Les mains dans la terre
madame-c
Il y a un an, je jardinais...
Mon jardin intérieur était détruit, vide, aride. Du moins était-ce comme cela que je le ressentais.
Et puis un jour, un appel : l'appel du jardin.
Il fallait marcher dix minutes pour y accéder. Monter vers l'église, prendre à droite, descendre l'allée qui mène vers le chemin des pèlerins de Compostelle, longer les anciens remparts. Et là, au bout du chemin, une porte en bois jadis peinte en vert, qui, malgré son aspect vétuste, ferme encore à clé. Ce jour-là, j'ai sorti la grosse clé couleur or de ma poche. Ce jour-là, une fois la porte ouverte, j'ai su que c'était là que j'allais guérir. L'émerveillement d'alors à la vue de cet immense tapis de primevères mauve, rose pâle et blanche, de ces jonquilles, de ce jardin qui paraissait un peu abandonné, fut le premier sursaut de vie que je ressentis après des semaines de souffrances physiques et psychologiques.
Ce jardin était certes un peu abîmé mais sa beauté était là, je pouvais sentir son envie de reparaître, ce jardin respirait la vie en devenir. Ce fut totalement inconscient mais je pense que je fis immédiatement la parallèle entre ce jardin et mon état intérieur. Chaque jour je revins ouvrir cette porte, c'est même ce qui me faisait me lever le matin. Chaque jour, l'émerveillement et l'espoir étaient les mêmes. Plus aucune contrainte esthétique ne comptait : un vieux jean, un vieux t-shirt, de vieilles baskets, les ongles terreux, le dos courbattu; tels étaient mes attributs quotidiens et Dieu ! que ça faisait du bien !
Je me suis guérie à retourner la terre, à pousser les brouettes chargées de pierres, à arracher les mauvaises herbes pour dégager les trésors enfouis du jardin.
C'était frénétique. Je ne pouvais plus m'arrêter. J'étais encore capable de réaliser quelque chose, de redonner vie : c'est cela que le jardin m'appris et ce dont je doutais tellement pourtant. Combien d'heures y ai-je passé? Je ne sais pas. J'en oubliais même l'heure de manger. Cette activité me nourrissait totalement. J'avais tellement besoin de me sentir utile, capable d'aller au bout, mais aussi et surtout je crois, de faire cela seule, de me retrouver seule. Et durant ces longues heures, c'était le cas : il n'y avait que ce jardin et moi. Un dialogue intérieur, sans parole, s'instaurait inconsciemment. Je crois que je découvrais alors le dialogue guérisseur avec la nature, non par recherche volontaire mais par un instinct salvateur, un processus naturel sur lequel je n'avais pas de prise mais qui m'était devenu nécessaire.
Cette vie que mon ventre avait abrité quelques mois, ces nombreuses anomalies comme des plantes carnivores qui se seraient emparées de mes entrailles, cette vie à laquelle il avait fallu renoncer, cette graine germée qui n'arriverait jamais à grandir...tout cela ressemblait tant à ce qui pouvait se passer au jardin. Et pourtant, c'est lui et le cycle des saisons, les mauvaises herbes qui s'avèrent utiles, les œillets que l'on plante entre les semis de tomates pour les aider à grandir; c'est tout cela qui me ramena vers l'espoir, la vie, la confiance, la conscience que tout est recommencement. La terre séchée sur mes mains fut un pansement de l'âme, l'odeur de l'herbe et de la terre humide, ma madeleine de Proust.
Ce jardin mon sauveur, ses couleurs mes joies quotidiennes.
Aujourd'hui, un an plus tard, j'abrite à nouveau la vie. Une vie qui va éclore dans moins d'un mois. Et quand il sera là, j'emmènerais mon bébé au jardin et je lui raconterais que c'est un peu là qu'il est né...