les masques

kerlandiane

Les masques

Alice regardait dormir Marie, son joli petit ange blond, plongé dans le sommeil. La frimousse apaisée de la fillette lui donnait toujours du courage et ce soir, elle en avait grandement besoin.

Alice quitta la chambre de sa fille sur la pointe des pieds.

Dans cet appartement exigu, elle avait privilégié la quiétude de Marie en lui donnant la seule chambre. Pour sa part, elle dormait dans le vilain canapé-lit qui occupait une grande partie de ce qui tenait lieu de salle à manger, salon et coin-cuisine.

Alice se mit en devoir de faire le tri des factures qui commençaient à s’amonceler. Elle ne pouvait toutes les honorer, il fallait faire un tri, juger du plus urgent. Elle soupira. Comment continuer ainsi ? Les réponses à ses demandes d’emploi restaient dramatiquement négatives.

En ces temps de crise, une mère célibataire qui prétendait à un poste dans l’industrie automobile n’était pas le choix préférentiel des employeurs, à plus forte raison dans la branche des courses et des prototypes.

Son expérience passée aurait pu lui servir si elle n’était aussi ancienne. Marie avait passé de longs mois entre l’hôpital et la maison à la suite d’une vilaine infection. Alice avait du y faire face tant bien que mal, privilégiant sa fille à sa carrière, elle était ainsi tombée sous le couperet de la concurrence interne et avait subi un licenciement économique à la première occasion.

Elle ne s’était pas battue, elle avait trop à faire près de Marie.

Hélas, les occasions de travail qui s’étaient présentées ensuite, de serveuse à caissière, toujours en emploi précaire, n’étaient pas de celles qui valoriserait son expérience d’ingénieur.

Des mois durant elle avait réussi à survivre, mais les dépenses de santé de Marie avait creusé un trou et il fallait qu’Alice trouve un poste mieux rémunéré si elle voulait s’en sortir.

Parfois, elle se disait que si Marie n’avait pas été là, elle aurait sombré corps et âme 8 ans plus tôt, lorsque Pierre, son amour, l’homme de ses rêves, son prince charmant à elle, avait dilué tous ses espoirs dans l’acide vérité de sa trahison.

Pierre n’avait pas eu à parler longtemps, il avait juste dit non. Non à l’enfant qu’elle portait de lui, non à leur avenir, non à l’amour qu’elle lui offrait et à celui qu’il était censé éprouvé pour elle. Ce non, il l’avait accompagné, comme une excuse, d’un aveu terrible, celui d’une femme, et des deux enfants qu’ils avaient déjà.

Pierre avait proposé un avortement, il avait même proposé de l’argent, à défaut d’une présence ou même d’un regret.

Mais ce petit être au creux de son ventre n’avait rien demandé, et pour Alice il était le fruit de l’amour, de cet amour qu’elle au moins, avait éprouvé. Alors elle était partit et avait assumé.

A dix-huit ans, elle avait vécu cette grossesse, seule et démunie, n’ayant aucune famille proche, ses études avaient été sacrifiées, puis reprises, en cours du soir avec un travail d’appoint.

Son seul réconfort c’était Marie. Marie dont le sourire était toujours là. Sept ans de pur bonheur à la voir sourire, à entendre sa petite voix câline qui disait « je t’aime maman ».

Elle ne demandait plus son père. Alice n’avait pas eu le courage ou la lâcheté de mentir. Elle avait dit la  vérité, « Maman avait aimé papa, mais papa était parti ». Marie n’avait plus rien demandé, elle le ferait surement un jour, Alice le savait déjà, l’appréhendait déjà.

Un journal traînait encore sur le rebord de la table, les petites annonces n’avaient rien donné. Alice le feuilleta machinalement, juste pour ignorer la douleur qui envahissait sa tête, se détendre un moment.

Elle commença à lire un article au hasard. On y parlait d’un homme dont le parcours professionnel semé d’embuche était digne d’admiration. L’auteur y énumérait les phases de découragements, que l’homme avait dû traverser, mais à aucun moment on y faisait état d’une paternité à gérer tout seul.

Alice s’en voulut aussitôt, surement certains hommes rencontraient les mêmes problèmes qu’elle. Elle glissa le regard sur la page suivante et là, c’est une photo troublante qui envahit son esprit. La légende disait « Aline en Alain ».

Une très jolie jeune femme avait été transformée pour les besoins de la photo en homme tout à fait acceptable.

Elle replia le journal et s’apprêta à se coucher, déplia le canapé dans un grincement qui en disait long sur l’inconfort qu’on pouvait attendre du lit ainsi déployé, puis se rendit dans la minuscule salle de bain.

Elle se brossa les dents, l’esprit encore occupé par la photo d’Aline-Alain. Ramassant d’une main ses cheveux, Alice attrapa un crayon noir et se dessina une moustache. Elle se prit à sourire devant ce « monsieur » improvisé, alors lui prit une sorte de frénésie et s’armant de far, elle affina la caricature.

Elle arriva au point d’un jeune homme, certes un peu efféminé, mais assez crédible pour qu’elle ne s’arrête pas là. Les ciseaux taillant ses longs cheveux bruns furent sans appel.

Alice passa ainsi une partie de la nuit, sans même voir l’heure qui tournait, sans ressentir la fatigue. Pourquoi faisait-elle cela, elle n’en avait aucune idée. Elle fut enfin satisfaite ou presque de sa transformation et se regarda longuement.

Sa voix basse et chaude pourrait passer, quant aux vêtements, rien de plus simple. Un seul bémol, Alice s’en rendit compte, tenir la distance en se faisant passer pour un homme pouvait être difficile.

Seulement le dernier poste auquel elle s’était présentée lui avait été refusé, car, comme lui avait gentiment fait remarquée la femme qui l’avait reçu : « Vous êtes une femme, cette société est spécialisée dans la conception de deux roues, alors si vous étiez juste célibataire, je vous dirais que vous avez une chance, mais, là… Seule avec un enfant à charge… Enfin, vous comprenez… Je ne peux pas leur proposer votre candidature, ce serait pour vous une perte de temps et pour eux pareillement. »

Alice s’était mise en colère, avait protesté, c’était de la discrimination !

La femme avait accusé le coup, mais avait tenu bon. En toute logique, elle pouvait proposer la candidature d’Alice, mais personne ne pouvait obliger un patron à employer quelqu’un qui ne cadrait pas avec le profil du poste !

Alice était sûre de sa qualification, elle avait déjà travaillé pour un fabricant de motos, expérience fabuleuse qu’elle rêvait de renouveler. Il lui fallait ce job, et pour cela, pas question de nier Marie sur son CV, il lui fallait une nouvelle image. Cette image, ce serait ce beau garçon l’air tendre qu’elle voyait dans la glace… Bon, certes, il lui faudrait un peu plus d’artifice, mais elle verra cela demain.

Le jour se leva trop vite, Marie se réveilla toute seule et comme chaque matin, s’assit à la table pour son petit déjeuner. Entendant sa fille s’asseoir, Alice sursauta et bondit du lit.

Marie s’amusait de la voir paniquée par l’heure. Alice était exemplaire sur ses horaires et là, pour une fois, elle se mélangeait dans les tâches, versait le café dans le verre et le jus d’orange dans le bol. Marie finit par se moquer de sa maman avec un tel entrain qu’Alice se prit à rire d’elle-même.

Marie fut tout de même à l’heure à l’école et après un baiser sonore à sa mère, la quitta d’un joyeux signe de main. Alice la regarda s’éloigner. Marie était aussi blonde que Marie était brune. Ses grands yeux bleus contrastaient également avec le regard brun chaud d’Alice. Pierre avait des cheveux blonds et des yeux bleus… Parfois ce rapprochement faisait si mal à Alice qu’elle le niait presque, imaginant que Marie était l’enfant d’un ange.

Mais cette farce ne restait pas longtemps. Pierre… qu’était-il devenu ? Et surtout, Marie chercherait-elle, un jour à le voir ?

