à ce point, alors…"

        " Espérons-nous-en ton futur époux."

        "Tout seul, qu'est-ce que pourrait-il faire…"

        "On a lui mis de côté Melésigène."

        "Et qui serait celui-là ?"

        "Un géant bon et gentil, mais très expérimenté. Ce sera vraiment difficile que les Chinois, quoique rusés, soient capables d'arnaquer Enée."

        "Arnaquer ? Un mot qui ne rentre pas dans notre lexique, Paris !"

        "C'est une des rares choses que j'ai apprises d'Henry Campbell."

 

ΩΩΩ

 

        Henry, rentré dans son appartement à l'Hôtel de la Paix et accompagné par l'ami Lloyd, qui depuis qu'ils avaient volé du Sargasse ne l'avait pas laissé un seul instant et jamais avait émis un mot si ne fût pas demandé, il se mit à lire plus soigneusement le contrat rédigé en entente avec le gouvernement chinois sur la base de ce que le Néo-Hellène avait exigé. C'était écrit, évidemment, en anglais, mais il n'y avait pas inséré, pour le moment, aucune signature. Henry avait demandé un délai pour son attentive lecture, mais ça avait été seulement une excuse. Il connaissait par cœur son contenu, toutefois pour un scrupule il avait voulu le soumettre au jugement de Protée et pour le faire il avait besoin d'utiliser un panneau solaire à neutrinos, sur lequel monter une série de mirillinis, pour le transformer en un ordinateur. Mais, comme c'était évident, il ne pouvait pas exécuter cette opération qui pouvait être filmée dans l'appartement, car ces instincts humains qui lui étaient restés, lui faisaient soupçonner que dans quelque lieu caché y fussent de minuscules caméras masquées qui auraient pu espionner quels soient ses mouvements. De sorte que, en ayant fait signe à Lloyd, les deux s'en mirent à leurs recherches.

        "J'avais raison pour affirmer que le chinois est un peuple efficace," il dit à Lloyd, après avoir découvert, grâce à leurs sens développés, une vingtaine de microcaméras dispersées un peu partout dans les différentes pièces, y compris la grande salle de bains mais à l'exclusion, cependant, de la plus petite attenante à la chambre de Lloyd. "Comment ils ont pu le faire dans le peu de temps que nous nous sommes attardés dans le hall, étant donné que personne ne savait de notre arrivée, la dit longue sur leur capacité de construire dans un court laps de temps le majeur nombre de voitures électriques."

        Ne restait pas que monter l'ordinateur dans la salle de bain de Lloyd après une nouvelle inspection approfondie. Par conséquent, ce fut proprement de là qu'Henry envoya la copie du contrat à Protée à travers les sophistiqués équipements à ondes électromagnétiques sous-marines du Sargasse.

        La réponse ne se fit pas attendre. Protée ordonnait une réduction drastique de l'offre de panneaux à neutrinos solaires et de l'entier financement en échange de la fourniture des matières premières nécessaires à la construction de la deuxième tranche de panneaux, si les Chinois eussent continué à se comporter en manière méfiante. Tels changements étaient justifiés par la découverte des espions télévisuels, considérée une chose déloyale qui peu avait de conciliant afin que pour une collaboration au plus haut niveau. Après la livraison des premières deux cents millions de voitures électriques et de la vérification qu'au moins la moitié marchât simultanément, si les Chinois se fussent comportés en manière loyale et fructueuse sans, donc, espionner et s'inquiéter soit sur la composition des panneaux soit sur les deux émissaires, le contrat pouvait être honoré dans son intégralité.

        Le but était clair. Avec le fonctionnement simultané de plus de cent millions et peut-être plus de moteurs fonctionnant avec le prodigieux panneau, pour l'instant on évitait deux choses importantes pour la survie des habitants de Kallitala. La première que leur mouvement commencerait à « manger » la pollution de l'environnement de la planète Terre et le second qu'à partir de ce moment la fission atomique aurait été impossible, chose cette-ci que les hommes auraient été incapables de s'expliquer. De sorte que, manquant dans plusieurs Pays du monde l'électricité produite par les centrales nucléaires, ceux qui s'étaient montrés indociles à accepter le panneau à neutrinos, ils seraient parvenus à des plus bienveillants conseils.

        Et, à ce point, honoré le contrat avec les Chinois, le reste des panneaux jusqu'à la fourniture totale de deux milliards, on pouvait mettre en œuvre le plan initial formulé par le premier Enée des Anchises, en distribuant à toutes les nations leur part des panneaux comme avait été prévu par Protée, quoiqu'en pensât Henry Campbell, qui ne représentait pas une garantie solide de succès que les Chinois en détinssent la majorité.

        Le bateau sous-marin Sargasse se serait placé dans le golfe du Mexique et, avec le même système utilisé dans la mer de Chine, il les aurait déchargés à un point spécifique dans l'Amérique Centrale, à proximité d'un aéroport international, de sorte que chaque Pays auquel avait été attribuée une part des panneaux, se chargeât d'aller se les prendre avec ses propres moyens.

        Il y avait cependant un problème : après le déchargement des panneaux solaires sur le territoire chinois, le Sargasse devait regagner les eaux de Kallitala afin de faire reposer son équipage au sol et, surtout, respirer l'air de maison. Pas dans le sens métaphorique du terme, mais la nécessité d'introduire de l'air pur dans les poumons. Si l'autonomie d'un Hellène à le respirer dans les pays industrialisés ne dépassait pas les dix jours et pour ceux qui étaient embarqués sur le Sargasse cette période venait multipliée par cinq, c'était d'en tenir en compte le temps de parcours entre l'aller et le retour. Le grand navire sous-marin était déjà hors des eaux territoriales hellènes depuis vingt-cinq jours.

        Ces informations vinrent transmises à l'ordinateur portable à mirillinis d'Henry Campbell dans le même moment où, pour le faire, il s'était enfermé avec Lloyd dans la plus petite salle de bains dans l'appartement qui leur avait été réservé à l'Hôtel de la Paix de Shanghai.

        Et eux deux : Henri et Lloyd, quelle autonomie avaient-ils ? Henry, originaire de la race humaine, autant qu'un homme, mais Lloyd, quand même il ait été soumis, auprès de l'Hôpital Hippocrate de Poséidon, à un traitement spécial pour lui augmenter l'autonomie à un mois des humains, il était déjà en 'pré-alarme', après avoir navigué sur le Sargasse pendant vingt jours.

        Par conséquent, il y avait la nécessité qu'Henry portât à terme la transaction entre cinq jours et renvoyât Lloyd à bord du sous-marin qui, après les opérations de déchargement et chargement, devait faire route pour l'Océan Atlantique tandis qu'Henry restait en Chine pour surveiller les différentes étapes de stockage des panneaux solaires et le commencement des travaux de nouveaux moteurs électriques à adapter, tout d'abord, aux voitures.

        Henry informa les Chinois d'avoir reçu de nouvelles commandes qui réclamaient la loyauté de la partie la plus large de la Chine s'ils voulaient tous les panneaux et l'argent nécessaire pour l'expansion de leur réseau mondial de vente. Les émissaires du gouvernement chinois promirent rapidement que soit lui que son partenaire ne seraient plus espionnés par des moyens illicites, mais juste gardés sous œil attentif pour assurer leur sécurité. Comme démonstration de leur bonne volonté, ils s'offrirent pour fournir le matériel nécessaire avant même de recevoir soit les panneaux que l'argent. Reçu l'approbation définitive de la part de Protée, Henry accepta les nouvelles conditions et les Chinois ne perdirent pas d'autre temps et démontrèrent toute leur efficacité. Ils ne firent pas quel que soit objections pour savoir d'où vinssent ces bateaux pneumatiques qui transportaient les panneaux solaires, mais ils se hâtèrent pour en ranger les premiers deux cents millions dans d'immenses halls industriels à la périphérie de Shanghai, à proximité de la Whang Rong Automobiles et les suivants autres trois cents millions en des entrepôts souterrains, construits comme abris atomiques, dans le désert de Gobi, à quelques kilomètres de la frontière avec la Mongolie. Lorsqu'ils, soit les émissaires du gouvernement que les chefs de l'industrie métallurgique, virent quelque chose comme cinq cents millions de dollars qu'Henry avait déversé sur ​​le sol de la salle à manger, étant donné que son appartement dans l'hôtel avait été libéré de toutes les caméras d'espionnage, les premiers donnèrent l'ordre que les bateaux qui avaient transporté les panneaux fussent chargés de tout le matériel demandé, déjà à disposition et les secondes transmirent le signal de départ pour la construction de moteurs électriques à monter sur les coques déjà prêtes de voitures.

        Le Sargasse, ayant chargé dans ses amples cales les matériaux précieux pour construire un autre milliard de panneaux, était prêt à larguer en pleine mer. Le commandant Héraclide attendait le signal d'Henry.

        "Qu'est-ce qu'es-tu en train de faire, Henry ?" demanda Lloyd, quand il vit que son protégé qui, avant de sortir de l'appartement, ayant déjà monté les mirillinis sur le panneau solaire, il venait de se mettre en contact avec Protée créant un pont avec l'ordinateur du Sargasse.

        "Tu as à peine cinq jours pour rester dans le monde des humains, ami Melésigène. Je suis en train de demander la permission de te renvoyer à Kallitala."

        "Mais comment ! J'ai le devoir de te protéger. Comment ferais-tu sans moi ?"

        "Melésigène…" fit Henry, le regardant d'une désinvolte. "Si tu restes encore ici, non seulement tu ne pourras pas me 'protéger', mais tu ferais la fin du premier Enée. Te rappelles-tu ? Désormais je me suis acclimaté et ils seront justes les chinois à tout faire pour s'assurer qu'aucun dommage m'arrive."

        "Mais…"

        "Voici le message arrivé. Regarde toi-même," dit Henry, lui tendant l'écran de l'ordinateur.

        Le message était clair et ne se prêtait à aucun malentendu. L'écriture originale hellène donnait l'ordre à Melésigène de s'embarquer sur le Sargasse et de se positionner sur une barque dans le fleuve Huangpu Jiang où entre une demi-heure serait arrivé un de deux aviolobes du sous-marin à le prendre. Pour ce qui concernait Henry, l'Archonte donnait des dispositions que dès qu'à Kallitala ils ont eu reçu un appel de détresse, ils auraient envoyé Hermès, qui en moins d'une demi-heure l'aurait recueilli.

        "En si peu de temps !" s'écria Henry et à Melésigène : "Et qu'est-ce jamais ! Tu en sais quoi ?"

        " Qu'est-ce qu'il y a, ami Enée ?"

        "De cet Hermès."

        "Pas tellement. Le commandant Héraclide m'en a mentionné tout en naviguant sur le Sargasse. Mais il ne s'agit pas d'une personne. Cela devrait être un nouveau aviolobe de nouvelle conception, quelque chose qui ait à faire avec la cosmologie. Je n'en sais pas de plus."

        'Un argument dont Paris ne m'a jamais parlé. Et, à y penser mieux, même pas Pausanias, qui a été toujours très explicite avec moi sur toutes les technologies de Kallitala. Chose étrange. Trop étrange, ' se dit inquiet. ' S'ils me cachent quelque chose, cela signifie qu'ils n'ont pas une complète confiance en moi… Déjà, le simple fait d'avoir mis Melésigène à mes trousses…'

        Mais il n'alla pas au-delà de l'auto-apitoiement. Il devait se rendre avec le compagnon su le fleuve et se faire donner une barque d'un n'importe quel pêcheur, sans déranger ses gardiens, parce qu'il savait que dorénavant, quoiqu'avec beaucoup de discrétion - avec ses sens aigus de Néo-Hellène, il se les entendait autour - les Chinois ne l'auraient pas laissé un instant.

ΩΩΩ

 

        Le retour à l'hôtel cette fin d'après-midi, fut plutôt triste. Déjà l'ardent coucher du soleil lui avait rappelé ceux auxquels il s'était habitué à jouir à Kallitala, en lui aggravant de nouveau le désir d'embrasser sa bien-aimée Phèdre, mais aussi le départ de Melésigène y contribuait de façon substantielle. Cette reconnaissante personne, dont tout d'abord il aurait fait à moins, il lui avait rendu agréables les épuisants jours de négociations avec les Chinois, s'étaient révélés, ceux-ci, plus intelligents que beaucoup d'autres peuples, liés à double tour à leurs intérêts plus ou moins légitimes.

         Lorsqu'il se présenta dans le hall du grand hôtel, le directeur vint à sa rencontre et d'un faire cérémonieux et poli, il lui présenta une jeune femme chinoise dans une beauté extraordinaire. Chose inhabituelle, étant donné que les humains avec des yeux en amande ne sont jamais été comptés parmi les plus beaux, toutefois quand une femme chinoise est belle, elle en est en une manière splendide, grâce, précisément, à la coupe des yeux.

        Henry, toujours sensible à la beauté féminine, en resta frappé, bien qu'un sentiment latent de culpabilité lui affleurât de sa conscience d'Hellène. Lui émergea net de son esprit la figure de Phèdre : une vraie déesse de beauté, lui faisant comprendre que dans l'empyrée féminin on ne peut pas cataloguer l'absolu dans la gradation de la splendeur et que cela qui avait été donné Mère Nature ne suffisait pas à faire considérer une femme belle dans une manière superlative, mais il fallait quelque chose de plus. Et ce quelque chose Phèdre l'avait pour ses manières angéliques, pour la douceur de la voix et pour son intelligence, tandis que la jeune fille qu'il avait en face, ne la connaissant pas encore, ce petit plus elle l'exprimait grâce aux yeux sombres en amande dans un visage de porcelaine qui semblait d'un autre monde, tellement c'était beau.

        "Ingénieur Campbell, je me permets de vous présenter Mlle Kekou Chang du département des affaires étrangères que le gouvernement chinois vous mette à disposition en tant comme accompagnatrice. Vous, Monsieur, étant resté seul, au moins pendant les repas vous aurez une personne avec qui échanger quelques mots."

        "Je vous remercie. Vous êtes très gentil, Monsieur le directeur. Mais ça arrive que je sois ici pour accomplir une mission importante dans laquelle n'est prévue aucune distraction," répondit Henry, en s'excusant avec la jeune fille d'un regard d'entente.

        Étant donné que le directeur restait interdit et la jeune femme ne proférait une parole, la situation se fit embarrassante, par conséquent Henry ajouta : "N'est pas pour ça que je peux me permettre de refuser l'agréable compagnie de Mlle Chang au dîner de ce soir."

        "Ah, bien !" dit le directeur retenant à peine un ouf d'embarras.

        "Je serais bien heureuse que vous m'appeliez Kekou," dit la jeune femme, adressant à Henry un sourire charmeur et en même temps en lui tendant la main, qu'Henry serra délicatement, lui semblait tellement fragile et diaphane.

        Le directeur crut bonne chose se défiler et il le fit tranquille, parce que les regards d'Henry et de Kekou se fixèrent l'un dans l'autre.

        Henry se sentit manquer le sol sous les pieds. Si Melésigène ait été encore avec lui, une telle chose ne serait pas arrivée ni, dans ce moment, Henry pouvait consulter l'ordinateur pour savoir comment se comporter, mais il réussit à réprimer ses instincts d'humain et pensant intensément à l'agréable vie qu'avait menée pendant plus d'un an à Kallitala, il se souvint qu'avant eût mené à terme la mission, plus tôt il serait retourné dans celle qui était devenue sa patrie et, finalement, aurait épousé la très belle et bien-aimé Phèdre.

        "Alors, Mlle Kekou, voulons-nous nous asseoir dans la salle à manger ?" il s'entendit dire avec soulagement, ayant cru qu'il n'aurait pas pu prononcer un mot.

        "Volontiers… Henry," répondit la jeune femme en un souffle.

 

18 - PREMIERES  COMPLICATIONS

 

 

         Les premiers exemplaires de voitures étaient déjà prêts, quoique les Chinois eussent utilisé des moteurs électriques pour longtemps stockés dans les halles et jamais employés parce qu'inadaptés pour fonctionner avec des batteries de conception obsolète, tandis que les ingénieurs de l'usine Whang Rong étaient encore en train d'étudier le projet du nouveau moteur électrique consigné par Henry au chef ingénieur de l'usine Wangfujing. Certains prototypes de véhicules à panneau solaire à neutrinos venaient de tourner continuellement depuis des jours sur l'anneau routier d'essai de la même usine et il semblait que les testeurs en fussent enthousiastes.

        Henry, qui était venu à connaissance de cette irrégularité, dut intervenir dès son retour de Beijing. Depuis trois jours il y avait été invité parce que les dirigeants du gouvernement, en dépit qu'ils eussent souscrit chaque accord, ils avaient voulu le connaître en personne. En bref, avait agi d'une visite de représentation diplomatique. Ce même Xuahn Li était venu pour l'y emmener avec l'avion d'affaires. Cet homme, si méfiant au cours des premiers entretiens et dans ce moment, au contraire, heureux comme un roi car, porteur de cette nouvelle sensationnelle, les dirigeants du parti l'avaient récompensé d'un avancement marqué de degré, le nommant plénipotentiaire pour les futures négociations avec les gouvernements de ces Pays, choisis en priorité, auxquels vendre les voitures alimentées par le formidable panneau solaire d'extraordinaire ce qu'inépuisable performance.

        Cette visite inattendue avait enlevé Henry de l'embarras de continuer à subir la compagnie de la belle chinoise qui répondait au sympathique nom de Kekou. Le soir où ils avaient dîné ensemble, elle s'était démontrée décomplexée, émerveillant Henry qui l'avait considérée tout d'abord non seulement discrète, mais même un peu timide. Par conséquent, lorsqu'on vint servis les apéritifs, Henry, se rendant compte de l'embarras de la jeune femme, avait commencé la conversation, quand même d'un argument plutôt banal, tel, cependant, à ne pas stimuler la jeune à l'alimenter. Immédiatement après l'apéritif, réveillé en lui l'élocution humaine faute du peu d'alcool englouti, il entama le sujet qui l'avait conduit à choisir la Chine au lieu d'un autre Pays. Les raisons invoquées furent plus que justifiées parce qu'il parla de la Chine comme un bonimenteur dans les rues. Seulement alors Kekou initia pour parler sur l'argument avec une telle habileté à arriver à lui demander très explicitement de quel étrange Pays il vînt, parce que n'était pas du tout crédible qu'un être humain, qui parlait parfaitement la langue américaine telle à croire qui le fût vraiment, il fût chargé d'une incroyable mission humanitaire à ces très avantageuses, et dans ​​le territoire chinois, puis !

        Heureusement était intervenu en temps l'effet de l'adusbraline présent dans son corps, qui lui avait empêché tout ça où l'astucieuse jeune femme était presque sur le point de lui faire avouer. Depuis alors, Henry s'était exprimé dans le même langage utilisé avec les membres du gouvernement et avec ceux de la Whang Rong Automobiles, se mettant à l'abri des strictes conditions qu'il avait imposé à leurs tous. Kekou, qui jusque-là avait fait confiance sur sa beauté, son charme et sa belle voix chaude et persuasive, grignota à peine les savoureux mets que des garçons rusés venaient de servir, nourriture qu'Henry, au contraire, étant cela son seul repas de la journée, mangea avec du goût et appétit.

        La conversation languit jusqu'à la dernière portée et quand, sur le point de se lever pour se rendre à l'American Bar, Kekou, dans un éclair d'astuce, avait essayé de renverser la situation en sa faveur. Se fléchissant d'un mouvement gracieux à l'oreille d'Henry, elle lui avait chuchoté : "Ne pourrions-nous pas, cependant, nous faire apporter quelque chose à boire à l'étage… Chez vous ?"

        "Pourquoi pas ? " répondit Henry, comme un merle, mais illico, rééquilibré l'être hellène qui était en lui, il se corrigea : "C'est que… Vois-tu Kekou… J'aurais vraiment un…" il était en train de dire 'engagement' qu'il n'avait pas. "Je suis très fatigué. Demain matin, je dois me lever à l'aube pour aller à l'usine. Où ma présence est importante parce que le travail progresse… Je suis désolé…" et, reprenant plus décidément le contrôle, il conclut : "J'ai juste assez de temps pour vous tenir compagnie pour boire un verre. J'apprécierais une tasse de thé et vous ?"

        La grâce de la jeune femme était égale à sa beauté, car elle répondit d'un ton de voix décidé : "Bonne idée, Henry. Un thé est exactement ce qu'il nous faut."

        Mais, ne s'étant pas donnée comme vaincue, à la rentrée d'Henry, le lendemain de la Whang Rong, elle alla à sa rencontre pour lui rappeler qu'ils auraient à nouveau dîné ensemble. Et comme ça jusqu'à quand il s'était rendu à Beijing quoiqu'en dépit d'une nourrie et longue conversation alimentée par un Xuahn Li, triomphant pour sa promotion, il n'eût répondu que d'un clin d'œil à son interlocuteur, tandis que dans son esprit il réfléchissait intensément si par hasard il se fût laissé à octroyer quelque confidence de trop à la belle Kekou. Certaines phrases prononcées par elle se prêtaient à doubles sens et Henry, peut-être enivré par le charme de la belle chinoise, se rappelant, tandis qu'il la regardait, de sa gracieuse Phèdre, il avait répondu trop exhaustivement lui faisant comprendre qu'il venait d'un monde inconnu et que sa tâche c'était de convaincre ' l'humanité ' à réduire, jusqu'à sa complète élimination la pollution de l'environnement due aux émissions des fumées de n'importe quel moteur alimenté par les hydrocarbures. Et, aidé par une mémoire renforcée, il se souvint que lui avait également fait allusion à une majeure disponibilité de panneaux solaires pour être distribués dans d'autres parties du monde subsaharien et austral.

        La jeune femme chinoise, lors de l'exposition des choses extraordinaires, avec une indifférence délibérée, avait masqué son plus vif intérêt. Seuls les mots 'humains', ' subsaharien ' et ' austral ', lui avaient fait presque arquer les sourcils, mais rien de plus. Dans sa mémoire photographique, pendant le transfert en avion, malgré le bavardage continu de Xuahn Li, Henry avait vu à nouveau ces expressions et, pour la première fois depuis qu'il avait mis les pieds en Chine, il s'en préoccupa, regrettant la présence du loyal ami Melésigène, qui avait dû s'embarquer sur le Sargasse en raison de son autonomie limitée, comme hellène de naissance à respirer l'air pollué, était presque épuisé.

        Le talon d'Achille des Hellènes, en dépit de leur technique qui les avait vus prendre de l'avance d'au moins mille ans par rapport aux hommes, restait ceux de devoir respirer seulement de l'air pur. Henry n'avait pas été choisi au hasard. Il devait, par sa présence, faire accélérer la construction de nouveaux véhicules et, en outre à ça, flanquer Xuahn Li, qui bientôt se serait rendu dans les Pays choisis à inaugurer les filiales de la grande usine, avec le but d'illustrer les caractéristiques des automobiles de nouvelle conception afin qu'elles vinssent acceptées et, surtout, achetées grâce aussi à leur prix très convenable.

        Henry en avait parlé avec la direction du gouvernement chinois. Le président et avec lui, l'entier comité, ils avaient approuvé, convenant même le prix qui aurait été égal à un tiers du coût d'une voiture de la même catégorie. Car, connaissant les automobilistes, Henry avait donné les dispositions afin que les voitures produites fussent de différents types, quoique alimentées par le même moteur électrique qui devait être faussement classé dans son ampérage, donnant l'impression que, comme ceux à essence, la supérieure capacité électrique équivalût à une majeure puissance. Malheur si cela ne fût pas vrai ! La puissance dont le petit panneau solaire à neutrinos disposait, était telle que si exploité au maximum il aurait imprimé une puissance de plus de mille chevaux-vapeur avec des conséquences désastreuses, faciles à imaginer, surtout si la voiture fût conduite par un casse-cou. Pour cette raison, dans le projet remis aux Chinois était prévu un limiteur de vitesse qu'aucun n'aurait pu calibrer faute de l'autodestruction du panneau et l'impossibilité d'ouvrir le moteur électrique, en considération qu'aussi le petit mécanisme, avec l'entrée de l'air, se serait transformé en une anonyme pièce de métaux ferreux.

        Évidemment, les Chinois en le construisant ne savaient pas à quoi exactement il ne servît ni, comme convenu, personne n'aurait demandé à Henry, qui avait déjà convenu qu'une des conditions de tel important accord pour la Chine, c''était ça de ne pas poser des questions dans ce sujet, parce que même il n'aurait pas été en mesure d'en donner une explication logique et complète.

        Ce matin Henry attendait que Xuahn Li lui donnât le plan de l'itinéraire choisi par le Comité Central pour présenter les premières voitures dans les Pays occidentaux. L'usine Whang Rong en avait préparé à peine une douzaine et à la suite de leurs présentations sur les marchés étrangers, était prévue qu'elle en ait défourné au moins dix mille par jour, dont la plupart seraient restés en Chine, en particulier dans les villes de Shanghai, Beijing et Zhengzhou.

        Ensuite, deux Boeing 747 cargos de China Airlines, auraient fait la navette pour transporter les voitures à vendre et, si achetés tout de suite pour couvrir les premiers besoins, ils en auraient transporté la plus grande quantité que possible. Les autres, qui entre-temps auraient été produites en grandes quantités par l'usine automobile, auraient été chargées sur des grands navires spécialement appareillés.

        Xuahn Li trouva étrange que Henry refusât son invitation à voyager ensemble. La première destination choisie était l'Allemagne dans les deux villes de Monaco de Bavière et de Stuttgart, sièges d'importantes maisons de construction de voitures, ayant chacune à essayer une voiture expérimentale à hydrogène.

        "Tous les rendez-vous ont été pris, ingénieur Campbell. J'espère que vous acceptiez de voyager en ma compagnie. Notre avion-cargo qui transporte trois exemplaires de puissance différente, dispose d'une zone - passagers, luxueusement meublée. Pendant le vol, je serai heureux de vous faire goûter des spécialités culinaires Pékinois," il dit et Henry, avec un sourire et un mouvement oscillant de la tête, lui fit entendre que ce n'était pas du tout le cas.

        "Mais comment, ingénieur Campbell ! Ne voudrez-vous pas, j'espère, vous présenter en retard ! Vous savez, le programme de démonstration est assez nourri."

        "Ce n'est pas dans les accords que je fasse part de votre délégation. Du reste, vous ne voyagerez pas tout seul. Vous aurez à votre flanc, en outre aux adjoints diplomatiques, aussi plusieurs techniques, une douzaine de préposés commerciaux et divers bons conseillers," répondit Henry d'un sourire, comme il avait pris l'habitude de faire depuis qu'il séjournait en Chine.

        "Mais M. Henry !" s'écria Xuahn Li qui, fidèle aux ordres reçus, devait faire quelconque chose afin de convaincre l'Hellène - désormais ils le considéraient comme ça - de voyager avec sa délégation, par crainte qu'il prît une autre direction.

        "Ne vous inquiétez pas, M. le plénipotentiaire," répliqua Henry avec ironie. "Quand même cela ne rentre pas dans mes devoirs, je vous assure que je serai ponctuel à la première présentation à Monaco."

        Il voulait ajouter qu'il y serait arrivé avant lui, mais l'instinct hellène l'arrêta à temps. S'il l'eût dit, il aurait dû en donner les explications, de sorte qui aurait suscité la curiosité de ses interlocuteurs, en particulier cette rusée habile de Kekou.

        Le spécial aviolobe qui l'Archonte avait mis à sa disposition, était déjà près de décoller du toit du palais du gouvernement de Poséidon et, à une simple commande d'Henry à travers la centrale de transmission du Sargasse, dans ce moment en navigation 'profonde' vers Kallitala, dans le court laps d'une demi-heure Henry se serait trouvé suspendu au-dessus du fleuve de Shanghai. Et en un temps aussi bref, l'avion l'aurait déposé, avec sa mallette en Calotex sur une petite barque flottante dans une anse du Kleinhesseloher See dans le Jardin Anglais, au cœur de la grande ville de la Bavière, au moins six heures avant l'arrivée du Jumbo Chinois. Henry aurait séjourné auprès de Munich Park Hilton, situé à quelques centaines de mètres du petit lac.

        C'était son intention d'écouter et évaluer les commentaires directement par les préposés de la grande usine automobiles, y compris tout ça qu'en auraient écrit les journaux locaux, car la visite de la délégation chinoise avec les prototypes des trois formidables voitures avaient été annoncée déjà d'une semaine.

 

ΩΩΩ

 

        Henry avertit le directeur de l'Hôtel de la Paix qu'il se serait éloigné pour deux, trois jours au maximum. Il enfila quelque chose de ses vêtements dans la mallette où étaient déjà tous les instruments, y compris le reste de l'argent et deux panneaux solaires à neutrinos et il se rendit dans le plus proche quai du fleuve où, s'adressant à l'habituel batelier qui avait généreusement payé pour un service similaire à sa descente sur le territoire chinois, il obtint la petite barque à rames pour faire une balade. L'âgé homme de rivière le reçut avec beaucoup de révérences ne lui demandant rien de ses étranges escapades sur l'eau qui l'obligeaient à aller récupérer sa barque laissée à la merci du courant, même si ses yeux malicieux transmettaient une condescendance complice. Mais ainsi tourne le monde, la rémunération que l'étrange visiteur lui rapportait était aussi généreuse que, si par hasard l'eût perdue, il avait de quoi pour s'en acheter au moins trois toutes neuves.

        Au centre du grand cours d'eau, profitant d'un bref moment où la circulation s'était un peu éclaircie et grâce au Kériosmate qui avait sous la peau, Henry effectué un saut et il vint introduit dans le cockpit de l'avion hellène, s'installant sur le petit fauteuil derrière le pilote qui l'accueillit avec un ' cher ami Enée, bienvenu ! ' Lui donnant, entre-temps, une légère tape sur l'épaule. Puis, au signe d'Henry signifiant qu'il s'était bien installé, le commandant tourna la cloche de l'accélérateur faisant prendre altitude à l'aviolobe qui, avec une vitesse incroyable, venait déjà de survoler l'Inde.

        Enfin, la très rapide balle magnétique se trouva sur le petit lac au milieu du par doré par un soleil rutilant qui le faisait sembler une énorme émeraude avec l'inclusion de vif lapis-lazuli et Henry, profitant du local affréteur de barques était occupé avec deux clients, qui, avec leur petit bateau venaient d'accoster, il descendit sur une barque sans surveillance. Il envoya un hâtif message à l'invisible pilote et s'assit sur la banquette avec l'air plus tranquille du monde, dans l'attente que l'Allemand le joignît. Ce qui se passa en quelques minutes et celui-ci, même pas intrigué par le fait qu'un homme vêtu d'un costume bleu avec une cravate en ton, chaussures fines et même avec la mallette de côté, lui souligna que le temps minimal de location était d'une heure à un prix de quinze euros.

        Pendant le cours accéléré avec Pausanias, n'avait pas été envisagée la nécessité d'apprendre la langue allemande, de sorte que le pauvre Henry, qui n'avait pas compris un iota, resta étourdi et, au regard interrogateur du batelier, il lui fit entendre pour être Américain.

        "Ah," fit celui-ci, pointant le bras en direction de l'hôtel, "vous… Client Hilton ?" et, au signe affirmatif d'Henry, "cette barque coûte quinze euros à l'heure."

        "C'est bien vingt dollars américains ?"

        "Shoen, gut, gut," répondit l'homme et, empochant le billet de banque, "danke shoen."

        La petite barque, après la forte poussée de l'affréteur, arriva à plus de dix mètres de la rive avant même qu'Henry prît en main les rames puis, avec quelques vigoureux coups de rames, il gagna le centre du petit lac et là, tranquillement et sans être vu par personne, en dépit qu'il fût toujours sous la vue de l'Allemand, il ouvrit la mallette, en tira dehors panneau et mirillinis et en quelques secondes il monta l'ordinateur. Qui lui donna la position exacte des deux avions Jumbo chinois partis de Shanghai. Ils venaient à peine de survoler les sommets du Tibet et ne seraient pas arrivés avant le soir. Il avait du temps. Il réserva un appartement sur le front du parc à l'hôtel Hilton donnant le numéro de la carte de crédit, vraie mais qu'on ne peut pas dépenser. Il aurait payé en espèces.

        Avant qu'il commençât à démonter l'ordinateur, considérant qu'il avait décidé d'accoster à l'autre berge et laisser là-bas la barque, lui arriva le signal d'urgence de Kallitala.

        C'était la première fois qu'une telle chose se passait et il s'en impressionna quand cependant le permettait son être devenu Hellène, sans aucun sentiment de panique. Toutefois, en un éclair, ses pensées volèrent à Phèdre, de peur que quelque chose lui fût arrivé. C'était, au contraire, seulement Protée, la grande chimio ordinatrice, qui l'avertissait qu'il venait de courir un risque inutile, non prévue dans le plan. Tout seul comme il était, il aurait dû rester en Chine, par conséquent dans une heure au plus tard il aurait été atteint par Melésigène avec le même aviolobe en train d'atterrir à Poséidon.

        Son compagnon l'aurait protégé pour tout le séjour en Allemagne, une nation considérée à risque en raison de la présence de trop nombreux 'préposés diplomatiques'. Le contre-espionnage américain était venu à connaissance de sa réapparition et de l'utilisation de ce panneau solaire auquel ils avaient donné une chasse infructueuse, entraînant l'anéantissement du premier de Enée des Anchises.

        Henry comprit qui ait été à faire divulguer la nouvelle. Sans doute Kekou Shang, la très belle chinoise sur laquelle il n'avait jamais fait confiance. Il se regarda autour si par hasard quelqu'un le suivît mais, quoique la berge opposée du petit lac fût bondée avec des gens qui profitaient de la belle journée pour faire un tour en barque, dans cette zone boueuse et entourée par une épaisse cannaie où il était descendu, il n'y avait personne. Le cheriosmate l'aida à surmonter chaque obstacle le faisant rendre sous un épais bosquet de chênes en face de l'immeuble hôtelier. De là, avec une voulue indifférence et sans forcer la démarche en un rythme qui semblait une promenade, il se dirigea vers l'entrée de l'hôtel.

        Au très respectueux concierge en chef qui, après avoir vérifié que la réservation était en règle, lui demandait la carte de crédit, Henry donna une dizaine des billets de cent dollars à titre de dépôt, préférant payer pour tout en espèces. Il avait transmis les détails de sa carte de crédit au seul but de se faire accepter la réservation via Internet. Le bon professionnel n'eut rien à objecter, mais il se limita à ordonner à son adjoint d'accompagner le monsieur dans l'appartement 511, tandis qu'Henry faisait signe au bell-boy accouru pour le bagage, qu'il n'avait pas besoin de son aide. Tout ce que lui fallait, était entassé dans la mallette. Et c'était vrai, étant donné qu'il y avait inséré, en plus des sous-vêtements de rechange et au nécessaire de toilette, même le smoking. Ce qui lui était resté d'humain lui avait sollicité le désir de participer à une éventuelle réception élégante.


ΩΩΩ

 

        Le retour de Melésigène à Kallitala fut salué par le Grand Conseil au complet auprès duquel il s'était présenté pour le rapport sur sa mission au flanc de Énée des Anchises, avec un certain scepticisme. Pas pour les actes du brave accompagnateur, mais au contraire pour le projet que Henry Campbell venait de mettre en œuvre. Pas tout le monde était d'accord que la Chine se fît promotrice commerciale auprès des autres nations du monde occidental au but de leur vendre les voitures déjà prêtes. Après l'expérience du premier Enée, qui avait dû sacrifier la vie - à mourir à trente-deux ans pour un Hellène était une chose inouïe, inconcevable et sans précédent - ils imaginaient que les Pays plus industrialisés couvassent quelques astuces pour s'emparer du panneau. Même si, une fois obtenue, ils n'auraient jamais été en mesure de savoir exactement comment il fonctionnait et de quel matériel avait été fait, parce que la seule tentative de l'ouvrir causait son autodestruction et la mort des imprudents qui se fussent trouvés à moins d'un mètre de distance. Toutefois, il y avait certains facteurs déterminants qui l'auraient encouragé à enlever l'ingénieur Campbell. Le premier, évidemment, mit en chantier par les États-Unis et, dans une mesure mineure, du Royaume-Uni, ç'aurait été de mettre la main sur celui qu'ils considéraient comme un génie doté d'un cerveau aux pouvoirs surnaturels, pour avoir survécu à la formidable balle de feu dans le golfe de Port au Prince. Non de mineure importance était l'acceptation facile des fabricants Italiens et Allemands, dont leurs voitures avaient stylé et lignes harmonieuses qui, particulièrement pour celles-ci italiennes, les avaient rendus renommées dans le monde, en outre que pour leurs formidables engins. Il fallait reconnaître que les sympathiques habitants de l'Asie de l'Est n'avaient pas à se creuser la cervelle à dessiner un type de véhicule qui octroyât quelque chose d'agréable à l'œil. Leurs voitures étaient laides et si n'eussent été qu'elles fonctionnaient avec le panneau solaire et que, en somme, certainement ne voyageaient pas à une vitesse élevée, quoique fussent stables sur la route, elles n'auraient intéressé personne. C'était ceci un problème qui à Kallitala s'était placé les notables et, de concert, même toute la classe de l'ingénierie et de l'architecture, étant donné que le peuple Hellène tenait en haute estime l'harmonie des formes et, surtout, la sécurité. Ils étaient également intervenus même sur les grands arbres qui ornaient leurs villes, les faisant croître en une manière équilibrée avec troncs et branches secondaires puissants qui maintenaient un feuillage formant un parfait dôme vert.

        Toutefois, Pausanias fit noter à l'Archonte qu'au nouvel Enée des Anchises n'avait pas été donné le projet d'une automobile 'humaine', afin de ne pas faire perdre trop de temps aux techniques chinois dans sa construction. Il fallait voir si les industriels occidentaux de l'automobile auraient introduit dans leur marché les voitures chinoises qui ressemblaient aux vielles Trabant construites aux temps de la direction de M. Ulrich ou ils se seraient obstinés pour avoir seulement les moteurs électriques, panneau inclus, ou même, seulement ce dernier.

        Cela n'était pas justifiable car cela se serait agi d'une simple spéculation en faveur de la Chine, quand même elle représentât une leçon salutaire pour les Pays qui n'avaient pas accepté la première offre par l'intermédiation de l'ONU.

        "Pausanias," dit l'Archonte et toute l'Assemblée se tut. "C'est la dernière tentative d'induire les hommes à utiliser notre panneau capture neutrinos. Je ne sais pas quelles réactions ils puissent avoir, car aucun parmi nous connaît leur esprit et pas même pas le puissant Protée réussirait à le faire. C'est pourquoi mon prédécesseur, Patrocle, fit arriver à Kallitala l'humain maintenant devenu notre consanguin dont, cependant, nous ne pouvons pas contrôler totalement les mouvements."

        "Mais Archonte…" répliqua avec un salut Pausanias, "je suis sûr que Enée des Anchises va se comporter comme un véritable Hellène. Non seulement lui avait été modifié l'ADN, mais moi-même j'ai été son enseignant, aidé par les plus éminents professeurs de Poséidon."

        "Bien sûr, ami Pausanias," répondit l'Archonte, adressant à son interlocuteur un sourire de magnanimité. "L'âme humaine est insondable pour nous Hellènes et les différentes opérations avec l'inclusion de l'adusbraline et les enseignements reçus, ont fait d'Henry Campbell un Hellène à tous les égards. Cependant tu dois convenir avec moi que les hommes possèdent quelque chose qui est très rare chez nous : l'instinct imaginatif. Et c'est précisément pour cette raison que Enée des Anchises a décidé au dernier moment de se présenter à la présence des hommes plus corrompus par le vil intérêt pécuniaire et, par conséquent, réactionnaires d'accepter notre offre, car une fois que tous les véhicules ou la majeure part d'eux fonctionneront avec les seules ressources de la nature, ils n'auront plus la possibilité de mener à bien leurs spéculations néfastes. Ils savent très bien que l'utilisation des hydrocarbures conduit à la pollution de l'environnement ainsi qu'à accroître l'effet de serre qui à long terme provoquera des catastrophes qui détruiront et désertifieront l'environnement, mais comme le fumeur qui, conscient que le tabac conduit inévitablement au cancer, à l'accident vasculaire cérébral et à l'infarctus du myocarde, ne leur arrivant rien de malicieux dans l'immédiat, ils se font des illusions que tout ça arrive seulement aux autres. Nous ne pouvons pas nous prendre le risque. Nous ne sommes pas réfractaires comme les hommes à respirer de l'air qui a la saveur de dioxyde de carbone. À nous suffit un dixième de l'air qu'on respire dans le monde en dehors de notre île, pour tomber malades et besoin d'un dixième de ce que vous inspirez à l'extérieur de notre île, à nous rendre malades, avec une vie raccourcie. Nous devons mettre en acte l'opération Boadicée."

        "Je ne pensais pas se dût arriver à autant," fit Pausanias qui, de conseiller âgé, il avait été le premier à proposer une telle chose avant même qu'au Patrocle fût venu à l'esprit de 'capturer' l'inconscient skipper d'une journée. "Ta décision voudrait signifier admettre notre échec. Je pressens que faisant ça, peut-être que nous n'arriverons pas à la fin naturelle de notre vie."

        "Ne sois pas catastrophique, Pausanias. Ce n'est pas dans ton caractère." La voix de l'Archonte retentissait dans l'immense salle. "Je suis convaincu que, en dépit que le nouvel Enée des Anchises ne suivît pas exactement nos recommandations, il accomplira la mission et l'opération panneau solaire rendra finalement consentants tous les hommes. Toutefois, déjà depuis ma nomination à cette charge élevée, j'avais mis en programme le plan élaboré par Protée."

        Dix conseillers se levèrent à l'unisson et après un très bref conciliabule, ils laissèrent parler l'un d'eux, Pasiphal, qui dit : "Nous voulons que le projet Boadicée soit immédiatement mis en chantier, ami Archonte. L'air qui pénètre dans l'entonnoir au-dessus de la vallée n'est pas encore pollué au point de ne pas être en mesure de le rendre pur avec un filtrage approprié."

        "Eh bien," fit l'Archonte. "Du moment que l'ami Pausanias a un 'pressentiment' qui est un sentiment plus humain qu'hellène, dû sans doute à la contagion pour la continue proximité de Henry Campbell, par moi rebaptisé Enée des Anchises, je veux que cette motion soit votée à l'unanimité. Je vous en prie !"

