Les Heroïques
Anouk Mathieu
Depuis qu'elle était petite fille, Josette savait qu'elle avait un « physique ingrat » comme on dit, et comme sa mère lui avait souvent répété, avec un sourire désolé. Elle avait bien compris que tout était plus facile quand on est jolie, alors elle voulut compenser la banalité de son physique par une extrême gentillesse. Elle avait vite constaté qu'être gentille lui attirait facilement les bonnes grâces de tous. Au fur et à mesure, depuis l'enfance, elle s'était totalement approprié ce trait de caractère. Au fond, peut-être même l'était-elle vraiment. Avec Beth, elles avaient presque été élevées ensembles. Beth, jolie comme un cœur, Josette vilaine. Beth élégante, cultivée, vive et rieuse. Josette, balourde, lente et naïve. Pourtant leur affection était sincère et réciproque. Beth riait de Josette mais lui trouvait un cœur d'or et Josette admirait Beth. Quand elles étaient jeunes, elles allaient souvent se promener ensemble. C'est d'abord Beth que l'on remarquait mais Josette savait aussi se faire aimer. Quand Simon demanda Josette en mariage, ils se connaissaient à peine. Tout au plus avaient-ils été une fois au cinéma ensemble. Simon était un copain de Gilbert et ils étaient sportifs tous les deux. Les jeunes filles étaient allées les voir jouer un match de foot, et, Beth ne sortant jamais sans sa cousine, Josette et Simon s'étaient rencontrés à cette occasion. Beth avait un peu poussé Josette à épouser Simon, sentant qu'une telle occasion ne se représenterait peut-être pas. Le jour du mariage, Josette avait l'air heureux, comme tout au long de la vie qu'elle avait partagé avec son mari. Au début de leur union, Simon était plutôt gentil avec elle. Lui aussi avait trouvé « une occasion » de se marier, car il était assez peu attiré par les femmes en général, et très peu enclin à leur faire la cour. Quand Josette avait accepté sa demande après seulement une séance de cinéma, il s'était dit que ça valait le coup de ne pas trop faire le difficile. Il était travailleur et leur petite vie leur conviendrait. L'enfant était né. Un garçon, la fierté de Simon, une petite revanche sur Beth pour Josette. Un garçon, mieux qu'une fille, mieux que Caroline. Voilà ce qu'avait pensé Josette. Elle était folle de son fils, le laissant grandir sans jamais rien lui interdire ni le « contrarier » comme elle disait, car l'enfant avait été, très tôt, colérique. Bébé, il avait beaucoup pleuré à la tombée du jour, comme beaucoup de nouveau-nés, et Simon pris assez vite l'habitude de rentrer tard chez lui. Il supportait mal les hurlements de son fils et accusait Josette de ne pas savoir s'y prendre. C'est à cette période qu'il passa au bistrot le soir, retrouver les copains avant de rentrer, y traînant de plus en plus tard, y buvant de plus en plus. Alors quelques gifles se mirent à tomber. Josette pensait au fond d'elle qu'elle ne savait effectivement pas s'y prendre et acceptait les coups, de plus en plus durs, de plus en plus souvent. En grandissant, l'enfant se montrait très instable. Plus Josette était gentille avec lui, plus il était insupportable. Son père, quant à lui, ne s'en occupait pas et laissait sa femme gérer l'hypersensibilité de son fils. A Seize ans, il était devenu incontrôlable. Josette se faisait régulièrement bousculée et les gifles pleuvaient. Beth, avait remarqué des bleus et avait vivement conseillé à Josette de quitter Simon. Elle avait même demandé à Gilbert d'intervenir. Mais Josette ne voulait pas quitter son mari. C'était trop tard. Elle ne voyait pas ce qu'elle deviendrait sans lui, sans parler de la honte. C'est aussi pour cela que Beth était toujours restée près d'elle, affectueusement, elle essayait de soulager un peu le quotidien de Josette. En publique, Simon était évidemment irréprochable, à l'inverse de ce qu'il était en privé. Et puis il eut ce fameux jour. Renan était allé chercher son père au bistrot et c'est sur le chemin que l'accident avait eu lieu, avec cette mobylette que Simon lui avait offerte pour ses seize ans.