Cette échéance presque fatale la remplissait d’effroi, elle s’attendait à voir les larmes de Marie en découvrant un père qui la rejetterait ou pire.

Alice frissonna à ces pensées. Elle allait regagner sa voiture lorsqu’un vrombissement d’enfer la figea sur place.

Une moto s’arrêta juste à côté d’elle. Un homme en cuir noir, fit sauter de la selle un petit garçon rieur qui lui rendit un casque. L’homme releva sa visière et d’une voix grave, presque rauque dit au gamin :

- Et pas d’excuse ce coup-ci, ou tu auras affaire à moi !

Le petit garçon s’éloigna en criant : « Promis ! Salut oncle Nick ».

L’homme se tourna vers elle et Alice croisa le regard vert de l’inconnu. Ce regard-là n’avait rien d’ordinaire, Alice sentit l’envie qu’elle lui inspirait, cela ne la choqua pas. Elle était jolie, et avait souvent droit aux hommages masculins, mais cette fois c’était autre chose. Elle avait l’impression qu’un animal la regardait. C’était aussi direct que cela, même pas vulgaire, juste une évidence naturelle.

Il claqua la visière et se dégagea pour remettre les gaz. Et voilà se dit-elle, un moment comme un autre… Alors pourquoi quelques heures plus tard, ce regard-là, la hantait-il toujours ?

Elle avait fait l’effort d’un coiffeur, une coupe garçonne ne suffirait pas, elle demanda carrément l’allure masculine. La coiffeuse grimaça, sans plus et fit au mieux.

Elle acheta ensuite un costume, sous l’œil effaré du vendeur qui la vit l’essayer.

La coupe devait être parfaite, dans ce genre de job l’allure compte beaucoup, et même si ensuite elle pourrait mettre des jeans, il lui paraissait plus facile de se présenter ainsi.

Il lui coûta si cher qu’elle frémit en faisant le code de la carte de crédit, il n’y avait plus à reculer, cette fois, il fallait gagner.

Elle avait aussi acheté un livre particulier, une femme photographe qui transformait systématiquement les hommes en femmes et les femmes en hommes. Les photos étaient crédibles, elle n’aurait plus qu’à copier.

Elle eut un doute. Marie ! Comment expliquer à une enfant que sa mère se travestissait. Elle éluda, elle se cacherait !

Elle passa le reste de la journée à travailler une pigmentation de peau, une ombre de barbe, des sourcils plus fournis, des doigts moins délicats et tout ce qui aurait pu trahir sa féminité. Elle était consciente de ne pouvoir tricher qu’un temps, mais la lettre de relance pour le paiement de la cantine de Marie marquait le coup de grâce de ses finances.

Il lui fallait une bouffée d’oxygène, et de là, elle pourrait toujours chercher un travail sous sa véritable apparence.

Quand elle fut prête, c’est tremblante qu’elle glissa dans son pantalon une boule de chaussette donnant une certaine illusion. Le court instant où elle pensa au sexe d’un homme lui rappela le désert de sa vie dans ce domaine.

Depuis Pierre, elle n’avait plus confiance, mais n’était-ce que cela ? Le regard vert de l’inconnu s’imposa à elle.

Elle ne savait pourquoi la sensualité de ce bref échange, le désir qu’elle pouvait lui inspirer la troublaient à ce point. D’autres hommes la regardaient, d’autres l’avaient aussi draguée ou plus abruptement invitée. Toujours elle refusait, toujours elle se barricadait. Leurs avances n’étaient que le prélude à un moment purement physique, et cela elle ne se l’accordait pas.

Marie lui servait de prétexte dans ce domaine, elle le savait, la vérité c’est qu’elle redoutait que son cœur ne surpasse ses sens et qu’un moment d’égarement ne se solde par une nouvelle souffrance.

L’inconnu à la moto ne lui faisait pas peur, sans doute avait-elle tort, car l’allure même de l’homme ne le rendait pas moins dangereux que les autres, tout au contraire.

Elle se surprit à évoquer les traits qu’elle avait devinés sous le casque. Le corps musclé que laissait suggérer le cuir…

Elle secoua la tête en vérifiant son allure, se dégagea des pensées érotiques qui pointaient dans son esprit et prit le téléphone.

Nicolas Bartov gara sa moto dans la cour, sur la place réservée à la direction, juste à côté de la grosse berline du patron. Ce n’était pas un jeu ou une provocation, il se fichait juste des hiérarchies. Sa vie était libre et personne ne brimait cette liberté, il l’avait payée assez cher.

Il monta au bureau d’Alexandre.

Le patron de MHK l’accueillit à bras ouverts. Nicolas, « Nick » comme tout le monde l’appelait était non seulement son meilleur pilote de circuit, mais aussi son meilleur ami. Qu’il fut également une tête brulée le fascinait, lui n’aurait jamais tenté les défis que se donnait Nick.

Nick s’assit sur un coin du bureau, jeta son cuir sur un fauteuil et plongea un regard scrutateur dans le sien.

- Alors ce proto ?

Alex, sourit, il tendit les plans à son ami.

Nick siffla devant l’engin.

- Belle bête ! Je l’essaie quand ?

- Tout doux ! Je vais déjà te la montrer, il reste quelques petits détails à vérifier.

Alex lui fit signe de le suivre.

Arrivé au département recherche, le superbe prototype trônait au milieu de la pièce. Nick s’en approcha et le caressa en affichant une mine gourmande.

Le chef du projet, Dominique, s’avança vers lui.

- Arrête de baver !

Nick lui tapa sur l’épaule.

- Eh oui, je sais… c’est dur d’imaginer que c’est moi qui poserais mes fesses dessus alors que tu resteras sur les gradins…

Dominique rit franchement.

- Oh tu sais, j’aime les gradins, c’est pas très excitant, c’est vrai, mais le plaisir c’est de voir ma mécanique rouler et battre des records.

Nick grimaça

- Ouais, une sorte de plaisir par procuration quoi…

- Chacun le sien… Franchement je ne suis pas sûr d’aimer le risque comme toi. Et puis les séances de rééducation, les lits d’hôpital, tu n’en as jamais marre de tout ça ?

- Bof, c’est pas si souvent, et puis c’est le jeu.

Alex l’écoutait pensivement. Dominique s’éloigna.

- Nick, tu sais… Dom n’a pas tort. Tu ne penses jamais à raccrocher ?

- Pour quoi faire ?

- Je ne sais pas moi, fonder une gentille petite famille… avoir des enfants…

Nick devint sombre, Alex s’en voulut d’avoir mis le doigt sur le point sensible.

- C’est ça… Et les rendre dingues ?

- Nick, des fois, ça marche…

Nick le regarda froidement. Ce regard, Alex l’avait vu souvent, il masquait sous la glace, la souffrance de Nick, l’enfance difficile, le refus de croire à une chance.

Alex n’insista pas, il savait que Nick se fermerait comme toujours et ressasserait sans doute de douloureux souvenirs.

- Bon ! Dans deux jours, dit-il en montrant la moto.

Nick retrouva son sourire.

- Alors à dans deux jours sur le circuit !

Il sortit et Dominique s’approcha d’Alex.

- C’est fou ça, ce gars peut avoir toutes les femmes qu’il veut, il est plein aux as et son truc c’est de pousser les protos sur un circuit. Moi, à sa place…

Alex le coupa.

- Oui, mais tu n’es pas à sa place.

Il eut une mine sombre en ajoutant,

- Personne n’est à sa place…

Alex savait trop bien, il avait trop partagé avec Nick. L’homme sûr de lui, casse-cou, que tout le monde voyait, cachait un être tourmenté par son passé, un homme blessé dans son cœur et dans sa chair, quelqu’un qui refusait d’aimer.

Quand Nick passa la porte, il sut tout de suite qu’il n’était pas seul. Pierre, son demi-frère était déjà là, Carlotta l’avait laissé entrer.