        Le premier à lever la main comme un signe d'acceptation fut juste Pausanias, suivi par tous les autres.

        "Très bien. Tous les vingt, je n'avais aucun doute sur votre bon sens et loyauté. Pausanias, mon ami, je te confie, en tant que doyen du Grand Jury, et probablement, grâce à tes excellents mérites, proche à être choisi pour me remplacer quand expirera mon mandat, la tâche de diriger les travaux pour la construction d'une grande usine à Boadicée. Avant même que dans le monde extérieur soient distribués le second milliard de panneaux solaires, doit être complété le premier stock de trois cents millions de conteneurs de dix mille litres d'air à une pression de trois mille atmosphères."

        "Trois cents millions…" fit Pausanias, le disant presque entre soi, "nous devrons les ranger dans les entrepôts souterrains."

        "Excellente idée," répliqua l'Archonte, "et, à propos…" il chercha avec le regard, parmi tous les présents et, l'épinglant sur un conseiller particulier, "tu, ami Pasiphal. Je te confie la tâche de supervision et d'entretien de Caulenéon, notre plus grande ville souterraine. Il est temps qu'on l'y fasse et le stockage de bouteilles d'air en est l'occasion plus que propice. Il faut tout d'abord que les conteneurs soient connectés aux différentes connexions couvrant tout l'espace qui nous y avons créé, en parallèle au réseau électrique. Il s'agit d'une préparation à l'émergence. Je sais que certains d'entre eux pourraient objecter que nous ne sommes pas en danger et que Enée s'acquittera de son devoir grâce à ses éprouvées capacités, toutefois considérons cela comme un entraînement, de sorte que toi, ami Télamon, je donne l'engagement d'équiper les habitations de Caulenéon de tous les appareils ménagers, meubles et objets afin de rendre les maisons habitables aux familles qui, chacune à son tour, s'y installeront pour deux semaines. Protée, notre grande chimio ordinatrice, pourvoira pour assigner les tours à chaque famille résidant dans les huit villes de notre île, ainsi que pour tous ceux qui vivent dans les zones rurales ou qui sont engagés dans la pêche, afin qu'ils s'habituent à leur nouvel environnement. On ne sait jamais ce que soient capables de combiner les hommes et avec ces guerres et escarmouches en acte, je ne me sens pas du tout à l'aise."

        "Mais, Archonte, la guerre en Irak est terminée. Les hommes du mal ont été capturés et tout est en train de se normaliser," dit Pausanias le sage.

        "Je n'y crois pas. Dans le monde occidental a commencé l'ère de la lâcheté. Frapper aux épaules, tuer des gens sans défense, aussi les personnes âgées et les enfants. Tuer ces derniers, puis, constitue un crime si odieux que si nous ne fussions pas des gens qui ont horreur de l'utilisation des armes, nous interviendrions. Tuer un enfant il veut dire nier le futur."

        "Tes sages paroles, Archonte, elles m'ont fait surgir une réflexion," répondit Pausanias.

        "Eh bien, expose-le. Je sais que lorsque tu utilises ces termes, tu as quelque chose de constructif à dire et je ne crois pas que te soit venue spontanément, mais cela est un projet qui tu couves depuis un certain temps," dit l'Archonte, avec une expression amicale.

        "La disparition de Enée des Anchises, l'original, m'a particulièrement attristé et, quoique j'aie reversé mon affection sur celui qui en prit la place, celle a alimenté en moi une plus grande méfiance rancunière envers les hommes. Pas de la haine, car ça n'est pas un sentiment hellène, mais l'envie de rendre les hommes un peu plus sages, oui."

        "Et alors ?" demanda l'Archonte en regardant tous les conseillers lesquels, à leur tour ils venaient de fixer leur regard curieux sur Pausanias.

        Lequel, presque avec de la contrition, se positionna au centre de la salle et, inclinant légèrement la tête avant la chaise de la plus haute autorité de Kallitala comme signe de déférence, il déclara : "Augmentons-nous la production d'adusbraline et, au cas échéant, avec nos aviolobes de chasse, irriguons-la-nous sur les zones où il y a ce genre de terrorisme. Les premiers Pays pourraient être ceux où ces coups de main arrivent fréquemment."

        "Mais pourquoi l'adusbraline fît effet, il faut qu'elle soit inoculée dans le sang," répliqua l'Archonte.

        "Héphaïstos, le directeur de l'hôpital des Esculapes de Poséidon, il m'a anticipé juste ce matin que son équipe de recherche a identifié un gène pathogène qui, combiné avec l'adusbraline, rend malades les hommes qui les respirent les rendant, durant la maladie - pas plus grave d'une grippe qui les oblige à rester au lit pendant au moins trois jours - perméables à notre invention qui modifie l'ADN. Après cette période ils se transformeront en des êtres semblables à Henry Campbell, inoffensifs et sages."

        "L'idée est excellente, ami Pausanias," fit l'Archonte. "Tu sais que la production de cette enzyme est plutôt pauvre et comment pourrons-nous…"

        "Nous pouvons l'augmenter avec une relative facilité," répliqua avec accent Pausanias. "Jusqu'à présent, elle a été limitée à des cas assez sporadiques qui arrivaient à Kallitala. Mais, si nous construisîmes une autre usine à Boadicée, dans les voisinages de celle de l'embouteillage de l'air, ne nous manqueront pas les éléments pour en produire en quantité industrielle."

        "Eh bien, alors. Donne-toi les commandes appropriées à l'élaboration d'un projet par nos techniques. Pour l'instant, la priorité absolue est la construction des panneaux manquants dès que le Sargasses déchargera dans le port le matériel nous cédé par les Chinois et en même temps procéder à l'opération de stockage de l'air. Malheur à ceux qui portent attente au bonheur du peuple Hellène !" s'exclama l'Archonte, donnant avec ça terme à l'assemblée.

 

ΩΩΩ

 

        "Paris, cette nouvelle du bâtiment de l'usine à Boadicée, me préoccupe beaucoup," dit Phèdre lorsque son frère, maintenant non plus assidu dans la maison de ses parents depuis que le nouvel Enée était parti en mission.

        "Il n'y a rien à craindre, sœur. C'était déjà dans les projets de Protée d'adapter la vallée de Boadicée comme normale territoire hellène. Nous avons, désormais, trouvé l'homme qu'il faut : ton époux."

        "Mais si la mission dût s'échouer…"

        "Nous ne pouvons pas faire de nouvelles tentatives et nous devons nous adapter pour utiliser seulement nos ressources internes. Donc, même l'air qui nous emmagasinerons et, je t'assure, que nous allons le faire avec un tel engagement que les hommes devront s'adapter pour en respirer de plus pollué, puisque ce qui nous absorberons sera le plus pur."

        "Mais, Paris… Et Enée, c'est-à-dire, Henry… Qu'est-ce qui va lui arriver ?"

        "Enée, c'est-à-dire Henry Campbell, a l'avantage de disposer encore d'un certain discernement humain. Il ne sera pas si naïf autant que le premier Enée à sacrifier la vie pour ne pas se faire prendre avec les panneaux à neutrinos solaires, mirillinis et tout ce qu'il a dans la mallette. Il se défendra et restera avec tous les sens en éveil pour ne se faire par roulé et enfin à son flanc y sera Melésigène qui, comme m'a référé Pausanias, il est très avisé et doué d'une force extraordinaire. Ne t'inquiète pas, ma sœur. Ton Enée reviendra, quel que soit le résultat de sa mission."


19 -    REACTIONS EN  CHAINE

 

 

         Melésigène n'étant pas encore arrivé, il fut la cause involontaire de quelque difficulté en plus à Henry Campbell. Le nouvel Enée ne s'était pas attendu que Kekou Shang fît part de la délégation chinoise ni jamais imaginé que la partie la plus importante de cela, formée par Xuahn Li, deux importants fonctionnaires diplomatiques avec adéquat entourage, quatre techniques et, justement, par la splendide femme, eût réservé l'entier troisième étage de le Hilton Park Hôtel. Lui stupide de n'avoir pas demandé au concierge en chef lorsque s'était présenté à prendre la clé de son appartement, en raison du fait qu'il avait reçu le message de Protée que son compagnon de confiance serait arrivé bientôt.

        Et, d'ailleurs, lorsqu'il descendit pour dîner, en choisissant même le restaurant touristique de l'hôtel pour manger tout seul, s'imaginant que la délégation chinoise aurait fait la même chose, mais beaucoup plus tard et se rendant dans celui de luxe, il n'avait pas encore franchi le seuil, qu'il se sentit appeler par une voix douce et invitante. C'était Kekou, laquelle, qui sait comment, savait qu'il logeait dans son même hôtel et qui sait pourquoi, même l'heure où il désirait manger et, même où, enfin ! Il y avait à faire beaucoup d'attention et dans ce précis instant il se rappela les insistantes recommandations de son mentor Pausanias, qui n'était pas tellement convaincu que lui, quoique ex-humain, connût à la perfection l'esprit de ses semblables.

        "Bonjour, Henry," le salua la jeune femme, l'atteignant en deux élégantes foulées. "Je devrais dire quelle combinaison, mais de tout ce que tu fais je ne m'émerveille plus. Toutefois, c'est un plaisir de te revoir." Et, à un Henry resté sans un mot, tout concentré à chercher une réponse qui ne la mît pas en embarras : "Ne me semble pas l'heure appropriée pour manger et puis, pourquoi ne dînons-nous pas tous ensemble ? Tu sais, je suis arrivée avec la délégation au complet dirigée par le Docteur Xuahn Li."

        "Je te remercie, aimable Kekou, mais je ne peux pas. J'ai un engagement très important dans une heure et un bon appétit. Nous vous verrons demain dans les usines automobiles. Maintenant, je dois te quitter," il répliqua, faisant son entrée dans le restaurant.

        "Vraiment, Henry…" essaya d'insister la belle chinoise donnant à ses paroles une inflexion persuasive, mais le maître d'hôtel était déjà en train de faire chemin à l'hôte et Henry, tournant la tête vers Kekou restée à la porte, lui fit un signe de salutation et il alla pour s'asseoir à une table non visible de l'entrée.

        "Y-a-t-il un autre moyen de sortir ?" il demanda au maître, en lui tendant un billet de vingt dollars.

        "Bien sûr, Monsieur. Suivez-moi," il répondit, en froissant l'argent dans le poing tandis qu'il lui faisait route vers les toilettes, précédant Henry jusqu'à la fin du couloir il y avait une sortie de service qu'il ouvrit avec une clé tirée dehors de la poche où entre-temps il y avait rangé le billet de banque. "Venez, Monsieur. Celles-là sont les toilettes attenantes au restaurant de luxe. De là vous pouvez sortir dans les Arcades des boutiques. Là-bas, personne ne vous dérangera."

        Et, en effet, en dépit qu'ils fussent des gens qui regardaient les vitrines, Henry ne vit pas Kekou ni un autre chinois. Il arriva jusqu'à la fin des magasins et regarda du coin de l'un d'eux le grand hall. Il y avait plusieurs clients assis sur les canapés qui parlaient entre eux et six autres autour du comptoir de la grande réception qui tenaient occupés les employés. C'était le moment propice pour sortir et gagner la sortie en plein air en catimini. Il avait décidé de consommer son seul repas de la journée dans un restaurant en centre-ville et, fit un signe au préposé habillé d'un uniforme galonné comme celle d'un général, celui-ci fit approcher le premier taxi de la rangée d'attente des clients.

        Au chauffeur de taxi, un jeune homme qui parlait convenablement la langue anglaise, il demanda que le conduisît auprès d'un restaurant où servissent des mets de la cuisine internationale. Il détestait manger les savoureuses saucisses allemandes. Le chauffeur de taxi l'emmena en Karlsplatz, près de la gare de chemins de fer, l'invitant à entrer dans le luxueux Hôtel Konigshof où à l'étage il y avait l'un des restaurants les plus renommés de Monaco de Bavière.

        Le dîner fut excellent. Depuis longtemps Henry Campbell avait oublié le goût des aliments cuits avec une telle rare habileté. Les tagliatelles aux champignons avaient été vraiment spéciales. A les emballer ne pouvait pas qu'être un chef italien et le filet 'en croûte', là où il croyait fût recouvert d'une pâte feuilletée avait, au contraire, une couche d'amandes hachées qui l'avaient rendu croustillant à l'extérieur et tendre et juteux à l'intérieur. La seule boisson qu'il se pouvait permettre, comme, du reste, il avait fait en Chine, la bière. Seule une petite chope, cependant. Contrairement à celle-là plutôt aigre, cette-ci était dense, aimable et plutôt mousseuse.

        En quittant le restaurant, il se confondit parmi les gens en cet endroit assez nombreux. Il dut attendre trois taxis pour en prendre un et il s'y embarqua à la hâte, étant donné que dans les dernières minutes lui était venue à l'esprit la prémonition qu'il avait été trop imprudent de quitter son hôtel dans le parc, quoiqu'il ne courût pas le risque d'être dérobé de sa précieuse mallette en Calotex. Le concierge en chef lui ayant offert la possibilité à sa requête, il l'avait placé dans le grand coffre-fort central dans l'arrière de la réception, dans un compartiment dont seulement lui avait soit la clé que la combinaison.

        Dès que le taxi s'avança dans la route du parc, le chauffeur le fit dévier de la grande route asphaltée, s'engageant sur le parcours herbeux et, avant qu'Henry s'en aperçût, ils se vinrent à trouver l'abri d'un bouquet d'arbres. Là-bas le chauffeur de taxi descendit avec rapidité de la voiture et avec le pistolet dans la poignée, il alla ouvrir la portière arrière, menaçant Henry de sortir rapidement. Dans le même temps du cœur du bois se matérialisèrent trois individus louches, également armés, dont l'un desquels, arrivé par-derrière, flanqua à l'inconscient Henry un coup sec de matraque à la nuque, le faisant évanouir.

 

ΩΩΩ

 

        Pire qu'une prison, cela était un container. Moisi et, dans le coin où ils l'avaient déposé, même malodorant. Heureusement, cela avait une fenêtre à l'arrière, sans verres, mais fermé par une grille aux barres verticales. Henry qui, grâce à ses sens sensibilisés depuis qu'il avait été transformé en un Hellène, illico après y avoir été déposé, s'était réveillé. Et, quoiqu'il eût reçu un discret coup à la tête que ses agresseurs ravisseurs avaient cru le fît rester inconscient pendant un certain temps, par chance ils ne l'avaient pas lié. De sorte que, non seulement Henry se déplaça jusqu'à sous la petite fenêtre, mais il put, sans être dérangé, fouiller dans les poches de sa veste. Desquelles il retira un comprimé de Stetopan pour effacer la douleur qui lui martelait dans la tête, en outre que la petite bombe aérosol de Sapotran prête à l'usage.

        Dès que la douleur s'arrêta il fit pression dans le coin de container et poussa très fort. Le caisson se balança légèrement.

        'Mal !' Se dit-il. 'C'est déjà monté sur un véhicule.'

        Avec son ouïe prodigieuse il sentit s'approcher des gens. Ils étaient sans doute ses ravisseurs qui venaient d'ouvrir le conteneur pour vérifier s'il fût revenu à soi et, par conséquent, le lier et menotter. C'était ça qu'il s'attendait. Avec une belle éclaboussure de Sapotran il les aurait anesthésiés et serait sorti de cette désagréable cellule. Puis, avec toute tranquillité, étant donné qu'il devait se trouver encore dans le parc, il aurait atteint son hôtel comme si rien ne s'était passé. Stupide à ne s'être pas apporté la mallette. Mais comme aurait-il pu aller dîner dans un restaurant, la nuit, comme s'il fût un nostalgique homme d'affaires ! Sa conscience d'Hellène eut à le reprocher. Ne pouvait-il pas se nourrir dans le restaurant touristique du Hilton Park Hôtel ? Un véritable Hellène l'aurait fait. Son imprudence avait franchi toutes limites et si quelque chose de désagréable lui fût arrivé, à sa rentrée à Kallitala, autre que se marier avec sa bien-aimée Phèdre… Il aurait été relégué à Boadicée à terminer ses jours d'homme sot.

        Il n'avait encore fini de se plaindre, qu'il entendit distinctement deux hommes monter sur la cabine du camion et, tout tendu derrière la porte en attendant que quelqu'un vînt à le lier, tenant en main le récipient de Sapotran prêt à l'emploi, il resta déçu parce que le camion se mit en mouvement et partit pour une destination inconnue.

        Après le ballottement initial dû aux virages pour prendre une route droite, qui l'empêcha tout mouvement, finalement la course du gros véhicule devint linéaire et le bruit du moteur constant. Seulement alors Henry, de peur que le camion s'éloignât trop, il pensa à comment se libérer. Le cheriosmate qu'il avait sous la peau lui aurait fourni les impulsions pour sortir plus rapidement de l'endroit où il était, à condition, cependant, s'il se fût trouvé en plein air. S'il l'eût utilisé dedans le container, il serait allé pour heurter d'une paroi à l'autre. Cependant, tout en lui avait été renforcé. De la vue à l'ouïe et, donc, même la force. Cela aurait été une blague plier ou, mieux, arracher les barres de la fenêtre. Mais juste parce que c'était une petite fenêtre, son corps ne s'y serait jamais passé. Malheureusement, les Hellènes n'avaient pas pensé à inventer quelque chose qui permettrait de le réduire temporairement… Et puis, quoi faire ?

        Le camion s'arrêta plus tôt de quand Henry avait pensé. Dans l'attente que quelqu'un vînt à ouvrir le hayon pour le transférer en quelque autre lieu, il s'y blottit tout près, prêt à faire éclabousser un petit nuage bien dosé de Sapotran. Il était tout en tension pour le faire, lorsqu'il sentit le lointain retentissement d'un hélicoptère en vol. Donc, ses ravisseurs savaient du narcotique dont il disposait, par conséquent ils ne pouvaient pas qu'être des Américains, parce qu'avait été contre eux que le vrai Enée des Anchises l'avait utilisé dans le long fleuve de Manhattan.

        'Si sont eux, je ne vois pas laquelle soit la sortie de secours pour moi,' il se dit découragé.

        Ses plus profondes pensées pour trouver une solution vinrent interrompues par le puissant bruit des moteurs et du tourbillon des doubles pales de l'hélicoptère.

        ' Ceci doit être un Chinook. De ceux gros de l'Armée, avec deux puissants rotors, capables de soulever un char armé… Aïe, aïe, ils sont en train de mettre un baudrier au conteneur. Je suis perdu ! '

        Il sentit manigancer et le classique glissement, au-dessous, d'un premier câble d'acier, puis d'un deuxième et un homme qui venait de s'affairer sur le toit pour unir les quatre harnais de l'élingage, tandis que le bruit de l'hélicoptère se faisait étourdissant. Malgré ça, ses sens aigus perçurent le piétinement de plusieurs hommes qui, une fois arrivés au camion, criaient d'une voix de stentor quelques mots gutturaux qu'Henry interpréta s'agissant des commandes sommant d'arrêter immédiatement ce qu'ils faisaient. Il sentit, en fait, le bruit sourd de la chute des quatre crochets. L'hélicoptère effectua un soudain cabrage et son assourdissant bruit alla progressivement pour s'éteindre, tandis qu'aux ordres péremptoires qui venaient donnée aux deux hommes du camion, s'ajoutèrent les voix stridentes de deux Chinois. Henry reconnut d'abord celle de Kekou et ensuite de Xuahn Li.

        "Quel sot," lui murmura la jeune femme, dès qu'elle put se retrouver face à face avec Henry, dans ce moment assez éloigné des autres. "Afin de ne pas dîner avec moi, tu t'es allé pour te plonger dans un grave ennui. Sais-tu qui étaient-ils ?"

        "Des Américains, sans aucun doute," répondit Henry, qui tenait encore en main la bombe aérosol de Sapotran.

        Kekou, curieuse, se détacha un peu pour la regarder mieux, quoique l'obscurité de la nuit fût à peine interrompue ici et là par les torches des policiers allemands. "Qu'est-ce que c'est ?"

        "Rien, rien," répondit Henry, se la mettant dans la poche. "Tu étais en train de me dire qui fussent mes ravisseurs. Comme je dis, donc, des Américains…"

        "L'hélicoptère, oui. Il doit être de quelque base Américaine. Les policiers n'ont pas été en mesure de voir les chiffres parce qu'il volait avec les phares éteints, mais tu verras qu'ils le trouveront à travers le plan de vol."

        "Hélas !" s'écria Henry, se laissant échapper une exclamation : "Encore !"

        "C'est déjà arrivé ?" demandé à la rusée Chinoise.

        "Non… Non. Seulement que… " chuchota Henry et, fixant son regard dans les beaux yeux de la jeune femme, "quelqu'un doit les avoir informés…"

        "Ne penses-tu pas à moi ou à mon gouvernement, Henry. Je peux te démontrer que nous n'avons pas fait suinter aucune nouvelle."

        "Qui seraient-ils, alors ?"

        "Les hommes qui t'ont enlevé n'étaient pas Américains."

        "Allemands, donc. Comme ceux qui ont conduit le camion jusqu'ici et que la police vient à peine d'arrêter."

        "Ces deux sont des faibles exécutants. Ils ne peuvent pas être accusés d'enlèvement. Ils ont déjà dit qu'ils ne savaient pas ce qui était dans le conteneur."

        "Qui d'autres, alors ?"

        "Arabes. Ainsi ont dit les deux du camion. Qui les a payés grassement pour le conduire dans cette zone déserte afin que le conteneur, une fois élingué, vînt enlever par l'hélicoptère."

        ‘ C'est presque logique. Comme avait prévu Pausanias, ' se dit Henry.

        "Maintenant, Henry, ne veux-tu pas dire mois qu'est-ce qu'était cette bombe aérosol qui tu viens de te mettre dans la poche ?"

        "Qu'est-ce… Qu'était-ce ? Un simple pulvériseur nasal. Tu sais, dans ce conteneur, il me manquait l'air et puis, il y avait une puanteur…"

 

ΩΩΩ

 

        'Donc les Américains se sont coalisés avec les Arabes pour me soutirer le secret du panneau solaire à neutrinos,' se dit Henry avec un aigu sens de culpabilité. ' Les premiers pour avoir l'exclusivité et utiliser à leur convenance l'invention hellène et les secondes, c'est prévisible, pour sauver leurs richesses minérales. Les Américains, puis, qui pour le pétrole, comme ils ont déjà démontré amplement, ils déclencheraient une guerre partout dans n'importe quelle partie du monde, disposent des gisements qu'ils tiennent semi-actifs préférant acheter le pétrole qu'on extrait en dehors de leurs frontières. Ils possèdent les plus grandes compagnies pétrolières, autour desquelles tourbillonnent des affaires gigantesques et elles sont en mesure de déterminer la direction politique de la nation. Peut-être, pour me pavaner devant Phèdre et pour gratitude à Pausanias, j'ai exagéré en me proposant pour cette mission. Quasi, quasi, si j'eusse à nouveau de côté Melésigène, lui, si bon et attentionné…'

        Et lorsqu'il fit son entrée dans l'appartement, accompagné jusqu'à la porte par Xuahn Li et par Kekou, lesquels ne cessaient pas de le conseiller de ne plus commettre des imprudences, il vit Melésigène alias Lloyd Clodell, confortablement assis sur le canapé de la salle séjour qui divisait à moitié l'appartement, en un état de grande paix, quand même un léger sourire lui crispât les lèvres dès qu'Henry eut fermé la porte derrière soi.

         "Ah, finalement !" s'écria Henry. "Tu ne sais pas combien tu m'aurais été utile avant. Cette femme espionne me harcèle partout où je me rends…"

        "Ce fut toi à m'éloigner, ami Enée," répliqua d'une voix calme Lloyd qui, quand ils n'étaient pas surveillés, l'appelait avec le nom hellène. "Il semblait que te brûlât le sol sous les pieds en ma compagnie."

        "Qu'est-ce que ne me dis jamais, ami Melésigène ! C'était nécessaire que tu retournasses à Kallitala. Ton temps venait de terminer. N'est-ce pas ça ?"

        "Il suffisait que l'aviolobe en service sur le Sargasses m'emmenât à bord pour 'me recharger' dans l'infirmerie et j'aurais été en mesure de rester avec toi pour encore dix jours. Assez pour…"

        "Pour m'empêcher que je m'enfonçasse dans cette terrible aventure et, peut-être, même rester à Shanghai tandis que les Chinois qui savent ce qui ils auraient trafiqué ici à Monaco…"

        "Justification adéquate. Pausanias était également d'avis que nous eussions présents aux négociations avec cette grande usine de voitures Allemande. Ne le considères-tu pas comme un reproche, jamais de la vie ! Toutefois nous aurions dîné ensemble ici à l'hôtel où sont actifs les services de sécurité, en plus, si tu me le permets, avec ma présence…"

        "Tu m'aurais protégé de quiconque. C'est juste et je t'en demande pardon, Lloyd, "répondit Henry, qui entre-temps se gardait autour pour découvrir si par hasard même dans cet appartement, ainsi comme dans cela de l'Hôtel de la Paix à Shanghai, ils y fussent des micros et des caméras cachés.

        "Ne t'inquiète pas à ce sujet, Enée. J'ai déjà tout vérifié tout. Il n'y a rien et de cette salle séjour qui se trouve au milieu des deux chambres, j'ai contrôlé que ne peut pas filtrer en dehors même pas un hurlement."

        "Très bien. Bienvenu, ami Melésigène. Demain nous aurons une journée lourde. Les Chinois ont déjà débarqué les trois premières voitures électriques et, après la démonstration, ils vont commencer les négociations pour la vente de stocks de mille exemplaires chacun."

        À huit heures du matin, les deux Hellènes étaient déjà assis à une table du restaurant touristique pour le petit-déjeuner, qui pour eux se composait d'une tasse de café long et d'un double jus d'orange. Ils étaient là depuis cinq minutes, quand arriva Xuahn Li suivi par la délégation au complet, une vingtaine entre démonstrateurs et ingénieurs. Y manquait, cependant, la belle Kekou et Henry, pour la première fois, il en éprouva un léger regret. Si n'ait pas été qu'elle le tenait toujours sous son œil, la veille il n'aurait pas été sauvé et qui sait si l'opération d'enlevage avec hélicoptère fût réussie, où il se serait trouvé dans ce moment.

        "Je vois avec plaisir que M. Clodell est revenu," dit Xuahn Li, une fois approché à la table des deux amis, tendant la main à Melésigène, que le bon Hellène serra avec chaleur et enfin, s'adressant directement à Henry avec un sourire entre le sarcastique et l'amusant, il ajouta : "Cela vous évitera des autres mauvaises rencontres, ingénieur Campbell. Ici, nous ne sommes pas dans la pacifique Chine."

        "Dans tout le monde les choses sont pareilles…" bafoua Henry et puis, plus décidé, "nous ne pouvons jamais nous émerveiller de l'incompréhension humaine. Nos panneaux à neutrinos solaires, qui devraient nous rendre la vie plus saine, inspirent en certains le désir de la possession au seul but de ne pas changer les vieilles règles du jeu. Les Américains pour s'assurer toujours leur supériorité et sécurité, comme si ne suffissent pas deux océans à les diviser des autres peuples et les Arabes, qui n'ont jamais agi pour s'émanciper comme des Pays industrieux, de se maintenir riches grâce aux bénéfices de l'or noir."

        "Je suis flatté par vos mots, M. Campbell. Offrant à nous les Chinois votre invention…"

        "Ce n'est pas une invention à moi," coupa court Henry en regardant Lloyd pour le rassurer.

        "Je le sais, vous l'aviez toujours souligné. Mais je ne saurais pas comme la définir d'une façon plus simple. Accordez-vous ça à moi, s'il vous plaît. En l'offrant à mon peuple, vous étiez sûr que tout le monde occidental en aurait bénéficié à des coûts très abordables."

        Henry ne répondit pas, mais il se porta aux lèvres le deuxième verre de jus et Xuahn Li interpréta ce geste comme la fin de l'entretien. Il fit un salut et se dirigea vers la table où ses deux adjoints l'attendaient pour commander le petit-déjeuner.

        Les deux Hellènes sortirent dans le parc. La journée était splendide et quoique fût encore tôt, on voyait les habituels premiers fanatiques du jogging se promener le long des avenues au rythme d'une légère course, tandis que dans l'arrière-plan émeraude de prairies certains chiens se poursuivaient joyeusement, observés attentivement de leurs maîtres avec la laisse dans la main et une chose plus importante dans l'autre. Quoiqu'on semblât qui ne le fût pas, le parc était surveillé d'une manière discrète par des policiers métropolitains et malheur si aux déjections des chiens n'ait pas été immédiatement suivie l'intervention extirpateur de leurs accompagnateurs !

        Grâce à ces policiers ainsi qu'à Kekou, la veille Henry avait été enlevé d'une situation embarrassante, de sorte que se tournant vers son compagnon, il eut à lui dire : "Crois-tu qu'à Kallitala ils aient su de la tentative d'enlèvement ?"

        "Certainement pas," répondit Melésigène, qui s'attendait à une telle question. En fait, il ajouta : "Sois-tu tranquille, ami Enée, je n'en ferais pas mention," et, en lui donnant une petite tape sur l'épaule, "après tout, je n'étais pas présent lors de l'événement et je suis venu à le savoir que pour une simple combinaison."

        "Ah, alors tu la considères une simple combinaison ?" répondit Henry, lui adressant un petit sourire complice. "Maintenant je demande à Xuahn Li s'y est tout prêt pour la présentation de nouvelles électros voitures."

        Le chef de la délégation chinoise, qui venait de mordre un croissant, quand, voyant Henry venir à sa table, posa le gâteau sur la soucoupe et en s'excusant avec un clin d'œil à ses deux convives, il se leva pour aller à sa rencontre.

        "Ingénieur Campbell…" il dit lui souriant, "en quoi puis-je vous servir ?"

        "Il n'y avait pas besoin de vous lever," répondit Henry un peu confus, quand même il se fût habitué à la cérémonie des Chinois. "Je voulais simplement vous demander quand et où arrivera la conférence de presse."

        Xuahn Li le lui dit, se recommandant pour se rejoindre à lui dans une demi-heure. "Mes collaborateurs déjà d'hier ont rangé les voitures après qu'elles ont été déchargées de l'avion avec qui je suis arrivé."

        "Et les autres dedans l'autre Jumbo ?"

        "L'avion-cargo est stationné dans l'aire de stationnement de l'aéroport de Monaco. Les dix voitures qu'il contient ne viennent pas débarquées ici. Nous laisserons les trois prototypes à disposition de l'usine auprès de laquelle, parmi aujourd'hui et demain, nous irons faire les démonstrations. Celles-là qui sont encore dans le Boeing 747 cargos nous serviront pour les mêmes raisons dans d'autres usines dans deux villes différentes de l'Allemagne. Tout debout à Stuttgart et ensuite…"

        "Mais il n'y avait vraiment pas besoin de les emmener auprès de plusieurs constructeurs automobiles allemands ? Ce n'était pas mieux de faire une seule démonstration pour tout le monde dans cette ville ? Mon ravissement d'hier soir m'a donné l'impression que ce type de voiture ne soit pas la bienvenue. Ne sera-t-il pas que…"

        "Mais figurez-vous !" répliqua Xuahn Li, lui coupant la phrase à moitié. "Les auteurs de l'enlèvement, désormais il est bien clair, Ceux étaient des Arabes en accord avec les Américains. Peut-être à la fois engagés par les producteurs de pétrole. Ici, la chose est différente. Nous nous trouverons en face de certains des plus grands fabricants de voitures, très intéressés à nos produits."

        "En êtes-vous vraiment sûr ?"

        "Nais certainement, ingénieur Campbell," répondit un peu irrité le chef délégation de la Chine. "Notre visite est le résultat des accords préliminaires et à l'inspection, auprès de la Whang Rong Automobiles de Shanghai des dirigeants des trois principales usines automobiles allemandes. Ils savent déjà comment faire fonctionner les véhicules, qui aujourd'hui nous présenterons à toute la presse spécialisée."

        "Eh bien, Docteur Xuahn Li. Nous nous verrons dans cet endroit dans deux heures au plus tard."

        "Mais, comment ! Ne venez-vous pas avec moi ?"

        "Non, je viendrai avec mon collègue Clodell. Ne vous inquiétez pas, cette fois-ci, je serais bien protégé," répondit Henry, lui serrant la main en prendre congé. Ensuite, se tournant vers Lloyd et lui faisant un clin d'œil, les deux sortirent du restaurant et se dirigèrent vers la réception.

        Où le serviable directeur, sorti de son bureau pour l'occasion ayant été par le concierge, il alla cérémonieusement à leur rencontre.

        "Puis-je vous aider en quelque chose, Messieurs ?" il fit avec déférence.

        "Je vous remercie. Je retire ma mallette," répondit Henry.

        Dix minutes plus tard, les deux amis se trouvaient dans leur appartement et Henry s'apprêta à monter les mirillinis sur un panneau solaire. Il devait entrer en contact avec Kallitala pour transmettre à Protée les dernières nouveautés. Le fait que dix électros voitures fussent encore dedans le ventre de l'avion de la China Airlines stationné dans une aire de l'aéroport, qui sait si bien gardé, le préoccupait.

        "Regarde, Melésigène," il dit avant de démarrer l'ordinateur. "Cela de se taire au sujet de ma mésaventure d'hier soir, ne me semble pas une bonne idée. Peut-être qu'avec ces informations Protée peut nous communiquer les mouvements les plus appropriés à prendre. Je ne me sens pas tranquille dans ce Pays où circulent librement des gens de toutes nationalités. Je suis également convaincu qu'il y a beaucoup de contre-espionnage partout. Des Américains, Anglais et Arabes en particulier."

        "C'est comme ça, ami Enée," répondit Melésigène, affectant un sourire libérateur.

        Dès qu'Henry se fut connecté avec Kallitala, ils entendirent le bruissement d'une explosion si puissante à faire trembler les vitres des fenêtres. Il venait de l'aéroport, à moins de vingt kilomètres. Melésigène regarda dans cette direction si par hasard dans le ciel libre de nuages ​​s'en montât une de fumée noire. Rien, tout restait invariable. Il appela à l'interphone au concierge qui lui répondit de ne rien savoir encore. Peut-être que la radio ou la télévision en auraient parlé d'un moment à l'autre. Alors Melésigène, tandis qu'Henry était occupé à communiquer avec Kallitala, il alluma la radio. Généralement elle précède la télévision pour donner les premières nouvelles. Il tomba sur une station juste qui, malgré le journaliste parlât en allemand, avec les quelques mots qu'il connaissait, il comprit s'agît d'un avion explosé sur la piste. Autre chose il ne réussit pas à comprendre, mais étant donné que le personnel préposé de la conciergerie de l'hôtel avait compris tout, il appela à nouveau le concierge. Les nouvelles apprises étaient plutôt fragmentaires ni on ne savait pas si l'avion avait pris feu si pendant le décollage ou l'atterrissage.

        Protée, à la nouvelle qu'Henry lui avait introduite, après seulement une minute répondit que certainement l'explosion avait été causée par un attentant à l'avion de la China Airlines qui contenait les dix électros voitures et que lui et son compagnon soient très attentifs lorsqu'ils se furent rendus à la manifestation, restant à l'écart des délégations et qu'ils s'en restassent dans l'ombre pour essayer de deviner ce qui pourrait arriver.

        Quand ils s'y rendirent, il n'y avait rien à découvrir, à l'exception pour voir la délégation chinoise, Xuahn Li en tête, qui était au découragement à cause de ce qui s'était passé. Ne sachant pas encore que le Jumbo cargo avait été détruit dans l'aire de stationnement de l'aéroport qui, entre autres choses - ainsi on disait - avait causé une douzaine de victimes entre l'équipage naviguant et les agents de la surveillance de l'aérogare, il venait de se désespérer, criant maintenant furieuses plaintes, maintenant plaintives exhortations aux Autorités présentes, mêmes elles bouleversées pour ce qui s'était passé.

        Les trois voitures électriques, fierté de l'ingéniosité chinoise même si alimentées par le panneau solaire à neutrinos Hellène, étaient disparues et tout d'abord il n'y avait aucune trace laissée par les voleurs qui pût faire diriger les enquêtes vers une cible spécifique.

        Des inférences à n'en plus finir, de la part de tout le monde. La plus raisonnable l'exprima à Henry son ami Melésigène, lequel soupçonnait que le vol ne pouvait pas arriver sans la complicité du personnel préposé à la surveillance. Il hasarda de plus. Telle complicité pouvait être partagée par les dirigeants de la grande usine de voitures sinon, pire, même par le gouvernement.

        "Certainement. Il ne peut pas être autrement, Lloyd," dit Henry. "J'ai eu le soupçon quand j'ai été enlevé. Laissons tomber sur quelque voyou soudoyé, mais un hélicoptère du type militaire, même s'il ne portait pas les signes ou on les eût recouverts temporairement, il serait de facile identification si la police le voulût. Et, au contraire, on ne s'en sait encore rien. Il semble qu'il se soit volatilisé, parce que les premières enquêtes ont donné un résultat négatif. Il semble qu'aucun hélicoptère de ce type se soit levé en vol hier soir dans toute l'Allemagne. Penses-tu, quelle étrangeté !"

        "Pausanias, avant que je t'atteignisse en Allemagne, m'avait confié pour être très en appréhension au sujet de cette mission. Il n'y croit plus…"

        "Mais…" Henry était sur ​​le point de répliquer.

        "Non, tu n'en es pas à blâmer. Il a beaucoup de confiance en toi. Beaucoup moins, cependant, en tes anciens similaires. Le panneau solaire représente un danger pour les hommes avides de pouvoir et d'argent. Ça apporterait trop d'avantages à la grande majorité de la population humaine et annulait de nombreux privilèges à peu de marionnettistes qui tirent les ficelles du monde. Pour cette raison l'Archonte a donné l'ordre de construire une grande usine pour abriter autant d'air que possible et suspendu la production de la deuxième tranche de panneaux."

        "Pourquoi tu ne m'en as pas informé immédiatement ?" demanda Henry avec mépris. "Je sais que c'est antipathique que je te le dise, mais je voudrais te rappeler que tu as été mis à mon service, avec l'obligation de m'assister."

        "Ami Enée des Anchises…" répondit Melésigène d'un murmure, l'emmenant plus lois des gens, qui en tout cas n'auraient pas compris la langue dans laquelle ils causaient, "tu sais bien que le mot obligation n'existe pas pour un Hellène. Je voudrais te rappeler que je suis ici uniquement pour te protéger et, enfin, même pas moi me serais attendu qu'arrivassent des choses pareilles. Je ne t'ai pas parlé avant pour ne te décourager pas dans la tâche que tu t'es préfixée. Laquelle est vraiment noble, mais maintenant l'affaire est différente. Nous nous trouvons en face à des faits incroyables et je t'avoue pour être en appréhension pour les usines Chinoises."

        "Pardonne-moi, Melésigène. Par conséquent, à Kallitala ils ne croient plus à l'opération panneau solaire ?"

        "Libre toi d'en tirer les conclusions," fit l'Hellène.

        "Alors, nous devons rentrer au plus tôt à Shanghai. Retournons-nous à l'hôtel. Je dois me mettre en contact avec Kallitala."

        "Ne penses-tu pas à l'hôtel. Je suis sûr qu'ils sont déjà en train de nous chercher. Comme tu as la mallette avec, défilons-nous et, profitant qu'ils ont tous en confusion, enfuyons-nous."

        "Mais où ?"

        "Dans n'importe quel endroit. Avec le Kériosmate nous pouvons nous nous trouver sur les berges de l'étang du parc."

        "Bonne idée, Melésigène. Nous irons faire une belle escapade en bateau. Je connais un petit vieil Allemand qui…"

        Lequel, quand il vit le billet de cent dollars qu'Henry lui donnait, sans dire un mot, il se fit suivre par les deux jusqu'à sa meilleure barque les invitant à y monter et toujours sans dépenser aucune de ses paroles gutturales, avec l'index pointa sa montre-bracelet et il en prononça deux rares : 'aucune limite de temps', les faisant suivre du généreux geste du bras vers l'eau comme à signifier que soit le petit lac que l'embarcation étaient à leur complète disposition.


20 -    CHANGEMENT DES STRATEGIES

 

 

         En dehors du regard curieux de l'homme, étant donné que l'explosion arrivée à l'aéroport avait mis en appréhension tout le monde y compris les touristes qui habituellement se pressaient dans le petit lac pour des promenades romantiques en bateau, Henry, tandis que Melésigène s'éloignait avec de coups de rames vigoureux, ouvrit la mallette en Calotex et en extraira un panneau solaire à neutrinos sur lequel il monta les mirillinis. Il devait appeler l'aviolobe qui conduisît tous les deux à Shanghai pour l'opération qu'il avait dans son esprit, en recevant la rapide autorisation de Protée.

        Le temps d'attente était d'une demi-heure, de sorte que les deux avaient la possibilité de s'échanger avec du calme leurs opinions sur ce qui était arrivé.

        "Donc, Melésigène, penses-tu encore que s'agissaient des Arabes assistés, peut-être, par les Américains ?"

        "Oui, Enée. Seulement que maintenant je suis convaincu que sont les Arabes les collaborateurs et les Américains, c'est-à-dire ceux-ci de la CIA, à tirer les fils de l'affaire."

        Cette quelque chose qui était resté d'humain-américain en Henry se révolta presque à ces affirmations. "Les Américains…" il dit irriter, "ne font pas ces opérations lorsqu'il y a le risque de tuer des innocents."

        " Peut-être, Enée…" répondit séraphique Melésigène, "ils font faire le sale boulot aux autres, mais le résultat est toujours le même et à mon avis, cela est la pire faute. Où voudraient-ils arriver…"

        Il n'avait pas encore terminé la phrase que la barque subit une forte secousse et Melésigène, qui s'était penché pour voir ce qui l'eût causé, vint saisi au cou par deux bras puissants noirs et traîné dans l'eau. Henry, à cette vue, n'ayant pas la possibilité de démonter l'ordinateur, il eut à peine eu le temps d'en tirer dehors de la mallette la bombe aérosol de Sapotran, mais pas la possibilité de l'utiliser, parce qu'un lasso du type argentin avec les bolas, lancé avec habilité par un homme-grenouille en tenue noire, lui bloqua tout mouvement et immédiatement, soit la poitrine que les bras en furent enveloppées.