Lorsqu’il le vit, dans le salon, les salutations n’eurent rien de chaleureux. Pierre était là pour les mêmes raisons que d’habitude, Nick le savait. Encore des palabres sur les affaires de famille, encore des signatures de pouvoirs, encore des justifications que Pierre donnerait pour lui soutirer un accord sur ceci ou cela.

Les deux hommes ne s’aimaient pas, et peu importe qu’ils aient la même mère, rien n’y faisait. Ce n’était pas tant leurs différences de vues qui les opposaient, mais le tacite statu quo que leur avait imposé la vie en les mettant face à face pour partager un héritage particulier.

Les prendre pour deux frères, qu’ils le fussent même à demi, était déjà étonnant. Nicolas Bartov affichait une carrure et une musculature que n’avait en aucune façon Pierre Dabreville. Les cheveux brun, long sur la nuque et les joues mangées de barbe de Nicolas, lui donnait le charme sauvage de l’aventurier et contrastait avec l’allure apprêtée, la peau imberbe et les cheveux blond et très court qu’arborait Pierre.

Mais leurs physiques n’étaient pas seuls en cause. Alors que Nicolas fonçait dans la vie en la risquant le plus qu’il pouvait, Pierre se mettait le moins possible en danger. Pas plus dans les affaires. Lorsque leur mère, Anna Manke de son nom de jeune fille, avait légué à ses deux fils la direction du Groupe Manke, elle leur avait infligé une coopération dont chacun se serait passé.

Nicolas avait bien pensé revendre ses parts à son frère ou lui laisser le tout, pourvu qu’il n’ait plus à le voir, mais le Groupe Manke pesait lourd dans les décisions de la Fondation MilleVies qu’il subventionnait. Or MilleVies tenait à cœur à Nicolas. D’une façon tout à fait anonyme, il intervenait sur les décisions financières afin de préserver les actions de la Fondation. MilleVies intervenait surtout dans les échanges Euro-Africains, permettant à des villages de creuser des puits et d’avoir accès à des structures sanitaires vitales.

Pierre, lui, n’envisageait rien moins que de couper les vivres à la Fondation, aussi Nicolas restait au Groupe Manke, afin de pouvoir les maintenir.

Pierre regarda le blouson de cuir, jeté à la va-vite sur le canapé.

- Comment peux-tu porter ce genre de veste, c’est lourd, grossier…

- Personne ne te demande de la porter ! dit tranquillement Nick.

- Non, heureusement !

- Alors, laisse là où elle est !

Nick lisait les documents.

- Et le quart de million de dollars investi en Floride ? Je vois, ici que les avancées du projet sont largement au-dessous !

Pierre eut l’air ennuyé. Il ne s’attendait pas à ce que Nick remarque cela.

- Heu, disons qu’il nous faut encore du temps… C’est en bonne voie.

Nick eut un sourire cynique. Il connaissait les tours de passe-passe de Pierre.

- Dans ce cas, on peut avancer le versement des dons à la Fondation.

- Mais…

- Puisque le Groupe n’aurait besoin du financement total qu’à la fin.

- Heu… oui, mais.

- Mais ?

Nick savait que Pierre ne pouvait refuser. S’il le faisait, Nick mettrait plus avant son nez dans le projet et l’un et l’autre savaient qu’il n’en ressortirait que les habituelles malversations de Pierre.

Pierre grimaça.

- Oui… cela paraît possible.

- Possible ?

Nicolas s’amusa à garder le stylo en l’air.

Pierre comprit.

- C’est, possible.

Nick signa les documents en y ajoutant les formalités pour la Fondation. Il tendit l’ajout à Pierre qui le signa de mauvaise grâce.

Certes Pierre avait par le passé trahi ses engagements, mais Nick était un homme dangereux lorsqu’on jouait mal avec lui. Le souvenir cuisant de ce qu’il avait enduré à la suite de cette trahison suffisait à Pierre pour renoncer à recommencer.

Il partit sans même boire un verre que Nick se garda de proposer. 

À peine fut-il sorti que Carlotta arriva.

- Je suis désolée, il était là quand je suis arrivée, et…

- Aucune importance, de toute façon il était fichu d’attendre devant la porte. Ne vous reprochez rien…

Nick avait dit cela d’une voix lasse. Il aurait volontiers cessé ces entrevues avec Pierre, tant l’individu le dégoutait. Il se demandait toujours pourquoi Anna leur avait laissé à tous les deux le Groupe Manke. Sa mère l’avait abandonné à deux ans. Qu’elle lègue tout à son second fils aurait été plus logique, puisqu’elle n’avait jamais donné signe de vie à l’autre.

Elle n’avait pas même cherché à lui dire quoi que ce soit. Le testament ne faisait état que de part et d’argent.

On eut dit que jamais, elle n’avait eu le moindre sentiment pour lui, mais cela, il n’en avait jamais douté. Il revit un instant Lucas Bartov, son père, une ceinture dans la main et le regard mauvais qu’il portait sur lui quand…

Nick se secoua, chassa les pensées. Il aurait voulu ne plus se souvenir de cela, jamais.

Alice était heureuse, l’entrevue avait bien tourné. Le problème c’était les papiers officiels. Il lui faudrait tricher, mais cela, elle l’avait déjà prévu.

Elle se rendit directement chez Perdrix. Perdrix était son nom, son prénom était oublié, et de cela elle était heureuse. Pas de passé, pas trop d’identité, Perdrix était la voisine d’Alice. Extravertie et chaleureuse, elle s’était plus ou moins incrustée dans la vie d’Alice lorsque Marie était tombée malade. Souvent elle avait veillé sur la petite fille pour permettre à sa mère de travailler. Elle s’invitait parfois à l’apéritif, ou préparait pour Alice et Marie des plats exotiques succulents dont elle avait le secret.

Artiste et faussaire, Alice avait compris tout de suite que les talents de Perdrix lui servaient à arrondir ses fins de mois. Certes, Perdrix disait faire le bien en aidant de pauvres gens, jamais des malfrats, mais Alice savait qu’on peu être bernée et déconseillait souvent à Perdrix de continuer dans cette voie.

Pourtant, ce jour, elle eut recours à ses services, endossant l’identité fabriquée d’Alain Maréchal, il lui serait plus facile de garder son véritable nom de famille.

Perdrix ne posa pas plus de questions.

Alain était né, et maintenant il faudrait assumer, mais Alice pouvait dès à présent, augurer de revenus qui lui laisserait le temps de respirer et de trouver d’autres solutions.

Après tout elle ne faisait de mal à personne. Elle travaillerait, paierait des factures. Il fallait juste arriver à tenir le coup quelques mois, ensuite…

Ensuite elle escomptait pouvoir redevenir elle.

Elle prit ses fonctions chez MHK, à l’essai, certes, mais c’était déjà ça.

Son bureau lui offrait le confort et l’intimité de pouvoir souffler dans sa tenue d’homme. Au moins elle aurait des moments pour ne pas se préoccuper de son apparence aux autres.

Elle visita les locaux, en compagnie de Sarah, jolie jeune femme qui lui serait attachée en tant qu’assistante. Sarah lui plut tout de suite, mais Alice restait méfiante, car Sarah ne devait à aucun moment la regarder… de trop près.

Au cours de la visite, Alice eut un choc. Sur un grand poster, une moto noire semblant sortie des enfers était pilotée par un démon au regard vert qu’elle reconnut d’emblée.

Le poster tout à la gloire du pilote en question « Nicolas Bartov » faisait état de ses victoires et de son attachement à piloter des motos MHK.

Sarah se méprit devant l’intérêt d’Alice.

- Vous aussi, vous aimez piloter ?

Alice s’amusa, en tant qu’homme on lui demandait cela, en tant que femme, elle ne doutait pas que Sarah aurait fait un commentaire plus admiratif sur le pilote.

- À vrai dire, je n’ai jamais conduit ce genre d’engin.

Sarah s’attarda sur le poster. 

- Ah… Bah, lui, c’est tout ce qu’il aime…

Elle avait dit cela d’un air déçu, Alice comprit.