        "Arrêtez-vous !" dit un troisième homme sortit soudainement de l'eau, tandis qu'en émergeaient trois autres et puis un cinquième, qui tenait par la peau du cou l'effrayé Lloyd, ligoté comme un saucisson, qui flottait détendu sur ​​l'eau.

        "N'ayez pas peur, nous ne voulons pas vous faire du mal, mais…"

        Avec les mains et les poignets libres, Henry s'affairait avec l'ordinateur. Il pouvait actionner le mécanisme de l'autodestruction des trois panneaux solaires, mais cela aurait causé sa mort et de tous les autres autour de la barque, y compris l'ami Melésigène. L'échec complet de la mission auprès des Chinois en possession de plusieurs centaines de millions de panneaux solaires spéciaux, aurait représenté un danger pour le peuple des Hellènes. Il réussit seulement à déconnecter l'ordinateur des mirillinis et à les éparpiller sur le plancher, les rendant ainsi inutilisables. Ses ravisseurs, une fois en possession des trois panneaux, ils n'auraient jamais été en mesure à identifier leur secret, parce qu'à la première tentative de les ouvrir pour en découvrir leur composition, ils se seraient autodétruits. Il suivit l'ordre du chef des hommes-grenouilles, dont la façon de parler lui avait fait accepter la thèse de Lloyd. Ils étaient vraiment des Américains.

        Des Forces Spéciales, les célèbres SEAL, en fait, et même décidés à tout, ce qui semblait.

        Comme le premier d'entre eux monta à bord de l'embarcation tandis que les autres la poussaient en direction de la berge plus proche restant dans l'eau, il s'empara de la mallette et arracha de la main d'Henry le panneau solaire. Puis il ramassa les étranges petits cubes éparpillés sur le plancher et, après s'être enlevé le casque, il dit avec du calme à Henry : "Ne vous inquiétez pas, ingénieur Campbell. Nous venons d'agir pour votre bien-être et puis, ne sommes-nous pas des compatriotes, n'est-ce pas ?"

        Henry n'eut aucune réaction. Il s'était tranquillisé lorsqu'il avait vu que Melésigène était sain et sauf sur la berge où il gisait détendu avec les bras ligotés étroitement au corps.

 

ΩΩΩ

 

        L'interruption soudaine de la communication de la part de Enée des Anchises, mit en alerte le centre opérationnel de Poséidon. Le pilote Praxitèle, qui avait déjà transporté Melésigène, était déjà aux commandes de l'aviolobe sur le toit à terrasse du toit du palais du Grand Conseil, quand lui arriva l'ordre de ne pas décoller. Protée venait de préparer un plan d'émergence, dont le résultat devait être approuvé tout d'abord par les conseilleurs du Grand Jury, quoique n'étant pas présents au palais, ils étaient, cependant, déjà en contact en visioconférence et, enfin, la décision de l'Archonte.

        Le plan était assez simple. Deux aviolobes seraient décollés et, une fois atteints les deux prisonniers, car ils connaissaient leur position minute après minute grâce au cheriosmate qui chacun d'eux avait implanté sous la peau de l'humérus droit, avec des jets ciblés de Sapotran ils auraient narcotisé les ravisseurs et libéré Enée et Melésigène. Ensuite il les aurait transportés immédiatement à proximité de Shanghai, où, avec les spéciaux équipements de bord et après en avoir informé les préposés à l'assemblage des électros voitures de s'éloigner à une distance de sécurité, ils auraient commencé à rendre inutiles tous les panneaux à neutrinos solaires. Quand même pour un travail de ce genre, étant donné l'énorme quantité d'éléments, signifiât un temps assez long. Dans ce cas, au moins dix jours.

        Ensuite, le triste retour à Kallitala, scellant ainsi le deuxième échec de la mission de paix. Mais, au moins, vivants.

        "C'est contre nos principes et les lois que nous nous sommes donnés, de causer un dommage physique ou la mort de tout être vivant qui ne soient pas les habitants qui vivent en dessus de la surface de la mer. Comme vous le savez bien, d'innombrables générations avec ceux nous le faisons seulement pour nous nourrir," dit l'Archonte devant le grand écran de Protée.

        "C'est juste comme ça," lui répondirent tous les vingt conseilleurs, chacun apparaissant sur l'écran assez pour dire ces quelques mots.

        " Il ne nous reste plus rien que fermer Boadicée et créer d'énormes réserves d'air non pollué pour notre survie. Les ingénieurs en chef Thales, Anastase et Perséphone, auteurs du projet Protée, m'ont assuré que l'usine en construction pourra embouteiller autant d'air qui nous servira pour au moins vingt de nos années. Dès que l'opération, prévue en six mois, sera terminée, sera conçu un système pour un complet recyclage. Cela permettra d'assurer la survie de notre île état jusque sur la Terre, martyrisée par les hommes, il y aura la vie végétale et animale."

        "Ce n'est pas exclu que les hommes viennent à raisonner d'une façon plus acceptable," intervint Pausanias l'optimiste, dont le visage apparut sur l'écran. "Lorsqu'ils réaliseront pour avoir perdu l'occasion de se sauver, peut-être ils accepteront de bon gré de renoncer à leurs intérêts égoïstes et utiliseront nos panneaux."

        "Pausanias, mon ami, je prends note de ton immense générosité, mais je ne suis plus disposé à gaspiller les ressources de Kallitala d'en construire à nouveau. Qu'ils se débrouillent par eux-mêmes et quand ils verront que, en plus que l'ozone, se sera réduit même l'air, les humains comprendront pour se trouver sur le bord de l'abîme et serait la tâche de leur intelligence pour s'en éloigner au moment opportun. J'ai terminé."

        La vidéoconférence étant finie, l'Archonte donna ordre afin que les deux aviolobes, déjà équipés de spéciaux canons à recherche laser pour tirer des jets de Sapotran, partissent immédiatement pour leur mission et que le Sargasse, actuellement situé au sud de la péninsule arabique, se mît en navigation pour atteindre le point X placé à mille cinq cents milles de la côte de la Chine, à angle droit vers le sud de la grande ville maritime de Shanghai. Cela pour faciliter les transmissions à ondes intra-aqueuses avec le centre opérationnel de Kallitala de manière à suivre chaque opération et, si nécessaire, parce que les humains ont toujours des comportements imprévisibles, intervenir de façon plus décisive pour sauver la vie des deux Hellènes et rendre inutilisables les panneaux. Ceux qui ont été volés par l'organisation qui avait enlevé Enée et Melésigène, pouvaient être utilisés pour faire fonctionner un moteur électrique, sans aucun danger que les hommes en découvrissent le secret, puisque pour le faire ils auraient dû les ouvrir avec les conséquences catastrophiques inévitables. Et si ensuite quelqu'un plus intelligent d'entre eux y dût réussir, ils n'auraient pas pu remonter à la formule ni trouver les matériaux avec lesquels les panneaux sont construits. Qu'ils se les tiennent tous les six. C'était la meilleure preuve de leur folie.

        "Peut-être…" dit Pausanias à l'Archonte, s'étant immédiatement approché pour lui parler directement, "nous pourrions renvoyer l'opération pour la non-utilisation de plus de cinq cents millions de panneaux solaires déjà stockés en Chine, ami Archonte."

        "Toi toujours aussi disponible afin de ne pas nuire aux humains, Pausanias," répliqua avec bonhomie l'Archonte.

        "Si, comme tu avais mentionné, les hommes qui ont commandé le vol de six panneaux deviennent plus raisonnables les voyant en fonction sans qu'ils soient alimentés par un combustible quelconque, cette énorme disponibilité actuellement entre les mains des Chinois, cela pourrait être utilisé à nos buts."

        "Veux-tu faire éclater une guerre à mort ? Cette fois, atomique, puis !" exclama l'Archonte. "Les Chinois n'accepteront jamais de partager les panneaux, qui désormais ils considèrent de leur propriété, avec d'autres nations. Les accords prévoient qu'ils doivent construire des voitures à vendre, mais à des prix ultra-compétitifs, à distribuer à tous, sans distinction."

        "Avec des profits qui rendraient la Chine le plus riche Pays dans le monde," dit tristement Pausanias.

        "Il était prévu même ça," reprit pour dire l'Archonte. "Afin de ne pas alimenter cette ambition, j'avais décidé que, une fois mirent en fonction les premiers cent millions de panneaux solaires, on viendrait à manquer à jamais l'élément déclencheur de la fission de l'atome qui provoque l'explosion atomique, de sorte que si les hommes voulussent se faire la guerre, ils pourront la faire avec les seules armes conventionnelles."

        "Eh bien, ce sera quand même toujours la guerre et puis, les déflagrations aussi de dynamite ou d'explosifs plastiques, ne feraient certainement pas du bien à l'atmosphère," répliqua Pausanias.

        "Oui, c'est vrai, mais, tant pis," répondit avec décision, l'Archonte.

        "Alors…" fit sérieusement Pausanias, "il faut trouver la manière de nous emparer des panneaux solaires ou, au moins, réussir à les cacher mieux avant leur utilisation et ne pas les rendre inutilisables pour toujours. Le matériel que nous avons utilisé pour les construire est trop précieux et si nous en eussions ensuite, nous pourrions l'utiliser à nouveau…"

        "C'est juste ça le problème qui seulement Enée, alias Henry Campbell, pourra nous aider à résoudre," dit l'Archonte. Mais puis, à la suite d'une soudaine réflexion, il ajouta : "Nous pourrions étudier une solution afin d'éviter que les humains se fassent la guerre."

        "Est-ce que serait ?" demanda Pausanias.

        "Le reste des panneaux, cher ami. Le reste des panneaux étant encore dans les cales du Sargasse, si les Chinois dussent se tenir ceux qui ont déjà, nous pourrions également les distribuer équitablement parmi tous les peuples de la Terre, auxquels nous ajouterons ceux qui, grâce à la fourniture de divers matériaux nous donnés en échange par les Chinois, sont en phase de construction."

        "Mais… Archonte," eut à répliquer prudemment Pausanias, "nous revenons pour avoir à résoudre l'ancien problème qui a provoqué la mort du jamais assez regretté Enée des Anchises, le vrai."

        "Bonne observation, ami Pausanias. Nous soumettrons cette question à Protée et après sa réponse, nous allons tenir une assemblée générale du Jury, d'ici à une semaine pour en discuter."

 

ΩΩΩ

 

        Il semblait que les hommes qui les avaient faits prisonniers fussent au courant de leur capacité, car ils n'avaient pas l'intention de les délier. Bien entendu, ils ne pouvaient pas savoir du Kériosmate même s'ils avaient expérimenté sur leur peau l'effet du Sapotran, puisqu'ils feuillèrent les deux soigneusement, en trouvant seulement dans une poche des pantalons d'Henry, prête à l'emploi, la bombe aérosol.

        Même dans ce cas, il eut à se tranquilliser le Néo Hellène, ils ne pouvaient pas savoir ce qui ne fût pas ni, ensuite, en analyser le contenu, mais juste de faire attention de ne pas l'inhaler. Le rayon d'action de la fuite, si le bouton ait été pressé, aurait été plutôt ample et Henry espérait juste en cette manœuvre. Si ses geôliers eussent voulu l'essayer dans la même pièce où il se trouvait en compagnie de Melésigène, ils se seraient endormi tout d'un coup. Lui et son compagnon, y compris, mais ils auraient été les premiers à se réveiller après seulement trois minutes, tandis que les hommes auraient dormi pendant une bonne demi-heure. Et alors… Alors, ils se seraient dénoués de ces robustes cordes en nylon qui les tenaient enroulés comme des saucissons.

        Henry étudia ce qu'il fallait faire si cette éventualité se pût réaliser et il examina de près les trois hommes cagoulés préposés à leur surveillance. L'un desquels, le seul qui n'endossât pas de gants, depuis un peu de temps était en train d'observer attentivement la bombe aérosol sur laquelle il n'y avait pas d'étiquette qu'en décrivît le contenu, mais seulement un code à barres de différentes couleurs que les Hellènes lisaient avec facilité et qui indiquait l'utilisation et la composition.

        Restant les trois hommes cagoulés pour ne pas se faire reconnaître, ils ne pouvaient pas, par conséquent, parler entre eux et il était évident qui attendaient l'ordre de quelqu'un pour la relève et consigner le contenu des poches des deux Hellènes ensemble à cette bombe aérosol que l'homme sans gants faisait tourner avec curiosité entre les doigts.

        Et il venait de le faire avec une telle habileté à démontrer combien fût insuffisant son intérêt à cet engin, attiré au contraire, plus par ennui que pour tout autre chose, par ce jeu d'adresse.

        Henry et Lloyd ne le perdaient pas de vue. Avec leurs regards ils s'échangeaient des opinions le résultat qui ce jeu aurait atteint et les deux se souhaitaient qui n'arrivât quelqu'un à interrompre ces manœuvres de mains. Statistiquement, à la cinquantième révolution de la bombe aérosol dans les mains du plus nerveux de trois geôliers, un n'importe quel doigt aurait fait cette légère pression sur le bouton, telle à faire échapper un petit nuage suffisant à envahir toute l'étroite pièce.

        Henry observait attentivement et il compta jusqu'à trente-trois révolutions du petit cylindre et puis, clac ! L'index s'appuya à une fraction de seconde sur le très sensible bouton et ssshhhuuush… Un petit nuage sortit de la petite tuyère. Juste deux bouchées d'air et, sans s'en apercevoir, tout le monde s'endormit.

        Henry fut le premier à se réveiller. À peine une minute et demie parce que, en prévoyant ce qui venait d'arriver, il avait retenu la respiration et il était réussi à se lever sur l'inconfortable chaise sur laquelle on l'avait fait asseoir. Les cordes lui tenaient serrés les bras au corps, mais les jambes et les poignets étaient libres, quand même il ne réussît pas à effectuer les mouvements en souplesse. Il savait que le Sapotran, une fois pulvérisé dans cet entrain, après avoir fait le premier effet, pour son poids spécifique il serait descendu dans les couches plus bas et continué son action sur les hommes narcotisés qui étaient tombés au sol, y compris Melésigène. Ayant prévu une chose pareille, il avait prédisposé le petit écrou de blocage de sorte qu'à peine le bouton de distribution fût touché, en sortît une quantité de gaz à envahir autant d'espace que possible. S'agissant, puis, d'une pièce fermée…

        Il devait attendre que son compagnon se réveillât, mais il vint assailli par l'angoisse humaine de peur de voir arriver les collègues des geôliers, de sorte qu'il descendit de la chaise avec beaucoup d'attention et, s'approchant à l'endroit où était tombée la bombe aérosol, il remplit à fond les poumons d'air pur et retint le souffle. Il alla pour s'asseoir de côté de l'homme sans gants et, avec les mains semi-paralysées, essaya de la ramasser. Au premier contact avec les bouts des doigts, la bombe aérosol roula plus au-delà. Il dut faire quelques contorsions avec le cou pour voir de biais qui était allé pour se fourrer le long du flanc du soldat détendu. Il arqua les jambes et avec les talons se poussa frottant ses fesses sur le sol rugueux. Une fois près du corps de l'homme, il dût effectuer une rotation, mais ses jambes l'empêchaient ce mouvement, car elles devaient l'enjamber. Dans cet instant il perçut l'échange de brèves phrases entre deux hommes qui venaient de parcourir le couloir extérieur.

        Il eut un sursaut de terreur. Il devait s'emparer tout de suite de la bombe aérosol. Si l'auraient surpris en ce moment, cela aurait été la fin de toute chance de s'échapper. Il n'avait pas d'autres moyens. Le cheriosmate fonctionnait seulement pour les transferts en plein air et Henry ne pouvait pas communiquer avec Kallitala ni avec l'aviolobe qui sans doute venait d'arriver pour secourir lui et son camarade.

        Il disposait d'une certaine force, de sorte qu'il fit une cabriole sur lui-même et alla pour se trouver à quatre pattes avec les chaussures à plus d'un mètre du petit cylindre. Et, in, inexorablement les voix se rapprochaient… Peut-être en moins d'une demi-minute les militaires auraient ouvert la porte de la cellule. Il roula le corps dans le sens anti horaire et fit deux cabrioles, venant à se trouver corps à corps avec l'homme. Maintenant il sentait les pas cadencés, typiques des bottes des soldats. Quinze secondes encore.

        Il tâta avec les mains le corps de l'homme et lorsqu'il sentit la voix d'un des geôliers demander d'ouvrir la porte, à force de tâter, finalement ses doigts se posèrent sur le petit cylindre. De peur que cela roulât à nouveau, il la prit entre l'index et le majeur, réussissant à se la jeter à la volée parmi ses jambes. Cette fois-ci, un soldat de la relève frappa avec décision à la porte. Un vacarme infernal. Il l'aurait eu fait avec quelque chose de métallique sur la plaque d'acier.

        Henry se mit à genoux, serra bien la bombe aérosol et tourna l'écrou qui contrôlait le flux de la pulvérisation du Sapotran au minimum. Il était certain que les hommes derrière la porte étaient deux et tandis que le premier enfilait la clé dans la serrure, il se plaça de l'autre côté du battant. Étant l'entrée d'une cellule, il devait par force s'ouvrir vers l'extérieur. Il tint le petit cylindre avec les mains au niveau du ventre à cause de la ligature et avec le doigt sur ​​le bouton, prêt à l'appuyer visant le flux en direction des deux geôliers qui étaient sur le point d'entrer. Presque perdant l'équilibre il fléchit son corps en arrière de sorte que le jet leur arrivât juste dans le visage. Il n'avait pas fait les comptes, cependant, avec le second soldat qui s'était arrêté dans le couloir, de sorte qu'il narcotisa le premier et l'autre, ayant vu le camarade tomber au sol comme si fût mort, recula, il prépara le fusil-mitrailleur et le pointa décidément vers la poitrine d'Henry qui, épouvanté par son apparence farouche, il resta pendant un instant à se regarder les mains. Dans cette position, s'il eût coincé le bouton, le jet de Sapotran n'aurait pas eu l'effet immédiat espéré. L'homme armé se distrait un moment à observer ce qu'Henry venait de manipuler.

        À l'improviste, lorsque désormais Henry s'était résigné à rester prisonnier, une ombre passa devant ses yeux comme un éclair et un instant après l'homme armé fut surplombé par un corps massif qui le mit hors de combat. C'était Melésigène, lequel, saisi le soldat par la peau du cou, le portait comme une brindille à l'intérieur de la cellule, fermant la porte derrière soi.

        "Donne-lui une petite éclaboussure," il murmura à Henry.

        "Mais tu… Comment tu as réussi…"

        "Allez, vite, Enée ! Je t'expliquerai plus tard."

        "Ne vois-tu pas comme je suis ?"

        "Oh, oui," dit son compagnon qui, avec promptitudes il sortit de sa ceinture un couteau et autant rapidement d'un seul coup coupa toute la compliquée ligature d'Henry.

        "Le couteau…" balbutia, émerveillé, Henry. "Comment as-tu réussi…"

        "Sshhhtt !" fit l'ami. "Donne-lui une petite éclaboussure. Nous n'avons pas assez du temps !"

        En temps de temps il en voulut un peu, surtout pour trouver un uniforme qui s'adaptât au puissant corps de Melésigène. Pour Enée fut plus facile et expéditif, mais son compagnon dut endosser les pantalons d'un et la une veste d'un autre soldat qui dormait béatement.

        "Je dois récupérer ma mallette," murmura presque à soi-même, Enée.

        "Pensons-nous d'abord à sortir de ce bâtiment," répliqua Lloyd. "Ça me semble une forteresse."

        "Il suffit qu'il y ait une cour intérieure et…"

        "Ne pouvons-nous pas, par hasard, même voler !"

        "Si tu le souhaites, avec le cheriosmate, un bon saut, nous pourrions de même le faire…"

        "Mais non plus haut que six mètres. Tu verras que les murailles de ce fort seront même plus élevées."

        "Alors, il ne nous reste que… " Henry chuchota son plan à l'oreille de son compagnon.


ΩΩΩ

 

        "Vous qu'est-ce que faites-vous là-bas ? Ils se sentirent appeler par une voix de stentor.

        Il était un sergent à la face carrée, aux épaules carrées et aussi aux pieds carrés, armé des pieds à la tête et avec le casque qui au lieu d'être rond, ça semblait aussi carré.

        "On nous a donné la relève dans la cellule de prisonniers," répondit prêt Henry.

        "Et les armes ? Vous les avez leurs laissés en consigne, hein ?"

        'Ouais, les armes !' Fit entre soi Henry à. 'Quel sot j'ai été à n'y avoir pas pensé…'

        "J'ai ceci," répondit Lloyd, montrant le poignard au sergent.

        "Qu'est-ce que… Mais ceux-ci sont…"

        Henry ne lui laissa pas le temps d'en dire plus, que déjà une petite éclaboussure de Sapotran l'avait détendu à terre.

        "Vire !" il dit au compagnon. "Cache-le dans cette pièce et prends-lui les armes. Nous devons sortir dans la cour. Je garde le pistolet et tu le fusil."

        En effet, en cette posture, quoique pas d'ordonnance, ils réussirent à traverser la cour où certains soldats le regardaient curieux et seulement lorsqu'ils furent dans le voisinage du portail de sortie, un officier, suivi par un sergent et deux soldats, se mirent à les poursuivre. L'officier hurla au chef de poste de contrôle de les bloquer, mais désormais Henry était à la portée d'éclaboussure et après en avoir pulvérisés les quatre préposés, ensemble à Lloyd sauta à pieds joints les barrières et, une fois touché le sol, tous les deux activèrent leur Kériosmate se venant à trouver, en moins de deux secondes, à plus de cinq cents mètres de la forteresse. Là-bas arrivés, ils s'ôtèrent les uniformes et des armes, qui cachèrent dans un épais buisson et ils s'acheminèrent à une démarche normale à l'intérieur du bois pas tellement épais.

        Toutefois, quand, après qu'Henry lui en avait à nouveau demandé, Melésigène avait commencé à lui expliquer comment il s'était procuré ce couteau, ils entendirent le bruissement du moteur d'un hélicoptère au-dessus de leurs têtes.

        "Éloignons-nous plus que ça," proposa Henry.

        "Mais de combien ?"

        "Nous ne savons pas où nous sommes. Essayons-nous avec cinq impulsions vers le sud," il répondit.

        Ils eurent de la chance. Les cinq impulsions commandées par le Kériosmate les emmenèrent au centre d'une ville qui surent s'appelât Freising, situé à seulement trente kilomètres de Monaco de Bavière et une douzaine de son aéroport.

        "Nous ne pouvons pas nous mettre en contact avec l'aviolobe, nous n'avons pas d'argent et…" commença à dire Henry un peu découragé. "Nous sommes à la merci des hommes qui, tu verras, ils réussiront à nous reprendre."

        "Qu'est-ce que penses-tu, que j'ai été envoyé pour faire à côté de toi ?" répondit Lloyd d'un ton interrogateur.

        "Pour me protéger. Chose qui tu as fait remarquablement. Maintenant la situation s'est compliquée pour nous deux et je ne saurais pas comment nous débrouiller."

        "À toi sont restées des caractéristiques humaines, ami Enée, qui t'induisent à te décourager trop tôt et, de même, à croire dans ton esprit que nous les Hellènes soient un peu trop naïfs."

        "Excuse-moi, Melésigène. Je l'ai dit sans aucune intention malveillante."

        "Je le sais, ami Enée. Tu ne serais pas un des nôtres, autrement."

        "Et alors ? As-tu une solution ?"

        L'ami lui sourit. De ce sourire bienveillant que tous les Hellènes s'échangent les uns avec les autres, même s'ils ne se sont jamais vus ni connus.

        "Veux-tu savoir du couteau, non ?" dit Melésigène et, au signe d'Henry, il lui expliqua : "La poignée est faite de Rocrois et la lame de Rouprice. Tu as oublié de nos métaux princes et aussi que ceux ne sont pas détectables par les radiographies des hommes ni à leur toucher, car à l'intérieur de la poignée qui, comme tu la vois, est assez grosse, il y a deux systèmes miniaturisés. Une pour lui créer tout autour un champ magnétique adéquat pour la rendre invisible et l'autre… Devines-tu à quoi il sert."

        "Il y a dedans l'argent dont nous avons besoin…"

        "Toujours ces débris d'humain qui t'est resté, Henry Campbell," répondit en fronçant les sourcils Melésigène.

        "Et alors, que serait-il jamais !" répliqua Henry un peu irrité, soulignant le ton de ses paroles pour lui faire comprendre que ce qui commandait était juste lui.

        "Je ne voulais pas t'irriter, Enée. Eh bien, ici dedans, il y a une installation automatique d'émergence pour entrer en contact avec l'aviolobe."

        "Vraiment ! Mette-la immédiatement en fonction, alors !"

        "Il en est déjà. Notre aviolobe nous attend à la sortie de cette petite ville. Comme tu sais, il ne se peut pas se baisser sur les toits et même par sur les bois. Cherchons-nous un endroit où il y ait de l'eau. Dans ces domaines, il n'y a pas pénurie de petits lacs ou marais. Il me semble qu'il en ait un situé à nord-est, à mille deux cents mètres. Dans un instant, nous serons là-bas. "


21   -    LE MONDE EN ALERTE

 

 

         Xuahn Li n'y resta pas à en ruminer. Ces derniers événements qui, quoique repoussés a priori par son gouvernement pour la fiabilité de la police allemande, avaient été considérés comme choses très improbables. Quelque chose aurait pu même arriver comme une contestation ou une tentative de sabotage, étant donné les énormes intérêts dans le domaine, mais avait été hors de prévision un événement de telle gravité. Un jumbo cargo avec encore sa cargaison précieuse, fait exploser. La mort de tout l'équipage à bord et de dix hommes de la sécurité à terre et, chose moins grave, car il n'avait pas causé la perte de vies humaines, mais qui avait causé un fort impact offensif, la soustraction des prototypes de trois électros voitures qui devaient représenter l'orgueil de son grand Pays, considéré à tort par le monde occidental beaucoup en retard sur le plan stratégique et technologique.

        En considération que l'ambassadeur et l'ensemble de la diplomatie Chinoise avaient quitté le pays, Xuahn Li décida de se rendre à l'aéroport pour rentrer en Chine avec la délégation commerciale au complet. Destination Beijing et non Shanghai. Il aurait référé les détails du grave incident, à la suite de l'inévitable relation déjà envoyée à son gouvernement par l'ambassadeur.

        Aucun n'entrava pas les Chinois. Il semblait, au contraire, que tout fût prévu et les excuses d'usage des préposés du gouvernement Allemand furent acceptées au seul but de n'avoir pas des obstacles à laisser décoller le jumbo combi. L'avion, une fois en vol en dehors de l'espace aérien de l'Allemagne, transmit en code, de dix mille mètres d'altitude, le premier irrité rapport du chef de la délégation, qui cependant ne se permit pas d'exposer ses soupçons sur qui avait fait le coup, mais les aurait externalisés seulement en présence de ses supérieurs directs.

        Il n'omit pas de signaler que l'ingénieur Campbell, auquel avait été fortement conseillé de voyager avec la délégation, étant arrivé par d'autres moyens à Monaco de Bavière, il était disparu pour la deuxième fois. Peut-être à nouveau enlevé par les mêmes qui avaient fait sauter en air leur deuxième avion et volé les trois prototypes de voitures électriques.

        Le manqué commentaire à chaud de ses supérieurs, le mit plus en agitation. Cela signifiait qu'avec majeure probabilité ils auraient mis en place le programme 'Tour d'Ivoire' et si ça se fût produit, adieu à la carrière que seulement deux jours avant il avait prévu resplendissante, le rendant riche de plusieurs millions de dollars. Le rêve qu'il avait caressé toute sa vie, il ne se serait plus jamais matérialisé. Une villa princière sur la Côte d'Azur et un compte en banque tellement remarquable à le faire vivre comme un nabab, un même niveau qu'aux très riches qui se retraitaient dans ces belles côtes ensoleillées, si luxuriants de vie. Il aimait la culture occidentale et son train de vie, y compris la nourriture, écœuré jusqu'à l'excès du riz, du soja et de ces absurdes sauces toujours présents dans les mets emballés dans son Pays. Depuis du temps, il se servait d'un traiteur de l'Ouest qui lui faisait livrer dans sa maison des mets gourmands de la gastronomie internationale, comme cela qu'en ce moment une gracieuse hôtesse venait de lui servir. Un souple bifteck avec de petites pommes de terre nouvelles rissolées au point et, enfin, le vin. Un bordeaux rouge rubis d'un délicieux arôme et d'une saveur corsée qui s'épousait à merveille avec la saveur délicate de la viande.

        L'avion atterrit à l'aéroport de Beijing sous une averse qui depuis trois venait de tourmenter la région, ayant fait grossir dangereusement rivières et torrents. Les très étendues campagnes cultivées à riz étaient déjà deux mètres en dessous du niveau des rivières et des torrents et des milliers de paysans étaient en train de quitter leurs maisons grâce à l'intervention de l'Armée qui les transportait avec les hélicoptères vers des abris déjà préparés pour des adversités de ce genre, sur les contreforts des collines du Hebet Sheng, au nord de la Capitale.

        Chose étrange, à recevoir la délégation de l'Allemagne, Xuahn Li ne vit personne, seulement un colonel de l'Armée, qui l'attendait au portail de la sortie du corps diplomatique, qui le révéra, le priant de le suivre à l'extérieur où les attendait une limousine noire avec chauffeur assis sur son siège et des hommes en costume bleu, armé chacun d'une petite mitrailleuse en outre qu'un voyant renflement sous l'aisselle gauche révélatrice d'une autre probable arme.

        ' Qu'est-ce qui vient de se passer ? ' Se demanda Xuahn Li. ' Des agents du service secret, un colonel, que, peut-être dans les hautes sphères ils me considèrent responsable de… '

        Il n'eut aucun moyen de réfléchir longtemps que déjà le colonel l'invitait à prendre poste parmi lui et un agent en civil, tandis que l'autre, après s'être regardé attentivement autour, il s'asseyait de côté du chauffeur.

        'Je suis dans la merde,' il réfléchit découragé Xuahn Li, retournant avec la pensée aux dernières quarante-huit heures vécues en Allemagne. Il explora dans ses souvenirs les plus récents et compara les différentes situations dans lesquelles il s'était venu à trouver, surtout quand il était intervenu pour sauver l'Américain, ce tel ingénieur qui, chose étrange à croire, était venu offrir propre à son Pays les miraculeux panneaux à neutrinos solaires et puis, en quelle quantité ! C'était un piège, mais à quel but ?

        Pendant le long trajet pour arriver au centre-ville, étant donné qu'aucun des occupants de la voiture il parlait, il tamisa dans son esprit chaque et n'importe quel détail de cette histoire. Puis, lorsqu'ils étaient en train de quitter la Shoudujichandfu pour s'avancer dans l'artère Dongzimenwaixiejie qui arrivait au quartier Dong Cheng, il se rendit compte qu'aurait été conduit dans le palais de Dongsi 10 Tiao, siège secondaire du gouvernement, même endroit où il avait été nommé chef de la délégation et fonctionnaire de premier niveau.

        Là-bas, peut-être, on lui aurait enlevé toutes les prérogatives dont il avait joui pour peu de temps et, s'il ait eu de la chance, il n'aurait pas fini en prison. Il se sera contenté d'un licenciement sans préavis ni bénéfices en argent, en espérant qu'on ne l'emprisonnât pas. Il abhorrait les interrogatoires et la torture psychologique. Depuis longtemps en Chine, quand même restât en vigueur la peine de mort, les tortures physiques ne venaient plus pratiquées, sauf dans des cas sporadiques, mais seulement dans les zones frontalières, en particulier avec la Mongolie.

        Et en cet état d'esprit déprimé, après avoir parcouru, accompagné du seul colonel, les longs couloirs qui l'avaient vu peu temps avant pour accéder à une de plus importantes charges de l'État, Xuahn Li s'apprêta à entrer dans l'antichambre d'un bureau très important qu'il connaissait bien. C'était cela du Premier Secrétaire du chef du gouvernement.

ΩΩΩ

 

        L'homme âgé préposé à la location de barques n'était pas le même auquel Henry avait donné un généreux pourboire, mais un autre, quoiqu'il en ait eu à peu près l'apparence et l'âge. Corpulent, au visage carré et avec un ventre disproportionné sans doute en raison des abondantes libations de bière bavaroise, il montrait l'âge apparent de cinquante ans. Mais celui-ci n'avait pas, comme l'autre, les mêmes manières amicales et désinvoltes. Au contraire, il semblait qu'il ne se trouvât pas à son aise dans le rôle du locataire de barques et quand Henry lui tendit l'argent du coût de la location qui, heureusement, ses ravisseurs ne lui avaient pas enlevé des poches et y ajouta les habituels vingt dollars de bonne récompense, à l'homme qui les prit avec indifférence ne brillèrent pas les yeux pour gratitude, mais les accepta comme normale coutume.

        Cette attitude détachée éveilla les soupçons d'Henry, de sorte qu'il échangea quatre brefs mots en langue Hellène avec Melésigène.

        "Il n'y a pas pour se faire confiance."

        Mais, étant donné que tout autour il n'y avait personne à l'exception des deux petites barques qui flottaient placidement sur l'eau calme, chacune éloignée plus de deux cents mètres de la berge où ils se trouvaient, étant occupées par autant de couples d'amoureux, ainsi au moins Henry découvrit avec sa vue renforcée, les deux Hellènes montèrent sur la petite embarcation. Quand même ils aiguisassent leurs puissants sens, ne découvrirent rien d'anormal dans le rayon de moins de deux kilomètres. Même pas, cependant, de l'approche de l'aviolobe.

        Ils eurent la perception que le moyen aérien s'approchât à peine ils furent dans le centre du petit lac et si même pour eux ceci n'était pas encore visible, ils savaient qu'exactement dans trois minutes ils auraient été aspirés à bord. Ensuite, en moins d'une demi-heure, finalement, ils se seraient trouvés en Chine, loin des intrigues et des pièges du monde occidental.

        La seule note navrée pour Henry était la perte de la mallette en Calotex avec les trois panneaux solaires, les mirillinis et beaucoup d'argent en dollars américains. Il se souvint de sa précieuse mallette perdue et se tranquillisa parce qu'ils l'avaient soustraite à lui bien fermée. Dans ce moment les voleurs venaient sans doute de jurer pour l'impossibilité de l'ouvrir, ce qu'était impossible sans imposer sur les petites fenêtres des deux serrures les empreintes de ses pouces et s'ils eussent essayé de la forcer, dès qu'il a été entré la première bouffée d'air, la mallette se serait détruite causant des dommages très graves tout autour. Ce qu'il détestait le plus, c'était la perte des vies humaines. Il espérait en un dernier souffle d'esprit que les voleurs lussent les avertissements écrits en anglais collés sur le couvercle.

        "Il vient d'arriver !" dit tout excité Melésigène. "Laisses-tu les rames et levons-nous debout au milieu de la barque. Dans quelques instants, il nous tire dessus."

        En fait, l'aviolobe conduit par Praxitèle était en train de se positionner sur la verticale de l'embarcation pour descendre à cinq mètres au-dessus du niveau terrestre, lorsque la barque subit une terrible secousse d'en bas comme si ait été frappée par un raz de marée, causant la perte de l'équilibre aux deux amis qui se trouvèrent dans l'eau à nager avec des puissantes brasses pour remonter à bord. L'aviolobe n'aurait pas pu les aspirer dans cette position parce qu'avec eux il serait entré à bord une telle quantité d'eau à rendre inutiles les contrôles électroniques, pour ne pas mentionner qu'aurait aussi interrompu la bulle magnétique à l'intérieur de laquelle ce type d'avion flottait, le rendant même visible et inapte à voler à la vitesse d'un satellite dans le cosmos : trente mille kilomètres à l'heure.

        "Allez, Henry," s'écria Melésigène qui, plus vigoureux de son compagnon, le poussait vers la barque qui se balançait, comme si rien ne fût pas arrivé, à moins de deux mètres.

        "Mais qu'est-ce qu'aurait été ?" dit Henry crachotant l'eau qui lui était entré dans la gorge.

        "Quelque chose de grave. Allez, vite ! Je te donnerai une poussée pour remonter," répondit l'ami.

        Et, en effet, le corps d'Henry était déjà à moitié dedans l'embarcation, quand son compagnon disparut sous l'eau et la même puissance qui avait tiré en bas l'ami, s'acharna contre Henry, lequel se sentit prendre aux jambes et, ne pouvant il contraster cette puissante énergie, il se retrouva sous la surface de l'eau où des mains expertes l'encapsulèrent à l'intérieur d'une grande cloche de plastique polie à l'émeri où circulait de l'air riche en oxygène.

        Il n'avait aucune chance de voir qui fussent les hommes qui les avaient à nouveau enlevés parce que l'étui laissait entrer seule une lumière opaque. Il s'aperçut seulement que les ombres des nageurs qui portaient la cloche étaient quatre, tous équipés de moteur électrique sous-marin et quelques minutes plus tard, la lueur à l'intérieur se fit plus intense, signe qu'ils venaient de sortir en plein air.

        Et, à nouveau, ce bruit assourdissant auquel il n'était plus habitué. Les pales tournantes, ce puissant bruissement qui semblait scander les pulsations du cœur d'un vigoureux - il ne pouvait pas s'empêcher de faire venir à son esprit des souvenirs d'enfance - planait sur lui et, comme était logique, la cloche qui le contenait, fut hissée à bord. Il espéra seulement que même celle-là qui contenait le corps de Melésigène fût chargée dans l'hélicoptère.

        'Melésigène ! ' Il se dit effrayé. ' S'il ne peut pas se charger d'air pur, il mourra… '

        Mais après, à bien y réfléchir, ce qu'ils venaient de respirer, si enrichi en oxygène, n'était qu'air pur, peut-être plus de cela de Kallitala. De sorte qu'il se mit le cœur en paix et au lieu de se creuser la cervelle qui fussent ses ravisseurs et comment ils les eussent surpris sur le petit lac lorsque dans cet endroit, soit lui que son compagnon y étaient arrivés avec les impulsions de cheriosmate, il se mit à penser intensément à comment sortir de cette nouvelle situation. Sérieuse cette fois-ci. Beaucoup plus que les deux autres, parce que les ravisseurs devaient avoir appris quelque chose sur leurs capacités dans leur qualité d'Hellènes, éclairée par cette espèce de sarcophage duquel n'était pas possible s'en échapper et l'approprié mélange d'air. Mais où avaient-ils réussi et, enfin, comment ?

        Dans l'hypothèse absurde qu'ils aient été capables d'ouvrir la mallette en Calotex sans que ça explosât, ils n'auraient pas eu le temps d'étudier les panneaux solaires et la seconde provision de mirillinis placés en vrac sous forme de petits cubes, petits parallélépipèdes et divers types de dièdres. Seulement montant ceux selon le juste schéma, ils auraient obtenu l'ordinateur dont le panneau serait resté opacifié s'il n'ait été parcouru par la paume d'une main d'un Hellène, dont les lignes étaient très différentes de celles des humains. Il se regarda les mains. Étrange, personne ne l'avait pas dit à lui ni ne l'avait pas remarqué. En effet, les lignes, celles que les hommes par erreur définissent de la vie, n'étaient pas horizontales et parallèles, mais descendaient, au contraire, du point d'attache de chaque doigt vers le scaphoïde à la base du pouce et certaines se croisaient entre elles.

        Il se mit l'âme en paix. Les hommes ne savaient rien des Hellènes et ceux qu'ils avaient enlevés lui et Melésigène, étaient intéressés seulement pour les interroger pour se faire révéler le secret des panneaux à neutrinos solaires. Ils étaient certainement ses anciens compatriotes. Aucun plus d'entre eux disposait des moyens techniques même à l'étranger. L'hélicoptère, les plongeurs et puis les points à l'écoute et les relevés. Qui mieux que les Américains pouvait bouger même au-dessus de la légalité dans des Pays étrangers amis ? Personne. Il se prépara à subir un interrogatoire. Heureusement, il disposait de la petite bombe aérosol de Sapotran qui contenait encore plus de deux tiers de gaz et deux injections sous-cutanées de Cardilox, le puissant antistress qui l'aurait aidé à supporter les insistantes et serrées questions auxquelles il aurait été soumis. Pour Melésigène, étant né Hellène et donc doté d'une endurance illimitée, il n'y aurait été aucun problème. L'interrogeant, Cela aurait été comme parler, sans les signes appropriés des mains, à un sourd-muet.

 

ΩΩΩ

 

        "Docteur Hu Shi," dit plaintivement Xuahn Li, se levant de l'inconfortable petit fauteuil. Il y avait un confortable canapé dans l'antichambre, mais il avait préféré s'asseoir sur le premier, peut-être pour se préparer psychologiquement aux reproches de son supérieur immédiat, quoique ne fussent pas prévues des sanctions bien plus sévères envers lui. Au silence de l'important personnage, il fit suivre une humble révérence, en répétant : "honorable Docteur Hu Shi, les faits se sont déroulés contre ma volonté, croyez-moi…"

        "S'il vous plaît, asseyez-vous," répondit le secrétaire et, d'un geste papal, il lui indiqua son bureau où les deux hommes entrèrent. Puis, une fois la porte fermée derrière soi, Hu Shi s'empressa que son protégé s'assît avant que lui dans le petit fauteuil à droite du bureau.

        "Donc…" il fit, en regardant dans les yeux Xuahn Li. "Un vrai désastre, n'est-ce pas ?"

        "Une catastrophe," répondit faiblement Xuahn Li. "Et dire que j'y avais mis tout mon dévouement, n'y dormant pas même la nuit."

        "Je le crois. Je n'avais pas remis ma confiance," déclara le secrétaire du chef du gouvernement.

        "Donc, vous, Monsieur le Secrétaire…" fit timidement Xuahn Li, dont les traits du visage venaient de se détendre.

        "Que croyiez-vous ?" répliqua Hu Shi. "Nous sommes satisfaits de votre mission, quoique pas amenée à une heureuse conclusion, mais seulement pour des événements imprévisibles dont vous ne pouvez pas être considéré responsable. Nous nous imaginions que quelqu'un aurait tenté de nous entraver et, en fait, la première chose qu'ils ont faite avait été de voler les trois électros voitures transférées dans les salles du grand constructeur automobile allemand."

        "Et l'explosion de notre avion-cargo ? Ils y allèrent avec les pattes de plomb. Tout d'abord ils ont causé celle-là et, enfin, profitant de la confusion générale, ont volé les voitures," dit Xuahn Li, qui désormais ne craignait plus un reproche.

        "Non. Cela est arrivé après, Docteur Xuahn Li. Je suis heureux de vous anticiper davantage votre promotion au niveau de chef du contre-espionnage et à partir de ce moment, toute chose qui vous sera confiée, sera considérée comme secret d'État."

        "Moi ? Mais comment…"

        "Ne faites-vous pas trop le modeste. Vous avez démontré pour être un dirigeant fidèle à vos devoirs, digne, en outre que de ma pleine confiance, même de celle-là de notre grand président."

        Ce n'était pas pour modestie que Xuahn Li avait prononcé ces interjections, mais de surprise, désagréable pour lui, en plus. Impliqué dans les secrets d'État, il n'en serait plus sorti et si même lui en fussent attribués des riches émoluments, il pouvait dire adieu à ses rêves de se retirer sur la Côte d'Azur pour se les réjouir. Il se mit l'esprit en paix parce qu'il ne pouvait pas refuser. S'il l'eût fait, sur sa tête auraient tombé les pires plaintes des notables qui confluaient, pour les quatre-quinze pour cent des cas, en des peines sévères, jusqu'à être oublié dans quelque prison de frontière. Si, puis, avec la Mongolie, Cela aurait été la fin certes de ses jours.

        "Donc…" continua le docteur Hu Shi, "l'avion-cargo avec les électros voitures à bord, faites sauter par nos hommes de sécurité qui nous avions envoyé à Monaco de Bavière avant de la délégation commerciale dirigée par vous, Docteur Xuahn Li. Tranquillisez-vous. Personne n'en est mort, quand même ait été donné la nouvelle des décès. Nous avions monté tout exprès. Nous ne pouvions pas nous permettre de perdre les dix voitures et, avec l'action de commando que nous soupçonnons pour avoir été mis en place par les Américains, nous avons eu la certitude de l'échec de notre mission. De sorte que…" il s'arrêta une fraction de seconde à cause de la main levée de son interlocuteur, qui la retira rapidement au coup d'œil de reproche de son chef, "nous avons décidé d'utiliser tous les panneaux solaires pour les besoins de notre grand Pays et pour nos cousins très dignes de notre confiance : la Corée du Nord et le Vietnam."

        "Pourrais-je humblement vous rendre informé, honorable secrétaire de notre très respectable président, que ces panneaux ont été soupçonnés pour avoir par une entité inconnue avec laquelle, cependant, nous avons signé un contrat bien précis, qui prévoit la distribution au monde entier motorisé des voitures qui sortiront de nos usines, avec un gain pour notre nation, ainsi que du prestige, de plusieurs milliards de dollars ?"

        "Nous ne sommes pas en mesure de se le respecter et l'ingénieur Campbell en comprendra les raisons. Personne d'autre qu'à nous peu…" répliqua Hu Shi, donnant un rapide coup d'œil à l'image encadrée sur la paroi derrière lui, "connaît comme se sont déroulés les faits. Par conséquent, l'ingénieur Campbell, qui je soupçonne soit l'inventeur du panneau solaire quand même nous nous demandons où il ait pris les ressources nécessaires pour en construire en une telle quantité, il a été amené à croire que la matrice de cet attentat fût la même du vol. Il devra être d'accord avec nous que sera bon, au moins pour le moment, que tout véhicule motorisé avec ce prodigieux panneau sorte de la Chine. Ce sera votre tâche de le convaincre."

        "Mais, honorable Docteur Hu Shi, je ne sais pas où il se trouve en ce moment. J'ai une vague impression qu'il ait été enlevé. La première fois que je suis réussi à le libérer, mais maintenant je pense qu'ils l'auront saisi et ne laisseront pas sinon après qu'il aura révélé le secret du projet."

        "Il ne sera pas si facile, étant donné qu'il s'est adressé à nous et non pas à d'autres. Il y avait déjà essayé l'an dernier grâce aux bons offices de l'Organisation des Nations Unies et il n'y étant pas réussi, il a préféré la Chine pour rétorsion, en nous jugeant comme un peuple plus sérieux et intelligent que les autres."

        "Mais…"

        "Docteur Xuahn Li," exclama son supérieur d'une voix contenue. "En tant que chef de contre-espionnage qui doit enquêter sur ces faits, ne vous ont pas permis des expressions dubitatives. Rien 'mais', 'peut-être', 'si', et cetera, et cetera. Seules des affirmations qui aient une base solide. J'ai compris où vous vouliez aller pour parer. Les spéciaux panneaux à neutrinos solaires resteront chez nous. Les relatives dispositions ont été déjà données afin que ces engins soient mis à l'abri dans un lieu secret et invisible même aux satellites espions."

        "D'accord," dit d'un air humble, Xuahn Li, sans ajouter un mot.

        Hu Shi le regarda d'un air perplexe. Il s'attendait à ce que son majeur collaborateur manifestât la curiosité de savoir où les panneaux auraient été cachés. Peut-être qu'il avait été un peu trop résolu, de sorte qu'il chercha à rendre la situation plus souple. En fin des comptes il était nécessaire, pour le succès de la mutuelle coopération, qu'ils s'échangeassent tout type d'information. "Ne me demandez-vous pas où ?"

        "Quoi ?" fit Xuahn Li, pris au dépourvu.

        " Où seront cachés les panneaux," dit Hu Shi, découragé.

        "Ah, oui ! Je demande pardon, honorable Hu Shi."

        "Eh bien, le sien est un comportement normal. Certaines questions ne doivent pas être adressées aux propres supérieurs."

        "C'est ce que j'ai fait, Monsieur le Secrétaire Général."

        Ce titre caressait la vanité de Hu Shi qui, d'un faire mielleux, se regardant d'abord autour dans l'étude comme s'il y fût quelque étranger qui l'espionnât et, enfin, plantant le regard dans les yeux mi-clos de Xuahn Li, il dit : "Les opérations sont encore en cours, compte tenu de l'énorme quantité de panneaux, mais déjà plus de la moitié ont été transportés dans la région du Qinghai Sheng, dans la dépression autour de Suhai Hu et abrités dans de capables dépôts souterrains. Ces transferts de matériel ont lieu pendant la nuit pour éviter qui vinrent découverts par les satellites espions. Dans tous cas, pour le moment les Américains ne contrôlent pas la région du désert du Gobi, par conséquent ils ignorent deux choses principales : que nous possédons une telle quantité de panneaux solaires et que nous sommes en train de les cacher."

        "Sans les utiliser ?"

        "À son temps nous commencerons à en distribuer une centaine de millions à nos usines dans toute la Chine, pour leur utilisation de nos nouvelles voitures mais, surtout, installés sur nos moyens de guerre qui auront une autonomie pratiquement illimitée, même si pour chaque char de guerre, nos ingénieurs ont jugé nécessaire d'en utiliser une paire. Maintenant ils viennent d'étudier un moteur électrique à appliquer aux avions intercepteurs et de combat. Pensez-vous, Docteur Xhuan Li, une fois ces avions voleront, ils seront en gré d'atteindre n'importe quelle destination sans le soutien de porte-avions. Le seul problème à résoudre sera de l'équiper d'un frigorifique pour le raisonnable motif que les deux pilotes pourraient risque de mourir de faim…" et, encouragé par un naissant sourire sur le visage de Xuahn Li, il éclata en un ricanement nerveux, "he, he, he, hi, hi, hi."

        Petit sourire qui n'enchanta pas, cependant, Xuahn Li, encore inquiet pour son avenir incertain et toujours avec l'esprit déçu qui planait sur les berges dorées de la Côte d'Azur.

        "Lequel serait-ce mon engagement immédiat, honorable Docteur Hu Shi ?" il demanda d'une voix glaciale.

        "La première chose, celle d'aller visiter nos dépôts de panneaux et la seconde, de coordonner un plan stratégique pour leur prochaine utilisation et, surtout, assurez-vous que les personnes préposées à ces opérations ne fassent pas suinter aucune information à ce sujet. Malgré elles aient été choisies parmi les éléments plus de confiance, nous ne nous sentons pas garantis aux cent pour cent." Voyant passer dans les yeux de son interlocuteur un éclair de déception, il ajouta : "Tout de suite après, vous devez vous engager pour retrouver l'ingénieur Henry Campbell et lui expliquer la nouvelle situation."

        "Mais, et s'il ne fût pas d'accord ?"

        "Il est prévu qu'il ne le soit pas. C'est à vous de le convaincre. Dans le cas contraire, vous l'emmènerez pour visiter les dépôts et…"

        "Mais honorable Monsieur le Secrétaire…" risqua, mais avec beaucoup de déférence, Xuahn Li.

        "Après cela j'ai de côté pour vous une agréable surprise. Je me recommande vivement honorable Docteur Xuahn Li."


22 -   LA VALLEE DE BOADICEE

 

 

         Pour ne pas impressionner la population de Kallitala, aucune information filtra au sujet des difficultés que la mission 'panneaux solaires' envoyés dans le monde de l'Est, tandis qu'on était en pleins préparatifs pour la transformation de Boadicée, auxquels participaient une partie des ouvriers des grandes industries de l'île état. De toute évidence, ne manquant pas à aucun Hellène l'emploi, vint réduit la production de certaines usines et une partie des ouvriers spécialisés vinrent détachés dans les chantiers de la vallée qui dorénavant ne pouvait plus être appelée 'des humains'. Les raisons invoquées étaient simples. La première, que Boadicée était une vallée d'une taille considérable et d'une beauté unique, avec des pentes descendantes doucement vers la dépression formée par la rivière, riches en végétation jusqu'aux berges du Léthé, qui coulait lente et riche en eaux pour vingt-deux kilomètres avant de se jeter dans le grand fleuve Phlégéthon. Aux Hellènes plaisant plus la terre que la mer, ils avaient souvent exprimé, avec des manières plus polies que possible que, n'y entrant plus un humain à Kallitala désormais depuis de nombreuses années - l'arrivée de Henry Campbell avec son voilier avait été cachée - aurait été agréable si, une fois restauré les caractéristiques du territoire où ils vivaient, elle vînt ouverte pour son peuplement. Quand même ils dussent tenir en compte qu'au-dessus de la vallée devait rester ouvert le cône pour l'entrée d'air, quoique si ça eût causé des inconvénients. Qui, en tout cas, n'aurait pas été grave, car il pouvait être déplacé sur la directrice du Mont Dicée, montagne caractéristique avec le sommet plat, sur ​​lequel la pression d'entrée de l'air n'aurait causé aucun dégât sinon, dans certains jours où 'dehors' sévissait un cyclone, un souffle ennuyeux. Mais c'étaient des cas rares, parce que ces puissantes dépressions se formaient juste aux latitudes où à peu près se trouvait Kallitala et difficilement ils exerçaient leur virulence dans les mêmes lieux d'origine, mais se renforçaient et s'étendraient progressivement se rapprochant du continent américain, allant pour décharger sur ces régions leur puissance dévastatrice.

        La vallée de Boadicée était tellement harmonieuse dans ses formes arrondies, avec les terres qui descendaient vers la plaine formée par la rivière Léthé, que les architectes chargés du projet jugèrent fût préférable pour la construction l'usine des bouteilles d'air comprimé, d'utiliser la petite vallée formée par la grande montagne Dicée, juste à son abri rocheux, de sorte que sa vision se serait camouflée avec le paysage environnant. Tandis que pour ce qui concernait la construction pas encore approuvée du laboratoire pour la synthèse de l'adusbraline sur base industrielle, vint choisie une portion de terre de la vallée, là où la rivière formait une ample anse. Tout cet environnement aurait eu l'apparence d'une immense villa de deux étages, entourée par des arbres qui à Boadicée occupaient un bon tiers de la surface : pins parasols, châtaigniers, noyers, oliviers, chênes de toutes sortes et, quoiqu'à ces latitudes, même une luxuriante végétation méditerranéenne avec ses couleurs bariolées et intenses arômes parfumés.

        C'était essentiel, dès que cette zone a eu été transformée en territoire apte à l'existence des Hellènes, y fonder une petite ville, le neuvième dans toute la grande île atlantique dont les futurs habitants auraient été choisis par le grande chimio-élaborateur sur la base des caractéristiques de chacun, étant donné que cette région se prêtait admirablement pour être utilisée pour l'agriculture et la zootechnie. Les mêmes techniques de l'usine de l'embouteillage de l'air et du laboratoire pour la production de l'enzyme, se seraient installées là-bas définitivement, s'apportant ses propres familles pour ceux qui les avaient ou, si encore célibataires, les créant de nouvelles. Toutefois l'Archonte, ayant approuvé pour le moment seulement le projet de l'embouteillage de l'air, donna ordre que pour le moment vînt porté à son accomplissement la construction de l'énorme bâtiment adossé à la montagne, établissant en quatre mois environ la fin des travaux. Pour ce qui pourrait concerner la construction du laboratoire, tenu en compte de la difficulté de la synthétisation de l'adusbraline, tout ça devait encore être examiné par le Grand Jury. Évidemment les quatre mois prévus représentaient un temps quatre fois plus long de celui des humains, de sorte que l'exécution de la mission 'Panneaux solaires' avait la priorité sur tout, quand même pas tous les membres du Conseil et les extérieurs qui en étaient à connaissance, ils en fussent plus que convaincus.

        Ouais, c'était proprement ça. Parce que plus d'un des composants de la plus haute institution de l'île état ils étaient certains que la mission courante se révélât impossible pour l'égoïsme des hommes et pour leur réticence à accepter une innovation qui aurait révolutionné leur façon de vivre. Ce n'est pas qu'ils eussent démontré, en termes de mentalité, d'avoir dépassé la phase médiévale de leur conscience. Des milliards d'êtres sans défense des griffes des prédateurs, avaient du mal à vivre une existence faite de misère, de privations, d'insultes morales et plusieurs d'entre eux mouraient avant encore que se fussent leurs consolidés : les enfants, la promesse de l'avenir.

        Un découragement total prit Pausanias, propre lui qui, après avoir vécu en étroit contact avec Henry Campbell puis devenu Enée des Anchises, il s'était tellement dévoué à lui, dans certains cas en partageant même les idéaux, à être surnommé ' l'optimiste '.

        Et seulement parce que l'Archonte, lequel avait démontré une grande sagesse, maintenait ferme son intention de poursuivre la mission de conviction chez les hommes en leur donnant une découverte qui, dans l'énorme capacité avait été construite, en particulier en diamants et tungstène, inspirait de l'espoir à tout le monde. En dépit qu'il sût que Enée et Melésigène se trouvassent en sérieuses difficultés, prisonniers des hommes dans les souterrains blindés avec des murs en épais béton armé de Fort Knox, le grand dépôt de l'or des États-Unis. En raison des sophistiqués équipements de Kallitala et en considération justement de l'immense quantité d'or abrité dedans cette espèce de sarcophage, ils pouvaient encore connaître exactement leur position. Dans le cas d'une captivité normale, ils n'auraient pas su quoi que ce soit. Pour le moment, Praxitèle, premier pilote de Kallitala, se trouvait en attente aux commandes d'Hermès, l'aviolobe plus moderne et rapide, à peine sorti des chantiers où travaillait l'ingénieur Paris des Achelais.

        Il suffisait aussi une simple information que Enée et Melésigène se fussent libéré et placés sur l'eau, mais en cas d'émergence même dans un n'importe quel autre endroit, à condition qui fût au découvert de murs et autres épaisses clôtures, qu'Hermès les aurait atteintes, étant donné que les deux prisonniers se trouvaient aux États-Unis, à dix minutes à peine. Peu importait si pour les sauver il ait été forcé à mettre en déroute les poursuivants avec de jets de Sapotran ou à les combattre en champ ouvert, si au lieu de ça les Américains eussent tenu sous la menace des armes les deux Hellènes. À cet égard, il avait été prévu un copilote choisi par Praxitèle dont le nom était, chose étrange à dire, Paris. Oui, proprement lui, Paris des Achelais, le futur beau-frère de Enée, qui avait prié l'ami chef de pilotes de l'emmener avec à la suite de l'approbation de Protée d'abord et, plus tard, du consensus final de l'Archonte. Cela avait été une décision prise par son initiative pour l'amitié qui le liait à Enée, mais surtout pour tranquilliser Phèdre, qui venait informé sur toutes les phases où se trouvait à opérer son futur mari, avec le calme qui lui était naturel, car les Hellènes n'arrivaient jamais à se tourmenter, quand même pour certains événements de danger dans lequel il pourrait venir à se trouver quelqu'un de leurs proches, ils éprouvassent une douleur sourde qui même pas le Stetopan aurait pu apaiser.

 

ΩΩΩ

 

        Tandis que, on était en pleins préparatifs pour la transformation de la vallée de Boadicée, Enée et Melésigène étaient 'invités' - ainsi leurs ravisseurs s'étaient piqués de les définir - à l'intérieur de Fort Knox, dans un appartement luxueusement meublé et ne manquant pas de quoi que ce soit du confort moderne. Qui sait comment, les Américaines savaient que les deux mangeaient une fois par jour, au coucher du soleil et avaient la capacité de se déplacer rapidement d'un endroit à un autre, lorsqu'ils se trouvaient en plein air. De sorte que les ravisseurs faisaient très attention, quoique ne leur faisant manquer rien, à ne les laisser libres dans le jardin à l'intérieur du grand bâtiment dépôt qui était devenu désormais une institution ayant perdu sa valeur intrinsèque, parce que l'or, considéré à tort par les hommes seulement un métal d'une valeur monétaire, avait été rétrogradé à 'réserve'.

        "De quoi, on ne sait pas," les deux Hellènes se disaient dans leur langue totalement inconnue par les Américains.

        "S'ils sussent, au contraire, comme exploiter toutes les réserves d'or qui sont contenues dans ce bâtiment, peut-être en quelque quarante ans ils seraient capables de se construire une assez bonne imitation de notre panneau à neutrinos solaires," dit Melésigène, qui, passionné de cette branche de la physique, il avait suivi auparavant toutes les phases du projet.

        "Quand la planète sera tellement polluée que tous nous Hellènes disparaîtront," répondit Enée mais, changeant tout à coup de sujet : "Écoutes, Melésigène…" il murmura, "toi, avec le couteau et moi avec la bombe aérosol de Sapotran que tu y as cachée, nous devrions réussir à mettre hors de combat nos ravisseurs pendant au moins cinq minutes lorsqu'ils nous emmènent nous promener dans le jardin. Nous devons étudier un plan."

        "L'aviolobe Hermès employa dix minutes pour se positionner sur nous. Par conséquent nos cinq ne sont pas suffisantes," répondit l'ami.

        "Raison de plus pour étudier le plan de fuite, tenant en compte que nous devons avertir Kallitala dix minutes avant que nous sortions à l'extérieur et nous trouvons ensuite, si possible, éloignés des hommes et à proximité de l'étang au milieu du jardin."

        "Si nous utilisons le Sapotran l'intérieur, nous nous endormirions et même si pour nous l'effet dure environ trois minutes, ceux qui nous contrôlent des postes de garde, ils auront tout le temps de venir nous lier mains et pieds."

        "Voilà, alors, l'importance de ton couteau…" il hasarda, mais avec une note démissionnée, Enée.

        "Pour quoi faire ? Il n'y a pas des cordes à couper !"

        "Mais pour les mettre hors de combat, Melésigène…"

        "Enée !" fit l'ami scandalisé. "Nous les Hellènes ne sommes pas capables de blesser ou de tuer quelqu'un. Je dis !"

        "Ne sois pas aussi drastique, ami Melésigène," répliqua Enée, mais en manière très souple, lui tapant doucement le bras où il savait y était le couteau invisible. " Te rappelle-toi ? J'ai été envoyé exprès, moi…"

        "Qu'est-ce que veux-tu dire ?" répondit l'Hellène, qui déjà pressentait ce que son partenaire voulait faire.

        "Que… En somme… Je pourrais… " hasarda humblement l'émissaire de Kallitala, qui, à ce moment, il se sentait plus Henry Campbell que Enée des Anchises. "Je t'assure que je ne leur ferais trop de mal… Juste une petite blessure pour les mettre hors de combat."

        "Eh, juste !" dit Melésigène, désormais convaincu. "Tu sais comment faire." Il se défila le couteau du bras gauche et le mit comme cela se trouvait dans les mains d'Henry. "Sois-tu très prudent. Tiens cet engin l'empoignant sans toucher le petit bouton rouge, tu pourrais causer… Hum ! Un dommage physique à ton adversaire. Mais, je t'en prie, essayes-tu de n'en faire, si possible, à moins !"

        "Cela ne me fera pas certainement du plaisir. Ce sera seulement en cas d'un besoin pressant. Profitons-nous du fait qui, convaincus eux de notre douceur, nous serons escortés pendant la promenade seulement par deux hommes qui ne seront pas aussi nous collés, de sorte que…"

        "Je t'en prie !" l'interrompit l'Hellène, "épargne-moi les détails…"

        "Nous devons en parler, cependant !" fit Henry. "C'est essentiel que même toi entres en jeu, en bloquant un." Et il lui expliqua le plan d'action qui avait conçu, trouvant le peu enthousiaste assentiment de l'ami.


ΩΩΩ

 

        Une fois reçu le signal d'appel, Praxitèle perdit seulement quelques secondes afin que Paris, en ce moment au sol, prît sa place sur l'aviolobe Hermès qui décolla du palais du Grand Conseil. À peine quittée la ville de Poséidon, son moteur atomique forma la bulle magnétique qui le fit voler à la vitesse spatiale le rendant, en même temps invisible. En seulement sept minutes, l'avion se vint à trouver sur Fort Knox et, comme un hélicoptère, mais silencieux comme le ciel où il flottait, il s'arrêta sur le petit lac au milieu du jardin aux couleurs bariolées, magnifiquement entretenu. Les deux pilotes restèrent étonnés de suivre la scène qui se déroulait à seulement dix mètres en dessous d'eux.

        Deux hommes gisaient sur le terrain. Melésigène tenait par le cou celui qui se débattait de plus, tandis que Enée, après avoir blessé l'autre avec un couteau, venait de crier à son compagnon de s'approcher à l'étang, car un groupe d'hommes armés était sur ​​le point de sortir des quatre côtés du bâtiment. Melésigène essaya de se libérer du gardien qui était en train de bloquer, mais celui-là, pas hors combat comme l'autre qui gisait étendu gémissant, il s'accrochait de toutes ses forces aux jambes de l'Hellène. En un instant, Enée sauta sur lui et le blessa avec le couteau. On commença à écouter les charges des fusils-mitrailleurs qui tiraient, cependant, plus pour effrayer les fugitives plutôt que les blesser. Ils étaient trop précieux pour les Américains, qui n'étaient pas encore réussis à se faire révéler les secrets soit de prodigieux panneaux soit de la mystérieuse puissance terrestre à laquelle ils appartenaient.

        D'un bond les deux Hellènes, grâce au Kériosmate, se retrouvèrent au milieu à l'eau profonde non plus de cinquante centimètres et, de cette position ils virent l'aviolobe qui les surplombait. Il y avait un petit problème, cependant. Attaché aux pieds du géant Hellène, il y avait encore le tenace soldat qui avait été blessé par Énée trop légèrement afin qu'il restât évanoui comme le collègue, de sorte que ne fut pas facile de se libérer de cet étau et, surtout, il y fut une perte de temps tandis que les balles éclaboussaient tout autour d'eux. Mais, avec un puissant ce que décidé coup du pied libre qui le frappa entre les yeux, le soldat finalement lâcha la prise. Paris, mis en service le spécial aspirateur magnétique, réussit à faire entrer les deux fugitifs dans l'adéquat compartiment et l'aviolobe prit altitude avec un rapide cabrage qui le porta hors de la portée des armes des hommes. Toutefois, quelque chose n'était pas en train de fonctionner au mieux. Praxitèle, malgré son habilité, ne réussissait pas à tenir parfaitement en ligne le véhicule spatial, raison pour laquelle il ne pouvait pas le lancer à sa normale vitesse de croisière.

        "Un gros projectile perdu doit avoir frappé l'un des stabilisateurs," dit le chef pilote à Paris. "Je ne peux pas le maintenir en ligne…"

        "Eh bien…" répondit Paris, "ce n'est pas grave si nous voyageons en balançant."

        "Nous ne pouvons pas procéder à notre vitesse plus élevée, mais gardant celle d'un normal jet des humains."

        "Il faudra une infinité pour atteindre Shanghai. Qui sait si entre-temps qu'est-ce que les Chinois pourront combiner. Il existe un risque sérieux de complications internationales, avec tout ce qui s'est passé à Monaco…"

        "Je proposerais de nous arrêter quelque part déserte pour pourvoir à la réparation. Tu es un expert, ami Paris, mais selon mon avis il y a deux inconvénients," dit, d'une voix neutre, Praxitèle.

        "Un je le connais déjà," répondit Paris. "Pendant le temps de la réparation nous ne serons pas protégés par la bulle magnétique, de sorte que nous apparaîtrons visibles…"

        "Et l'autre que nous ne savons pas combien de temps il nous suffira. De comment Hermès venait de déraper, le dommage doit être assez grave."

        "Ne t'inquiète pas pour ça, ami Praxitèle. J'ai participé à la construction de ce spécial aviolobe et je suis en mesure de 'régénérer' la partie endommagée. Plutôt, tout d'abord, nous devons informer Enée et Melésigène que, dans le compartiment où sont enfermés, ils ont une autonomie de respiration d'à peine une heure."

        "À nous ne reste pas que trouver un endroit désert pour atterrir et les faire sortir," convint le pilote. "À condition que l'air soir respirable."

        "De la carte qui apparaît sur l'écran, je vois que nous sommes sur les Blue Ridge Mountains," répondit Paris. "Il me semble un endroit presque isolé…"

        "Bravo Paris !" fit Praxitèle. "J'étais juste en train d'étudier l'endroit le plus approprié pour atterrir et je pense que le plus isolé soit Mont Le Conte, qui nous avons devant, élevé d'environ deux mille mètres. Là, sous ces deux aiguilles, il y a une petite vallée qui nous cache de trois côtés et, selon nos sondes, l'air là-bas a une pollution d'à peine zéro-point-deux. Avise-toi nos amis que dans trois minutes nous poserons les stabilisateurs sur la montagne. Manœuvre d'atterrissage. Hors les atterrisseurs extensibles."

        Paris appuya sur le bouton et les quatre longues 'pattes' de l'aviolobe s'étendirent avec un angle chacune de quinze degrés en manière d'occuper une superficie égale à deux fois celle de l'avion qui se stabilisa parfaitement dans le point choisi par Praxitèle.

        Les habituelles tapes sur les épaules. C'était la manière plus cordiale pour les Hellènes de se complimenter. Pas trop de câlins, baisers et effusions. Une tape d'un Hellène transmettait le sens de la vraie amitié.

        Étant donné que de la cabine où ils s'étaient installés, Enée et Melésigène avaient observé tout le vol sans parler aux pilotes pour ne pas interférer avec les manœuvres de l'aviolobe, même eus s'étaient aperçus que l'avion avait subi une panne plutôt grave. Malheureusement Énée, en dépit d'être un ingénieur, il ne pouvait pas donner une aide précieuse aux deux pilotes, qui se mirent tout de suite au travail pour la réparer. Ni, même pas Melésigène, un médecin physiologiste et instructeur de gymnastique, aurait pu à son tour être de quelque aide.

        "Vous deux amis…" dit Paris, dès qu'il avait identifié les dommages, "mettez-vous de vedette du côté nord qui est la partie plus ouverte, afin de nous avertir si arrive quelque chose comme un hélicoptère ou un avion," et à Praxitèle, appuyant la main sur le générateur magnétique, "comme tu vois, le projectile a cassé la coupe du liquide de refroidissement du réacteur," lui confirma. "Un dégât grave qui pouvait nous faire exploser si tu n'eusses pas réduit la vitesse mais, dans ce moment, une niaiserie parce que nous en avons un de rechange et…"

        "Aussi de liquide. Nous en avons un conteneur de vingt litres. Ce qui suffit pour le recharger correctement," ajouta Praxitèle avec un sourire lumineux.

        "Eh bien, alors il faut se dépêcher," dit Paris. "Moi, de ces humains, je n'ai aucune confiance. Ils seraient même capables…"

        "De nous débusquer aussi dans ce lieu désert," termina la phrase le pilote.

        "Il n'a pas tort," intervint Énée, sans interrompre l'attentive observation vers la partie d'où ils étaient visibles. "Je ne sais pas comment, mais je crois qu'ils auront compris quelque chose et ils nous donnent la chasse pour obtenir toutes les informations dont ils ont besoin."

        "Tu peux de même me le passer," dit Paris s'adressant à Praxitèle. "Voilà la pièce endommagée. Regarde-toi quel trou ! À notre retour il faut signaler à l'usine que pour les nouveaux aviolobes en construction, puisque ceci est un prototype, ils devront installer une protection de Rouprice et non de Rocrois et même plus épaisse."

        L'installation de la nouvelle protection comporta à peine cinq minutes, mais le travail plus long fut cela d'insérer les vingt litres de liquide réfrigérant, crémeux comme un shampooing, de sorte qu'il dut être coulé, en plus qu'avec prudence, même avec beaucoup de patience. Temps estimé : au moins une demi-heure. Un temps très long si par hasard les Américains eussent eu vent de l'endroit où ils se fussent allés pour se réfugier.

        Et, en fait, ils étaient juste à moitié de l'œuvre, quand Melésigène, au regard plus aigu que Enée, en faisant signe à son compagnon, lui dit, indiquant dans l'horizon sans nuages : "Cela me semble un avion."

        "Je ne vois rien," fit Enée.

        "Et il est également très rapide. Tant que si tu observes attentivement parmi les deux crêtes à l'horizon, tu le verras s'approcher."

        "Oui, c'est vrai !" convint Enée avec une note de déception dans sa voix. "Il doit être un Stealth, l'avion invisible aux radars."

        Et lorsque Paris et Praxitèle, pas encore avertis par les deux observateurs, ils étaient à deux tiers du transvasement, très absorbés pour ne pas renverser le liquide visqueux du récipient, l'avion américain passa sur leurs têtes avec un rugissement qui, en dépit qu'il fût à une hauteur de plus de trois mille mètres, fit vibrer l'air.

        "Qu'est-ce qu'est…" demanda Melésigène, "un avion en mission ?"

        "Ces types d'avions quand vont en mission, sont toujours en couple," répondit Enée. "Je ne vois pas l'autre et me semble que…" et, en fait, s'apercevant que l'avion Stealth venait de faire un ample virage de la part opposée, "que ceci nous ait débusqués et vienne à vérifier qui nous sommes."

        Tandis que Melésigène tenait sous son contrôle visuel le petit point noir qui venait de s'agrandir progressivement, Enée, s'adressant aux deux pilotes, il demanda : "Si vous n'avez pas encore fini le transvasement, ne croyez-vous pas que ce que vous y aviez mis dedans suffise pour décoller et quitter ce lieu ? Peut-être que vous pourriez poursuivre l'opération dans un autre endroit…"

        "Ce serait comme y avoir mis rien. Si le liquide n'arrive pas au niveau, le producteur de la bulle magnétique ne se met pas en fonction," répondit Praxitèle.

        "Laisses-tu que l'avion passe une autre fois, Enée," renchérit Paris sans détourner son attention du transvasement. "Mieux, fais-tu un petit geste de la main pour le saluer."

        "Autre qu'un salut, ami Paris. Tu ne connais pas les Américains. Cet avion nous tourne autour pour nous photographier autant que possible notre aviolobe et, je t'assure, qu'avec ces extraordinaires caméras, ils réussiront à obtenir en clair même les détails de notre avion."

        "D'accord, mais qu'est-ce qu'ils n'y feront jamais," répondit Paris avec un sourire narquois.

        "Ils y construiront un avion similaire…"

        Praxitèle intervint : "Ami Enée des Anchises, ce n'est pas la forme qui fait voler l'aviolobe, mais le moteur atomique qui a également la possibilité d'y former autour une balle électromagnétique qui lui évite le contraste avec l'air, le faisant déplacer, je répète, et non à voler, à une vitesse cosmique. Qu'est-ce qu'ils ne s'en feront jamais des photos…"

        "Mais Praxitèle," s'écria Enée, en regardant les deux pilotes qui souriaient, "il découvrira tout…"

        "Mais qu'est-ce que veux-tu qu'il découvre, Enée !" répliqua Paris, cette fois-ci en soulignant le sourire. " Au contraire, nous l'intriguerons de plus parce qu'il n'aura pas le temps de faire un autre piqué et nous observer en détail. Nous sommes presque prêts. Commencez-vous à prendre place dans votre logement. En un peu plus d'une demi-heure, nous serons à Shanghai."

        Lorsque la Stealth repassa, il réussit à photographier seulement un étrange engin blanc qui se mélangeait avec le paysage. Aucune trace des êtres vivants. Puis, étant donné que pour une meilleure observation, au lieu d'un vol en rase-mottes, l'avion américain avait fait un grand cercle à une altitude plus basse possible pour avoir un rayon majeur de visibilité, à un moment donné le pilote Américain s'aperçut que l'étrange engin se levait de quelques mètres et, soudainement, il disparaissait.


23 -   RETOUR EN  CHINE

 

 

         Cette fois-ci, leur retour à l'Hôtel de la Paix à Shanghai émerveilla un peu tout le monde. Personne ne s'attendait pour revoir l'ingénieur Henry Campbell et son inséparable assistant Lloyd Clodell. Tout le monde avait parlé et écrit au sujet de leur enlèvement et, quoique personne n'en eût eu pas les preuves, tous présumaient que les auteurs de ça fussent les Américains, épaulés par les principaux producteurs de pétrole.

        Le gouvernement chinois avait rappelé ses représentants diplomatiques accrédités aux États-Unis ainsi que ceux de l'Allemagne et de l'Arabie Saoudite. Pour ce que concernait ce dernier Pays, c'étaient manifestés, par la majorité de la population mondiale, les soupçons que la matrice des attaques contre les Tours Jumelles et le Pentagone, puisque presque tous les dix-neuf auteurs de ces horribles massacres venaient de son propre territoire, les fausses théories, en outre, fondées que certains riches Cheikhs les avaient financés. Que cela fût une vengeance, comme dans le jeu de billard, d'un bon coup de bande ? Voulant avec ça signifier que, ne pouvant pas opérer contre les patrons de la nation plus riche en pétrole au monde, tous accusaient celle-là qui leur avait toujours offert amitié et protection, complice la source inépuisable de l'or noir dont les Américains ne pouvaient pas faire à moins.

        Étrange monde cela des humains. Les loisirs et les conforts avaient brouillé les esprits de tous. Jamais une nouvelle invention qui révolutionnât leur façon de vivre. S'il y avait été quelqu'un qui avait eu une idée lumineuse qui, si exploitée, aurait porté à la solution de plusieurs problèmes, allez ! On trouvait illico l'acheteur et son 'invention' aurait été mise de côté, sinon détruite. Le monde devait aller comme il allait. Il y avait ceux qui disaient que les réserves de pétrole se seraient épuisées dans les prochains vingt ans et qui, au contraire, les considéraient comme interminables. C'était presque une prédestination que les hommes, avec l'écoulement du temps, ainsi comme ils s'étaient habitués à marcher droits, ils vinssent de s'habituer à respirer un différent mélange d'air, dont la composante en croissance, au lieu de l'azote, aurait été le dioxyde de carbone avec des traces de méthane supérieures à celles actuelles.

        Les Hellènes ne pouvaient pas supporter tout ça. Quand même avec le stockage de l'air dans la grande usine en construction à Boadicée, ils se garantissent vingt ans de vie, qui équivalaient à quatre-vingt des humains, ils pouvaient déjà compter le temps qui leur restait avant de disparaître de la surface de la Terre. Leur instinct à exagérer la moindre trace de rébellion qui était resté dans leur intime et que l'adusbraline, s'étant formée dans leur corps tout à fait spontanément, les avait mis au silence pendant des siècles, maintenant ils étaient obligés à réfléchir à la façon de résoudre ce problème très grave.

        Déjà il y avait ceux qui, parmi les membres du Grand Jury, en dépit qu'ils ne le manifestassent pas à aucun, venaient de ressasser dans l'esprit qu'on devait trouver un moyen pour arrêter la course insensée à la pollution des humains. Contraires par vocation et prédisposition d'esprit à la violence, avant même d'attendre le résultat négatif de la mission de Enée des Anchises, ils avaient pensé à arrêter les hommes avec des arguments convaincants. Ceux même qui étaient les seuls à comprendre qu'est-ce la violence. Même pas pensable contre les personnes, mais contre leurs propriétés, certainement oui.

        Et alors, la dernière raison. Ne pas détruire leurs moyens de communication et d'offense, car ils pourraient causer la mort de certains hommes ni les installations de transformation du pétrole et même pas les grands navires qui le transportaient partout dans le monde. Mais une chose que les Hellènes avaient apprise des Irakiens pendant la guerre du Golfe du 1991, oui. Détruire, ou mieux, boucher les prises de pétrole, de sorte qu'aucune tarière, même la plus dure avec les pointes couvertes de diamants, aurait été en mesure de se faire route pour arriver à extraire et pomper le pétrole emprisonné dans les entrailles profondes de la Terre. Une bonne coulée de Rouprice, qui abondait à Kallitala, aurait scellé pour toujours les poches de pétrole. Le moyen existait, quoique ce formidable engin qui avait creusé les canalisations de l'île état à six cents mètres de profondeur, il dût être transporté dans le monde extérieur en plusieurs exemplaires, autant que les gisements d'or noir et dans le même temps prirent les hommes au dépourvu. Des aviolobes-cargo il y en avait plus qu'à suffisance et si même pour cette opération en aurait employé la majeure partie de la disponibilité de Kallitala, provoquant le ralentissement pendant quelques jours des normales activités commerciales normales de l'île, l'opération pouvait être amenée à une conclusion heureuse. Ouais, heureuse était l'adjectif adéquat, parce qu'en même temps où venaient scellées les réserves de pétrole, les mêmes aviolobes qu'auraient transporté soit le Rouprice que les machines qui l'auraient utilisé pour boucher les poches des gisements de pétrole, ils auraient lancé sur les hôpitaux, fabriques et usines, une certaine quantité de panneaux aux neutrinos solaires de manière que, pendant l'intervalle de l'épuisement des réserves, les humains les auraient finalement utilisés.

        À cet égard, considéré que l'Archonte ne voulait pas qu'on ne s'en construisît davantage, quand même avec le matériel arrivé de la Chine on le pût faire bien au-delà d'un second milliard comme prévu avant, il fallait récupérer ceux que les Chinois avaient cachés dans le désert du Gobi. Par conséquent, l'opération de colmatage des puits devait être différée ce laps de temps qui donnât la possibilité à Enée, assisté par Melésigène, de les récupérer, sans causer des dommages physiques aux humains.

        Le plan conçu en quelques secondes par Protée prévoyait la mise en place de cent aviolobes-cargo sur le ciel du désert de Gobi, tandis que le Sargasse se tenait au bord des eaux territoriales chinoises, en manière de recevoir et ranger dans ses cales les panneaux solaires que peu de temps avant il les avait livrés avec un enthousiasme malheureusement mal confié.

        La tâche, y étant impliqué des hommes, résultait être plutôt ardu et, encore une fois et, une fois de plus, Enée des Anchises devenait le pion plus important de l'opération. Ce qui donna une certaine agitation à l'Archonte et à tous les membres du Grand Conseil, exception décomptée, Pausanias, qui plaçait dans l'ancien humain une confiance illimitée due, peut-être, plus à un sentiment d'affection qu'à une rationalité de la pensée.

        Les moyens qui pénétraient dans tout type de sol comme si ce fût de beurre et que, une fois arrivés à destination ils répandaient le Rouprice, venaient appelés Magataux et étaient prodigieux. Avec deux pointes tordues comme les cornes d'un taureau, une fois en fonction, elles tournaient à cinquante mille tours par minute, s'ouvrant un passage dans n'importe quelle matière terrestre, tandis que les deux courts bras latéraux, similaires à des ailes, émettaient des jets de feu à haute pression, transformant le rocher en magma. Lequel ne venait pas expulsé, mais 'étalé' dans la galerie afin de former un conduit avec une voûte à arc, avec des parois lisses et sûres, comme si celles fussent faites de béton armé. Une fois à destination, ce qui signifiait à une dizaine de mètres de la cloison qui divisait la partie rocheuse de la poche de pétrole brut, afin d'éviter un effrayant incendie, le Magatau répandait tout autour une légère couche de Rouprice, le rendant imperméable. Puis, en se retirant, les deux cornes, progressant vers la sortie, tournaient au contraire, de sorte qu'elles comblaient le passage avec le magma qui, en se refroidissant, se transformait en basalte et bûchait complètement le trou. L'accès au grand gisement de pétrole devenait, pour les hommes, presque impossible. Des centaines de puits ne seraient pas en grès d'aspirer le brut et même si les foreuses eussent continué à tourner, elles se seraient grippées dans la roche magmatique.

        Et, étant donné que les Magataux étaient des machines d'une forme presque réduite par rapport de l'énorme travail qu'ils devaient faire et qu'ils pouvaient contenir une grande quantité de Rouprice grâce à leur gaine de Calotex à intérieur, ils venaient transportés deux à la fois par des énormes aviolobes-cargo du type de ceux qui avaient transporté le bateau d'Henry Campbell de la mer des Sargasses jusqu'aux calmes eaux de Kallitala. Ces engins étaient en mesure, dans un seul jour, de bloquer la production d'une entière région, le premier choix étant tombé sur le Moyen et Extrême-Orient. À suivre Arabie Saoudite, Irak, Iran, Koweït, Bahreïn, Égypte, Géorgie du Caucase, Tchétchénie et Russie. Ensuite, le tour aurait touché les gisements de la Nigeria, de l'Afrique du Sud, des États-Unis, toute l'Indonésie, tandis que pour ceux du Venezuela, du Mexique et de la Mer du Nord, se trouvant au fond la mer, l'opération aurait été laissée aux Magators, frères aînés des Magataux, plus puissants et dotés d'un spécial équipement sous-marin.

        Pour les autres gisements éparpillés dans toute la planète, mais de faible production de pétrole, Protée avait prévu de les laisser productifs pour le mince emploi local, jusqu'à l'épuisement des réserves de tous les dérivés de l'or noir.