- Vous le connaissez bien ?

Sarah fit la moue.

- Oui, enfin non… Je crois qu’au fond, à part le patron, personne ne le connaît vraiment.

Alice n’insista pas. Elle regagna son bureau, Alex, son nouveau patron, entra, un grand sourire au lèvres.

Il fut aussi jovial et avenant qu’à leur première entrevue, et Alice le trouva vraiment sympathique.

Lorsqu’il la quitta, elle avait déjà une somme de travail conséquente. Elle se mit à la tâche tout de suite, elle devait, cette fois rencontré ses nouveaux collègues et c’est à ce moment qu’elle prit toute l’ampleur de son subterfuge. Alice/Alain devait convaincre, non seulement de ses capacités, mais aussi de sa virilité, et là, elle se sentit perdue. De quoi les hommes parlaient entre eux ? Qu’attendaient-ils d’un nouveau collègue en dehors du côté purement professionnel ? Elle réalisa qu’elle devrait également faire un parcours minutieux de ces chapitres dès ce soir. Il ne fallait pas être découverte, surtout pas !

L’idée de croiser Nicolas l’angoissait aussi. Elle craignait qu’il ne puisse la reconnaître, ou peut-être, qu’elle ne soit trop désireuse de croiser son regard. L’un comme l’autre ne la réjouissait pas. Au fond, elle pourrait surement l’éviter, sa fonction ne la prédisposait pas à côtoyer les pilotes.

Elle travailla tard, et c’est la faim qui la poussa à regarder sa montre. Perdrix devait s’occuper de Marie ce soir, mais il n’avait pas été question de la faire manger.

Alice ramassa ses affaires en hâte et sortit de son bureau un peu vite. Elle se heurta à quelque chose de dur et de haut, Nicolas !

Il ne bougea même pas sous l’impact, alors qu’elle vacillait. Elle comprit de suite, en croisant son regard, qui il était.

Elle allait dire un mot, se reprit juste à temps, et tenta de cacher son malaise d’un sourire.

Nick le lui rendit et d’une belle voix grave :

- Désolé, je n’ai pas l’habitude de croiser du monde à cette heure.

Alice tenta de baisser encore sa voix et de paraître assurée.

- Heu, oui, c’est mon premier jour… Je crois que je n’ai pas vu le temps passer.

Les deux « hommes » se souriaient. Alice tenta de se mettre dans la peau de son personnage, bien qu’elle soit troublée par Nick au-delà même de ce qu’elle craignait.

Heureusement, Alex arriva, mettant fin à son supplice.

- Ah ! Nick ! Je te présente Alain Maréchal, qui renforce l’équipe de Dom sur le projet X3 ! Alain, voici Nicolas Bartov, notre pilote-fou des protos XZ !

Il se moquait, Nicolas scrutait Alice/ Alain et la jeune femme se sentit comme une souris dans une cage de verre. Elle eut envie de s’enfuir à toute jambe et se trouva prise au piège lorsque Alex, plein d’enthousiasme proposa aux deux hommes de boire un verre dans son bureau.

Alice se trouva, un verre de whisky pur malt en main, à discourir avec brio des motorisations équipant les deux roues des concurrents. Alex et Nick étaient de vieux complices, elle le sut tout de suite, mais elle craignait surtout le regard de Nick. Elle se rassurait comme elle pouvait, non, il ne pouvait rien voir, non, il ne pouvait pas deviner. Mais lorsqu’ils se séparèrent, elle sentit sur elle ses beaux yeux verts et une chaleur s’empara de son corps sans qu’elle puisse la dompter. Elle se dégagea très vite de la main amicale qui serrait la sienne et courut presque jusqu’à l’ascenseur.

Elle ne se retourna pas, mais sentit dans son dos, le regard de Nicolas Bartov comme une brulure insidieuse.

Nick grimaça. Alex rentrait chez lui, où sa ravissante épouse l’attendait ainsi que son brigand de fils dont Nick était le parrain.

Nick refusa l’invitation à dîner de son ami, il avait une curieuse image en tête, une femme très belle entrevue quelques jours plus tôt devant une école, et il ne comprenait pas pourquoi cette image revenait juste maintenant.

Il pensa un moment à Alain. Curieusement, la main qu’il avait tenue dans la sienne l’avait troublé. Elle était fine, racée, étonnamment fragile.

Il avait ressenti au contact de cette peau, une impression qui le mit mal à l’aise.

Nicolas n’avait aucun tabou, les amours masculines ne le choquaient pas, mais c’était la première fois qu’un homme lui faisait ce genre d’effet.

Il oublia pourtant vite l’incident en arrivant chez lui où l’attendait la belle Malie, jolie jeune femme aux charmes multiples dont il aimait la compagnie nocturne.

Malie, elle, aurait aimé beaucoup plus, mais elle avait vite compris que Nicolas était plus attaché à sa moto qu’à une femme.

Marie était encore debout, Perdrix avait laissé sa porte ouverte afin qu’Alice pût se changer avant de rentrer chez elle.

Une fois redevenue femme, Alice put relever Perdrix de son rôle de baby-sitter. Marie était ravie, elle avait une bonne note en math, et cela la rendait très fière.

La petite fille conta par le menu sa journée et y inclut malicieusement un nom qui revint bien souvent dans la conversation « Roman ». Alice s’amusa de l’intérêt de la fillette pour ce petit garçon apparemment brillant, mais facétieux. Marie était en admiration, les premiers émois du cœur sont toujours innocents et purs. Alice la coucha et la petite fille l’air grave lui arracha un sourire en demandant :

- Maman, quand on est amoureux, est-ce que ça se voit sur la figure ?

-  Tout dépend, parfois oui, parfois non.

La petite fille fit une moue soucieuse.

Alice la taquina :

- Tu es amoureuse ?

Marie leva les yeux au ciel et nia avec force. Alice tenta :

- C’est Roman qui est amoureux alors ?

Marie rougit jusqu’aux oreilles.

- Oh non, je crois, pas.

- Pourtant une si adorable petite fille, c’est sûr, il devrait craquer.

Marie sourit à cette perspective. Alice se dit que son « bébé » grandissait à vue d’œil, et bientôt…

Elle eut le cœur serré, imaginant sa fille partir vers sa vie, et devenir mère à son tour.

Elle laissa dormir la fillette tout à ses pensées. Elle réalisa soudain, que sa propre vie était en suspens, que Marie, elle, devrait, c’était logique, faire son chemin. Alice eut soudain peur de vivre cette séparation bénéfique, comme un gouffre qui s’ouvrirait sous ses pieds. Il fallait l’admettre, sa fille était sa vie, et ce n’était pas une bonne chose pour une femme encore bien jeune de n’être qu’une mère.

Forte de ce constat, elle se promit de sortir et de faire des connaissances, mais cette perspective ne la réjouissait pas plus que ça.

Perdrix, débarqua la tête en bataille, elle avait sérieusement besoin d’un coup de main, elle débita si vite l’urgence de l’aider qu’Alice ne comprit pas tout.

- J’ai rendez-vous, tu te rends compte, comme s’il ne pouvait pas continuer à tchatter ! Franchement les hommes ! Tu ne sais jamais ce qu’ils veulent.

 Alice eut une lueur. Arnaud, un homme que Perdrix avait connu sur le net et qu’elle appréciait avait fixé un rendez-vous, impromptu certes, mais Perdrix voulait le voir, le rencontrer vraiment, aussi elle avait accepté et se rendait compte d’un coup, qu’elle n’’était pas prête, du moins pas suffisamment à son gré.

Perdrix emprunta des vêtements à Alice, et celle-ci l’aida à domestiquer la chevelure en désordre que la jeune femme triturait toujours dans des chignons improvisés.

- Tu devrais essayer le Net, dit Perdrix en tirant une de ses mèches rebelles.

Alice, imperturbable lissait les cheveux auburn comme s’il s’agissait d’une mission divine.