        Les premiers qui se seraient trouvés en grande difficulté étaient les États-Unis sur le territoire desquels, cependant, seraient 'plus' les premiers panneaux solaires soustraits des énormes, ce qu'inutiles dépôts de la Chine. Du point de vue juridique, Enée aurait eu toutes les raisons du monde à les reprendre, car les Chinois avaient exprimé l'intention de ne pas respecter les accords, preuve en était pour avoir créé le prétexte diplomatique faisant croire que ceux qui avaient volé les voitures électriques en exposition, étaient les mêmes qui avaient fait exploser le Jumbo cargo, tuant une vingtaine de personnes et causant la destruction des autres dix voitures d'exposition. Mensonge accepté par tous pour le moment, mains non pas de l'analyse de la grande chimio ordinateur de Kallitala qui, comparant les différents éléments, avait découvert l'astuce.

        Toutefois Énée, alias Henry Campbell, ne l'aurait pas démontré sinon faisant découvrir qui agissait derrière lui, de sorte que se rendait nécessaire une opération 'pirate'. Et qui, sinon un être qui avait été humain pendant trente-deux ans, acquérant en plus des connaissances scientifiques, même le cynisme nécessaire à tous les hommes pour survivre dans ce monde pollué désormais devenu une jungle ? Précisément lui, Henry, dans l'espoir que l'adusbraline qui l'avait rendu Hellène, n'inhibât pas trop à fond ses instincts ancestraux.

 

ΩΩΩ

 

        "Ingénieur Henry Campbell, te voilà à nouveau !" fit Kekou Shang qui, qui sait pourquoi, étant échouée l'opération de présentation des machines électriques en Allemagne, logeait dans cet hôtel plutôt que chez elle. Henry n'eut pas le temps de répliquer, parce que la désinvolte jeune femme fille le précéda, en ajoutant : "Tu es comme la Phoenix qui ressuscite de ses cendres."

        La boutade était presque un geste de dédain, mais elle se le fit pardonner pour l'expression douce et charmante de comment elle l'avait prononcée et, en outre, avec ces yeux merveilleux et la rangée de dents ouvertes à un sourire plus lumineux du soleil, désarma son interlocuteur, qui aurait voulu lui dire en termes non équivoques de s'en aller.

        "La comparaison ne s'adapte pas à moi, Kekou chérie. Comme tu vois je jouis d'une excellente santé. La Phoenix, comme tu dis, se régénère de ses cendres, il est vrai, mais à chaque fois elle perd quelque chose. Mon corps est intègre et… Même mon esprit, qui me fait rappeler que Mlle Kekou Chang doit être ailleurs. Qu'est-ce que je sais… Peut-être au service de l'ineffable Xuahn Li ?"

        "Il a fait carrière. Il a été promu à une autre tâche plus importante, loin de Shanghai, cependant."

        " Où ?"

        "Secret d'État. On ne peut même pas demander," répondit Kekou avec une note de résignation.

        Henry qui, pendant le court vol des montagnes Blue Ridge jusqu'en Chine après la réparation d'Hermès, avait été informé par l'ordinateur des derniers développements de la situation, savait que Xuahn Li dans ce moment se trouvait dans le désert de Gobi pour inspecter les dépôts souterrains de panneaux solaires Hellènes, il changea de sujet et avec une attitude qui, plutôt qu'autoritaire, était ironique, il lui demanda : "Et à toi, chère Kekou, quelle promotion a été donnée ?"

        La lèvre inférieure de la belle chinoise fit une légère tournure en bas à démontrer sa déception, en répondant : "La mienne, étant une tâche à temps, est terminée. Par conséquent, j'ai été liquidée."

        "Eh bien, à ce que je vois, étant donné que tu loges dans l'hôtel plus cher de Shanghai."

        "J'habite chez moi. Je suis venue ici juste pour te rencontrer à nouveau," répondit avec une expression dans les langoureux yeux presque à supplier Henry de la prendre à son service.

        Mais l'adusbraline venait de faire son effet. Énée, sans même lui répondre, se retourna soudainement et, voyant que Melésigène s'approchait, "vite, Lloyd…" il dit, "nous avons ce rendez-vous et nous sommes déjà en retard," et tandis que son assistant le regardait abasourdi parce qu'ils n'avaient aucun rendez-vous, chose qui n'échappa pas à la rusée femme, s'adressant à Kekou, il la congédia avec : "Je suis désolé, mais je dois te quitter. Ne manquera pas l'occasion de se revoir, j'espère !"

        Elle dut se rendre. "Je suis certaine que ça arrivera bientôt," elle répondit résignée le regardant droit dans les yeux et, après un signe de tête, elle s'éloigna vers la galerie marchande.

        "Nous devons, cependant, ne la rencontrer plus," dit Enée à Melésigène dans leur langue, le convaincant que ce n'était pas un jeu de séduction. L'ami fit une espèce de grimace en pensant que, si quelqu'un entre eux deux ait été subjugué par le charme de Kekou, celui ne pouvait qu'être Énée, parce que les Hellènes authentiques ne pouvaient pas subir aucune influence par n'importe quel être humain. Mais il retint sage de ne pas répondre lui, mieux, il attendit que l'ami lui confiât son plan d'action. C'était urgent, selon les dispositions reçues de l'Archonte, d'atteindre les dépôts de panneaux solaires et de suivre le plan conçu par Protée.

        "Je pense que la meilleure chose sera d'atteindre Beijing et réclamer que le gouvernement chinois respecte le contrat dans les termes comme il a été soussigné," proposa Enée.

        "Et tu crois qu'ils accepteront ?" répondit l'ami avec certitude.

        "Pourquoi pas ?" fit Enée. "Il faut, quand même, en avoir la certitude pour agir."

        "En toi hébergent encore trop sentiments humains, ami Enée," il dit, cette fois avec beaucoup de sérénité Melésigène. Si cela fût dépendu de lui, la dose d'adusbraline injectée à l'ex-humain aurait été due au moins double. " Je suis à ton service, de sorte que si tu veux faire une action de ce genre, eh bien, allons-nous décidément à Beijing…"

        Cet esprit de conciliation du compagnon avisé, donna à Enée un coup de fouet qui lui fit comprendre que le sien aurait été un comportement sot. C'était désormais clair que les Chinois, avec le prétexte de la soustraction des trois voitures à Monaco de Bavière et de l'attaque qui avait fait exploser l'avion Jumbo de la China Airlines contenant les dix autres, ils se croyaient avoir le droit d'utiliser les panneaux de neutrinos solaires seulement pour eux-mêmes. Au moins jusqu'à ce que fussent trouvés les auteurs du massacre qui, selon l'analyse de Protée sur la base des faits réels, avait donné le résultat qu'ils aient été juste eux.

        "Eh bien, alors…" il dit, mais avec une certaine hésitation, "suivons-nous le plan Gobi, mais avant d'y faire converger les aviolobes-cargo, rendons-nous compte de la situation logistique. Qui sait combien de milliers de chinois armés jusqu'aux dents seront là-bas à défendre les dépôts…"

        Ils louèrent une petite barque et se positionnèrent sur une anse du fleuve en ce moment peu trafiqué, car les milliers de bateaux qui la traversaient, naviguaient au milieu ou sur l'autre berge, évidemment endroits plus sûrs pour la profondeur des eaux. Depuis les deux expériences désagréables en Allemagne, en outre de se regarder tout autour, en sachant que d'un moment à l'autre que l'aviolobe piloté par Praxitèle serait descendu sur eux, Melésigène se mit tout de même à observer attentivement les eaux boueuses, de peur que tout à coup en émergeât quelqu'un pour les enlever et Enée, de sa part, attentif, avec la bombe aérosol de Sapotran en main prête à l'emploi si cette éventualité se dût concrétiser.

        Mais n'arriva rien de tout ça. Les Américains ou qui pour eux ne bénéficiaient pas des mêmes libertés qu'ils avaient dans d'autres Pays.

        L'aviolobe Hermès, en provenance du Sargasse, se matérialisa ponctuellement aux leurs yeux et les deux Hellènes vinrent 'aspirés' dans les deux sièges derrière le pilote qui, renfermée la bulle magnétique, fit illico route vers le nord après les avoir salués.

        "Bienvenue," dit Praxitèle. "J'espère que cette-ci soit le bon moment… Quoique cette opération se présente plutôt ardue."

        "C'est une grande inconnue. Nous avons deux éléments contraires, cette fois, avec les Chinois qu'ils feront tout pour ne pas rendre à nous les panneaux et la difficulté, une fois débusqués les dépôts où ils les ont cachés, de les transporter à nouveau sur le Sargasse," dit Enée.

        "Pas encore, ami Enée," répondit Praxitèle, qui venait de réduire la vitesse de l'aviolobe, étant ils arrivés déjà dans en zone. "Dès que vous auriez trouvé les entrées des cachettes des panneaux et seulement lorsque nous serons en mesure de nous le reprendre, sera donné l'ordre à tous les aviolobes-cargo de transférer les Magataux et les Magators sur les gisements de pétrole afin de les sceller."

        "Je suppose qu'il faudra une énormité de temps. Et nous, qu'est-ce ferons-nous entre-temps dans le désert ?" demande Enée d'une voix légèrement altérée.

        "À bord il y a une réserve de nourriture et d'eau de Kallitala, en outre que deux bouteilles d'air pour Melésigène, de sorte que vous pouvez y survivre pendant plus d'un mois," et, au cambrement des sourcils de Enée, "de ceux humains, c'est entendu !"


24 - OPERATION  GOBI

 

 

         Ils étaient que trois, mais, à l'apparence, immenses. On le devinait des grandes dunes qui les couvraient, qui ne suivaient pas le développement du sol où l'étendue de sable était interrompue par des affleurements de roches pointues et de petites dunes formées par le vent. Ces trois, cependant, environ longs cent cinquante mètres chacun, pouvaient tromper n'importe quelle reconnaissance aérienne - dans ce cas seulement par les satellites, étant donné que là-bas était interdit le survol par un autre type de véhicule aérien - mais pas par un œil expert tel que celui des Hellènes. Praxitèle s'en était aperçu d'abord et pour ça, après les avoir indiqués à ses deux passagers, il les fit descendre à environ trois kilomètres de distance. Il ne pouvait pas faire autrement. Dans cette zone, comme c'était évident, ne pouvait pas y être une étendue d'eau. De sorte que le seul endroit où faire débarquer Enée et Melésigène, avec les deux conteneurs en Calotex, ne pouvait pas qu'être une plate-forme naturelle des roches basaltiques, assez loin de la grande étendue de sable qui, soulevé par la turbulence formée par la boule magnétique qui les rendait invisibles ainsi que soutenait en air l'aviolobe, n'aurait pas été aspiré à l'intérieur des délicats mécanismes de l'appareil.

        La première chose que Henry fit tandis que Melésigène cherchait une anfractuosité où se cacher, mais surtout pour se mettre à l'abri du soleil, dont les rayons brûlants n'étaient pas filtrés ou repoussés, en particulier les dangereux rayons UVA, en plus de la chaleur torride, fut d'assembler à un spécial panneau solaire les mirillinis et avec cet ordinateur se tenir en contact, faisant un pont avec les antennes du Sargasse, avec Protée.

        Il n'eut pas fallu longtemps à Melésigène pour débusquer une anfractuosité sous un auvent avec une inclinaison en sens inverse au sol d'outre dix degrés, longue une vingtaine de mètres et autant en profondeur. Il semblait fait exprès pour eux. Sous cet abri ils auraient attendu le coucher du soleil, mangé à l'heure habituelle et, dès la nuit tombante, ils seraient allés en reconnaissance pour se rendre compte de combien d'hommes aient été mis à la garde des dépôts. De l'extérieur, il semblait qu'il n'y fût mis personne, mais les détecteurs à impulsions kériosmatiques avaient mis en évidence plusieurs fréquences cardiaques, signe de la présence d'un nombre imprécises d'êtres humains.

        La distance pour eux n'était pas un problème. Merci au Kériosmate, ils pouvaient parcourir les trois kilomètres qui les séparaient de dépôts en quelques secondes et avec la bombe aérosol de Sapotran insérés sur chaque humérus du spécial survêtement en Calotex qu'ils endossaient, cela aurait été facile, pour chacun des deux, mettre en déroute une vingtaine d'hommes à la fois.

        La reconnaissance faite avec l'aviolobe avait donné la certitude qu'il n'y avait aucun soldat de garde à l'extérieur, mais tout avait été organisé par les Chinois afin de faire croire que ces 'dunes' qui cachaient les dépôts souterrains, fussent tout à fait naturelles. Toutefois, les Hellènes savaient qu'à l'intérieur pouvaient y avoir des dizaines de soldats armés jusqu'aux dents, sinon même des centaines, étant donné que la politique chinoise était basée sur la quantité de militaires, dont elle disposait de vastes réserves.

        L'engagement, par conséquent, n'était pas parmi les plus faciles pour deux seuls Hellènes, quoique appareillés avec des équipements d'une technologie très efficace et inconnue aux humains. En outre, dès qu'on a eu été lancé l'opération ' non-utilisation des puits de pétrole ', les deux aviolobes du Sargasse et celui-ci conduits par le couple Praxitèle-Pâris, seraient immédiatement intervenus pour rendre inoffensifs les soldats Chinois avec des jets ciblés de Sapotran. Cette fois, soit Enée que Melésigène avaient en dotation un minuscule respirateur, semblable à un masque chirurgical, mais beaucoup plus efficace, qui les aurait affranchis pour ne pas subir les conséquences.

        Leur tâche la plus immédiate était de découvrir les entrées des dépôts et s'assurer sur la force numérique des préposés à leur surveillance. Mais tout d'abord, car il était déjà tard dans l'après-midi, il y avait le devoir de préparer le refuge avec le matériel que chacun avait dans la valise en Calotex, tels que les équipements, l'air d'urgence pour Melésigène, la nourriture et, surtout, l'eau. Le climat chaud sec du désert de Gobi déshydratait bientôt chaque corps d'être vivant et en particulier ceci d'un Hellène, sensible à tout changement du climat. Dans ce cas également celui de Énée, parce que l'adusbraline qui pour certains mécanismes biologiques n'avait pas annulé plusieurs instincts de l'homme, pour ce qui regardait, au contraire, l'acclimatation, l'avait rendu égal à n'importe quel autre Hellène. Par conséquent, la première chose que les deux firent, fut de se désaltérer avec l'eau de Kallitala et, comme le soleil commença à parcourir sa phase décroissante derrière les aigus sommets de la chaîne montagneuse du Sinjang, à se nourrir.

        Illico après, repos pour les deux. Il n'était pas nécessaire que chacun d'entre eux fît la garde tandis que l'autre dormait. Melésigène avait monté un dispositif destiné à les réveiller au moindre changement qui ne fût pas naturel de cette zone, tels que l'approche d'une respiration animale ou l'avant-arrivée sur eux d'un corps qui eût quelque chose de plus de la consistance de l'air, comme une pierre ou un projectile quelconque. Ulysse, était son nom en souvenir du très avisé héros homérique.

        Il n'arriva pas, cependant. Rien de tout ça et le premier à se réveiller fut Melésigène à presque deux heures de la nuit, se donnant tout de suite pour préparer le matériel et à boire la bonne rasade quotidienne d'eau. Enée ouvrit les yeux dix minutes après. Les deux Hellènes, dans le plus complet silence, mirent à point leurs équipements y compris les spéciales lunettes pour le sombre avec lesquelles ils pouvaient voir comme à la lumière du jour, quoiqu'avec une vision d'une coloration d'un gris en peu nuancé.

        Grâce au cheriosmate, ils se placèrent en quelques secondes dans les extrémités de la première dune et, cachés parmi les anfractuosités, ils observèrent attentivement chaque variation possible tout autour. Il n'eut pas fallu longtemps, car Enée, qui se trouvait dans le coin regardant vers l'est, il entendit un léger bavardage en provenance d'en bas. À travers à son émetteur à basse fréquence, il envoya le message à Melésigène afin qu'il l'atteignît. Les deux amis eurent la certitude que juste de ce côté, à quelques mètres au-dessous du niveau du sol, il y avait l'entrée du dépôt, semblant à eux, en outre, que le service de sentinelle nocturne fût formé par non plus de trois soldats. Tandis que Enée se dirigeait vers la seconde dune, Melésigène, en explorant soigneusement la première, il découvrit les bouches d'aération.

        S'étant réuni à Enée, ils eurent à s'échanger d'un mince chuchotement leur opinion à ce sujet.

        "Toutes les entrées sont placées vers orient," dit Enée. "Je n'aurais pas douté de ça."

        "Et dans la moitié de la dune…" lui communiqua Melésigène, "j'ai découvert les bouches d'aération. Il n'est pas facile de les voir étant donné leur camouflage."

        "Donc, comme les entrées, même les bouches d'aération seront placées au même point dans toutes les trois dunes," répondit Enée.

        "Je pense que oui, ami Enée."

        "Combien de personnes penses-tu qu'il y ait dedans ?"

        "À travers la prise d'air principale - je pense qu'elle le serait parce qu'était la plus grande - j'ai écouté attentivement la respiration des dormeurs et calculé qu'il y ait plus ou moins une vingtaine d'hommes."

        "Bon de cette manière, notre tâche vient simplifiée."

        "Serait-ce à dire ?"

        "Vas-tu auprès de notre refuge, mets-toi en contact avec Protée et communique que nous avons découvert les dépôts des panneaux. Que soit mise immédiatement en acte l'opération 'Gobi'".

        "Ne viens-tu pas avec moi ?" demanda Melésigène intrigué.

        "Il est déjà quatre heures et bientôt là-bas les Chinois commenceront à se lever des lits de camp. Le réveil pour les militaires habituellement sonne à cinq heures. Si même moi, je m'éloigne, je viens de perdre l'occasion d'envoyer des jets de Sapotran et les faire continuer à dormir juste assez pour agir tranquillement," répondit Enée, sérieusement engagé à faire certains ses calculs mentaux. "Fais-tu dire les temps choisis, de manière à calculer la dose de gaz à envoyer à travers les bouches d'air."

        À seulement dix minutes après, Melésigène communiqua à Enée qu'était commencé l'opération cachetage de puits de pétrole. Durée estimée : une heure et demie pour le transport des Magataux et des Magators à Kallitala et une autre heure afin que les aviolobes-cargo se plaçassent sur les dépôts Chinois. Pour une majeure sécurité, la dose de Sapotran devait être réglée à intensité zéro onze, qui garantissait la mise hors service de tout le personnel Chinois pour au moins quatre heures, marge assez ample pour accomplir à la soustraction de tous les panneaux solaires et leur suivant chargement sur le Sargasse. 

ΩΩΩ

 

        L'opération colmatage des puits de pétrole, nommée en jargon 'Gobi', se déroula comme avait été prévu, sauf pour un inconvénient pas contemplé. Quoique les Hellènes sussent de l'incontinence humaine et de la vocation belliqueuse des hommes, ils n'avaient même pas imaginé que la guerre entre les États-Unis et l'Irak pût déboucher en une très sanglante guérilla. Il est vrai que plus d'un an avant il y avait eu celle-là en Afghanistan, qui cependant pouvait être considéré plus une opération de police en grand style plutôt qu'un conflit armé contre toute une nation, qui aurait dû enseigner aux Américains comment écarter les attentats terroristes. Cela avait suffi de chasser ces fanatiques féroces et sanguinaires que la crainte d'un peuple réduit à l'extrême avait élevés au pouvoir. Mais celle-là contre l'Irak de l'après Saddam Hussein était une guerre déclarée contre une nation. Au moins sur la carte. Précisément sur cette même carte imprimée dans laquelle ces cancaniers de journalistes rapportaient les forces sur champ, au moins pour ce qui concernait le nombre de combattants, affirmant que les Irakiens étaient supérieurs et semblaient en plus, même plus motivés.

        Il n'était pas possible, donc, boucher les puits de pétrole de la région de nord-est et de celle beaucoup plus à sud, Bassora, sinon de traverser les forces combattantes et risquer de tuer un homme. Cela n'était pas compatible pour les peu ce qu'efficaces lois des habitants de Kallitala en outre que pour leur déontologie. Cela aurait été une chose absurde comme tuer sa propre mère. De sorte que s'annonçait une tâche boiteuse, car les puits de pétrole du Pays en conflit étaient parmi les plus importants de la planète.

        Toutefois, certains du fait que les opérations de guerre auraient empêché pendant quelques mois l'extraction du pétrole brut ou, tout au plus l'auraient réduite de beaucoup, pour ne pas annuler l'opération qui aurait aggravé la situation générale, l'Archonte fit transmettre l'ordre à Enée de procéder immédiatement à la récupération des panneaux à neutrinos solaires.

ΩΩΩ

 

        Quand arriva l'ordre de Kallitala, le soleil venait de se lever dans la morne plaine, et ses rayons rasants mirent en particulière évidence les trois longues bosses de sol sablonneux, les rendant à la vue plus imposante que jamais. Le sol s'était refroidi pendant la nuit, mais bientôt il se serait chauffé au rouge. Les rayons non filtrés auraient annulé les minces défenses de Melésigène, le rendant dans un court laps de temps inadéquat à dévoiler sa tâche.

        Ils devaient se dépêcher, de sorte qu'ils se placèrent chacun auprès des prises d'air, y introduisant la bonne quantité de Sapotran. Melésigène avait endossé le casque spécial avec la visière masquée qui l'aurait protégé partiellement des rayons aveuglants. Sa sensible peau était protégée par le survêtement en Calotex, mais l'Hellène avait une courte autonomie, si bien qu'Hermès était déjà prêt sur la verticale de leur refuge pour le prélever et l'emmener à bord du Sargasse.

        Une fois introduit le gaz dedans les premières deux, Énée fit signe à son compagnon d'atteindre le refuge pour s'en aller et s'approchait à faire la même chose à la troisième. Et juste lorsqu'il venait de presser le bouton qui convoyait le Sapotran dans les conduites d'air, il vit les premiers hommes sortir de deux dépôts souterrains déjà 'traités' et resta pour instant ébahi.

        Ces êtres humains étaient… Au contraire… Avaient le masque à gaz et ils venaient de se diriger dans sa direction avec des intentions tout à fait non pacifiques, à ce qu'il vit, étant donné que certains épaulaient un fusil-mitrailleur et étaient en train de pointer, d'une manière menaçante, la canne vers lui !

        Il donna une rapide impulsion à son Kériosmate et réussit à esquiver la première rafale de projectiles, venant à se trouver de côté de Melésigène qui juste en cet instant était sur le point d'être 'aspiré' par Hermès, l'aviolobe piloté par le couple Praxitèle-Pâris. Il aurait voulu y monter même lui, mais il ne pouvait pas laisser aux hommes tout le matériel qui avait caché dans l'anfractuosité rocheuse. Déjà ceux-ci avaient découvert le secret du Sapotran, tellement qu'ils s'étaient protégés avec des masques et, en outre, eu l'intuition que lui et son compagnon auraient tenté de se reprendre les panneaux.

        Il reçut l'ordre de Protée de rester en cette zone et de ne pas s'embarquer, dès qu'il serait revenu, sur l'aviolobe de secours, qui était déjà parti vers le Sargasse. Les Chinois ne savaient pas où il ne se cachât ni ils s'imaginaient qu'il maintînt la position à trois kilomètres de dépôts. Si Enée ne fût pas réussi dans son but, il ne restait autre chose que faire sauter en air les dépôts de panneaux solaires, provoquant trois boules de feu tellement énormes qu'auraient brûlé en deux secondes tout l'oxygène dans un rayon de trente kilomètres, causant l'extinction de toute chose vivante dans la région, y compris les hommes. À moins que… À moins que… Enée se souvint de les avoir bien vus. Ils endossaient le masque et sur le dos avaient une sorte de bouteille. Mais bien sûr, une bouteille d'air pour respirer.

        Donc, cela signifiait qu'ils connaissaient l'effet du gaz hellène, mais ils craignaient qu'il pût dépasser les filtres de carbone des masques, par conséquent, ils s'étaient munis d'une réserve d'air. De la durée d'une heure, peut-être, même de plus, puisque la bouteille était longue du cou aux hanches. L'explosion des panneaux aurait brûlé tout l'oxygène créant un vide dans l'atmosphère pendant une dizaine de minutes, puis la pression de retour, sous la forme d'un vent impétueux, aurait à nouveau comblé le vide et après le grand nuage de poussière qui aurait aplati tout cela qui avait causé l'explosion et, donc, chaque aspect sableux, ainsi même le camouflage des dépôts dont les toits auraient été arrachés.

        Aucune forme de vie végétale et animale aurait survécu au feu et le vent qu'en aurait dérivé, s'en serait allé pour éteindre sur la Mer Chinoise, non sans d'abord avoir causé de sérieux dégâts sur son passage et peut-être, compte tenu de l'orientation, il aurait investi quelque grande ville. Beijing ou Shanghai. On ne savait pas laquelle des deux, mais l'un d'eux, certainement.

        Enée attendit avec confiance de recevoir dispositions de Protée, certain que l'Archonte n'aurait jamais donné l'ordre de faire exploser les panneaux. C'était contraire à l'âme Hellène de causer des lésions corporelles à tout être vivant sur ​​la terre, tandis qu'il essayait d'étudier en tant qu'homme, étant donné qu'il avait été dans cette condition pour toute sa vie, laquelle solution aurait été l'optimale.

        Et il la trouva. Il la pensa à plusieurs reprises et progressivement l'améliorait jusqu'à quand, s'étant mis en contact avec Protée, il la traduit à lui en clair. Chose étrange, la réponse tardait à venir. Alors Henry en comprit la raison. Protée venait de soumettre son idée au Grand Jury au complet dont tous les membres étaient en attente de la décision de l'Archonte. Il considéra de bon augure cette attente, puisqu'à la grande chimio ordinatrice auraient suffi quelques secondes pour lui en donner l'avis.

        Qui arriva une heure plus tard, juste quand la plaine sous-jacente était parcourue par un nombre imprécis de véhicules militaires, dont plusieurs chars armés. Les Chinois étaient à la recherche de lui et de Melésigène mais, heureusement, ils ne tirèrent pas vers le seul possible refuge dans toute la plaine désertique. Celui-ci, précisément, où Henry se cachait, mais ils venaient de s'y approcher. Heureusement Henry était prêt à s'enfuir avec tout le matériel rangé à l'intérieur des conteneurs en Calotex, sauf l'ordinateur à mirillinis qui lui devait donner la réponse tant attendue.

        Déjà les premiers militaires, descendus de deux camions, se préparaient à grimper sur la zone rocheuse où il se cachait. Henry calcula qu'ils auraient beaucoup fatigué, tenant en compte de la nature impraticable de la montagne composée par de couches basaltiques étagées qui forjetaient de plusieurs mètres : une chose très difficile pour les soldats Chinois, qui devaient être des grimpeurs très expérimentés, équipée de cordes pour les gravir une à la fois, toutes. Il y en avait une dizaine.

        Avec tous ses sens aiguisés, Enée vit Xuahn Li en uniforme de général qui donnait des ordres, dont un, qui lui plut beaucoup, c'était de ne pas tirer même pas un coup de pistolet. Le rusé Chinois savait que Henry Campbell et Lloyd Clodell s'étaient réfugiés dans cet endroit et il voulait les arrêter sans leur faire du mal.

        Du reste, selon son avis, ils n'étaient pas coupables d'aucun crime contre le gouvernement Chinois, mieux, leur curiosité sur le rangement des panneaux solaires était plus que légitime, quand même il nourrît quelques doutes sur l'utilisation de ce gaz qui avait endormi ma moitié de ses hommes. Peu du mal, car il savait que son effet n'aurait duré plus de quelques heures et aurait infus à ses soldats des énergies plus élevées après un salutaire repos.

        "Ami de Enée des Anchises…" la voix de l'Archonte était claire et déterminée, "nous avons pondéré à fond ton idée et nous estimons qu'elle s'adapte aux particularités humaines. Puisque nous ne pouvons pas permettre la destruction de cinq cents millions de panneaux solaires, le dommage conséquent à l'explosion aux égards des créatures vivantes dans son rayon d'action de la zone, nous avons décidé de continuer jusqu'à l'achèvement de l'opération 'Gobi'. Voyons-nous comment les Chinois se comporteront, d'autant plus que maintenant les Américains et les Britanniques ont commencé à faire la guerre contre l'Irak et quelle réaction aura le monde entier pour la pénurie à venir du pétrole brut. Si comme des commerçants comme ils ont été depuis des milliers d'années, ou comme des bellicistes, comme certains d'entre eux, heureusement une minorité, ils voudraient. J'ai donné l'ordre à Hermès de venir te prendre dans deux minutes."

        "Ami Archonte, je préférerais dans un quart d'heure. Ils sont en train d'essayer de me prendre au piège ici en haut, mais ils ne tirent pas, de sorte que je voudrais me rendre mieux compte, de comment ils se comportent maintenant, de ce qu'ils voudront faire ensuite. Convaincu moi que, s'ils n'utiliseront pas les armes contre ma personne, nous aurons l'espoir qu'ils iront commercialiser nos spéciaux panneaux, quoique nous dussions craindre qu'une partie sera utilisée pour leurs moyens de guerre."

        "Attends-tu donc tout le temps dont tu as besoin, mais pour la sécurité de Kallitala, Praxitèle et Paris ont l'ordre de positionner Hermès dessus de toi dans une minute pour l'arrêt qui tu as demandé. Sauves-tu tout le matériel. Bonne chance, ami Enée des Anchises."


25 -   INTERLUDE DE  GUERRE

 

 

         La guerre sévissait en Irak et il ne fut pas difficile pour les troupes anglo-américaines mettre en déroute les Irakiens des premiers symptômes, de sorte que furent épargnées tant de vies humaines. Et tandis que les troupes gagnantes avançaient en gardant un œil, autant que possible, sur les précieux puits de pétrole, de peur que les Irakiens, comme avaient fait jadis en Koweït, les incendiassent, ils furent aidés dans cette tâche, sans toutefois qu'ils le sussent, par certains aviolobes qui, positionnés sur toutes les installations minières, dès qu'ils s'apercevaient s'approcher des saboteurs, créaient une bulle magnétique temporaire qui empêchait l'accès à quiconque.

        Mais la méchanceté humaine ne connaissait pas de bornes ni de l'une que de l'autre partie en conflit. Une partie des Irakiens défaits sur-le-champ se donnèrent à la guerre clandestine, certainement pas pour leur idéal de patrie, mais décidément pour leur vocation à l'assassinat et au saccage et autant firent les Américains qui utilisèrent le système barbare de la torture pour faire confesser les prisonniers.

        Tout ça dégoûta l'Archonte et le Grand Jury qu'ils établirent pour ne pas informer de ces atrocités les paisibles habitants de l'île heureuse.

        Impliqués dans une guerre qui l'aurait vu défaits sur le plan moral et tous absorbés dans les contrôles internes de peur d'autres attaques terroristes, les Américains avaient assoupli les services d'espionnage dirigé hors du domaine terroriste, ne pouvant pas, par conséquent, s'apercevoir que les Chinois possédaient une telle quantité de panneaux solaires à se transformer, en peu de temps, dans la plus importante puissance mondiale. De ceux mêmes panneaux que leurs agents de la CIA étaient réussis à voler en occasion de l'exposition dans la grande usine automobile de Monaco de Bavière, après les avoir démontés des trois voitures. Voitures écartées immédiatement soit pour leur moteur électrique d'un niveau technologique de conception antédiluvienne que pour le châssis, digne épigone de la première voiture à vapeur. Ils savaient du panneau parce qu'ils ne se furent pas échappé le film qui avait été tourné à l'intérieur du bâtiment des Nations Unies et ils l'avaient étudié avec la plus grande attention. Puis ils avaient tenté de s'en emparer en donnant la chasse à l'émissaire qui l'avait présenté afin de l'offrir à centaines de millions à toutes les nations du monde. Mais l'affaire avait été résolue en un véritable échec avec la disparition de l'ingénieur Henry Campbell dans la Mer des Caraïbes. Réapparu celui-ci, après une année en Chine, il avait été rattrapé par leurs agents à trois reprises, mais ils n'avaient pas été en mesure de le garder prisonnier ce peu de temps qui aurait servi à leur dévoiler ces insondables mystères.

        En raison de la guerre au Moyen-Orient, le gouvernement chinois se considérait légitimé à considérer les Américains comme des impérialistes et à utiliser dès que possible les panneaux à neutrinos solaires, surtout à les adapter à un nouveau type d'avion qui aurait eu une autonomie illimitée. Excellente arme de défense en cas d'une attaque directe contre ses alliés les plus proches - la Corée du Nord et le Vietnam, comme cela avait déjà eu lieu dans deux convaincants précédents historiques - en outre à être en mesure d'apporter autant de dégâts que possible sur le territoire des États-Unis, en cas de conflit armé. Parce que les Américains, qui avaient combattu pratiquement toutes les guerres au-delà de leurs frontières, considérés en telle manière comme sacrées, ils n'avaient jamais aucune incursion belliqueuse dedans leur territoire, sauf la guerre de Sécession combattue, cependant, entre compatriotes. Les conséquences des attentats aux Twin Towers à New York et au Pentagone à Washington, qui avaient causé la mort d'environ trois mille personnes, avaient révélé que, quoique se fussent écoulés deux cents ans, dans leur intime ils étaient restés comme les premiers pionniers : des justicialistes. Si, aux temps du Far West ils pendaient un voleur coupable seulement d'avoir volé un cheval, après les attentats subis, ils avaient déclenché deux guerres contre autant de Pays, l'Afghanistan d'abord et l'Irak toute de suite après, ne sachant même pas, pour ce dernier, comment aurait pu se terminer.

        Et était tout ça, ce qui préoccupait de plus l'Archonte et, de ce qu'il avait appris s'étant trouvé en étroit contact avec Henry Campbell alias Enée des Anchises, même Pausanias ' l'optimiste '.

        Il fallait trouver au plus tôt une solution. Protée, la grande et puissante chimio processeuse, jusqu'à présent avait toujours donné une réponse précise à chaque question, mais, s'agissant de l'âme humaine dont les réactions étaient illogiques et imprévisibles, il ne se voulait pas pour prononcer, raison pour laquelle toute l'affaire restait dans les mains de Enée, à ce moment précis en train de se sauver sur l'aviolobe Hermès.

        À moins que…


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        Henry avait hésité trop avant d'être 'aspiré' par Hermès qui avait à peine embarqué le conteneur en Calotex où Énée avait introduit tout le matériel. Quelque chose, précédée d'un fort sifflement, l'enveloppa. Il n'eut pas la présence d'esprit de s'arracher la ficelle qui venait d'envelopper tout son corps, qui, rapide comme une bobine entraînée par une machine à coudre, arriva à l'immobiliser complètement, ne lui laissant aucune possibilité de remuer même pas le bout des doigts. En dépit d'être doté d'une force surhumaine et il eût inspiré une grande quantité d'air pour gonfler au maximum la poitrine, il réussit seulement à arracher deux ou trois enroulements, mais désormais il était devenu comme une bobine avec toute cette ficelle qui lui enroulait toute la partie supérieure du corps, des épaules au bassin. Il lui restait autre chose que s'en remettre au bon sens de Xuahn Li pour le convaincre pour le libérer pour le bien de son peuple, à défaut de cela - et ici pour un instant succéda le raisonnement typique de chaque être humain - il aurait fait sauter tout en air sans aucune précaution pour n'importe quelle créature vivante qui se trouvât dans le rayon d'action de l'énorme explosion. Il n'avait qu'à appuyer sur le menton avec l'humérus gauche pour faire fonctionner le dispositif d'urgence, afin qu'un des millions de panneaux à neutrinos solaires cachés dans les refuges anti atomiques, se désintégrât et fît d'appât pour tous les autres. Il aurait fait la même fin du premier Enée, mais au moins il aurait résolu le problème de la dissimulation de tout secret sur Kallitala où les Hellènes auraient survécu pendant au moins quatre-vingts ans et dans ce long laps de temps, ils auraient trouvé une autre solution pour sauver la planète de l'insensée pollution causée par les activités des hommes.

        Il sembla que le rusé Xuahn Li lui eût lu dans son esprit, parce qu'il donna des ordres à ses subordonnés de rester immobiles où ils étaient et de baisser les armes. Il commença, montrant une énergie et une habilité gymnastique inattendues, à grimper, arête par arête, en arrivant en moins d'une demi-heure, devant Enée.

        "Ingénieur Campbell…" fit obséquieux, malgré il grondât de la sueur comme une fontaine, "il ne me semble pas qui soit la première fois que vous obligez quelqu'un à utiliser de manières peu diplomatiques pour s'entretenir avec vous." Et, au froncement des sourcils d'Henry, il clarifia : "À l'instar des autres, vous m'avez forcé à le faire, mais…" tandis qu'il le regardait droit dans les yeux où il ne voyait aucun changement d'humeur sinon un calme olympien, initia pour le tâter pour s'assurer que le bobinage de ces épais fils de soie tînt bien.

        "Commandant Kai Du. L'hélicoptère, vite !"

        Immédiatement, à un signe de Kai Du, de l'une des trois immenses dunes s'ouvrirent deux trappes qui déversèrent le sable qui les recouvrait et, aux yeux d'Henry s'ouvrit grand un hangar à la hauteur des prises d'air dans lesquelles il avait pulvérisé une bonne dose de Sapotran. Les pales d'un petit hélicoptère commencèrent à émettre le sifflement caractéristique pour devenir progressivement, avec l'augmentation des tours, un puissant retentissement et l'avion sortit de l'immense halle souterraine. Puis, comme dans un plan déjà établi, en moins de deux minutes ceci se positionna verticalement au-dessus du refuge où étaient Henry et Xuahn Li. Le chef Chinois, prit à la volée le crochet avec l'élingage, il y enveloppa l'Hellène, donnant en même temps l'ordre de hisser.

        "Moi aussi, je viens avec vous," fit le général. "On ne sait jamais que durant le court vol pour atterrir, vous ne me jouiez un de vos habituelles plaisanteries."

        "Ah, donc ! Alors, même vous auriez été un de mes ravisseurs," éclata Henry, qui avait décidé de s'abstenir de faire exploser tout, désireux, pour le moment, de voir comment se serait déroulée l'affaire.

        "Seulement à Monaco de Bavière, mais comme mesure de précaution," répondit séraphique Xuahn Li. "Vous nous aviez mis en agitation s'en allant manger dans un restaurant du centre-ville. Et puis, enfin, juste dans un hôtel fréquenté par les Américains !"

        Il fit signe vers le pilote de procéder et, en fait, dès que l'hélicoptère eut soulevé d'une vingtaine de centimètres, Xuahn Li s'agrippa à ses épaules et ordonna qui le fît atterrir où étaient les soldats.

        "Commandant Kai Du, avant de couper les fils qui le lient, faites-lui mettre les chaînes aux poignets et aux chevilles et vous personnellement videz toutes les poches de son survêtement et donnez-moi tout ce que vous y trouverez."

        Telle était la crainte de Xuahn Li qu'Henry Campbell réussît à s'échapper, en dépit qu'ils se trouvassent dans un lieu désert loin centaines de kilomètres d'un centre habité, que pendant toutes les opérations pour le rendre inoffensif, il ne s'éloigna pas un seul pas de lui.


ΩΩΩ

 

        "Eh bien, qu'ils se le tiennent comme prisonnier, pour le moment. Peut-être que dans cet état, Enée le convaincra encore plus d'utiliser des panneaux solaires pour leur commercialisation dans le monde entier, de sorte que dès qu'en fonctionnera la centaine de millions prévue…"

        " Ne sera plus possible la fission de l'atome," confirma l'Archonte à un Pausanias effrayé par témérité montrée par les Chinois. "Si cela se réalisât, nous aurions résolu le problème le plus grave car, manquant aux hommes les majeures sources d'énergie qui nous avons temporairement scellées et n'ayant pas encore à disposition une alternative valable sinon celle atomique, ils ne l'utiliseront pas pour des buts civils, mais plutôt pour induire les Chinois à redonner une bonne partie des panneaux solaires qu'ils se tiennent indûment."

        "Non pas indûment, ami Archonte," dit d'un presque murmure Télamon. "Nous avions été nous à les donner à eux."

        "Il a été une idée de Enée, qui croyait naïvement que les Chinois les auraient vendus montés sur ses électros voitures à tout le Pays du monde," répondit l'Archonte.

        "Il a fait une erreur de jugement…" intervint Pausanias, "croyant que la technologie Chinoise fût au même niveau de celle du monde occidental et aussi pour l'apparence. Et, au contraire, les Chinois ont eu la présomption de présenter les voitures sur le marché international avec un moteur électrique de vieille conception et une carrosserie disgracieuse."

        "Notre objectif était qu'ils démontrassent à tout le monde la particulière capacité du panneau à neutrinos solaires qui aurait été le 'carburante' de leur futur. Ils ont été trop présomptueux et trop avides d'argent et de pouvoir et pour cette raison ils doivent être punis."

        "Et comment ?" Pausanias et Télamon demandèrent à l'unisson, suivis par tous les autres membres du Grand Jury.

        "Avant de convoquer cette réunion, j'ai entendu l'opinion de Protée. Il m'a suggéré un plan qui prévoit la destruction de tous les panneaux qui sont tenus par les Chinois, dès que Enée des Anchises sera amené à Beijing pour subir le rituel interrogatoire."

        "Mais mourront tous les soldats qui actuellement font la garde aux trois dépôts souterrains !"

        "Énée, une heure avant l'explosion, convaincra les Chinois de les faire éloigner de moins cinquante kilomètres."

        "Y resteront les cinq cents millions et plus de panneaux disponibles, alors," fit Pausanias. "Ce n'est pas que tu voudrais essayer à nouveau avec un autre peuple moins égoïste, peut-être en obtenant de meilleures garanties ?"

        "Je la considérerais une folie et je ne voudrais pas la faculté de décider une chose pareille. Protée tout d'abord et vous ensuite, tous nous devrions étudier cette alternative. Nous en ferons construire autant grâce à l'approvisionnement Chinois de ces matériels qui chez nous commençaient à être à court."

        "Et recommencer, ainsi, l'habituelle rengaine ?" dit Pausanias, avec un abaissement du ton dans les derniers mots.

        "Habituelle rengaine, tu dis ? " L'interpella l'Archonte.

        "Ouais, je voulais dire…"

        "Je sais ce qui veut dire, ami Pausanias," répliqua l'Archonte d'une certaine bonhomie. "Je vois que la fréquentation de Enée a donné quelque résultat." Il marmonna presque entre soi : "Rengaine… Une expression typiquement humaine. Ridicule." Puis, reprenant le contrôle et se raclant la gorge, il déclara : "Cette fois-ci, nous flanquerons sur eux les panneaux… Et vous verrez comment ils se rivaliseront pour se les prendre. Nous ferons imprimer sur chaque panneau les instructions d'utilisation et les avertissements pour ne pas les faire éclater. Depuis que leur manquera le pétrole, vous verrez comment ils s'adapteront pour les utiliser. Pour l'instant, ils manient pour forer le sol avec de pointes de diamant, mais ils ne seront pas en mesure de descendre même pas d'un centimètre au-delà de la couche de Rocrois. Immédiatement après ils s'efforceront de rendre plus prompt l'emploi de l'hydrogène, mais ne connaissant pas quels principes de base de la physique pour le faire au mieux, ils auront besoin de beaucoup d'énergie pour le rendre à l'état pur. Qu'ils n'auront plus. Alors, vous verrez, amis conseillers, comme ils se décarcasseront pour se convaincre et faire de même avec les plus récalcitrants à accepter notre offre de panneaux à neutrinos, modifiant les leurs ou construisant nos moteurs électriques sur lesquels adapter nos panneaux !"

        "Mais si nous les jetons à eux les éparpillant dans le territoire de chaque nation, cela causera une échauffourée et ils y seront beaucoup de morts," fit Pausanias dont son intime, depuis qu'il avait fréquenté Henry Campbell, avait succédé une certaine affection pour le genre humain.

        "Il n'y aura pas ce danger, Pausanias. Nos aviolobes cargo les déposeront, pendant la nuit, à l'intérieur ou à proximité des usines de voitures et d'autres véhicules automoteurs. Protée en a déjà rédigé la liste et la nécessité de tripler leur production actuelle afin qu'ils puissent remplacer tous les véhicules et moteurs de n'importe quel type en usage. Nous avons prévu que cette opération doit durer non plus de six mois du monde occidental, telles étant les réserves de pétrole dans les États Unis, tandis que pour les autres Pays très industrialisés, la période sera à peine de dix aux quinze semaines."

        "Reste le problème des panneaux à neutrinos actuellement en possession des Chinois, donc," se hasarda à répéter Pausanias, auquel pressait le sort de Enée.

        "Ce n'est plus un problème, ami Pausanias," contrebattit l'Archonte d'une légère note de blâme. "Nous ne pouvons pas permettre que les Chinois utilisent nos panneaux pour leurs armements et même si, inévitablement, les autres nations feront autant, au moins sera sauvegardé l'équilibre du monde. Je voudrais rappeler à vous tous que notre but spécifique - et urgent - est que soit bloqué le cycle de la pollution atmosphérique. Dans ce moment, si nous ne détruisons pas le remarquable contingent de nos panneaux qui détient la Chine, étant donné que son gouvernement ne veut pas se conformer aux accords soussignés, nous serons responsables d'un grave déséquilibre qui débouchera en un conflit mondial. Cette fois-ci sûrement atomique, si ne verront pas mis en fonction les cent millions de panneaux au moins, nécessaires à désamorcer pour toujours la fission de l'atome."

        "Toutefois si je ne me trompe pas…" intervint Pausanias, "il nous reste que temporiser, en considération que nous n'avons pas encore me deuxième milliard de panneaux solaires. Entre-Temps, alors ?"

        "Protée avait déjà craint une chose pareille et, afin de ne pas vous alarmer, j'ai donné l'ordre qu'ils commençassent à en construire. Maintenant, avec me cinq cents millions épargnés, nous sommes déjà au niveau de six cents millions et dans le tour de deux semaines, nous arriverons à un milliard. Enfin, dès que les moteurs électriques commenceront à bouffer la pollution, nous en produirons d'autres cinq cents millions qui je crois devront être suffisants, tenant en compte la probabilité que le monde des humains, en se développant davantage, il n'en ait besoin des autres. Maintenant, cependant, je dois vous soumettre un projet qui, d'après ce que m'a dit Pausanias à propos des hommes, il devrait résoudre le problème. Si vous êtes d'accord, je commencerai à distribuer trois cents millions de panneaux dans autant des domaines, très différents parmi elles, avec cette répartition : cent cinquante millions aux États Unis, cinquante à l'Angleterre et le restant cent au Japon."

        "Pourquoi pas à la France, à l'Allemagne et à l'Italie ?"

        "Ceux Pays là en seront dotés après la première expérience. Pour le moment les trois nations dont j'ai mentionné, sont les plus mal vues par les Chinois de sorte que, venant à connaissance qu'aussi eux disposent de nos mêmes panneaux à neutrinos solaires et sachant très bien que grâce à leurs technologies de pointe, ils iront les utiliser, quoique seulement partialement, dans les propulseurs de guerre et, dans ce cas même sur les avions, ils parviendront à des conseils plus souples…"

        "Peut-être, ami Archonte ?" se fit fuir Télamon.

        "Je suis convaincu qu'à eux conviendra pour respecter notre contrat et, avant d'être battus par la concurrence, commercialiser les panneaux peut-être sans le monter sur ces laides voitures qu'ils avaient présentées au Salon de l'automobile de Monaco de Bavière."

        "C'est génial. Protée est incomparable," exclama Pausanias.

        "Au contraire, cher ami, cette dernière est juste une idée à moi. Je n'avais pas retenu pour demander ça à la chimio processeuse," répliqua l'Archonte d'un air piqué.

        "Je te demande humblement pardon, ami Archonte," répondit Pausanias un peu embarrassé. "Mes félicitations les plus chaleureuses à toi."

        "Mais… Euh !" fit Télamon hésitant.

        "Ami Télamon, dis-tu de même."

        "Je me réfère à la mission de Enée des Anchises. Maintenant il est en grave danger. Qu'est-ce que pourrions-nous faire pour lui ?"

        "Ce n'est pas qu'il risque de faire la même fin de son sosie original… J'espère," intervint Pausanias, qui désormais il s'en considérait le tuteur.

        "Aucun danger. À son égard, nous venons d'étudier avec Thales, Anaximandre et Perséphone et avec l'aide externe et très technique de Protée, mais seulement en ce qui concerne les données statistiques, un plan spécifique qui, j'en suis certain, l'enlèvera de tout embarras. Je vois déjà de l'expression sur le visage de Pausanias le désir de savoir de ce qui s'agit. Eh bien, dans ce moment je ne peux pas le révéler parce que tous les quatre, mieux cinq si nous comptons aussi Protée, nous aimerions avoir la possibilité de le modifier selon l'évolution des événements qui viennent de se produire hors de notre territoire."


26   -    LA GUERRILLE PLUS LÂCHE :  TERRORISME

 

 

            Le monde entier s'attendait que, tombé le régime tyrannique qui avait commis tant des crimes contre l'humanité avec des milliers de crevés après des tortures indescriptibles, toute la population de l'Irak s'adaptât au système plus conforme de gouvernement comme la démocratie qui, quoique imparfaite, fût celle-là qui garantissait plus de liberté. Au lieu de cela, c'était tout à fait le contraire. Ceux mêmes qui s'étaient échappés aux forces armées très technologiques des Américains et des Britanniques, après le choc initial, ils s'étaient organisés en bandes de meurtriers, voleurs, détrousseurs et violeurs et, surtout, lâches comme, d'ailleurs, il n'était pas difficile pour eux, parce que des générations ils n'avaient fait rien d'autre que tout ça. Durant ce laps du temps que les scientifiques de Kallitala avaient créé l'adusbraline pour modifier les gènes ancestraux, dans l'ADN des terroristes restaient prépondérants ceux de la méchanceté et de la lâcheté. Parce que tuer des hommes désarmés et, pire encore, liés et incapables de se défendre, n'était rien de plus que cela. Arriver puis, à trancher le cou d'un homme le sciant avec un gros couteau, c'était le comble de la barbarie. Plus pitoyables les bêtes sauvages qui tuent en un instant la proie pour s'en alimenter.

        Les Américains en furent désorientés ni leur fissent défaut de la stratégie et pas même des tactiques de guerre, mais seulement cette même capacité meurtrière de leurs ennemis, qui n'en possédaient pas et quoique quelqu'un d'eux l'eût eue, l'opinion mondiale n'aurait pas approuvé leurs actions, de sorte que les opérations se traînaient avec lassitude, avec des morts et des blessés des deux côtés, dans une série ininterrompue qui accroissait seulement les gains des journaux. On ne parlait pas d'autre chose. Diarrhéiques journaux télévisés et pleins pages de papier imprimé où venaient gaspillées des déductions, fausses dévotions et le morbide goût de raconter les hécatombes d'êtres humains.

        Toutes ces nouvelles venaient enregistrées à Kallitala et rangées par Protée qui les élaborait à nouveau pour les édulcorer, en entente avec le Grand Jury et, après la dernière, ce que digne de foi confirmation exprimée par l'Archonte, elles venaient rendues de domaine public.

        Néanmoins, parmi tous les habitants de l'île heureuse, depuis un peu de temps planait un air de mécontentement et de dégoût qui vinrent saisis par les gouverneurs, lesquels promurent un référendum, ville par ville, chacune desquelles, à l'exception pour le moment de la vallée de Boadicée où on aurait bientôt bâti une autre, était la capitale de chaque département géographique.

        Les délégués demandèrent que se mît un terme à ces massacres, malgré dans l'histoire des êtres humains en ayant eu plusieurs, dernier celui-ci de la Seconde Guerre mondiale. Mais au moins, à l'époque ils s'étaient battus comme des ennemis se révélant, sauf quelques rares exceptions, sur le champ de bataille. Maintenant, c'était temps pour la lâcheté, premiers éclatants exemples les kamikazes palestiniens qui avaient tué des milliers de civils inermes. Bien que cet exemple naquît du Japon, les kamikazes japonais se sacrifiaient à bord de leur avion seulement contre les unités de bataille ennemies, tandis que les 'keffiehs' le faisaient non pas pour un acte d'extrême noblesse patriotique mais, au contraire, contre des cibles civiles et y mettaient une telle cruelle férocité, de charger ses bombes avec des éclats et boulons afin de répandre plus mort et douleur que possible. Pauvres naïfs auxquels on venait fait croire qu'après l'horrible fin à laquelle ils venaient d'aller à sa rencontre, ils seraient montés sur l'empyrée coranique où les auraient attendus soixante-dix houris, jeunes filles chastes qui ne songeaient aucune chose d'autres que se réunir à cette chair écrasée, jadis animée par un cerveau dérangé !

        La philosophie pragmatique des Hellènes, peuple évolué avant que l'humain d'au moins un millier d'années, eût éclairci qu'après la mort existe seulement le néant. L'âme s'éteignait dans le même moment de l'arrestation du fonctionnement de l'organisme. Cela l'avait démontré à postérieurs aussi la grande chimio processeur, produit par la sophistique technologie des deux dernières décennies. Il n'existait aucune transmigration des âmes, mais seulement la mémoire qui restait fixée dans l'esprit de qui avait aimé et connu le disparu en Terre et ses œuvres, si dignes d'être insérées dans l'histoire de Kallitala. Puis plus rien. Le feu qui brûlait dans les entrailles du grand mont Taygète, aurait réduit à une poignée de magma ce corps inanimé, le stérilisant de la puanteur qu'en serait jaillie si, au contraire, ce fût laissé à pourrir dans le sol froid. Mais enfin, une vie presque garantie de la durée de soixante ans des Hellènes, ce qu'il valait deux cent quarante du temps des hommes, aurait été plus que suffisante pour réjouir de chacun des biens qui offre la Nature. Surtout si, avec l'écoulement des années, le corps adulte se fût maintenu toujours en bonne santé et comme la vieillesse s'approchait, il n'eût pas subi les ravages du temps, mais dénotât l'ancienneté sous forme d'un grisonnement des cheveux et des modifications peu substantielles sur le corps, en particulier sur le visage, qui maintenait encore l'opaque luminosité de l'âge adulte.

        Et maintenant, faute la folie de la race humaine, tout venait de se terminer. Un fond de rébellion était resté dans l'intime des Hellènes, quoique si tempéré par l'écoulement des siècles, lorsque les premiers colons courageux avaient découvert la merveilleuse île dans laquelle ils s'étaient installés. Déjà quelqu'un parmi les plus agités, parce qu'il faut considérer que quoique les Hellènes ne voulussent pas être comptés parmi les hommes, hommes ils étaient même eux, avaient d'une façon embryonnaire exprimée l'opinion que si les humains n'acceptaient pas les panneaux à neutrinos solaires gentiment donnés par leur peuple et continuaient bêtement à brûler les hydrocarbures, en outre à se faire la guerre pour s'en approvisionner, il valait la peine alors, de leur donner une leçon salutaire.

        Et, étant donné qu'à Kallitala n'existaient aucunes armes d'offense, des voix influentes s'élevèrent pour demander que l'Archonte et le Grand Conseil au complet, prissent en considération la possibilité d'en créer une efficace pour induire la civilisation humaine à modifier son train de vie.

        L'Archonte, sensible aux besoins des compatriotes, tint en compte rendu leurs lamentations et, par conséquent, il demanda à Protée quelle mesure fût prévue pour une telle éventualité. La grande chimio ordinatrice immédiatement énuméra les solutions possibles. Lesquelles auraient été catastrophiques pour le genre humain.

 

ΩΩΩ

 

        Enée cette fois-ci se trouvait vraiment sans ressources. Tout seul et sans aucune possibilité d'utiliser la bombe aérosol de Sapotran, étant donné qu'ils lui avaient vidé les poches du survêtement le laissant, heureusement, encore sur lui. Il pouvait utiliser le cheriosmate, mais il semblait que l'astucieux Chinois à la carrière foudroyante, parce que quoiqu'encore jeune, il fût déjà général, en connût le secret, il le tenait à la chaîne comme un fauve. Peut-être que si Enée l'eût fait, il aurait eu la force de briser les chaînes qui lui tenaient bloqués soit les chevilles que les poignets, mais le cheriosmate n'aurait pas eu l'énergie nécessaire pour déplacer lui avec le soldat qui les tenait. Même pas d'y essayer, il eut à réfléchir, parce que Xuahn Li, une fois s'en étant aperçu, il aurait été tellement cynique de lui faire entailler la peau avec un couteau pour voir où fût cachée cette petite invention chimique technologique.

        Il convainc qu'aurait été plus sage de ne pas faire quelque chose qui pût irriter le fanatique chinois, confiant dans son sens de l'honneur et de loyauté qui, de ce bon fonctionnaire qui avait sans cesse été, lui avait toujours fait preuve.

        Ils l'embarquèrent sur une camionnette qui pour parcourir les trois kilomètres, employa un temps assez long pour donner la possibilité à d'autres véhicules militaires de la précéder et de la suivre. Ils le firent descendre en face de l'entrée d'un des trois dépôts souterrains et Xhuan Li, qui jusqu'alors n'avait pas prononcé un mot, peut-être que maintenant il se sentait plus en sécurité, en faisant un geste avec la main indiquant la porte ouverte, dit : "Suivez-moi, ingénieur Campbell. Maintenant, je vous montrerai l'endroit où nous avons rangé vos prodigieux panneaux solaires qui, de quelque manière, vous vouliez récupérer en quelque sorte."

        "Faute de votre gouvernement qui n'a pas l'intention de respecter les accords souscrits."

        "Chose qui n'a pas été démontrée, ingénieur Campbell. Compte tenu de ce qui s'est passé en Allemagne, nous devions en quelque manière trouver un refuge où les cacher. Ces mêmes pirates qui nous ont volé les voitures, auraient pu faire le même coup dans les dépôts de la Whang Rong Automobiles et il me semble que vous, ou qui pour vous, il ne fût pas du tout d'accord. N'est-ce pas ?"

        "Je ne crois pas à un seul votre mot, mon cher général," répliqua Henry. "Ici, nous sommes à quelques milliers de kilomètres des usines qui devraient monter les panneaux sur les nouvelles voitures et il ne me semble pas très pratique en transporter une charge à la fois, ainsi en plein air. Je suis sûr que vous n'avez aucune intention d'en distribuer partout dans le monde mais, au contraire, vous vouliez les tenir tous pour vous, peut-être les utilisant pour améliorer vos armes offensives," et, voyant que des yeux du Chinois transparaît un certain étonnement, il ajouta : "Ce n'est pas que vous vouliez déclencher une guerre impérialiste pour la domination du monde ?"

        "A quoi cela pourrait servir ?" fit de renvoi Xuahn Li avec un petit sourire. "Notre pays est assez grand et vient de vivre une croissance spectaculaire. Nous avons besoin de beaucoup de sources d'énergie et les panneaux solaires donnés à nous gracieusement par votre Pays inconnu, ce sont une véritable manne. Ils suffiront à peine pour nos besoins. Bien sûr, je dois admettre que… En somme, compte tenu de la débordante force militaire américaine, nous devons prendre en considération la possibilité de renforcer nos armes de défense. Et si les Américains, comme ils ont déjà démontré, voulussent s'arracher avec leur habituel abus de pouvoir ces panneaux, comment pourrions-nous faire autrement ?"

        "Ouais !" convainc Henry. "Mais ça dépend de vous pour agir en conséquence s'ils dussent arriver à ce comble."

        "Ils sont des impérialistes et bellicistes. Vous avez vu ce qu'ils avaient été capables de faire en Afghanistan et, maintenant, en Irak. Tout ça pour la modeste raison d'avoir subi un attentat…"

        "Général !" s'écria Henry au comble de l'indignation. "On les a massacrés dans le monde entier et, à deux reprises, même chez eux. Le dernier, puis, a été l'attentat le plus brisant qui puisse exister. Plus de trois mille morts et des destructions pour milliards de dollars."

        "Et selon vous, M. ingénieur Campbell, il était nécessaire d'envahir deux nations causant des centaines de milliers de morts ?"

        "Peut-être pas," répondit Henry plus calmement, dans l'esprit duquel était resté quelque chose d'Américain. "Mais face au danger de la Chine, maintenant qui dispose de cinq cents millions de panneaux à neutrinos solaires et que toutes les sources énergétiques dérivées des hydrocarbures sont temporairement occluses, je pense vraiment que vous deviez craindre un coup de main."

        Malgré la grave affirmation d'Henry, l'intérêt de Xuahn Li fut attiré par la nouvelle. "Que voulez-vous dire avec 'temporairement occluses' ?" il fit avec un certain effarement. "Qu'est-ce qu'avez-vous trafiqué encore… Mais oui, bien sûr ! Vous et ceux qui ont envoyé ces panneaux… Ne me voulez-vous pas dire à quelle organisation vous appartenez et lesquels sont, en fin de compte, vos objectifs ?"

        "Aucun commentaire," répondit Henry sèchement. "Une chose, cependant, je puis vous la dire. Tous les plus importants puits de pétrole ont été occlus avec un matériel spécial qui ne peut pas être foré. La raison est que notre planète ne peut plus supporter l'énorme pollution provoquée par l'utilisation de propergols dérivés du pétrole. Les réserves de tous les pays industrialisés n'excèdent pas les trois mois, tout au plus les cinq s'ils eussent arrêté la circulation des voitures particulières. Le seul pays qui dispose de réserves de plus d'un an, même si seulement pour des opérations militaires, sont les États-Unis qui, étant donné qu'ils savent tout ou presque tout sur 'nos panneaux', bientôt ils découvriront que vous en avez reçu pour les distribuer au monde entier, y compris eux-mêmes et, au contraire, vous n'êtes pas en train de le faire."

        "Bien, et alors ?" répondit Xuahn Li.

        "Ne me faites-vous douter de votre intelligence, général !" Henry le rappela à l'ordre. "Vous sachez très bien lesquelles seront les conséquences dans le cas vous vous refusiez de leur donner la partie de leur compétence et aussi de celle de tous les autres."

        "Ils nous déclareront la guerre. Eh bien, cela a déjà été prévu par le comité de notre gouvernement et nous venons, en fait, de nous préparer. Nous disposerons de certaines armes, nous, et de types particuliers d'avions qui…"

        "Qui ne combineront rien de bon, au contraire, vous n'auriez même pas le temps de les utiliser."

        "Pourquoi ?"

        "Ils déclencheront sur vous une telle pluie de bombes à hydrogène, que vous ne pourriez jamais vous imaginer."

        " Mais nous aussi nous avons l'arme nucléaire."

        "Écoutez bien et suivez-vous mon conseil. Respectez-vous le contrat signé, autrement vous n'aurez même pas le temps de commencer le compte à rebours pour lancer une de vos petites bombes nucléaires, parce que tout votre Pays brûlera comme une torche et des centaines de millions de personnes mourront."

        "Aurais moi au moins le temps de vous faire visiter un de nos refuges ? " Dit Xuahn Li, changeant de sujet. "Vous vous rendrez compte, ingénieur, que notre technologie n'a rien à envier à celle de l'Occident."

        Enée aurait voulu répliquer que le temps était compté et que, face à une future guerre nucléaire, il n'y avait aucune technologie qui pût la contraster, mais il préféra suivre docilement l'invitation du Chinois. Il avait lu dans ses yeux quelque chose d'indéfini qui lui transmettait une lueur d'espoir.

        Cela ne serait pas du tout facile si, avec Melésigène et, peut-être, aidé par quelque autre Hellène, ils eussent essayé de se reprendre les panneaux, même en avoir la chance qu'il n'y fût aucun à garder les refuges. Les dépôts avaient plus ou moins la même structure que les plans de chargement du Sargasse. Ceux descendaient dans les entrailles de la terre pour dix étages et à l'onzième, qui Xuahn Li fit visiter à Enée, il y avait un vraie et propre refuge anti atomique avec toutes les dotations pour y faire survivre au moins une centaine de personnes pour une période de six mois. Suffisamment aisés, étant donné que les cellules individuelles avaient été équipées de toilettes et d'eau courante alimentée par une source souterraine en provenance de la chaîne montagneuse de l'Altaj. Des énormes congélateurs contenaient la nourriture périssable, tandis que le riz avait été stocké dans des capables silos qui venaient vidés et rechargés tous les huit mois. Des générateurs de courant pouvaient garantir la fourniture d'électricité pour au moins un an, mais maintenant qu'ils disposaient des panneaux solaires de Kallitala, les Chinois pouvaient faire confiance sur une autonomie illimitée et non seulement, mais s'ils les eussent fait fonctionner dans un seul coup au moins une centaine de millions, ils auraient annulé toute réaction nucléaire et détruites les radiations qu'en auraient suivies.

        Mais tout ça ils ne le savaient pas. Au moins pour le moment, puisque Xuahn Li avait donné la preuve d'avoir découvert quelque secret du prévu sur le peuple Hellène.

        ' Mais le connaîtront-ils même les autres ? ' Se demanda Enée. ‘Ou, en considération de son comportement, veut-il profiter de ma capture à son seul avantage ?'

        Il en eut la preuve pendant la visite de tous les divers étages où étaient entassés les panneaux solaires.

        "Voyez-vous, ingénieur Campbell…" commença à dire le nouveau général, insouciant d'être écouté par les deux accompagnateurs qui lui avaient présenté avant d'entrer dans le dépôt. Le premier comme le colonel Xu Jingyang et l'autre du même degré Zhang Daoling. "À la première vue il semble impossible de transférer les panneaux de ce lieu vers les usines afin qu'ils soient utilisés et, au contraire…" il fit un signe au colonel Xu Jingyang, un homme de quarante ans aux cheveux noir de jais et fines moustaches, à la mode à la Belle Époque et, surtout, aux yeux très mobiles et intelligents, lequel, sorti de la poche de sa veste une télécommande et appuyé le bouton, il mit en mouvement un mécanisme qui fit ouvrir le hayon du premier étage. Les étagères qui contenaient les panneaux commencèrent à sortir comme des tapis roulants sur le terrain plat. "Voyez-vous ?" il fit à Enée avec la main pointée dans la direction des premiers véhicules qui étaient en train de sortir. "Une fois déchargé le premier étage, la seconde monte au premier et ainsi de suite jusqu'à la décharge complète des dix niveaux. Tout ça en moins d'une demi-heure, de sorte que pour les amener tous en plein air, nous ne dépenserions pas qu'à peu près plus de deux heures. Ce système a été conçu dans le but spécifique que les panneaux se rechargent de neutrinos et ne perdent rien de leur capacité."

        " Vraiment ingénieux. Et puis, en si peu de temps…" dit Enée, admiré des capacités des Chinois. 'Peut-être s'ils eussent utilisé leurs capacités d'apprentissage pour construire des voitures équipées de moteurs électriques plus modernes, l'opération « panneaux solaires » aurait été couronnée de succès, et au contraire…' Eut à réfléchir avec découragement.

        "J'aurais une autre solution, cependant, ingénieur Campbell," continua presque dans un murmure Xuahn Li, en regardant les deux colonels et s'assurant que les soldats ne comprissent pas ce qu'il venait de dire en langue anglaise.

        "Ah oui ?" répondit intrigué Henry, qui vint illico invité par un regard éclairant du général à être plus réservé.

        "Que les messieurs me suivent," dit Xuahn Li et, d'un geste péremptoire, il fit entendre au colonel Zhang Daoling de renvoyer la troupe à ses engagements normaux. Il n'y avait plus besoin de leur assistance.

        Ils descendirent au deuxième étage qui n'avait été pas encore ouvert et là-bas, faites éteindre les caméras qui contrôlaient les deux entrées et les mécanismes d'élévation et d'ouverture, pris à part Henry, il dit presque en chuchotant : "Je serais d'accord pour honorer votre contrat, ingénieur Campbell…" proposa, "mais avec une petite modification."

        Henry lui répondit avec un coup d'œil encourageant.

        "Vous ou qui pour vous, peut-être une organisation secrète, vous êtes venu jusqu'ici pour vous les reprendre avec. Cela, je l'ai compris très bien. Eh bien, moi… Je voudrais dire nous trois, nous vous accordons cette faculté, sûrs que vous trouverez la manière de faire croire à ceux qui se trouvent à l'extérieur et à mon gouvernement que vous en aviez la capacité. D'ailleurs, des gens comme vous qui fabriquent ces prodigieux panneaux, qui se déplacent d'un continent à l'autre avec une aisance impressionnante et, surtout, qui a été en mesure de décharger de la mer centaines de millions de panneaux dans un très court laps de temps, ils peuvent trouver une justification crédible à votre agression pour nous mettre en déroute."

        "Les conditions ?" fit laconiquement Henry qui, s'il n'ait pas été un humain, n'aurait pas compris à la volée où le Chinois voulait arriver.

        "Un milliard de dollars en un compte à numéro en Suisse et, avant que vous commenciez l'opération, le transfert secret de nous trois dans le Chinatown de San Francisco. Pensez-vous que cela soit possible ?"

        Enée entrevit la résolution des problèmes des Hellènes. Il s'imaginait qu'après avoir rendu inutilisables les puits de pétrole dans tout le monde, le deuxième mouvement d'Archonte aurait été celle-là de provoquer une catastrophe pour plusieurs millions d'hommes. Les requêtes des trois chinois étaient de simples bagatelles pour le gouvernement de Kallitala. D'argent américain il y avait en abondance et quand même ils ne fussent pas habitués à le verser dans une banque du monde occidental, Protée aurait trouvé la manière meilleure de le faire et, pour ce qui regardait le transfert des trois Chinois à San Francisco, il y avait seulement l'inconvénient de ne pas faire découvrir aux trois avec quel type d'avion ils y seraient arrivés. Il demanda qu'ils lui redonnassent le couteau et une fois l'avoir reçu, au colonel Xia Jingyang qui avait tiré le pistolet de son étui, il dit : "N'ayez pas peur. Je ne l'utilise pas comme arme offensive, mais pour une autre chose," et s'adressant à Xuahn Li, assura : "Pour vous donner une réponse, je devrais faire une rapide opération sans être vu ou entendu par vous tous."

        "D'accord," concéda le général Chinois, avec un timbre de voix qui dénotait une certaine déception. "Renfermez-vous dedans cette cabine de contrôle mais, pour l'amour du ciel, ne touchez rien de la console."

        Enée se mit communication avec Hermès sous le commandement de Praxitèle et Paris, lesquels, retournés sur la zone avec Melésigène 'rechargé' prêts à faire une tentative de le libérer, tout d'abord avant d'écouter ce qu'il avait pour dire à eux, ils lui firent comprendre qu'ils avaient reçu l'approbation d'endormir tous les Chinois, y compris lui-même, avec des consistants jets de Sapotran.

        "Non," Enée leur communiqua. "Ils sont disposés à coopérer avec nous. Envoyez-vous ici Melésigène l'ordinateur."

        "D'accord," dit Paris, qui était celui plus inquiet sur ​​le sort de Enée. "Le commandant dit qu'il peut se poser sur le même endroit où vous étiez cantonnés. Fais-tu en manière que les soldats ne nous entravent pas dans cette opération."

        Henry demanda à Xuahn Li de faire éloigner les soldats du lieu où Melésigène serait arrivé grâce à son Kériosmate, juste devant l'entrée du refuge.

        "Le colonel Zhang Daoling ira pour le recevoir dès qu'il arrivera."

        "Envoyez-le tout de suite. Dès que le colonel se trouvera en plein air, mon compagnon lui arrivera par-derrière."

        Ainsi arriva et le colonel Zhang Daoling ne s'émerveilla pas du tout en voyant le compagnon d'Henry se matérialiser à son côté. Il le salua d'un martial hochement de la tête et l'accompagna en bas.

        "Vous vous connaissez déjà, c'est vrai général Xuahn Li ?" fit Henry, tandis que Melésigène lui tendait la mallette en Calotex.

        "Bien sûr," répondit le Chinois et à Melésigène : "Comment portez-vous, M. Clodell ? Avez-vous fait un bon voyage ?"

        Melésigène était de peu de mots et s'il en dépensait un c'était seulement pour parler avec ses similaires. Ce parvenu de Chinois puis, ne lui plaisait aucunement, de sorte qu'il se limita à hocher la tête suivi d'un léger grognement.

        Enée se terra dans la cabine des commandes et, monté le panneau solaire avec les mirillinis, il se mit en contact avec Protée lui exposant les requêtes des trois Chinois. La chimio ordinatrice fallut dix minutes pour entendre l'avis définitif de l'Archonte, écoulé lesquels l'approbation arriva, mais avec une petite variation. Les Hellènes n'étaient pas en mesure d'effectuer le paiement des dollars dans un compte à numéro en Suisse. Si leur technologie avait atteint des sommets inimaginables à l'humanité et elle ne se serait certainement pas arrêtée, les gens de Kallitala n'avaient jamais mis en compte ces désinvoltes opérations bancaires. En outre les trois hauts officiers Chinois auraient voyagé sur ​​Hermès seulement après avoir été endormis avec le Sapotran. Pendant le vol à destination de San Francisco, l'aviolobe de Praxitèle aurait fait une escale intermédiaire à Poséidon pour embarquer la mallette en Calotex avec l'argent, qu'au moment opportun aurait été vidée par le copilote, tandis que Enée et Melésigène seraient restés sur place pour coordonner les opérations de récupération des panneaux solaires. Auraient été envoyés une cinquantaine des aviolobes cargo pour faire le va-et-vient avec le Sargasse, de manière à porter à terme l'opération de transfert en deux heures tout au plus. Naturellement, la condition inaliénable était qu'aucun militaire Chinois se trouvât en zone. À moins que…

        À moins que, pour sauvegarder toute vie humaine, ils vinssent tous drogués avec une dose massive de Sapotran, afin de donner la possibilité aux aviolobes de charger les panneaux et, au lieu de les déverser sur le Sargasse, à chacun d'eux vînt confiée la mission de le déposer dans les grandes villes industrielles de chaque Pays de la planète et ainsi rendu évident aux autorités Chinoises que la nombreuse et bien armée mise à la garde des trois grands dépôts, avait été mise en déroute. Et les sommets de commandement, soit le commandant, général Xuahn Li que les deux colonels ses adjoints directs, probablement enlevés ou tués.


27   -    URGENCE MONDIALE

 

 

         Tout d'abord il semblait que la suspension de l'extraction du pétrole brut fût due à une espèce de boycottage de la part des Pays du Moyen-Orient. Mais puis des nouvelles alarmantes vinrent du monde entier et même les riches gisements des États-Unis, du Mexique et du Venezuela, les derniers à avoir été 'traités' par les Hellènes, donnèrent la confirmation que les tarières ne pouvaient pas forer davantage et tous les puits, même ceux de particuliers installés dans le jardin en face de leur maison, surtout en Basse Californie, ne pompaient que de l'air, consommant inutilement de l'énergie.

        Il venait de se préfigurer une catastrophe mondiale. La première chose que firent les États-Unis et les Pays avec qui étaient en train de démocratiser l'Irak et l'Afghanistan, fut de faire rentrer toutes les troupes chez leur nation d'appartenance, en répétant en cette manière ce qu'ils firent au Vietnam quelques décennies auparavant, laissant la partie saine de la population de ces Pays médiévaux à souffrir en plus des difficultés indicibles pour la mort de leurs proches, même celle de la faim. Soumise, en plus aux vexations des certains assassins assoiffés de sang… Et de l'argent… Lesquels se définissaient euphémiquement 'guérilleros pour la liberté'. Toutes les nations vinrent à se trouver dans un déséquilibre particulier. Certaines qui pouvaient compter sur l'énergie atomique, auraient continué à la produire en urgence, quoique les voitures particulières, une fois épuisé le carburant, fussent contraintes à s'arrêter. Mais, au moins, pour ce qui concernait la circulation à l'intérieur du Pays, les trains fonctionnaient à plein rythme et l'électricité, quand même, contingentée, était distribuée aux familles. Ainsi il s'agissait des services essentiels tels que les hôpitaux auprès desquels, cependant, les malades seraient arrivés avec des chars tirés par des chevaux. Pire était la situation de ces Pays qui avaient renoncé à l'énergie nucléaire, qui ils venaient à se trouver dans une très difficile conjoncture.

        Le seul parmi le nombre des Pays les plus industrialisés du monde, l'Italie, où les gens avaient toujours cru et croient encore aux miracles. Drôles de gens pour qui le métier le plus convoité était de faire le politicien non pas tant pour idéalisme, ce que pour s'assurer un emploi bien payé. Il suffisait de savoir de quel côté le vent soufflait et se tenir à la cape à l'instar d'un bateau à voile en mer pendant une tempête. De sorte qu'on peut comprendre pourquoi un amoncellement de communautés qui dans le passé avaient exprimé des hommes de génie qui avait tout inventé et créé des œuvres d'art inestimables, depuis qu'il s'était donné une démocratie républicaine, il accouchait seulement des génies oui, mais des fauteuils. Où ils restaient assis bien aisément pendant des générations entières, sauf quelqu'un qui, mal vu par le pouvoir ou trop gourmand à être corrompu, il ne fût pas forcé de quitter son poste avant sa disparition physique.

        Eh bien, les premières assourdissantes lamentations arrivèrent justement de là dans la période, puis, qui coïncidait avec les sacrées vacances d'août. Naturellement, elles furent régulièrement enregistrées par les sophistiqués systèmes d'écoute de Kallitala et résumées dans un rapport beaucoup synthétisé, qui toutefois rendit bien l'idée, lorsque Protée l'imprima sur une feuille de papier qui vint illico consignée à l'Archonte. Lequel, en dépit de la situation d'extrême urgence, se permit un grand éclat de rire et puis, se tournant vers le seul conseiller qui dans ce moment se trouvait dans son bureau, dit : "Pausanias, qu'est-ce tu en penses ?"

        "Que nous devions tout de suite prendre des mesures, ami Archonte," répondit le sage Hellène. "Les hommes sont tellement habitués aux leurs conforts que si nous tardons encore, ils arriveront à déclencher une guerre qui impliquera le monde entier."

        "Nous tardons, Pausanias ?" répliqua avec bonhomie l'Archonte. "Nous venons de recevoir à peine la bonne nouvelle de Enée des Anchises, que les Chinois se font 'voler' nos panneaux et j'ai déjà décrété que cette opération ait immédiatement son début, mieux, j'ai donné des instructions afin que les aviolobes s'y positionnent tout de suite."

        "Mais ce n'est pas une opération hors de la loi, Archonte ?" se plaint Pausanias. "Le gouvernement Chinois, quand s'apercevra pour avoir été arnaqué, va réagir en une façon, je dirais… Je dirais…"

        "Laisse tomber la réaction du gouvernement Chinois. Qu'il n'y ait pas du tout," répondit l'Archonte. "Comment disent les hommes ? Qui la fait, se l'attends. Ne voulaient-ils se tenir tous les panneaux et, de même, les utiliser pour leurs armements ? Eh bien, maintenant ils seront les derniers à en être dotés et, je t'assure, en une mesure pas assez adéquate."

        "Mais même s'ils seront peu nombreux, ils les utiliseront pour les chars armés ou ces avions qu'ils, cependant, ne réussiront jamais à construire."

        "Bravo. Laisse-leur qu'ils les utilisent pour les chars armés. Qu'est-ce qu'ils en feront, alors…"

        "Mais aussi les autres, dès qu'ils seront munis de nos panneaux, ils feront la même chose, Archonte," fit Pausanias avec une note désolée dans la voix.

        "Mais qu'ils le fassent ! Les forces sur-le-champ vont s'équilibrer. Du reste, les hommes avec le prétexte de défendre le sol sacré de la patrie, ils n'ont fait rien d'autre dans leur histoire. S'armer et s'armer jusqu'aux dents. L'important pour nous est que…"

        "Qu'ils viennent utilisés en même temps la centaine de million de panneaux," il vint de façon spontanée pour répondre à Pausanias qui, ayant récupéré : "Pardonne mon interférence, ami Archonte," dit-il humblement.

        "Plus que légitime, Pausanias."

        Ensuite, l'Archonte appuya sur la grande console de son bureau et la voix douce et diffuse de Protée, sur lequel avait été installée précisément celle de Phèdre, répondit que, le cas échéant, l'assemblée générale du Grand Jury était convoquée dans une demi-heure et que tous ses membres avaient été informés. 

ΩΩΩ


        Alors que tous les Pays restés sans les principales ressources énergétiques, ils repliaient sur eux-mêmes et essayaient d'exploiter plus que possible ces alternatives comme les panneaux solaires de conception humaine, qui réussissaient à capturer la millionième partie de neutrinos de ceux Hellènes ou les éoliennes avec l'installation d'inesthétiques moulins à vent. Et lorsque tous venaient de commencer à étudier la possibilité d'exploiter les énergies du mouvement des vagues, des courants marines ou des marées, dans le territoire du plus grand consommateur d'énergie dans le monde, les États-Unis, les grands stratèges étoilés étudiaient, au contraire, l'éventualité d'envahir la Chine pour se prendre les panneaux à neutrinos solaires leurs conférés par une force extérieure, mais retenus indûment, une fois rejetées, par eux si dédaigneusement. Parce que les scientifiques essayaient jour et nuit en vain d'apprendre les secrets physiques des trois panneaux volés à Monaco de Bavière, ils ne réussissaient pas à s'y retrouver de comment un petit carré de la taille d'un écran de dix-sept pouces pût produire autant d'énergie. Pour comble de malchance, d'ailleurs, l'un de ces trois, étant donné que quelqu'un avait essayé de l'ouvrir, avait explosé, causant la mort de deux personnes et de graves brûlures sur autres quatre.

        Un bon tiers des navires de guerre américains soit de surface que sous-marines, disposaient de propulseurs nucléaires, en particulier trois très modernes porte-avions, capables d'atteindre une vitesse de croisière de quarante nœuds à l'heure. Une petite blague pour atteindre les côtes de la Chine de la grande base navale de San Diego, en Californie, en seulement quelques jours. Il y fut chargé double réserve de carburant pour les avions, dont trois grands bombardiers invisibles au radar qui, quoique dans le plus grand secret, portassent cachées dans le capable ventre autant de bombes à hydrogène. Cela aurait été la dernière chance si la Chine eût opposé une trop grande résistance face pour redonner les panneaux ou elle se fût, par hasard, risquée d'utiliser l'arme nucléaire.

        Les informations de la CIA qui, du désastre des Twin Towers avaient perdu beaucoup de crédibilité, donnaient comme certain que le Pays de l'Extrême Orient disposait des armes tactiques qui pouvaient être lancées avec une précision approximative, à environ dix mille kilomètres de distance, donc, sur la Californie et même au-delà, en plein cœur du Midwest.

        Tandis que les moyens navals Américains, auxquels s'étaient rejoints ces Anglais, se dirigeaient vers la Mer Chinoise, commença l'opération d'échange avec le général Xuahn Li et les deux ses acolytes pour la restitution des panneaux. Malgré la parfaite efficacité de l'organisation Hellène, on eut un retard remarquable pour ce qui concernait la collecte de l'argent Américain. Étant donné que c'étaient des choses qui étaient en dehors du processus normal de la vie à Kallitala et qu'un milliard de dollars avait été utilisé par Enée pour subventionner des usines Chinoises, pour son repérage furent employés deux jours, équivalents à huit de ceux humains, justes le temps à ce que les navires américains se positionnassent à une quarantaine de milles de la côte de la Chine, en particulier dans la directrice des grandes villes de Shanghai, Fuzhou et Hong Kong.

        Évidemment interceptés par les radars Chinois, en dépit qu'ils se trouvassent dans des eaux extraterritoriales, les porte-avions et les sous-marins vinrent tenus à une distance sécuritaire des unités navales de guerre de la Chine et le gouvernement Chinois se donna immédiatement pour interpeller l'ambassadeur Américain à Beijing, afin de connaître les raisons de tel encerclement.

        Mister David Lyndons, garde la combinaison, à peine nominé à cette importante tâche parce qu'il provenait de l'ambassade auprès de l'Organisation des Nations Unies, quand même bien informé en détail par l'administration présidentielle Américaine, en outre en avoir été témoin aux essais du panneau solaire Hellène effectué par le premier Enée des Anchises, malheureusement disparu en action dans la mer des Antilles, commença à mettre en œuvre les attributs de son difficile engagement et ses tendances naturelles à la procrastination. Il resta sans faire rien, pour le moment, en espérant dans son cœur que les requêtes Américaines aient été exposées directement par le président ou, à sa place, par un des plusieurs amiraux quatre-étoiles embarqués sur les unités de la flotte à propulsion nucléaire, prête à lancer les têtes thermonucléaires si la Chine eût opposé un refus de fer.