Perdrix insista :

- Tu ne devrais pas être seule, une belle fille comme toi, c’est un crime.

- Je suis seule, c’est vrai, mais au moins, je n’ai pas mille questions à me poser sur l’homme qui me dit m’aimer.

- Oh ! Ce n’est pas parce qu’un demeuré au QI de poisson rouge t’a fait du mal qu’ils sont tous mauvais !

- Non, je le sais bien, mais…

Perdrix, satisfaite de son look se sourit dans une glace. Elle darda sur Alice, des yeux malicieux.

- Toi, dès que j’aurais envouté mon chéri, je  m’occupe de ton cas !

Alice n’eut pas le temps de répliquer, elle était sortie.

Une fois seule, elle ouvrit son ordinateur. Elle se mit en devoir de terminer l’ébauche, commencée au bureau. Au bout d’une heure, sa nuque lui faisait mal et en tentant un massage d’une main elle se reprit à penser à Nicolas Bartov, se demandant si un homme comme lui mentant aux femmes qu’il séduisait. Elle le voyait mal s’embarrasser d’un enfant, même si le petit garçon de l’école, son neveu semblait-il, avait l’air de compter pour lui.

Ses pensées revinrent à Pierre, et à ses deux enfants. Un homme pouvait facilement tricher, avoir une vie, des liens, des enfants, et s’octroyer des plaisirs ailleurs. Toutes ces années, Alice avait plaint sa femme, vivant à côté d’un homme dont elle croyait probablement aux vertus de fidélité. Peut-être même était-il un bon père. Alice lui en voulait doublement. Pour l’avoir laissée seule et pour l’avoir rendue coupable de trahison, vis- à-vis d’une femme dont elle ignorait tout. Marie avait deux demi, frères ou sœur, Alice ne savait quelle incidence cela aurait sur la vie de sa fille, peut-être aucune, au fond, c’est ce qu’elle espérait.

Dans ses pensées peu engageantes, Alice pianota un moment et pour se changer les idées, se mit en ligne sur un site de rencontre.

Elle sourit au questionnaire proposé :

- Eh bien… Avec tout ça, ils vont me trouver le prince charmant ou Monsieur propre !

Elle n’y répondit pas et regarda plusieurs sites avant de tomber sur un forum au nom évocateur : Causerie entre Célibs !

Alice lut quelques échanges, ceux qui étaient ouverts au public. Elle regarda les titres des sous-forum réservés aux membres : Coin rire, Coin salon, Coin déprim’.

Le fait qu’on puisse admettre sa déprime, ou vouloir se retrouver pour rire la renvoya à ses propres moments de tristesse et de joie, elle eut envie de savoir, si d’autres vivaient ces hauts et ces bas, et surtout, elle eut envie de parler sans trop se dévoiler.

Elle s’inscrivit sous le pseudo de Klimka.

L’accident, les flammes qui surgissaient du prototype et Nicolas, corps inerte un peu plus loin. Alex et l’équipe de secours s’étaient précipités, Dom regardait la scène, hallucinée, des cris, de l’agitation.

Les essais avaient bien commencé, la moto semblait bien réagir, et d’un coup il y avait eu la sortie de route, la moto qui se couche, et Nicolas, le visage sur contre terre.

Alex était blême, deux hommes s’affairaient autour de son ami, toujours sans réaction.

Lorsque Nicolas ouvrit les yeux, Alex murmura « merci mon dieu ».

Il l’accompagna en ambulance, se retrouva à l’hôpital avec les hommes en blanc comme disait Nicolas, toutes les autres fois, où il s’était retrouvé là. Ce n’était pas son premier accident, entre les cascades, les essais, les courses, il avait eu son lot. Alex prenait en même temps que montait son angoisse, la mesure de la vie dangereuse de son ami.

Le proto était resté sur la piste, aux mains des techniciens, et de Dom, qui s’en voulait sans trop savoir pourquoi. C’était la première fois qu’une de ses machines le trahissait.

Méticuleux, il ne comprenait pas ce qu’il avait pu rater dans les vérifications.

Lorsqu’il appela Alex pour avoir des nouvelles, il subit la colère de celui-ci. Alex, encore aux urgences était trop inquiet pour être cohérent. Dom savait trop l’amitié entre Alex et Nicolas pour ne pas reconnaître la peur dans le flot de mots parfois violent qu’il encaissa sans broncher.

Il admit la faute, sans savoir encore laquelle, mais la seule chose qui le préoccupait vraiment était l’état de Nicolas qu’on disait entre la vie et la mort.

Nicolas défiait la mort, Dom et lui en avait souvent parlé, mais Nicolas, n’était pas uniquement le casse-cou qu’il paraissait. Dom avait vécu des moments difficiles, c’était grâce à Alex et à Nicolas qu’il avait repris pied, qu’il avait retrouvé une vie et un avenir. Aussi, les prochaines heures lui parurent un enfer à attendre le verdict des médecins.

Alice, « Alain », comme les autres ingénieurs de l’équipe fut mis à contribution. Dom était comme fou, il lui fallait des réponses, et l’équipe n’en trouvait aucune. Tout semblait parfait, aucune erreur.

Au bout de l’après-midi Dom su enfin que Nicolas vivrait et qu’il s’agissait maintenant de temps pour qu’il récupère. Il en fut si soulagé qu’il s’assit et Alain crut voir des larmes de soulagement que Dom essuya rapidement.

Pour autant son humeur de dogue ne le lâcha pas. Il voulait savoir, et harcelait tout le monde pour trouver, et vite.

Alice, tout à sa tâche se sentit soulagé de savoir Nicolas en vie. Elle se rendit compte que cela avait vraiment de l’importance pour elle et en fut troublée. S’attacher ainsi à un homme vu deux fois n’était pas raisonnable, pas raisonnable du tout !

- Bon sang ! Mais il doit bien y avoir un truc qui cloche !

Alex était revenu, Nicolas devait se reposer et n’avait pas besoin de sa présence, alors il était là, tournant comme un fauve devant le proto, et Dom qui n’avait toujours aucune explication.

Alain faisait figure de nouveau, dernier à avoir été mis sur le projet X3. Pourtant, et parce que hélas, elle avait déjà vu pareille chose, elle émit une hypothèse. 

- Et si cela ne venait pas du X3 ?

Alex et Dom se retournèrent ensemble, la toisant de regards incrédules.

Elle comprit et expliqua

- Je ne mets pas en cause M Bartov, mais… une source extérieure.

Dom s’insurgea, « comment, un sabotage ? Impossible ! »

Alex resta silencieux, l’idée faisait son chemin, et lui, sembla y accorder quelques crédits.

Il fit signe à Alain de le suivre.

Une fois dans le bureau, il se servit un verre et lui en proposa un. Devant le whisky, Alain aurait accepté, mais Alice déclina. Elle ne supporterait pas l’alcool et un verre bien plein comme celui d’Alex. Il ne fallait pas se trahir en perdant sa lucidité.

- Je vous écoute !

Alain s’éclaircit la voix.

- Je sais que ça paraît fou, mais voilà des heures que l’on dissèque le X3, rien ne vient étayer la thèse de la défaillance. Bien sûr on pourrait penser à celle du pilote, mais… j’ai regardé les vidéos, rien ne pas dans ce sens non plus.

Alex eut un sourire amer :

- Et vous êtes spécialiste en pilotage ?

Alain fut désarçonné.

- Heu… non.

- Alors comment pouvez-vous affirmer qu’il ne s’agit pas d’une erreur de Nick ?

Il scruta Alain, qui se sentit rougir. C’était un test, Alice le savait. Alain dans sa couverture n’était pas menacé, c’était l’ingénieur qu’Alex testait.

Alain se redressa, tentant de garder sa fermeté, sûre de son analyse.

- C’est vrai, je ne suis pas pilote, encore moins spécialisé. Par contre je connais les essais, des vidéos comme celle-ci j’en ai vu beaucoup. Or ce que je vois ici ne met pas le pilote en cause.

Alain eut peur d’en avoir trop dit lorsqu’Alex, insidieux, le mit au bord du gouffre.

- Voyez-vous ça… d’après votre CV nous n’avons aucune mention sur les essais.

Il fallait jouer le tout pour le tout, Alice-Alain n’avait plus le choix. 

- J’ai travaillé chez Lormatt. Je travaillais aux essais.

Alex fut surpris et impressionné. Lormatt était l’un de ses concurrents autrefois. Le meilleur. Malheureusement le vieux Lormatt était mort, et son fils, incompétent avait conduit l’entreprise à la faillite en quelques mois à peine.

- Pourquoi ne l’avoir pas dit, c’est une carte de visite de choix.

- Je ne sais pas. Enfin… Disons que le poste proposé ici ne nécessitait pas d’avoir travaillé aux essais et je… Je craignais qu’on ne me juge trop compétent, ce qui parfois, désavantage.

Elle avait agi vite, Alex se contenta de l’explication, d’autant que ses pensées, encore bien occupées par l’état de Nicolas, ne lui permettaient pas trop de diversions.

- Bon ! Et bien j’ai besoin, moi, de votre expérience, alors sur quel projet aviez-vous travaillé chez Lormatt ?

- La Belligarde9, l’Eprilla, elle s’interrompit avant de lâcher sa bombe, la Cardex.

- La Cardex ! Celle qui coûta la vie à Gilles Deschamps ?

- Celle-là même.

Alex tournait en rond dans son bureau à présent.

- Bon, alors ? On a parlé à l’époque du sabotage. Mais… les raisons étaient l’assurance, le fils Lormatt avait commandité la chose. Vous ne suggérez pas que je … ?

- Non, non ! Bien sûr que non. Mais, je veux vous montrer quelque chose sur la vidéo.  En fait, sur le moment je ne l’ai pas vraiment remarqué, mais au fil des analyses, des résultats, je me suis souvenu de certains détails, et du coup… Enfin, il faut regarder les images.

Alain, Dom et Alex regardait la vidéo pour la cinquième fois. Dom, comme fou se leva et hurla de rage.

- Nom d’un chien ! Je n’ai rien vu ! Rien !

Il sortit en courant, suivi d’Alex et d’Alain.

Dans le labo, Dom se rua sur le proto, enleva une pièce et lança à la cantonade aux autres collaborateurs.

- Je veux une équipe tout de suite sur la piste, je veux des relevés à l’emplacement du crash ! Il confia la pièce qu’il tenait à Alain.

- Si on doit trouver ce qu’on pense, c’est là-dessus. Je veux que vous dirigiez les tests, ne négliger rien.

Il se tourna vers Alex :

- Je n’aurais jamais pensé qu’on puisse nous faire une crasse pareille. Je te jure que je trouverais comment !

Alex l’air grave acquiesça.

- Et mois je te jure de trouver qui !

Nicolas s’éveilla au son de la douce voix de Gentiane, la femme d’Alex.

Il admira un moment le doux visage angélique et une pensée impromptue l’amusa.

Il imaginait que lui, Nicolas, serait un jour marié à un ange comme Gentiane. Un ange qui apaiserait ses tourments. Il eut un petit rire qui alerta la jeune femme.

- Ah te voilà réveillé, eh bien tu nous en as fait une belle peur, encore, toi !

- Désolé, tenta Nicolas, mais sa voix se brisa et il se mit à tousser.

- Reste tranquille, idiot. Bon j’appelle Alex, il est épouvantable depuis l’accident, je devrais t’en vouloir de me le tourmenter comme ça.

- Hum, je t’assure que je n’ai rien voulu.

Il sourit devant la mine faussement rancunière de Gentiane. Nicolas se dit qu’il ne voudrait pas d’un tel ange dans sa vie. L’idée d’être lui-même démoniaque et de lui faire du mal lui serait intolérable.

Gentiane rassura Alex, Nick insista pour lui parler.

- Prépare le x3, je reviens dans la semaine !

Alex à l’autre bout se mit en rogne.

- Écoute-moi bien grand couillon ! Si tu bouges de ton lit, je t’y remets et je t’y attache !

Il tut le sabotage dont il attendait confirmation. Pas besoin d’alerter Nicolas, il lui fallait du repos.

Alex ne se sentait pas capable de supporter un autre accident, et il se promit de parler fermement à Nicolas, de sa passion du risque et de la folie de continuer.

Alain travailla très tard. Lorsqu’Alice rentra chez elle, il lui fallut affronter une situation tout à fait inattendue.

Roman était là, avec Marie, avec Perdrix. Roman s’avéra tout bonnement être le petit garçon entrevu l’autre jour à l’entrée de l’école. Roman était… le neveu de Nicolas !

Marie était tout enjouée, Alice n’eut pas le loisir de se poser des questions. Perdrix, ennuyée, lui avoua, qu’elle n’était pas fâchée qu’elle rentre. Roman semblait plus ou moins en fugue et heureusement avait appelé Marie pour venir la voir.

-  En fugue ?

Perdrix grimaça :

- Un garçon de 9 ans, qui téléphone pour venir dîner chez une copine d’école… ça te paraît normal toi ?

Évidemment non, et cela elle aurait pu le trouver toute seule, mais la journée avait été rude pour Alain et c’est Alice qui payait la fatigue et les émotions.

- Roman ? Ta mère est au courant de ta présence ici ?

Roman mentit avec un aplomb désarmant. 

- Bien sûr m’dame !

Alice soupira, Perdrix l’abandonna avec un sourire complice, mais elle l’abandonna tout de même. Alice ne pouvait lui en vouloir, elle avait déjà mordu sur sa soirée pour garder les enfants bien plus tard que prévu. À elle de se débrouiller avec la mère de Roman qui devait être morte d’inquiétude.

Alice regarda sa montre. 21 heures !

Tout ce qu’elle savait de Roman, c’est que son oncle était à l’hôpital. Elle ignorait tout de ses parents et le petit garçon ne semblait pas enclin à l’éclairer davantage. Elle crut le faire parler en jouant avec lui et Marie, mais il se contenta d’éluder, avec beaucoup de malice, elle dut bien le reconnaître.

Sachant qu’il fallait à tout prix contacter ses parents, et Marie ne pouvant l’éclairer en rien sur leur identité, il lui restait une seule solution. Nicolas.

Elle savait qu’il avait récupéré un petit peu, mais elle redoutait de troubler son repos.

Et puis le contacter lui, c’était révéler qu’elle savait ce qui lui était arrivé, et cela… ne pouvait pas être le fait de la maman qu’il avait croisée l’autre jour devant l’école.

Elle en était là de ses réflexions lorsqu’un bon samaritain se pencha sur son désarroi.

Roman parlait de son oncle, il vantait le pilote de moto, il semblait éperdu d’admiration pour lui. Alice en profita, lui extirpa les mots magiques et entendit enfin ce qui allait l’aider.

- Il a eu un accident.

Roman semblait très perturbé, nul doute que sa fugue avait un lien avec l’accident de son oncle.

- Tu sais où il est ?

Roman donna le nom de l’hôpital ce qui permit à Alice de l’appeler.

Elle entendit la voix chaude, ensommeillée, et s’en voulut de le déranger.

- Pardonnez-moi de vous déranger, j’ai, chez moi, un petit garçon, Roman, et je..

Nick, à l’autre bout sembla réveillé pour le coup

- Ah il est là, le petit brigand ! Ses parents le cherchent partout !

Alice fut soulagée. Elle avait bien fait de téléphoner. Où elle fut plus dépitée, c’est en apprenant que Roman était le fils d’Alex, et cela, elle ne savait comment le gérer.

Rencontrer Alex en tant que femme risquait de lui mettre la puce à l’oreille, ils se voyaient beaucoup trop souvent. Nicolas, elle ne l’avait que croisé, là c’était plus dangereux.