        Le docteur Hu Shi, secrétaire particulier du président, vint par celui chargé, considérant qu'il parlait couramment l'américain, d'agir comme interprète dans l'entretien téléphonique entre le chef de l'exécutif de son Pays et celui des États-Unis, et, finalement sortit l'embrouille. Non pas que le président Américain, de sa courtoise requête d'un bon cinquante pour cent des panneaux à neutrinos solaires il eût menacé même pas d'utiliser la force, mais Hu Shi comprit très bien et avec de longues phrases de circonlocution fit entendre à son chef que les navires, les avions et les sous-marins qui s'étaient placés, en fait, devant les côtes Chinoises, ils étaient prêts à utiliser, mais seulement si contraints, la force de la guerre. Conventionnelle, cependant. Personne n'avait pas fait rappel à la dizaine de bombes nucléaires déjà prêtes à être lancées de l'air, et après celles-là, autant de têtes envoyées de sous-surface de l'eau.

        "Comment serait-il à dire ?" éclata de colère le président Chinois. "Voudraient-ils se les reprendre avec la force ? Nous allons leur montrer comment nous serions en mesure de les déloger d'où ils sont." Et, presque dans un murmure, il demanda à l'oreille de son secrétaire : "Les panneaux, sont-ils en sécurité ?"

        "Bien sûr, Monsieur le Président. J'ai reçu juste hier soir le rapport du général Xuahn Li, qui m'a communiqué que tout est sous contrôle et aucun étrange s'est approché près de trois dépôts."

        "Et alors, leur donnons-nous une leçon," affirma décidément le président.

        "Mais comment, excellence ?" demandé effrayé Hu Shi.

        "Rien de transcendantal. Seule une petite épreuve de force. Envoyons-nous, en plus de ceux qui sont déjà là, une dizaine de navires de bataille et faisons-nous décoller quinze formations d'avions qui survolent à basse altitude les navires Américains et Britanniques. Lorsqu'ils verront sur leurs têtes plus de deux cents avions entourés par près d'une centaine de navires de guerre, seriez-vous même d'accord qu'ils doivent revoir leurs prétentions."

        "Mais il y aura une consommation effrayante de carburant, excellence. Avec la pénurie qu'y est…"

        "Pour le moment nous disposons des réserves qui nous ont récemment accumulé, faisant croire que nos industries travaillaient à plein régime et puis, ne possédons-nous pas, par hasard, de cinq cents millions de panneaux à neutrinos solaires nous livrés ensemble à autant millions de dollars, pour les installer sur nos moyens de défense ?"

        "Oui, Votre Excellence."

        "À propos, à quel point sont les tests pour faire voler nos avions Mig 31 avec ces prodigieux panneaux ?"

        "J'ai été informé que dans un mois, deux tout au plus, le premier prototype sera en gré de voler."

        "Nous ne pouvons pas tenir à distance les 'envahisseurs' si longtemps. Donnez-les-vous adéquates dispositions afin que les chefs de ces techniques de quatre sous soient convoqués à la réunion du Conseil de ce soir. Je veux m'assurer qu'ils soient à la hauteur. Au contraire, j'appellerai les techniques Russes."

        "Mais, Excellence, si viennent les ingénieurs aéronautiques Russes, ils viendront à connaître de panneaux…"

        "Pourquoi, ils ne le savent pas déjà ? La chose importante est qu'ils ne découvrent pas combien nous en avons et où nous les avons cachés. À cet égard, donnez-vous l'ordre qu'en viennent transportés quelques milliers à distribuer à nos grandes usines, de sorte que nous ferons croire à nos compagnons que serait seulement ce contingent qui nous avons reçu de cet ingénieur… Mais comment s'appelle-t-il ?"

        "Campbell, excellence, Henry Campbell et l'autre, si je me souviens bien, Lloyd Clodell."

        "Oh, oui ! Quels étranges personnages. Mais d'où ils viennent ?"

        "Il semble qu'ils soient des dissidents Américains…"

        "Lesquels disposent de ces prodigieux panneaux solaires et puis même de tout cet argent… Mais vous aviez donné des instructions précises à nos services secrets de déterminer qu'ils soient vraiment et pourquoi ils agissent en cette manière et, enfin, quel soit leur véritable but ?"

        "À l'époque, ont été faites des enquêtes très précises, Excellence, qui ont duré longtemps. Nos agents Xuahn Li et Kekou Shang ont pratiquement vécu en contact étroit avec les deux étranges personnages, se rendant compte qu'ils n'avaient pas d'autre but que de sauver la Terre de la pollution provenant de l'exploitation des hydrocarbures et, de ce point de vue, nous ne pouvons pas les blâmer."

        "Mais cette Kekou Shang, Docteur Hu Shi, qui de ce qu'on m'a dit, est une vraie beauté, est-elle réussie à circonvenir l'ingénieur Campbell ?"

        "Elle y a essayé plusieurs fois, mais elle a été toujours rejetée. De plus, Xuahn Li a référé dans son rapport, après les événements de Monaco de Bavière, que pour n'avoir aucun contact avec elle, M. Campbell était allé s'enfoncer dans un ennui très sérieux, duquel elle-même, en compagnie de Xuahn Li, aidés par nos agents spéciaux, l'enlevèrent juste à temps. Il avait été enlevé pour l'emmener aux États-Unis."


28   -   DANS L'ILE - ETAT DE KALLITALA

 

 

         Cela ne rentrait pas dans le tempérament des Hellènes de s'inquiéter. Toutefois, Phèdre souffrait d'une légère appréhension, exacerbée par le fait que la mission de son Enée dans le monde des humains venait de se prolonger plus de ce qu'avait été prévu. Et, pour aggraver le fait, il n'y avait même pas son frère Paris à qui confier ses peines. Peine d'amour, bien entendu, car Phèdre était très amoureuse, heureusement rechangée par Henry Campbell, qui avait été rebaptisé avec le nom du grand héros de Kallitala.

        D'aller à déranger Pausanias, convoqué en permanence par l'Archonte dans le siège du gouvernement afin de suivre les différentes phases de l'opération 'panneaux solaires' et tout cela qu'en aurait suivi, n'était pas le cas. Le bon doyen conseiller, candidat pour devenir Archonte après l'expiration du mandat de l'actuel, s'était très affectionné Enée tellement à le considérer, étant donné que l'ex humain ne pouvait pas compter sur une parenté à Kallitala, son filleul et, par conséquent, y compter aussi Phèdre, sa future épouse.

        Dans l'île heureuse chacun était libre de faire ce qu'il voulait, même en matière de sexe, mais quand les deux jeunes s'étaient promis, c'était comme s'ils fussent déjà unis en mariage. Et à Phèdre et Enée, afin que leur union matrimoniale fût ratifiée officiellement, manquait seulement la cérémonie.

        Plusieurs fois la jeune fille gracieuse était allée pour se promener sur la plage de leur rencontre évoquant romantiquement leur première approche, lui venant à l'esprit les attitudes de curieuse stupéfaction de l'Américain ' capturé' par les phères. Comme il ne se fût pas rendu compte de se trouver dans un monde inconnu mais, en même temps, fasciné par tout ce qu'il voyait et enfin, étonné de la voiture sur laquelle il était en train de voyager pour rejoindre la maison de ses parents à Anticira. Comme il ne perdît pas de vue aucun particulier à l'intérieur ou à l'extérieur et sa drôle définition du véhicule terrestre en 'astromobile'. Tel avait été pour lui ce normal moyen de locomotion, impensable dans le monde dont il venait.

        Et maintenant elle risquait de le perdre pour toujours. Un vague pressentiment lui 'inculquait dans l'âme. Les dernières nouvelles en provenance du monde des humains n'invitaient certainement pas à l'optimisme. C'était en cours une guerre féroce et, ce qui était pire, un terrorisme répandu qui faisait des hommes sans défense et, très souvent, même des enfants. À Kallitala il n'y avait aucune différence entre les mâles et les femmes adultes. Chacun avait soit des droits que des devoirs et la femme n'avait jamais été considérée un être à protéger, donc inférieure à mâle. Mais les enfants, eux oui, avaient le droit à chaque et n'importe quel égard de la part des adultes. Ils étaient sacrés et aucun dans l'entier territoire de l'île heureuse il ne s'était jamais hasardé d'aller au-delà d'un simple reproche pour une polissonnerie. Tandis que, au contraire, dans le monde occidental les enfants étaient considérés, parfois, comme monnaie d'échange, car ils les faisaient travailler lorsque c'était pour eux temps de jouer et, de même, les pauvres gamins venaient armés pour combattre et tuer ses semblables sans que ces esprits 'tabula rasa' sussent de faire du mal.

        Phèdre pensa aux enfants qu'elle aurait mis au monde, orgueilleuse d'être en une certaine mesure la maîtresse de la transformation de son mari, Enée, en un Hellène, mais qui maintenait encore ces caractères humains qui l'avaient fascinée tellement de tomber à première vue amoureuse de lui.

        Elle soupira et, regardant le quai dépouillé auprès duquel pendant plusieurs jours avait été amarré le bateau de son bien-aimé, elle alla avec sa pensée à la petite croisière avec le yacht de son frère, lorsque Henry avait naïvement tenté de s'échapper.

        Puis, quand le soleil vint à se trouver à trois quarts de son chemin et était en train de dorer les pics aigus des montagnes, violacées pour la distance, elle s'achemina vers le bosquet au-delà de la plage où avait laissé l'automobile. Ses parents l'attendaient pour le repas du soir. Peut-être que Achelais, mais beaucoup plus sa mère Hécube, ils lui auraient infusé cette sécurité dont elle avait aussi tant besoin.


ΩΩΩ

 

        À plusieurs milliers de kilomètres de chez elle, même Enée, au cours d'une brève pause pendant l'attente qu'arrivât de Protée la confirmation que le virement d'un milliard de dollars en faveur de Xuahn Li et ses associés fût effectué, il eut les mêmes réflexions que sa bien-aimée Phèdre et, pas du tout en regrettant pour avoir été un homme avec son monde qui déjà dès maintenant n'estimait plus comme tel, à cause des continues guerres et meurtres, il revit sa rencontre romantique avec la femme de ses rêves. Il sentait encore dans les oreilles sa voix chaleureuse et souple, la voyait se déplacer flexueuse d'une démarche élégante et faisant des gestes avec ses manières captivantes. Il revivait la surprise qu'elle lui avait faite lorsqu'elle s'était caché dedans le yacht de Paris le jour où il avait bêtement décidé de s'échapper de Kallitala. Cette idée lui donna des frissons. En supposant, malgré ça ait été impossible, que s'il y fût réussi, maintenant il aurait été le plus malheureux des hommes après avoir commis l'erreur de ce type qui, ayant trouvé une grosse pierre précieuse, l'eût prise pour une simple, bonne à être lancée plus loin que possible.

        Il venait de se prêter à une action ignoble pour les Hellènes : celle de donner ' pot-de-vin ' à Xuahn Li et le faire fuir ensemble à ses acolytes. Pour cette tâche il avait fait entrer à Kallitala, parce qu'aucun Hellène aurait réussi à accomplir une chose pareille. Toutefois, il en était dégoûté. Seule façon, cependant, pour récupérer les panneaux sans causer aucun dommage à personne et les distribuer équitablement parmi tous les peuples de la Terre, aucuns exclus, sûr Enée que, dans le cas ceux-ci ne fussent pas suffis, l'Archonte aurait donné l'ordre afin qu'on en construisît des autres. Du reste, on avait payé grassement le gouvernement Chinois pour avoir en échange ces matières premières qu'à Kallitala commençaient à manquer.

        Il voyait déjà le monde en paix et avec une convaincante raison fondamentale afin que pour ne pas s'opposer l'un contre l'autre. Il n'y serait pas plus allé de pays producteurs de pétrole qu'ils auraient imposé un panneau pour l'obligation des prix et, avec l'énorme revenu, financé indirectement et, peut-être, sans même le vouloir, les groupes subversifs qui voulaient imposer leur sens exagéré d'une chiromancie religieuse.

        ' Si au moins ils sussent…' Il se disait, ' les sots, que là-haut il n'y a pas tout à fait aucun et que le genre humain, comme tous les êtres vivants proviennent d'une combinaison moléculaire, peut-être qu'ils feraient tout le possible à devenir solidaires les uns avec les autres. Aux certains ne suffisant pas les richesses d'un satrape qui, quoiqu'elles ne donnent pas le bonheur, aident à mieux vivre et en être contents, surtout en se comparant avec qui souffre de la faim et, même, de la soif. Au lieu de ça, ils s'amusent à voir les hommes qui s'entre-tuent seulement pour un irraisonnable complexe d'infériorité. '

        Seul Enée pouvait écouter le bip du petit ordinateur. Sur l'écran duquel apparut la vénérable face de l'Archonte. C'était la première fois depuis qu'il se trouvait en mission que le grand chef se révélait. Il s'agissait, peut-être d'une chose importante. Enée en eut la certitude dans le moment que, avec une gravité exagérée, l'Archonte du peuple de Kallitala, dit : "L'argent a été recueilli, mais tu dis leurs qui a été transféré à un compte numéroté dans une banque suisse et inventes-tu un faux code. Tu as mon approbation afin que les trois Chinois viennent transférés dans l'endroit choisi, à condition qu'ils aient le pouvoir de faire éloigner toutes les troupes d'au moins cent kilomètres. L'opération de récupération des panneaux est annulée. Dès que tu resteras seul avec Melésigène, tu recevras d'autres dispositions."

        Enée ne fit pas suinter sa consternation et il s'approcha à Xuahn comme si tout fût dans les règles.

        "Le virement a été effectué. Écrivez-vous la référence que vient de vous donner," dit Enée sans aucune fissure dans la voix, tellement que le général Chinois ne put pas s'empêcher pour sourire de complaisance.

        "Le code est KLa 145 234 auprès de l'UBS de Zürich. Dois-je vous le répéter pour que vous vous poussiez pour le rappeler par cœur ?"

        "Pas besoin," répondit Xuahn Li avec une légère note de triomphe. "KLa 145 234. Un milliard, c'est ça ?"

        "Un milliard, complet," confirma Henry Campbell.

        "De dollars ?"

        "Oui. Mais il y a une condition. Avant que vous et vos colonels soyez transporté dans l'endroit choisi, vous devez faire éloigner tous les soldats au moins d'une centaine de kilomètres de cette zone."

        "Pourquoi ?"

        "Ne vous discutez pas, général Xuahn LI," répliqua sourcils arqués celui qui venait de discuter pour la dernière fois comme Henry Campbell. "Il s'agit d'une condition inaliénable, sinon tout tombera à l'eau."

        Xuahn Li pensa que le sien, s'il n'eût pas respecté les termes, aurait été un grave pas faux. Désormais il ne pouvait plus se retenir. Ses supérieurs auraient deviné l'embrouille et le mieux qui lui serait arrivé, une fois capturé, aurait été de pourrir toute la vie dans une des pires prisons de la Chine, parce que le coup de pistolet à la nuque, destiné aux criminels de dernier rang, aurait été une libération.

        Il donna des ordres péremptoires aux deux colonels afin qu'ils renvoyassent tous les militaires vers les cantonnements de Yinchuan, à plus de quatre cents kilomètres de là, en disant au colonel Xu Jingyang, pour rendre plus crédible la chose, d'accompagner les troupes jusqu'à Wuhai et de là revenir en arrière.

        Lorsqu'il sut qu'ils auraient parcouru la route entre eux et Wuhai et retour en moins de quatre heures, reçu l'approbation de Protée, Enée donné son assentiment, en appelant pour telle heure l'aviolobe qui aurait conduit les trois Chinois à San Francisco, avec une halte secrète aux bornes de la coupole magnétique de Kallitala, pour la livraison de l'argent.

        Melésigène, au départ des soldats, alla pour s'assurer partout si par hasard y fût resté quelqu'un autour. Grâce à son Kériosmate, il inspecta la zone dans un rayon de cent kilomètres et il s'assura que le dernier camion chargé de militaires dépassât ce cercle de sécurité, puis il retourna au flanc de Enée, avec la crainte latente que les deux Chinois, en se ravissant, pussent accabler son protégé, quoiqu'il l'eût laissé avec la promesse que, en cas de suspect, il utilisât la bombe aérosol de Sapotran.

        Mais il n'y fut pas besoin. Bien au contraire, lorsqu'il revint, lut dans les visages grimacés à la fois du général que du colonel, une anxiété sévère. Le temps, pour eux, venait de s'écouler lentement et progressivement que les minutes passaient, en eux augmentait la crainte que quelqu'un du bataillon en transfert 'forcé' vers Yinchuan doutât de quelque chose et mît en garde le quartier général.

        Chose qui arriva ponctuellement dès que les camions s'arrêtèrent pour la première étape à Wuhai et le colonel Xia Jingyang passa les consignes au majeur Chen Tang, qui avait soupçonné pour tout le voyage que ses supérieurs eussent comploté, exactement quelle chose il ne réussissait pas à comprendre, mais sans aucun doute quelque chose contre les intérêts de son Pays. Par conséquent, dès que la camionnette qui transportait le colonel, conduite par lui-même et protégée d'une mitrailleuse prête à l'usage, elle se trouva à une distance de sécurité, au lieu de continuer le voyage vers la caserne de Yinchuan, Chen Tang se mit en contact avec le quartier général de Beijing. Après une attente épuisante de plus d'une heure à cause de la bureaucratie pour atteindre la personnalité avec laquelle il devait conférer, ce haut dirigeant lui demanda, d'une voix excitée, de répéter exactement ce que selon son avis pourrait arriver auprès des refuges souterrains dans le désert de Gobi.

        Cette voix était de Hu Shi, le supérieur direct du général Xuahn Li qui, ayant compris très bien que son subordonné, élevé au rang de général grâce à son intercession, fût en train de le trahir, il se sentit entraîné dans une situation extrêmement dangereuse.

 

ΩΩΩ

 

        "Du monde des humains nous est toujours arrivé des nouvelles cruelles," commença à dire l'Archonte, qui avait convoqué l'assemblée extraordinaire du Grand Jury. Sa voix profonde tonnait dans la grande salle où flottait un tel silence à percevoir les souffles de ces conseilleurs qui, plus aînés que les autres, haletaient un peu pour l'émotion. À n'importe quel souvenir de chaque Hellène, c'était la première fois que venait convoquée une assemblée de ce genre.

        "Mais cette-ci, chers amis, est sans doute la plus grave et nous frappe en manière dévastatrice, puisque les victimes de telle férocité humaine, sont principalement les enfants dans leur plus tendre âge, y compris ceux qui se sont sauvé la vie, mais ils auront gravé dans son cœur et le cerveau ces scènes effrayantes. L'explosion d'une bombe terroriste ou l'impact des avions contre les Twin Towers de New York, quoique ça eût causé la mort de tant de civils innocents, est une conséquence non pas prédestinée. Oui, c'est vrai, il s'agit des attentats pour tuer et pour détruire, mais les mêmes auteurs ne savaient pas quel résultat quantitatif et qualitatif ils pussent en obtenir. Mais à Beslan, en Ossétie du Nord, en Russie, ils le savaient, et comment ! Ils les avaient devant eux, ces petits êtres tremblants de peur, après deux jours et deux nuits vécus dans la terreur la plus abjecte. Et, comme une condamnation différée à art, ils les ont tués et certains, tout d'abord, même violés. Je suis choqué et si vous êtes d'accord, je ne le rendrais pas connu à nos concitoyens. S'ils le sussent, beaucoup d'entre eux auraient une réaction imprévue et nous serions obligés à leur inoculer une bonne dose d'adusbraline pour les ramener à la raison. Naturellement, je viens de craindre une opportunité irréelle, puisqu'un vrai Hellène ne perd jamais le calme. Six cents morts, en majorité étaient des enfants et des centaines d'autres à l'hôpital, dont plusieurs en fin de vie, qui mourront sûrement en peu des jours. Nous pourrions même les sauver grâce à nos médicaments. Mais à quoi ça servira ? Ils sont destinés à vivre une vie malheureuse, il vaut mieux que l'oubli les enferme dans ses bras pitoyables. Assez, assez, assez !" La dernière parole vint hurlée par l'Archonte, provoquant un murmure général de désapprobation.

        " Pourquoi aider les êtres humains en leur donnant nos panneaux à neutrinos solaires, quand ils viennent de démontrer que, pire que pour le pétrole, maintenant pour les avoir ils seraient disposés à déclencher une guerre mondiale ?"

        "Mais, ami Archonte…" intervint Pausanias qui avait reçu la permission de parler dès qu'il avait soulevé la main, "ils déclencheraient une guerre nucléaire qui signifierait notre fin."

        "Et la leur, ami Pausanias," répliqua l'Archonte. "Ils ne feront jamais une telle chose, par conséquent, à cet égard, nous pouvons rester tranquilles."

        "Mais, et l'air ?"

        "Bientôt l'usine de Boadicée entrera en opération. Pour ce laps de temps nos ingénieurs ont projeté un spécial filtrage de la large sortie sur le mont Dicée. J'ai convoqué cette assemblée, cependant, pour deux décisions que je voudrais prendre après avoir consulté, pour la partie purement technique, notre chimio-ordinateur Protée."

        Les vingt conseillers se firent plus attentifs, mais plus de tous, Pausanias, eut un pressentiment qui le fit tressaillir. Dans ce bref instant, il songea irrationnellement à l'éventuel sacrifice du nouvel Enée des Anchises. Il s'était un peu trop affectionné à ce jeune homme et n'ayant pas des enfants, il le considérait son fils, ainsi que son épouse promise, Phèdre. Il avait tant rêvé que les deux jeunes gars se mariassent, sûr qu'ils ne l'auraient pas négligé pendant son long âge moyen. Il en éprouvait le besoin depuis qu'il avait perdu l'occasion de fonder, à son tour, une famille. Un amour contrasté le sien, celui-ci de la jeunesse, puisqu'à cause d'un exagéré sens de l'honneur et de l'ordre, il avait sacrifié sa vie privée à celle publique, devenant le personnage le plus exposé et, peut-être, le plus important, de Kallitala. Non pas qu'il fût un ambitieux, parce qu'aucun Hellène l'était, mais juste satisfait d'avoir contribué à la croissance, grâce à son dévouement, de la condition de la grande île atlantique. Du reste beaucoup d'autres comme lui l'avaient fait dans les temps passés, en consacrant toute leur volonté et capacité à atteindre cet excellent degré de technologie telle à mettre à l'abri leur aimée île état loin de graves ingérences du monde des humains. Soulignées en particulier dans les derniers temps avec la motorisation de masse et tous les conforts que la vie moderne pouvait offrir sauf, bien entendu, de nombreux milliards d'êtres humains qui manquaient même de l'essentiel pour survivre, leur condition étant aggravée par les mauvaises conditions de l'air qu'ils respiraient.

        L'Archonte, s'apercevant que le doyen des conseilleurs était en train de naviguer dans ses pensées, ne reprit pas délibérément le discours, mais il captura le regard de Pausanias qui, comprit à la volée ce muet reproche, adressa à son supérieur une expression d'humilité.

        "Je venais de dire, amis conseilleurs…" reprit l'Archonte, "que deux sont les solutions qui devraient être prises pour résoudre nos problèmes les plus immédiats."

        L'Archonte regarda attentivement tous les conseilleurs pour découvrir une nuance de contraste, même la plus faible, mais, à l'exception de Pausanias, non pas un sourcil s'arqua.

        "Ami Pausanias, as-tu quelque chose en contraire ?"

        "Je ne vois pas comment je pourrais, Archonte, étant donné que tu n'as pas encore formulé le contenu des deux décisions annoncées," répliqua-t-il, mais avec peu de conviction.

        L'Archonte savait que Pausanias était déjà au courant, quoique pas dans les détails, lesquelles auraient été les décisions, mais il ne voulut pas interférer surtout pour ne pas irriter les autres conseilleurs qui n'étaient pas été informés.

        "Cela étant dit et, malheureusement, constaté que les êtres humains ont démontré pour être si insensés à considérer nos panneaux plus comme un moyen d'accroître leur puissance militaire avec un conséquent plus puissant pouvoir envers les autres et que, à la fin, grâce à la technologie de nos produits, ils arriveront même au prix de la vie, à en découvrir le secret et à révolutionner leur technologie avec l'inconnue de la découverte de notre île. Et après ça la conséquente destruction de notre peuple, suivant la suggestion de Protée et à condition que vous tous soyez d'accord, j'aurais décidé de détruire les cinq cents millions de panneaux à neutrinos solaires actuellement en phase d'échange entre Enée et ceux corrompus Chinois ayant comme leur chef ce général insensé de Xuahn Li. L'endroit où ils se trouvent actuellement est à peu près sûr, tel à n'apporter aucun préjudice aux hommes, quand même put être le danger de tuer cette faune aussi tenace qui survive dans le désert, même le plus aride. Mais c'est la vie, la perfection absolue n'étant pas de ce monde et dans toute cette opération cela serait le dommage mineur. Après la destruction des panneaux, nous ferons écouler le temps juste afin que les réserves de produits pétroliers s'épuisent dans les pays industrialisés. On a calculé en trois mois, temps nécessaire afin que nos ingénieurs mettent au point le grand filtre de l'air sur la montagne Dicée, de cette façon de rester à l'abri des miasmes de la production humaine aussi longtemps pour achever la construction de l'usine de bouteilles contentant l'air comprimé. Entre-Temps nos aviolobes transporteront, pour la dernière fois, le Magataux et les Magators pour rouvrir tous les puits de pétrole actuellement scellés de Rocrois et de Rouprice. Le monde des humains reprendra son activité naturelle, ses petites guerres et la course insensée au bien-être de quelques-uns au détriment de la majorité. Lesquels, gardez-vous ça par cœur, amis membre de cette assemblée, arriveront à s'organiser et à se rebeller pour aboutir à un résultat incroyable dans ces temps ici. Une Révolution française multipliée par mille. Un bain de sang que son écoulement sur la Terra ira pour enrichir la fertilité du sol. Mais nous, à ce moment-là, nous serons en sécurité parce que nous aurons une quantité d'air pur nécessaire à notre survie pendant presque un siècle du temps humain, soit parce que notre technologie développera le difficile, mais pas impossible projet pour la production de notre propre air, en purifiant et recyclant ce dont nous disposons. Et, à ce point, que les humains se détruisent par eux-mêmes. Et enfin, qui ne mourra pas d'une mort violente, il finira ses jours agonisant dans un lit d'hôpital corrodé et détruit par le cancer ou par des maladies vasculaires."

        L'habituelle main de l'habituel interlocuteur. Pausanias demanda la parole et l'Archonte l'accorda avec un léger soupçon de sourire.

        "Ami Archonte…" fit Pausanias, "peut-être que tu n'as pas tenu compte d'une chose. Le seul danger qui, dans cette situation incomberait sur nous. L'énergie atomique produite par les hommes. Si, comme tu soutiens, il y aura une révolution mondiale, quelqu'un pensera bien pour appuyer sur ces maudits boutons rouges pour déclencher une guerre nucléaire !"

        "Ils n'en auront pas le temps, ami Pausanias," répondit l'Archonte avec, dans son visage, un sourire beaucoup plus prononcé que le premier. "Les célèbres cent millions de panneaux nous les mettrons en fonction dans des lieux disparates, mais bien cachés dans la Terre où aucun homme ne sera jamais en mesure de deviner lesquels soient."

        "Et où, si je peux le savoir, étant donné qu'il n'y a pas aucun lieu sur la Terre, à l'exception bien sûr de notre île-continent, où l'homme n'ait pas mis les pieds ?"

        "Ouais, ce que tu dis est vrai. Mais, heureux d'avoir 'conquis' ce lieu, l'homme se gardera bien d'y retourner comme sur les montagnes de l'Himalaya, sur les sommets de la Cordillère des Andes, dans la Terre de Feu, au centre de l'Antarctique, le pôle Nord, au cœur des déserts les plus ardents et, dans un endroit que même nous n'avions-nous même pris en considération : la mer. Certainement, sous la surface de la mer voyageront des étranges poissons insaisissables dans les filets des hommes ou de leurs harpons, qui feront constamment le tour de la planète et, si possible, seulement dans ses eaux plutôt agitées."

        "As-tu dit, insaisissables ?"

        "Bien sûr ! Affirma avec décision l'Archonte. "Un système de radar très sophistiqué développé par Perséphone, permettra d'éviter qu'aucun de ces poissons artificiels pût être approché par l'homme et capturé dans ses filets à moins de cinq milles. Distance plus que suffisante pour ne pas être détecté par des moyens visuels. En outre, le même principe que nous cachons, le rendra non détectable aux leurs radars et sonars, de sorte que les cent millions de panneaux seront activés simultanément, ce qui rendra inefficace dans tous les sens la réaction atomique inventée par l'homme."

        "Raison de plus pour utiliser de façon massive l'énergie dérivée des hydrocarbures," dit d'un air mécontent Pausanias, suivi par le murmure de consentement de tous les autres membres du Conseil, dont aucun, jusqu'à présent, avait prononcé un mot.

        "Je dirais que vous avez raison, amis conseilleurs," répliqua l'Archonte d'un ton décidé, comme s'il s'attendît un tel commentaire. "Mais tenez-vous en compte que les hommes savent, même si à peu près, que le pétrole est une ressource épuisable dans quelques années et ils iront travailler pour trouver une alternative."

        "Le panneau solaire !" tous firent à l'unisson.

        "Pour arriver à inventer un panneau solaire semblable au nôtre, il faudrait qu'ils révolutionnassent tous les principes physiques de leurs connaissances. Cela serait, pour eux, l'invention du siècle et vous savez très bien qu'une nouvelle invention, basée sur des principes qui se fondent sur la physique et la chimie, n'est pas encore à la portée des hommes. Qui jusqu'à présent, ont imité ce qui se passe dans la nature, voir l'électricité et les ondes magnétiques. Toutefois, ils pourront arriver à exploiter l'énergie qui se déclenche dans les orages, en endiguant les foudres ou celle des tempêtes marines ou de l'impétuosité du vent. Seulement alors ils commenceront à faire à moins du pétrole, mais s'écouleront plusieurs dizaines d'années, temps dans lequel même nous trouverons la manière de nous enfermer étroitement dans notre coquille en produisant par nous-mêmes notre air, qui servira à notre survie, quand ceci du monde extérieur sera aussi contaminé qu'un Hellène ne pourra pas y vivre même une heure."


29    -   ALARME

 

         Une fois Xuahn Li ensemble aux deux colonels partis, habillés comme s'ils fussent trois garçons, avec l'aviolobe qu'après l'arrêt pour la charge de l'argent, en moins d'une demi-heure les avait déposés dans un canal à l'intérieur du quartier chinois de San Francisco, Enée et Melésigène commencèrent à coordonner le travail des autres aviolobes cargo. Au but que tous les panneaux solaires, à l'exception de ces cent millions qui par des ordres reçus à la dernière minute devaient rentrer à Kallitala, fussent placés dans un seul endroit, afin que leur destruction pût être unique et non pas en chaîne, dépôt après dépôt, pour ne pas faire causer de dommages majeurs.

        Arrachés les toits des gros dépôts, les puissants aviolobes cargo initièrent pour empiler les palettes de panneaux, qui en contenaient mille chacune, sur un grand espace en face du dépôt numéro deux, de sorte qu'à leur explosion, la très forte dépression qui en serait résulté, se fût dirigée vers le haut, évitant de cette manière la destruction de chaque agglomération urbaine se fût trouvée dans son rayon d'action.

        Vidé le premier dépôt, ils étaient à plus de la moitié du deuxième, lorsque le pilote de l'aviolobe de contrôle signala l'approche d'une grande colonne militaire comprenant, en plus des camions de transport de troupes, même une douzaine de chars armés et d'autant automoteurs armés avec de batteries des fusées Katioucha.

        Si Melésigène resta abasourdi à cette nouvelle, la réaction de Enée alias Henry Campbell, fut tout à fait différente. Peut-être que pour la dernière fois dans sa vie, il eut l'intuition d'agir comme un homme. Pour éviter d'être mis en déroute par cette petite armée qui venait de s'approcher à une bonne vitesse et dans le même temps ne pas tuer des êtres humains, il donna l'ordre au commandant de l'aviolobe qui dans ce moment était en train de soulever une palette de mille panneaux, de se positionner en face des Chinois, laissant tomber la cargaison, afin de créer une barrière de feu à environ cinq cents mètres de la tête de la colonne. Puis, comme dernier avertissement, il aurait leur dit d'une haute voix de la petite colline sur laquelle, ensemble à Melésigène, ils avaient choisi leur premier refuge, que s'ils se fussent approchés de même un seul pas, il aurait fait exploser ce tas de panneaux solaires.

        De toute évidence, il ne fut pas écouté et, immédiatement Enée donna l'ordre à l'aviolobe, en ce moment surplombant sur sa tête d'environ trois mille mètres, d'envoyer l'amorçage électronique de l'explosion.

        Une énorme barrière de feu s'interposa entre les dépôts où les aviolobes continuaient leur travail d'empilage et la colonne militaire Chinoise. Une chose impressionnante, même si elle dura quelques secondes et qui, heureusement, ne provoqua aucune victime, à l'exception d'une douzaine de soldats de première ligne qui s'évanouirent de peur.

        Et, en fait, la frayeur fut assez remarquable tellement à faire reculer l'entière colonne de moins un demi-kilomètre, malgré les tourelles des chars armé s'orientassent en direction de la pile de panneaux solaires qui progressivement devenait impressionnante. Enée, avec sens devenus très aigus, écouta même le bruit du glissement des écrous de pointage des canons et la mise en canne des projectiles.

        "Arrêtez-vous !" il hurla avec tout le souffle qui avait dans la gorge. "Si vous avanciez encore, j'irais faire exploser sur la tête tellement de nombreux panneaux à vous faire effacer de la face de la terre !"

        La petite armée ne bougea pas d'un pouce. Du reste, l'effroi avait été si fort, qu'aucun commandant de bataillon - en total il y en avait quatre - ni, encore moins le général Whu Cheng, accouru des cantonnements militaires de Yinchuan, qui maintenant commandait toute l'armée, ils eurent la volonté de commander l'avancée. Quatre aviolobes cargo se trouvaient déjà sur leurs têtes, prêts à laisser tomber la charge de panneaux qui, fait exploser par Enée - la seule personne qui pouvait le faire parce qu'une fois humain - il les aurait anéantis.

        Il y avait l'urgence de gagner plus de temps que possible pour le transfert des cent millions de panneaux du désert de Gobi au Sargasse, qui stationnait à la limite des eaux territoriales Chinoises où, cependant, grâce à leurs équipements techniques sophistiqués, il n'avait pas été signalé un navire de guerre. Les premières vingt charges étaient effectuées. En manquaient, cependant, encore quatre-vingts, de sorte que tout dépendait de la capacité de persuasion de l'ingénieur Henry Campbell et de son assistant Lloyd Clodell. Sous tel aspect ils se présentèrent au général Whu Cheng en territoire neutre. Les deux parties adverses avaient demandé de parlementaire loin des quatre divisions armées, mais aussi des dépôts qui venaient vidés en continuation. Le commandement Chinoise était en trait de révéler son inquiétude pour la quantité de panneaux solaires qui descendait du ciel et venait posé délicatement au sol et que, croissant à vue d'œil, il avait déjà formé une petite montagne sans, toutefois, qu'aucun des observateurs réussît à identifier quels moyens y pourvussent.

        "Ingénieur Campbell…" commença à dire le général Whu Cheng, avec un exprès ton courtois, étirant un sourire qui lui découvrit une rangée de dents noircies par la fumée, "nous ne voyons pas pourquoi vous avez décidé de vous reprendre les panneaux que d'abord, aussi généreusement, vous nous aviez donnés."

        "C'est simple, général Whu Cheng," répondit d'autant courtoisie, mais très sérieux, Henry. "Votre gouvernement n'a pas respecté les accords signés avec un contrat régulier."

        Il devait gagner du temps, de sorte que, contrairement à sa nature, il fallait qu'il laissât libre cours à une loquacité plus logorrhéique qui lui fût possible. Dans le tour d'une heure au plus tard les centaines d'aviolobes impliqués auraient porté à terme le travail, surtout celui de la récupération des panneaux aux neutrinos solaires nécessaires, une fois mis en fonction, pour empêcher le déclenchement de la réaction nucléaire.

        "Il ne me résulte pas, honorable ingénieur Campbell," dit le général. " La Whang Rong Automobiles vient de travailler à plein rythme pour la production de nouveaux moteurs électriques selon le projet que vous nous avez donnés et dans le tour de…"

        Général Whu Cheng," l'interrompit Henry. "C'est vrai. Mais il est aussi vrai que vous venez d'étudier le mode pour appliquer les panneaux aux équipements de guerre, en particulier sur certains types d'avions que vous voudriez faire voler en permanence partout dans le monde, armés de missiles et, en outre à ça, vous avez même suspendu la commercialisation des voitures."

        " Nous sommes à ce point simplement parce qu'ils sont sur le point de tester le nouveau moteur électrique, ingénieur Campbell. Je vous l'assure," répondit le général avec conviction.

        Évidemment, il n'avait pas été informé sur les véritables intentions de son gouvernement sur ​​le sujet et son affligé plaidoyer le démontrait.

        Henry s'en rendit compte mais, pour gagner du temps, il insista sur l'argument de manière qu'au général ne resta autre que changer discours, en lui demandant : "Permettez-moi de parler à mon collègue Xuahn Li." Mais, en se regardant avec l'intention de le débusquer, " c'est-ce pas que vous le tiendriez prisonnier, non ?" il dit avec indignation.

        "Le général Xuahn Li et les deux colonels qui l'assistaient sont, en effet, à notre disposition jusqu'à ce que l'opération d'enlèvement des panneaux solaires ne soit pas terminée," répondit promptement Henry.

        "Et qu'est-ce en feriez-vous ?"

        "De quoi ?"

        "Mais des panneaux, diable !" dit un peu exaspéré le général Wu Cheng.

        "Ah, je pensais que vous vous préoccuperiez du sort de votre collègue et des deux autres…" fit Henry, un peu pris au dépourvu.

        "Je ne suis pas intéressé au sort des trois commandants qui, plutôt que de s'opposer avec leurs troupes à vos actes, ils ont préféré la situation confortable de rester vos prisonniers."

        Henry devait différer, par conséquent il chercha pour prolonger la conversation avec le général. Tout ça pour ne pas entrer en conflit avec les troupes Chinoises qui, oublieuses déjà de l'explosion des mille panneaux juste en face des premières unités armées, elles venaient de se remettre en position pour balayer ces deux hommes insistants qui venaient de remplir inutilement les oreilles de leur général. Au contraire, le majeur Chen Tang qui l'assistait, était en train de le solliciter discrètement pour rompre les négociations.

        "Alors, vous faisiez référence aux panneaux, c'est ça ?" fit Henry pour le taquiner.

        "Exactement. Ce sont de propriété de l'État Chinois et dons inaliénables. Vous n'avez aucun droit…"

        "Eh comment, que l'avons, honorable général," répondit Henry lui faisant même le salut. "Non seulement nous vous avions donné les panneaux à distribuer dans le monde entier, mais aussi une très grosse somme en dollars pour construire les moteurs électriques. Au lieu de cela, qu'est-ce qu'avez-vous fait ? Vous les avez cachés dans le désert le plus inaccessible du monde pour les utiliser à votre manière, ça faut dire, pour faire la guerre. Et non, mon cher général. Tout ça n'était pas dans nos intentions."

        "Les vôtres, ou de qui ?" demanda le général Wu Cheng.

        "Mais vraiment, ça vous intéresse ?" répondit Henri polémique. "Eh bien, il s'agit d'une organisation humanitaire dont les objectifs sont de sauver le monde d'une fin prématurée en raison de l'utilisation imprudente de produits pétroliers qui viennent de polluer l'air, que nous tous respirons, y compris vous, Monsieur le général et toute votre famille. Avez-vous des enfants, oui ?"

        Le détournement d'Henry venait de faire son effet, tandis que les invisibles aviolobes faisaient leur travail et, terminé de charger les panneaux sur le Sargasse, ils empilaient les autres restants sur l'esplanade indiquée par Henry, en un tas qui était déjà devenu un remarquable monticule, provoquant la consternation du général qui, cependant, pris par l'affection de sa famille, répondit : "Trois garçons et une fille. La dernière, qui est maintenant âgée de douze ans."

        "Voudriez-vous les voir mourir d'asthme ou, dans le pire des cas, de cancer des voies respiratoires ?"

        "Bien sûr que non," exclama le général qui, quand même stimulé par le majeur, il proféra, en modulant sa voix d'un persuasif : "Je vous assure, ingénieur Campbell et même à vous, M. Lloyd Clodell, dans votre qualité de témoins importants, que je me ferai garant auprès de mon gouvernement afin que vienne maintenu le pacte rédigé entre vous." Enfin, en ton descendant : "Je suis seulement commandé…"

        Reçu le signal de la fin de la cargaison sur le Sargasse, Henry fit signe à Melésigène de se diriger vers le premier refuge pour s'embarquer sur Hermès de là. Lors de son subséquent placement sur le Sargasse, le grand sous-marin aurait repris la route du retour. L'affaire était assez urgente, parce qu'ils avaient moins d'une semaine à disposition pour mettre en fonction les cent millions de panneaux et d'éviter ainsi la déflagration d'un conflit nucléaire. Des considérables forces Américaines et Britanniques venaient de se rassembler plus nombreuses que jamais devant les côtes de la Chine. Désormais tout le monde connaissait où se trouvassent les cinq cents millions de panneaux qui, s'ils fussent restés dans les mains des Chinois, auraient représenté, selon les critères occidentaux, le plus grand danger pour l'entière planète. Soumis à tous les tests possibles et imaginaires les trois panneaux à neutrinos solaires volés dans l'exposition de Monaco de Bavière et les trois autres réquisitionnés à Enée sur le petit lac, les Américains s'étaient finalement rendus compte de leur importance stratégique et en dépit ils se maudissent de n'avoir pas accepté la généreuse offre faite leurs sous le haut patronage de l'Organisation des Nations Unies, maintenant ils voulaient qu'au moins que fussent rétablis les termes de la proposition initiale. En un mot, que ce milliard de panneaux solaires promis originairement avec, à sa suite, la fourniture d'un autre adéquat nombre d'unités propulsives, fût distribué à tout le monde pour leur usage civil, étant donné que venait de se présenter une crise énergétique sans précédents. Les plus importants puits de pétrole du monde, y compris - hélas ! - Même ceux au Texas et en Californie, ne donnaient plus de pétrole et les réserver étaient en train de s'épuiser visiblement. Le trafic privé avait été bloqué depuis quelques semaines et celui essentiel contingenté. Les avions civils pouvaient décoller seulement si pleins de passagers et seuls ceux de la nouvelle génération équipée de moteurs à faible consommation. Les Pays importants comme ceux qui formaient l'Europe Unie, à l'exception de la Grande-Bretagne, avaient bloqué toutes les activités industrielles et commerciales en raison d'un manque de carburant. Ils réussissaient à peine à maintenir en fonction les hôpitaux et à distribuer de l'électricité à faible intensité pour deux heures seules pendant la nuit pour son usage d'éclairage avec des ampoules à basse consommation. Donc, pas de télévision ni journaux, quand même ça fût une bonne chose pour régénérer les neurones dans le cerveau des masses, jusqu'à maintenant tenus en frigo par la tempête des informations et commentaires des habituels écrivaillons. Le naissant hiver venait de se présenter comme une tragédie terrible, puisque pas toutes les maisons auraient eu du chauffage et il y avait déjà partout des bandes qui massaient du bois pour le vendre sur le marché noir ou le garder pour leur propre usage. Étant donné que les petits gisements n'avaient pas pris en considération par Protée, dans tous les moindres recoins du monde, les gens commençaient à exploiter les petits gisements jadis écartés pour leur faible production.