Il fallut trouver une astuce, pour ne rencontrer que la femme, Gentiane, qu’elle trouva d’ailleurs charmante et d’une douceur incroyable. Pas même un mot de reproche. Roman s’en tira à bon compte. Sans doute l’oncle Nick ou même Alex seraient moins tendres.

Lorsque Gentiane fut partie, Alice se sentit très fatiguée. Comment garder la tête froide et son identité masculine au milieu de tant de pièges ?

Elle prit le journal, puis, parce qu’aucune annonce d’emploi ne pouvait la satisfaire, elle se mit sur le forum, avec son pseudo.

Marie était couchée, dormait à poings fermés, et Alice avait besoin de parler.

Alors elle rencontra Barco, un homme d’une trentaine d’années, avec qui elle prit plaisir à converser au travers de leurs claviers respectifs.

Le lendemain, elle eut beaucoup de mal à se lever, mais elle s’était endormie, enchantée de son échange. Barco était cultivé et drôle, ce qui avait constitué un excellent dérivatif à ses inquiétudes.

Lorsqu’elle arriva à MHK la ruche bourdonnait déjà. Alice était consciente que la relative consistance de sa couverture masculine devait beaucoup à l’effervescence qui régnait dans l’entreprise, il fallait absolument trouver un travail à Alice et abandonner Alain au plus tôt sous peine de gros ennuis. Mais un sentiment tout autre animait cette urgence. Alice s’était déjà attaché à cette ambiance survoltée, a ses collègues passionnés, et même à Alex et Dom, qui opérait une cohésion entre la technique et la fougue, deux ingrédients essentiels à la créativité. Elle se taisait volontairement la fascination qu’exerçait Nick sur ses sens, sur sa féminité, elle se taisait l’envie de se glisser dans ses bras, de savourer le corps musclé et la chaleur de la peau, la douceur de ses lèvres sur la sienne… elle se taisait…

Alice redevint vite Alain sous le regard curieux de Timothé qu’on lui avait adjoint pour les tests de corrosion.

Le jeune homme avait un aspect rassurant, à savoir qu’il semblait empêtré dans son rôle d’homme autant qu’elle pouvait l’être. Sa fragilité, il ne la cachait pas et la douceur, la préciosité de certains gestes en était touchante. Par contre, il se révéla un expert et pas des moindres en chimie et autres dérivés.

Il ne fallut qu’une demi-journée pour affirmer le sabotage, et guère plus pour qu’Alex , tendu par l’ampleur de la découverte ne sombre dans une fureur que personne ne semblait pouvoir endiguer. Au grand dam d'Alain/Alice, c’est Gentiane que Dom appela en renfort pour calmer le patron, et il ne parut qu’un seul refuge possible : les toilettes pour hommes.

Heureusement Gentiane ne resta que peu de temps, mais son départ ne coïncidait pas avec une meilleure humeur d’Alex.

Il cherchait Alain, lorsque celui-ci revint dans le labo.

- Alors ?

- C’est trop tôt, nous n’avons pas encore toutes les données.

- C’est trop tôt ! C’est trop tôt !  répéta Alex en élevant la voix, excédé.

Pour le calmer, Timothé qui était tout proche glissa devant lui un compte rendu de ses premières recherches.

Alex s’absorba dans la lecture, laissant ainsi les autres souffler.

Il ne releva le nez, que quelques minutes plus tard, l’air soucieux. Il questionna Alain.

 - Dites-moi vraiment, vous pensez qu’on pourrait vouloir me mettre en difficulté, au risque de tuer Nicolas ?

- Je ne sais pas, ce sera à vous, selon nos découvertes de cibler la source.

Alice tentait de le réconforter, mais la vérité, c’est qu’elle n’éludait pas cette hypothèse et cela lui faisait froid dans le dos.

Elle tenta vite de reprendre l’aspect impassible d’Alain, alors que le regard insistant de Timothé lui fit comprendre qu’une fois de plus, son attitude était par trop féminine.

De tous les hommes, seul Thimothé semblait le remarquer, quand aux femmes, y compris son assistance, Alice les évitait de peur d’être démasquée.

Mais avec Timothé, c’était différent, Alice le crut tout d’abord gay, mais fut perdue dans ses suppositions en le voyant enfourché l’autre soir, tout vêtu de cuir, une moto de trial encore maculée de boue, cela ne cadrait pas, se dit-elle.

Pour l’heure sa principale préoccupation était de prouver ou non, le sabotage de la X3, mais plus le temps passait, plus il devenait évident qu’il s’agissait bien de cela.

La semaine qui suivit fut terrible, Alex eut confirmation des doutes, un acide avait été déposé sur une pièce majeure et la dissolution du métal avait été intentionnellement prévue pendant l’essai. Nicolas, à peine remis, fut mis au courant et apprit la nouvelle sans broncher.

Il laissa Alex émettre des hypothèses, récusant celles-ci quand elles mettaient en cause des concurrents.

Il paraissait pure folie qu’un acte pareil put être commis par quelqu’un de la profession. Depuis de nombreuses années, les prototypes donnaient lieu à de l’espionnage, mais cela restait dans ce domaine. Commettre un acte aussi infâme que celui-ci était de l’ordre d’un suicide professionnel pur et simple. Une extrémité dont Alex était également convaincu qu’aucun de ses confrères ne pouvait être coupable.

Alex voulut confier l’affaire à la police, curieusement Nicolas s’y opposa. Il émit alors sa propre conviction et cela glaça son ami.

- Ce n’est pas la X3 qu’on a sabotée, c’est moi qu’on voulait éliminer.

Il avait dit cela sans émotion, juste une constatation. Alex resta un moment sans voix, puis :

- C’est impossible ! Je sais que tu es un excellent pilote, le meilleur, mais…

- Il ne s’agit pas de pilotage. Il s’agit d’autre chose.

Alex resta coi. Nicolas continua, d’une voix chargée de menace.

- Mais si c’est bien ce que je crois, je veux régler ça, moi-même. Alors pas de police.

- Comment puis-je t’aider ? Bien que, je l’avoue, je ne voie pas qui pourrait t’en vouloir au point de…

- De me tuer ?

- ça paraît pur folie ! Je sais bien que tu as pas mal de femmes dans ton lit, et qu’il est probable qu’un amant ou un mari jaloux puisse t’en vouloir, mais, pour approcher le prototype, et cela me dégoûte de l’admettre, il a fallu une complicité au sein de l’équipe.

- C’est une évidence.

- Je sais, dit Alex la mine basse, c’est pour cela que seul Dom, toi et moi devrons chercher qui et pourquoi. Ensuite il sera plus facile de trouver le commanditaire.

Alex regarda gravement Nicolas.

- Je t’en conjure Nick, fais attention à toi. Qui que ce soit, et si tu as raison, il est décidé à te tuer. Je reste persuadé que seule, la police pourra te protéger.

- Pas moi. Et puis la police ne fera que poser des questions, se servir des résultats que nous, nous avons trouvés.

- Ils ont des fichiers d’empreintes, qui sait, peut-être…

Nicolas se mit à rire.

- Tu regardes trop les séries policières ! Va chercher une empreinte sur un proto manipulé par toute une équipe, va chercher un indice alors que nous avons tout trituré ici dans le labo ! Ils vont faire quoi de plus que notre équipe ? Non, Alex, nous avons ici les meilleurs pour chercher des indices, un équipement sur mesure. Mais si tu veux m’aider, j’ai besoin de deux ou trois gars, Dom par exemple, mais un ingénieur et un autre qui pourrait fouiner toute sorte de choses sur le X3.

- Pour Dom c’est ok, mais je ne peux être sur des autres à 100% vu ce qu’on sait.

- Le petit nouveau, là, Alain ? C’est ça ?

- Je veux bien, mais c’est le dernier arrivé, on ne peut que le soupçonner d’avantage.

- C’est bien lui qui t’as aiguillé sur la bonne voix non ?

- Oui… Bon, si tu veux, je ne vois pas effectivement son intérêt à nous mettre sur sa piste. Je peux aussi te laisser Timothé, c’est un tout bon, c’est lui qui a trouvé le produit utilisé, je le crois fiable.