        Les seules sources d'énergie que les Hellènes n'avaient pas bouchées ", étaient les poches de gaz méthane, dont l'utilisation dans n'importe quelle branche ne produisait aucune pollution, de sorte que ces Pays qui en étaient riches vinrent courtisés d'abord et, ne voulant pas accepter leurs impositions pseudo-religieuses et de coutume, parce que l'Occident s'était déjà humilié même trop dans l'accueil des hordes de Bédouins, même menacés. Une menace qui pour certains qui disposaient de l'arme atomique, devint irrésistible. On vint à découvrir, alors, que les nations enregistrées comme ouvertement détentrices d'armes nucléaires étaient pratiquement seulement la moitié des réelles. Malgré les attentifs contrôles par les organismes chargés de cette délicate tâche, plusieurs Pays avaient réussi à garder le secret sur la construction d'armes nucléaires beaucoup plus puissantes et sophistiquées que les conventionnelles. Et, naturellement, hors de contrôle, n'ayant pas soussigné un accord préliminaire qui limitât leur utilisation. En somme, le chaos total qui menaçait sur le futur de l'humanité. Aussi pour les Hellènes car, quoiqu'ils ne se considérassent des hommes, en fin des comptes même eux faisaient part de la communauté. Étant donné leur structure délicate, ils auraient été les premiers à disparaître de la face de la Terre et leur grand Pays, une fois découvert et occupé par les hommes, inévitablement gâché.

        Tandis que Enée essayait de gagner du temps avec le général Whu Cheng, le récepteur spécial venait de lui dire qu'était indispensable pour convaincre le commandant chinois à faire éloigner ses troupes d'au moins cinquante kilomètres de l'endroit où avaient été entassés les panneaux solaires et, une fois convaincu le militaire Chinois, que même lui, Henry Campbell alias Enée des Anchises, se déplaçât par son Kériosmate sur les hauteurs choisies comme premier refuge. Dans seulement dix minutes l'aviolobe Hermès serait arrivé pour le ramener à Kallitala. La mission, à partir de ce moment-là, pourrait être considérée terminée. Aucun commentaire, sauf faire les considérations nécessaires une fois de retour à la maison.

        "Général Whu Cheng…" dit Henry, "je dois vous demander de faire éloigner vos troupes de moins cinquante, mieux soixante kilomètres d'ici. On a décidé que cette énorme montagne de panneaux solaires vint détruite la faisant sauter en air et nous ne voudrions pas nuire à vos soldats."

        "Quoi ? Comment ?" s'écria le général Whu Cheng en colère. "Vous êtes devenu fou, ingénieur Campbell ! Est une chose…"

        "Voulez-vous dire « inouïe », c'est vrai ?" l'interrompit Henry. "Je n'y peux rien faire, général. Je dois amorcer le système automatique qui fera exploser les panneaux dans une heure, juste le temps nécessaire afin que vos divisions motorisées réussissent à se mettre à l'abri dans une zone de sécurité. Dans le rayon d'une cinquantaine de kilomètres sera un véritable enfer de feu."

        "Vous êtes fou !" s'écria encore le général. Puis, entendant les consentements des commandants de bataillon qui jusqu'à maintenant l'avaient aidé dans les négociations, il se renforça dans sa conviction et ajouta, mais avec un ton forcément calmé, "honorable ingénieur Campbell, soyez-vous raisonnable. Je pourrais donner les ordres à mes soldats de vous arrêter. Vous êtes tout seul contre des milliers d'hommes. Permettez-moi d'accomplir ma tâche. Vous rentrerez avec nous et vous serez généreusement récompensé par mon gouvernement. Pensez une chose. Être-vous considéré comme le premier citoyen de la Chine avec des honneurs impériaux et les bénéfices à n'en plus finir. Vous aurez tout ce que vous désirez et vous vivrez comme un très riche mandarin du passé."

 

ΩΩΩ

 

        Le spécial établissement de filtration, provisoire, car il était impensable même pour les ingénieurs de Kallitala d'en créer un qui eût une durée supérieure à un mois de leurs, était finalement en phase d'installation sur la montagne Dicée. Cela aurait impliqué à peine trois heures de travail, un temps suffisant pour desceller tous les puits de pétrole dans le monde. Travail qu'étaient déjà en train de faire le Magataux et le Magators portés sur place par les aviolobes qui avaient terminé le transport de panneaux solaires sur le Sargasse, actuellement en navigation dans l'océan Indien et d'amasser tous les autres dans les environs des trois dépôts antinucléaires dans le désert de Gobi. On attendait le signal de Enée, qui venait de perdre plus temps que prévu pour parlementer avec le chef de la petite armée concentrée dans cet endroit. Quand même pour ce délai, il eût rendu un énorme service à sa nouvelle patrie, étant donné que dans les premières intentions de l'Archonte, il y avait le programme de se débarrasser de tous les panneaux à neutrinos solaires accordés au gouvernement Chinois.

        Toutefois la partie plus onéreuse de l'opération, heureusement, avait déjà été accomplie et tous les préposés, une fois installé le grand système de filtration, auraient repris leur travail pour la mise en service de l'usine pour la construction des bouteilles d'air comprimé.

        L'Archonte était presque satisfait et, se trouvant en conversation avec Pausanias - une ancienne tradition avait établi la pratique que le dauphin d'un Archonte fût son interlocuteur préférentiel - il attendait que son ami lui exprimât son avis, puisqu'il couvait encore des doutes sur un mouvement de façon inattendue des hommes et la crainte, presque panique, qu'ils, dans un très court laps de temps, pussent déclencher une conflagration nucléaire.

        "Ils sont effrayés…" il commença l'entretien avec l'attentif Pausanias, "et pour un instinct animal, pour le moment ils viennent de montrer griffes et dents, mais ne recevant pas tout de suite des consistants signaux d'accords réels, ils attaqueront n'importe qui se trouve à leur portée. Premiers parmi tous les Chinois, ils crurent déraisonnablement leurs ennemis les plus acharnés."

        "Il commencera, alors, une guerre longue et douloureuse," convint Pausanias, de la hauteur de sa bonhomie.

        "Non, ami Pausanias," eut à répliquer l'Archonte. "Ce sera très bref. Un blitzgrieg, comme l'appelaient les Allemands. Les Chinois sont un peuple exterminé réparti sur un territoire d'une ampleur telle à aller au-delà de la conception humaine de la tactique et, à empirer les choses, chaque individu est un être tenace qui combat jusqu'à la fin, survivant avec une poignée de riz par jour. De sorte que…"

        "De sorte… Ami Archonte ?"

        "Les Américains déchaîneront sur eux l'arme nucléaire. En face des côtes Chinoises, il y a déjà douze sous-marins atomiques et autant de B52 armés d'ogives nucléaires sont prêts à décoller de la base de Diego Garcia et arriver sur le territoire ennemi en moins de quatre heures de vol. Une catastrophe qui, malheureusement, même si pas immédiatement, toucherait même nous."

        "Envoyons-nous à eux le message que tous les puits sont rouverts."

        "Ils devraient faire les contrôles une par un et ça impliquerait une perte de beaucoup de temps. Pour les grandes puissances est urgent, donc, de s'emparer de nos panneaux solaires."

        "Nous avons commis une erreur, cher Archonte," répliqua Pausanias résigné. "C'est de faire confiance sur la justice humaine, de sorte que tous les Pays se divisassent de façon égale les panneaux."

        "La justice humaine…" répliqua tristement l'Archonte, "qu'est-ce qu'en sachent eux de la justice… Chacun l'interprète comme il veut. Dans le monde humain la justice la fait l'argent, le pouvoir et, dans certains cas, les amitiés, les relations et, moins souvent, la sympathie. As-tu remarqué ? Ils disent que les hommes sont tous égaux indépendamment de la couleur de peau ou de la race à laquelle chacun appartient et après ils appliquent les sanctions plus sévères contre ceux qui apparaissent extérieurement être inférieurs à la race blanche ou en tout cas différente de celle dominante. Non, c'est moi qui ai commis l'erreur, quand même mon jugement a été influencé et distrait par les données qui me fournissait Protée. Qui est une grande chimio ordinatrice qui pense comme des millions de cerveaux humains mais qui, cependant, est toujours une machine, manquant d'imagination et de… Sentiment. Je pense, cher ami Pausanias, que si nous réussissons à surmonter cette crise, j'irais démissionner et passer le commandement à toi."

        "Ne pas même le dire comme une plaisanterie, ami Alcée," dit avec consternation Pausanias. C'était la première fois depuis qu'il était devenu archonte, que le doyen l'appelait avec son nom. "Nous réussirons, et tu verras comment notre Enée sera capable à accomplir sa mission et tous les ingénieurs de Kallitala, qui ont déjà préparé les machines qui tourneront autour de la planète pour mettre en fonction les quatre cents millions et plus de panneaux solaires que le Sargasses vient de transporter dans notre mer."

        "Je te remercie de la confiance, cher Pausanias," répondit l'Archonte, en posant les mains sur les épaules du sage conseilleur. "Il nous manque le temps. Le Sargasse n'arrivera pas avant une journée, qui fait quatre des humains et qui sait entre-temps ce qu'ils vont combiner."

        "Ils en perdront, et comment, du temps !" répliqua d'un ton triomphal Pausanias. "Ils connaissent quels sont les risques qu'ils vont rencontrer et essaieront de parlementer. Habituellement, ils emploient une semaine ou plus, même si les Chinois ne voulussent pas venir à un accord. Tu verras que belle surprise seront leurs réservées. La première celle d'avoir à nouveau tous les puits de pétrole actifs, au contraire, de ce que j'ai appris de Protée, nous leur ferons découvrir d'autres, mais dans des pays qui ne disposent pas de ressources énergétiques, en particulier en Europe. La seconde que si par hasard quelqu'un d'entre eux s'éprouvât à presser le bouton rouge pour faire exploser n'importe quelle petite bombe atomique, celle-là ne déflagrera pas et le sophistiqué appareillage de sécurité répondra avec un simple clic comme fût un ricanement. La troisième, puis, eh bien, la troisième sera celle-là qui les conduira à raisonner sagement : la destruction des cent millions de nos panneaux, là, dans le désert de Gobi, se transformera en une énorme boule de feu qui pour quelques instants sera comme si la Terre se heurtât contre le soleil. Tout ça pour une insignifiante pression du doigt de Enée. Enée ! Enée des Anchises ! Comme je voudrais qu'il devînt Enée des Pausanias. Ami Archonte, moi, depuis le premier moment lors de sa connaissance, j'ai caressé le souhait qu'il fût mon fils."

        "Loin des sentimentalismes, Pausanias !" répondit avec un bienveillant reproche l'Archonte. "La situation actuelle ne nous le permet pas. Nous sommes encore en danger jusqu'à ce que le grand sous-marin ne rentre pas dans nos eaux." Et puis prenant congé de son futur successeur, il fit le geste de tourner l'index à la hauteur de la tempe droite et presque marmonnant entre soi, ajout : "Ces hommes, ils sont vraiment des fous !"


30   -  LE DESTIN DE L'HUMANITÉ...

 

 

         Comme cela avait été prévu par Pausanias, les armées occidentales déployées délibérément au large des côtes de la Chine, montraient griffes et dents et grondaient même sous prétexte des exercices avec de tirs de missiles à ogives conventionnelles et survol des Stealth, même à basse altitude. Entre-temps, cependant, étaient entamées des fiévreuses consultations diplomatiques pour obtenir une bonne quantité de panneaux solaires. Et, comme l'histoire millénaire de la Chine nous a transmis, lorsqu' avec eux il y avait des négociations en cours, celles-ci avaient des temps vraiment très longs même si, au lieu d'une impératrice, sur le fauteuil plus important du gouvernement s'asseyait un compagnon qui, quoique ouvert aux idées de la modernité, il était limité dans ses actions par l'idéologie communiste, laquelle, contrairement à l'évolution de la technologie, restait inaltérable dans le temps.

        Raison pour laquelle l'Archonte et avec lui l'ensemble du Conseil et, par conséquent, tous les Hellènes de Kallitala, tirèrent un soupir de soulagement. Le Sargasse aurait abordé sans délai aux côtes de l'île heureuse et les techniques eut le temps plus que nécessaire afin que les panneaux récupérés vinssent installés sur les adéquats véhicules, à éviter la réaction atomique.

        Les travaux dans la vallée de Boadicée bouillonnaient fébrilement jour et nuit. La grande usine à l'abri de la montagne au sommet plat, avait déjà été construite et les techniques venaient d'y installer les énormes machineries qui auraient comprimé l'air dans les trois cents millions des bouteilles.

        Les autres travaux, cependant, pour la construction du laboratoire près de la rivière, n'étaient pas encore commencés comme cela avait été annoncé à l'occasion d'une très animée réunion du Grand Conseil.

        La question qui avait été posée, c'était que si, comme avait suggéré Pausanias, on se fût évité que les humains pussent utiliser la réaction nucléaire, il n'y avait aucune raison qu'on leur inoculât sur chacun d'eux une bonne dose d'adusbraline pour les rendre plus calmes et raisonnables. Ils, n'appréciant pas, en fait, les beautés de la nature, la vie animale ni les pondérées réflexions philosophiques sur les raisons de la propre existence sur la planète Terre, les auraient rendus des pauvres malheureux. Parce que, en fin des comptes, ce qui donne vitalité à l'être humain est précisément la compétition de l'un contre l'autre pour démontrer son propre niveau de supériorité. Chaque homme devait mettre en évidence à son voisin d'être heureux. Quoi de mieux de susciter envie, la mère de tous les maux et le pire de tous, la haine ? Et alors, allez des guerres continuelles pour conquérir des territoires qui naïvement chacun croit que peut donner le bonheur, tandis que l'adusbraline lui aurait fait comprendre que le bonheur de l'être raisonnant est, en fait, sa plus intime pensée pour arriver à comprendre le mystère de la vie et du monde qui l'a engendré. La nature, sous n'importe quel aspect elle se présente, est un hymne à vouloir l'apprécier et en jouir d'elle, généreuse des providences. Pour eux il ne suffit pas de s'adapter au climat et à surmonter les hivers rigoureux et les étés bouillants, les vents les plus impétueux, les pluies alluvionnaires et tous les phénomènes d'un monde bénéfique, mais aussi impitoyable, ils doivent même déclencher des guerres pour s'entre-tuer au nom surtout d'une fausse idée de l'existence d'un Créateur qui, en dernière analyse, c'est la nature elle-même.

 

ΩΩΩ

 

        Phèdre, prise par enchantement, alors qu'elle était provisoirement libre des engagements de travail, en se promenant pensive sur la plage de Anticire, passa en revue avec l'esprit, pour le énième fois, l'arrivée d'Henry avec le voilier dirigé par les phères. Elle donna un soupir de défaillance. Quoique lui ait été assuré par ses parents, par Paris et par le plus fiable avis de Pausanias, que son futur mari serait bientôt de retour, quelque chose dans son intime lui disait que tout n'aurait pas fonctionné au mieux. Avec ce qui s'était passé avec les hommes, qu'elle ne connaissait pas avant l'arrivée d'Henry, il y avait pour s'attendre qui sait quelle chose pour un Hellène qui en fût entré en contact. Problème résolu enfin, comme avait établi l'Archonte, une fois que les Hellènes se fussent renfermés dans une tour d'ivoire comme avait toujours été, grâce à la résolution du problème de l'air. Mais que son bien-aimé, tout d'abord, revînt à Kallitala.

        'Pourquoi…' Elle se demandait, ' le laisser tout seul à traiter avec des hommes et n'envoyer pas une patrouille des aviolobes qui rejette l'armée chinoise qui le tient en équilibre instable si rester prisonnier ou risquer de se faire rôtir avec l'explosion des panneaux ? Qu'est-ce qu'on attendait pour le faire ? '

        Étrange résolution pour un être Hellène, même femme, en plus. Comme il est vrai qu'aussi les femmes plus charmantes, lorsqu'elles viennent touchées dans leurs sentiments les plus intimes, puissent arriver à devenir cruelles. Phèdre eut honte d'avoir pensé à une chose pareille et finalement se rendit compte pourquoi Enée avait été choisi pour cette mission qui lui seul, étant un humain transformé en un Hellène, aurait pu traiter avec les hommes et, s'il ait été forcé, pour le salut de Kallitala, il les aurait même tués.

        Et alors, dans son infinie bonté, elle pensa que c'était égoïste de se l'attendre pour arriver d'un moment à l'autre, si d'abord il n'eût porté à terme sa mission comme Hellène et non comme homme. Qui l'aurait plus vu dans son pays heureux comme un être à la conscience blanche comme celle des Hellènes ? Avec une réputation de tueur d'hommes, il n'aurait plus pu accéder aux plus hauts niveaux de la hiérarchie du gouvernement des Hellènes et même à elle se serait présenté le problème si maintenir ou moins la promesse de l'épouser. Quoique acclamé à son heureuse rentrée comme un héros, sur la conscience de chaque Hellène aurait pesé le fait que l'ancien humain avait causé la mort de beaucoup d'hommes. Dans ce cas, étant donné que chaque habitant de Kallitala grâce au prodigieux Protée, était au courant en temps réel de ce qui se passait dans le monde des humains, quand même pas dans les détails filtrés par la grande chimio ordinatrice pour ne pas trop les impressionner, comme minimum l'anéantissement de la petite armée chinoise composée de quatre divisions au complet commandées par un général. Au moins huit mille hommes, presque tous en jeune âge.

        Et s'il y avait des êtres vivants qui les Hellènes respectaient au-dessus de tous autres, ceux étaient les jeunes : la promesse de l'avenir, en imaginant que, même dans le monde des humains un tel principe fût valable.

        Mais y réfléchissant mieux et grâce même aux assurances qu'avait donné le sage Pausanias, Enée avait à disposition des moyens technologiques adéquats afin d'éviter que dans le bûcher du grand tas de panneaux solaires il ne vînt tué aucun être humain. Tout au plus, cela aurait causé quelques dommages collatéraux, tel que la disparition de toute vie animale dans un rayon de cinquante kilomètres. Mais en considération de ce remue-ménage en acte dans cette zone aride du désert de Gobi, les animaux les plus rapides s'étaient depuis longtemps éloignés. Restaient ceux qui se cachaient sous la surface qui, y restant si effrayés comme l'étaient, ils n'auraient subi aucun dégât de l'explosion des panneaux, parce que la chaleur produite par celle-là se serait étendue vers le haut dans un temps tellement bref qui n'aurait pas eu la possibilité de brûler dans une manière invasive le sol.

        Elle chassa ces pensées désagréables et caressa dans son esprit l'image de son bien-aimé avec tant de passion que de sa bouche sortirent ces paroles claires, tandis qu'avec son pas gracieux elle parcourait ligne de brisement de la plage au sable doré : "Mon Enée reviendra tôt et ces inquiétudes à moi termineront. À Kallitala on retournera pour vivre la vie normale de tous les jours et, finalement, nous nous marierons. Comme je l'aime !"

        Elle pensa à la maison qu'ils auraient fait construire dans le domaine de Anticire, beaucoup plus proche à la plage que celle de ses parents. Sa mère lui avait demandé de ne pas aller pour résider à Poséidon pour les avoir plus près d'elle et Phèdre ensemble à Enée, ils avaient accepté le cadeau que son père Achelais avait leur fait d'une grande parcelle de terre non encore cultivée près des bornes de l'arrière-plage.


ΩΩΩ

 

        Dans le même instant, à milliers de kilomètres de là, Enée aussi venait de rêver à peu près les mêmes choses et il aurait dû, au contraire, penser plus attentivement à s'en sortir de la situation difficile dans laquelle il se trouvait.

        De tout déraisonnablement, à la fois le général Whu Cheng que les deux colonels qui l'assistaient de près, venaient de lui pointer les pistolets et Enée, ébahi, entendit dire du général : "Assez de bavardage, ingénieur Campbell. Les panneaux sont à nous et si vous insistez sur votre projet insensé, je serai obligé de vous capturer."

        Enée se toucha légèrement l'épaule, juste là où était le mécanisme qui interagissait avec le cheriosmate, mais quelque chose de chaud lui pénétra proprement dans cet endroit et lorsqu'il retira la main, il se la vit imprégnée d'un chaud liquide sanguin. Le coup de pistolet du colonel Ziang Daoling devait l'avoir atteint dans ce point et, tout à fait par hasard, en plus de l'avoir blessé légèrement, il n'avait pas détruit le délicat système électrochimique.

        Terrifié par cette manœuvre qui l'avait stupéfié seulement pour un centième de seconde, car il avait déjà envoyé un message de détresse, lorsqu'il sentit qu'un aviolobe venait de s'approcher, il vint atteint par un autre projectile. Cette fois-ci dans l'estomac. La dose automatique de Stetopan insérée dans le survêtement, lui pénétra dans le sang ne lui faisant sentir aucune douleur, mais n'empêchant pas de former très lentement une tache de sang qui commença à s'élargir dans la zone touchée, à la satisfaction des trois chinois qui, pistolets pointés, ils l'observaient attentivement. Henry imagina que ses mouvements n'auraient pas été plus libres comme d'abord, tels, cependant, d'être en condition d'être aspiré par l'aviolobe invisible aux présents, quand même dans cet instant l'avion fût positionné sur sa tête.

        Ses pensées s'envolèrent à nouveau vers ce paradis terrestre de Kallitala qu'il voyait dans son esprit déjà obscurci par les coups des armes à feu reçus, comme s'il flottât sur ​​un indistinct horizon, d'où sortit une mince figure qui, comme progressivement s'approchait, elle se matérialisait en Phèdre, son amour. Trop céleste, dans cette situation. Il fit même le mouvement pour l'embrasser, mais il n'insista pas davantage. L'adusbraline le sollicitait d'utiliser les dernières, faibles forces qui lui restaient à accomplir à deux opérations qui, malgré ses capacités vinssent de se brouiller, il fit presque automatiquement. Tout d'abord de commander à l'aviolobe de s'éloigner et deuxièmement, dix secondes après, de se toucher le sternum, exactement à dix centimètres au-dessus de la blessure mortelle à l'estomac. Un autre projectile, tiré du pistolet du général, arriva à frapper le délicat mécanisme qu'il avait sous la peau, faisant partir une étincelle, juste une petite étincelle, et sembla que le temps s'arrêtât. Même les trois autres coups de feu tirés à l'unisson des pistolets des officiels Chinois semblèrent devoir interrompre leur course et, en effet ceux ne firent pas à temps pour finir de martyriser le pauvre corps de Henry Campbell et non plus Enée des Anchises, car l'étincelle, laquelle qui, au contraire, était arrivée à destination, amorça une petite explosion. Le premier panneau solaire Hellène déflagra par soi-même en faisant juste une flambée à ballon et, comme la baguette magique d'un chef d'orchestre, elle donna le la à la chargée orchestre, qui joua une partition infernale.

        Avant que ses yeux s'enfermassent, Henry Campbell vit disparaître les trois hauts officiels Chinois et l'immense boule de feu devenir un soleil magnifique qui avala tout ce qui était autour, y compris lui-même.

        Les quatre divisions militaires ne se rendirent même pas compte de ce qui se passait ni eurent le temps d'une exclamation de stupeur, mais elles disparurent dedans le nouveau soleil, car les neutrinos piégés dans les millions de panneaux déclenchèrent une puissance telle à faire brûlent milliards de mètres cubes d'oxygène et qui ne mourut pas par la chaleur énorme, il perdit la vie à cause du manque d'air et les mêmes petits animaux qui s'étaient protégés dans les trous souterrains, ils restèrent emprisonnés dans leurs terriers. En fait, l'immense incendie avait fondu tout ce qui s'était trouvé dans son rayon d'action et avait formé une espèce de croûte de cristal d'une couleur indéfinie avec des rayures jaune rougeâtres, formées du sable de quartz et des organes des êtres vivants pulvérisés.

        Puis, comme il avait commencé, ainsi termina sans aucune trace de poussière ni des séquelles comme on est habitués de voir quand le soleil se couche derrière l'horizon plat de la mer. Comme si fût tourné un interrupteur, ainsi cette immense lumière s'éteignit et tout tourna comme avant ou, mieux, pour un rayon de cinquante kilomètres il n'y fut au monde un désert plus désert que cela. Pas un brin d'herbe et même pas un être vivant, ait été celui le plus microscopique, sauf pour ceux qui s'étaient abrités dedans leurs terriers sous le sol et qu'ils venaient de travailler sans relâche, comme les phoques dans l'Arctique, à la tentative de s'ouvrir, avec les dents et les orteils, un peu probable trou pour remonter à la surface.

        Et, le plus inquiétant de tout, fut le silence. Non pas de ce monde, parce que même les terres les plus arides en produit. Et puis, par rapport à ce qui avait été quelques secondes avant avec le mouvement des troupes et le ferraillement des véhicules à chenilles ou munis de pneus, surtout alors, de la voix aiguë du général Whu Cheng qui ne cessait plus de menacer Henry Campbell alias Enée des Anchises, tout ça semblait une portion de lune. Seulement après quelques secondes, à réanimer le paysage spectral y fut le survol d'un aviolobe s'étant rendu visible maintenant, étant donné qu'il ne pouvait pas être identifié par n'importe qui. Il fit une manœuvre audacieuse avec un survol à une altitude aussi basse qu'il longea la croûte formée par l'explosion et, enfin, toujours en rasant le sol, il s'éloigna jusqu'à disparaître à l'horizon crêté du désert et là s'arrêta.

        Peut-être que même les deux Hellènes de l'équipage n'avaient pas eu de la confiance à descendre dans la zone de l'explosion ou, autrement, avec ce vol rasant ils eussent voulu se rendre compte que tous les panneaux fussent brûlés et n'y restât aucune trace des hommes. Quoiqu'ils ne se poussent pas pour nourrir l'espoir de trouver encore en vie l'héroïque Enée ni de savoir ce qui l'avait convaincu pour s'y arrêter à faire dans cet endroit si lointain, certainement bien au-delà de la portée de la boule de feu produite par l'explosion des cent millions de panneaux solaires. Un mystère qui seulement Protée aurait pu clarifier et, pour le connaître, il faut transférer l'action à Kallitala.


31  -   ... ET CELUI  DES HELLENES

 

 

                Quand Proteus donna la nouvelle que l'opération de la destruction des panneaux avait été lieu, aucun des vingt membres du Grand Conseil exulta. Tant moins l'excellent Pausanias. Qui fut le premier à pleurer tous les morts mais, plus encore, à se désespérer de la fin de Enée, son filleul bien-aimé.

        "Nous avons payé, encore une fois, un prix trop élevé, ami Archonte," il dit désolé, une fois que le Conseil s'était dissous et, comme d'habitude, les deux amis s'étaient venus à se trouver tous seuls dans la grande salle de réunion.

        "Nous ne pouvions pas faire autrement, ami Pausanias," répondit l'Archonte d'une voix triste. "Qu'est-ce d'autre Enée aurait pu faire contre les pistolets pointés sur sa poitrine et, même de plus, d'une distance très proche, si ont été les militaires Chinois à mettre en fonction le dispositif d'urgence pour faire exploser, en leur donnant feu, nos panneaux ?"

        Penser à se sauver, tout d'abord. N'avait-il été protégé par son spécial survêtement ?"

        "C'est vrai," approuva l'Archonte. "Il y avait également le dispositif pour faire jaillir, de chaque trou causé par les projectiles, la substance similaire au sang pour induire ses tireurs à croire qu'il ait été mortellement blessé. Maintenant, il faut que nous déterminions si…"

        "Si, quoi… ?" fit appréhensif Pausanias, dont l'esprit était en train de naître une lueur d'espoir.

        Que l'Archonte alimenta exprès.

        "Si les coups reçus, quoique non mortels, ils n'aient pas levé lui un instant le raisonnement ou la possibilité de…"

        "Bien… De quoi ?" l'interrompit Pausanias, auquel venait de monter cette faible excitation admise en un Hellène.

        "Mais diable ! Mettre en fonction le spécial Kériosmate sur l'humérus de gauche," exclama l'Archonte.

        "Alors, il s'est sauvé ! Je ne peux pas croire que Enée… Aussi capable… Je ne…"

        "Du calme, Pausanias. Cela n'est pas dit. Nous attendons encore le rapport d'Hermès, si par hasard Praxitèle et Paris sont réussis à sortir indemnes de la boule de feu. Sais-tu que pour un instant elle a obscurci même le soleil ?"

        "Quoi ?" fit Pausanias, maintenant vraiment en confusion.

        "Mais la boule de feu engendrée par l'explosion des cent millions de nos panneaux. Penses-tu, elle a interrompu les transmissions par satellite et, donc, même ces d'Hermès, l'aviolobe envoyé pour tenter de sauver Enée."

        "De sorte que, on n'est pas certain que mon… C'est-à-dire, le corps de Enée n'a pas été récupéré…"

        "Nous devons attendre plus d'une heure encore que l'atmosphère de la Terre soit en mesure d'absorber le vide causé par l'explosion. Heureusement que l'oxygène est venu à manquer seulement dans les hautes couches et qu'aucun avion volât au-dessus du désert de Gobi, sauf un Iljuscin Russe qui a dû atterrir en urgence à l'aéroport Yumen."

 

ΩΩΩ

 

        Phèdre, plus angoissée que jamais, à condition que ce terme dût être interprété à la manière Hellène, pressentait que quelque chose de grave était arrivé à Enée, compte tenu du retard de sa rentrée. Désormais toute la population était au courant que l'opération pour la destruction des panneaux solaires avait eu un bon succès et que, grâce à la mise en service de la grande centrale d'air comprimé de Boadicée, l'avenir de leur merveilleuse île avait été assuré pour de nombreuses générations à venir. Tous les Hellènes attendaient l'arrivée du héros à glorifier. Comme être vivant et non pas comme le premier Enée, qui était tombé en action pour ne pas révéler le secret de l'existence de leur île paradisiaque.

        Cela aurait été la première fois. Le peuple Hellène avait vécu paisiblement pendant des milliers d'années et n'y avait pas eu une seule occasion qu'un de ses concitoyens eût mis à l'épreuve son courage, se sacrifiant pour la patrie. Seulement en ces temps de grande 'civilisation' humaine, avaient surgi quelques complications qui avaient perturbé la vie tranquille dans l'État de Kallitala. La seule cloison qui les liait au monde beaucoup plus vaste de l'extérieur, c'était l'air à respirer qui, pendant des millénaires, était resté inchangé. Toutefois, dans les deux derniers siècles les hommes l'avaient gravement endommagé, d'abord avec la fumée de leurs cheminées qui haletaient les cendres en grande quantité pour la mauvaise combustion du bois est du charbon, mais, récemment, beaucoup plus gravement avec une telle quantité d'émissions provenant de la combustion du pétrole et de ses dérivés que sans une action décisive, aurait causé l'extinction du peuple Hellène dans un futur pas tout à fait trop éloigné. En seconde instance, mais presque étroitement, même la disparition de tous les hommes de la face de la Terre. Ainsi comme s'avait produit avec les dinosaures.

        Et si, par hasard, avec l'extinction des êtres humains, dût exister dans le projet cosmique des choses, l'ouverture de la vie pour faire progresser un autre être plus intelligent, dont la conformation physique lui aurait accordé de ne pas respirer du tout et, en plus de ça, de se maintenir en vie avec un apport minimum de calories d'une manière telle qu'avec l'écoulement du temps, temps cosmique, bien entendu, non seulement il aurait civilisé à sa manière la Terre, mais il se serait poussé pour coloniser toutes les planètes du Système solaire ?

        Ne pouvait-cela jamais être leur destin ? L'esprit confus de la jeune femme, parce que la douleur de la rentrée manquée de son bien-aimé obscurcissait dans ce moment son raisonnement d'Hellène, lui faisait prévoir des catastrophes planétaires. Elle s'imagina que tout ça dût nécessairement coïncider avec son avenir, de sa famille qu'elle voulait créer avec Enée et de deux fils accordés. Et alors, dans un éclat de santé mentale, elle réussit à chasser ces digressions fantaisistes et se dit que, si jamais ce futur imaginaire dût vraiment s'avérer, il l'aurait été dans une époque tellement lointaine pour l'esprit humain que jusqu'à la millième génération d'Hellènes, n'aurait pas concerné ni elle, son mari, ses enfants et tous ses proches.

        ' Mais Enée… ' Elle se dit d'une légère consternation, ' est-ce qu'il reviendra ? Parce que si fût arrivé que… Je ne sais pas si pouvait-il jamais un être gracieux, de nature paisible et patient, concevoir de la rage ou une simple protestation si cela se fût passé ?' Et elle ne supplia même pas, car à Kallitala n'était pas concevable une chose pareille. Prier qui, où, quand ?

        Il l'y avait une seule chose à faire au lieu de se promener inutilement sur la plage et cette chose était de retourner à Poséidon et demander la permission d'entrer dans le palais du Grand Jury et là-bas se faire tranquilliser par l'ami Pausanias. Lequel s'était démontré, depuis qu'Henry était arrivé dans l'île, particulièrement dévoué à son futur mari et, en conséquence de leur promesse de mariage, se considérant comme leur second père.

        Il semblait que les graves bouleversements qui venaient de modifier, au moins partiellement, la vie des hommes, n'inquiétât pas les habitants de Kallitala, au contraire, même pas venaient de les intéresser, car à la fois les journaux que les informations télématiques reléguaient telles nouvelles dans le dernier plan à la suite des celles, déjà elles-mêmes avec peu d'intérêt, des simples chroniques des différentes villes de l'île. Cela la rassura et, après obtenue l'autorisation d'accéder à l'intérieur du grand palais de l'assemblé générale, Phèdre, entraînée par la force de volonté comme était arrivé auparavant à Enée, elle franchit le seuil de l'étude privé de son protecteur, dont les portes s'étaient ouvertes automatiquement. Elle eut le plaisir d'être accueilli avec affection par le vénérable Pausanias, qui l'embrassa comme une fille recouvrée de la dernière fois qu'ils s'étaient vus.

        "Je suis convaincu de deviner la raison de cette visite," dit Pausanias après qu'il l'avait invitée à s'asseoir sur un fauteuil. "Si nous, peut-être, n'avons pas encore des bonnes nouvelles sûres, tenant en compte des ressources de Enée, il doit s'en être bien sorti au moment de l'explosion des panneaux."

        "Oh, Pausanias !" plaida Phèdre à laquelle les craintes d'une catastrophe qui les avaient excessivement occupés l'esprit durant son chemin, en écoutant ces mots incertains, elle devint plus que jamais anxieuse. "Même tu nies Protée, j'imagine, vous savez si mon Enée s'est sauvé ! Je crains que…"

        "Rien de certain pour s'inquiéter, fille chérie…" coupa court un Pausanias, étrangement renfrogné. "Avec les moyens dont il disposait et de l'aviolobe plus sophistiqué que nous lui avons mis à disposition, conduit par les meilleurs pilotes que nous avons : Praxitèle et aussi ton frère Paris, il ne peut qu'en être sorti indemne et, peut-être, il est déjà sur la voie de chez nous."

        "Ami Pausanias, tu es très sage, mais il n'est ta coutume d'utiliser la locution « peut-être ». Et, jusqu'à maintenant tu l'as utilisé deux fois. Si, comme tu soutiens, l'aviolobe Hermès eût à bord Enée, il aurait déjà atterri à Poséidon et, au contraire…"

        "Se sont écoulées seulement deux heures et tu présumes seulement pour ça qui soit arrivé un malheur. Ne sois pas sotte, délicieuse Phèdre. Tu sais qu'un aviolobe, pour embarquer une personne, a besoin d'une surface très plate, de préférence liquide. Très probablement, ils auront perdu de temps pour en trouver un adapté à ce but."

 

ΩΩΩ

 

        La vérité du fait n'était pas comme ça. Enée, après avoir été frappé par les très douloureux projectiles tirés par les hauts officiels Chinois, en dépit d'être protégé par le spécial survêtement qui avait empêché que les balles lui pénétrassent dans son corps, il avait subi un fort étourdissement qui, heureusement, ne lui avait pas empêché d'actionner la spéciale implantation de cheriosmate. Toutefois, sa réaction en raison de la douleur atroce, avait été plutôt exagérée, de sorte que l'impulsion donnée au cheriosmate avait été plus lourde que prévu parce qu'il y avait tenu pressé le doigt pour longtemps que prévu, s'en allant pour se positionner bien au-delà de l'endroit où l'aviolobe Hermès l'attendait. Exactement près de deux mille kilomètres de là, dans la campagne sibérienne dans les environs de la ville de Krasnoïarsk, traversée par la rivière Mana. Et, comme par hasard, en plein milieu d'une fête des paysans qui le notèrent tout de suite, se l'indiquant entre eux comme un être entre le mystérieux et le ridicule. Mystérieux, parce qu'il était apparu soudainement et ridicule parce qu'il portait une combinaison spatiale qui le faisait ressembler à un astronaute plut du ciel et, en plus de ça, même saignant.

        Enée aurait pu se libérer du survêtement - entre autres, d'un vert jaunâtre qui aurait attiré l'attention même d'un demi-aveugle - mais, conscient des coups de pistolet reçus, avec ces gens qui venaient de s'approcher de tous les coins comme s'il fût une attraction de cirque, il pouvait arriver que quelque étourdi lui tirât à nouveau. Et sans le spécial survêtement, cela aurait été vraiment la fin de ses aventures parmi ses ex-similaires. À propos desquels, il en avait vraiment marre. Les Hellènes avaient raison de se méfier d'eux et de rester autant que possible à l'écart. Maintenant, avec l'élimination de cent millions de panneaux à neutrinos solaires et l'utilisation des autres quatre cents qui auraient empêché toute réaction atomique autour de la planète jusqu'à la limite idéale entre la Terre et la Lune, les Hellènes et lui avec eux, ils auraient vécu en toute tranquillité.

        Et, à nouveau, tandis que des hommes rudes et des femmes criants en une langue qu'il ne comprenait pas, ils venaient de s'approcher à lui, sa pensée vola à Phèdre, sa bien-aimée. Désormais s'étant oublié de Liza et avec elle de toutes ses expériences d'humain, en ayant même honte pour ne pas même se souvenir de ses parents, implorant, comme si elle fût une Madone, de l'aider, s'oubliant, même si pour quelques instants, étant donné sa confusion mentale, d'avoir à disposition un utile équipement pour se mettre en contact, à travers le Sargasse, avec Kallitala. Peut-être, en lançant le signal de détresse, même Hermès, qui sûrement venait de le chercher, l'aurait individué.

        Lorsque les hommes avant que les femmes, vinssent pour l'atteindre d'un air menaçant avec la claire intention de le capturer pour le livrer à la police, Enée, dans un élan de survie, se pencha au sol prenant la forme d'un œuf. Il ne voulait pas se faire voir qui extrayait un couteau spécial, similaire à ce que Melésigène avait utilisé pour s'évader de la prison en Allemagne, de sorte que les gens ne confondissent pas son geste comme hostile et l'accablassent, le tuant. Déjà en soi, cette étrange position fit réfléchir les hommes, qui s'arrêtèrent et restèrent à fureter pour deviner qu'est-ce il venait de faire l'étrange homme plu su la Terre et cette indécision donna tout le temps à Enée de transmettre le message en code et de ranger dans son étui le couteau sans qu'aucun de présents eût remarqué cette arme impropre.

        Puis, comme par magie, les yeux de Enée se fixèrent sur ceux d'un homme apparemment paisible et ils y débusquèrent quelque chose qui le tranquillisa.

        En effet, l'être humain fit un geste pour arrêter ses similaires et commença à s'approcher davantage à Enée d'un faire calme quoique prudent et lorsqu'il se trouva à moins de deux mètres de lui, le salua, en disant en un excellent anglais : "Salut, homme-plu-du-ciel ! Puis-je faire quelque chose pour vous ?"

        "J'avais pensé que…" marmonna Enée, presque entre soi-même.

        "Nous sommes des amis," réplique celui-ci. "Un peu trop hâtifs et envahissants, c'est vrai. Mais cela est dû à la curiosité." Il lui lança un regard interrogateur et demanda : "Peut-être que nous avons été trop nombreux à nous précipiter vers vous et si nous ne vous avons pas fait trop de peur, au moins, je dois admettre que, en somme, nous n'avions pas eu justement un regard amical…"

        "En effet…" balbutia encore Enée, qui ne pouvait pas croire que cet homme pouvait l'aider.

        "Vous êtes un étranger," fit l'homme, "et nous devrions vous emmener auprès de la police, sauf si vous êtes un touriste doté de tant de permissions, quand même avec cet habillement…"

        "La rivière !" s'exclama, bien que d'une voix faible, Enée. "Il y a une rivière ici ?"

        "Bien sûr !" répondit le Russe. "Elle coupe en deux la ville de Krasnoïarsk, mais elle loin d'ici de plus que cinq verstes."

        "Vingt kilomètres ?"

        "Environ," dit le Russe, hochant la tête et, toujours avec la tête, il indique dans quelle direction.

        "Merci, mon ami," répondit Enée qui, pressé cette fois-ci, cependant, seul pour un instant le doigt sur l'épaule où était installé le cheriosmate, en moins d'une seconde, il se vint à trouver sur ​​une barge en navigation, à ce moment-là juste en dessous de la verticale de l'aviolobe, qui l'aspira.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 


 


 

 

 

 

 


 


 

 


 

 

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