Nicolas acquiesça d’un signe de tête. Les deux hommes restaient grave. Alex échafaudait toutes sortes de scénarios plus inquiétants les uns que les autres, Nicolas ruminait en imaginant le face à face avec le saboteur. Bien qu’Alex l’en ai supplié, il refusa de lui dévoiler l’identité de celui qu’il soupçonnait.

Il devrait rester tranquille plusieurs semaines, voir plusieurs mois, pas question bien sûr de chevaucher une moto, pas question non plus de s’agiter, mais c’était un vœu pieu et maintenir dans un lit ou un fauteuil Nicolas Bartov, était un pari impossible.

Alice avait été convoquée, craignant le pire, être découverte, dans le bureau d’Alex. Elle fut à la fois ravie de sa nouvelle affectation au côté de Dom sur ce qui s’avérait être une enquête, et aussi soucieuse de côtoyer plus souvent Nicolas.

Il la troublait, chaque soir, elle s’endormait en sentant son regard sur elle, elle se sentait nue, ses pensées dérivaient sans limites.

Parfois elles la conduisaient dans les chemins savoureux de la sexualité, lascive, sensuelle qu’elle pouvait exprimer sans retenue. Elle sentait alors sur son corps, le poids de celui d’un homme, la bouche avide, chaude, possessive sur les pointes de ses seins…

Elle aimait se cambrer sous ce corps, lui donner accès à ses reins, à son ventre, à…

Elle s’arrêtait souvent sous la moiteur qu’elle sentait entre ses cuisses et aussi sous une peur de trop savoir les traits de l’homme à qui elle se donnait avec tant de fougue, Nicolas.

Pour diluer cette envie, pour tenter de ne pas se perdre, elle se mit à converser sur le net presque chaque soir, avec Barco, qui devenait de plus en plus charmant et tentait gentiment une approche pour un véritable rendez-vous. Elle n’y était pas prête, mais le plaisir de leurs échanges ne lui faisait pas écarter l’éventualité de le rencontrer, de savoir à quoi il ressemblait, et peut-être d’en finir avec l’obsession charnelle qu’elle avait de Nicolas.

Nicolas, lui, était coincé dans son salon. Torse nu, jambes allongées, aux prises avec une douleur aiguë qui l’empêchait de se lever comme il l’aurait voulu.

Il râlait contre lui, contre son corps qui le trahissait, contre… Contre tout, d’ailleurs, et même contre ce stupide docteur qui venait de lui affirmer que s’il ne restait pas tranquille, il pourrait ne plus pouvoir se lever du tout pendant encore plus longtemps !

Carlotta, qui avait l’habitude des humeurs de Nick lorsqu’il était cloué au repos, ne se démonta pas en amenant un repas chaud.

- Mangez, monsieur, c’est au moins cela que vous aurez dans l’estomac !

- Je n’ai pas faim !

Carlotta se permit une grimace et une autorité qu’elle savait pouvoir exercer.

- Mangez ! Vous avez besoin de force pour vous rétablir !

Nick grogna, mais ne répliqua pas, Carlotta avait parfois des excès maternelle avec lui, et bien qu’agacé, il se contenait en ayant conscience de la bienveillance de cette brave femme.

Il finit par manger, et sans même s’en rendre compte, s’endormit sur le canapé. Carlotta glissa sur lui une couverture, avec une tendresse qu’elle ne laissait pas paraître en d’autre moment.

Carlotta était au service de Nick depuis trop longtemps pour ne pas connaître ses défauts, et ses qualités, quelques blessures aussi, qu’il prenait soin de cacher au monde. Mais Carlotta vivait en permanence à ses côtés, difficile de dissimuler à cette femme pleine de tendresse, les moments difficiles ou les peines profondes.

Roman cherchait la compagnie de Marie, au grand plaisir de la petite fille dont les amis étaient rares. 

Cela inquiétait parfois, Alice, qu’elle soit si solitaire, mais la fillette ne semblait pas en souffrir et même cherchait souvent la solitude. Elle aimait la lecture, la musique, et de ses petits doigts agiles, sortaient déjà des mélodies parfaites de son nouveau violon.

Ce cadeau était le premier qu’Alice avait tenu à lui faire. Marie adorait jouer, mais celui qu’elle possédait jusqu’alors était un début de gamme. Avec ce nouvel instrument, Marie, toute heureuse passait encore plus de temps. Roman, avec adoration la regardait jouer en l’écoutant en silence religieux. Gentiane accepta que Marie vienne chez eux et Alice en fit autant pour le petit garçon. Seul bémol, Alice avait chaque fois un peu plus de mal à s’échapper comme une sauvage de la proximité de Gentiane, par ailleurs très chaleureuse.

Alice éludait les thés proposés, les diners, etc. Au risque de paraître mal élevée.  Côtoyer Alex en privé ne lui paraissait pas une excellente idée. De plus, chaque jour qui passait lui rendait le mensonge de son identité plus difficile à accepter. Elle aurait eu envie de tout recommencer, de tout dévoiler. Mais elle se contenait en pensant qu’elle n’avait pas fait les règles qui l’avaient conduite à son mensonge.

Roman, petit garçon attachant, mais enclin aux bêtises trouvait en Marie une amie douce et si  calme qu’elle l’apaisait. Pour elle, il fit des progrès à l’école, pour elle il cessa les fugues qui angoissaient tant ses parents. C’est aussi pour cette raison, que Gentiane et Alex auraient voulu des liens plus étroits avec Alice. La nouvelle amie de leur fils leur faisait aussi un bien fou. Fini de téléphoner partout pour chercher Roman, finit de se battre pour qu’il fasse ses devoirs, Marie était là, et il était sage. Alice comprenait cela, et de son côté appréciait que le garçon soit avec Marie d’une gentillesse et d’une attention attendrissantes.

Elle se prit à culpabiliser encore plus. Se demandant quel dégât causerait la découverte de son subterfuge dans l’amitié des deux enfants. Décidément, elle avait pris des risques inconsidérés, elle avait été folle, et elle s’en voulait.

Barco l’invita, un soir, le forum proposait une soirée de rencontre aux membres qui le souhaitaient. Un masque couvrirait les visages, ainsi chacun pouvait choisir de l’ôter, ou pas.

L’idée pouvait être amusante, mais Alice craignait tout de même de se trouver dans une soirée entourée de gens inconnus.

Le forum avait prévu le malaise de certains membres et résolu la chose en l’organisant dans un endroit public, au milieu d’une foule étrangère, une boîte de nuit, le Wagon.

Alice en avait entendu parler, il n’y avait pas d’endroit plus à la mode. Le Wagon avait œuvré pour être un lieu de plaisir et de sécurité. Des taxis financés par la boite de nuit raccompagnaient les étourdis qui avait trop bu. Des bonus étaient distribués à ceux qui servaient de capitaine de soirée, bref, le Wagon avait bonne presse, et Alice n’était pas allée souvent dans ce genre d’endroit.

Elle accepta, le masque la sécurisant tout autant. Au moins si elle le gardait, elle restait anonyme. Elle craignait aussi des rencontres professionnelles, il fallait tout prévoir.

Perdrix ne donnait pas signe de vie, Alice ne s’en inquiéta pas, son amie était amoureuse et elle avait bien souvent disparu avec ses nouveaux amants. Dans un sens, l’amitié de Roman avait aussi le bon côté de pouvoir se reposer sur Gentiane quelquefois. Marie passait quelquefois la nuit chez eux, ce qui n’était possible que dans ce sens, car l’appartement d’Alice ne laissait pas cette opportunité. De plus Gentiane récupérait souvent les enfants à l’école, son emploi du temps lui permettant de le faire, alors qu’Alice faisait en ce moment des journées bien longues.

Toutefois, elle ne voulait pas abuser de Gentiane et s’efforçait de ne pas lui laisser cette charge plus d’un jour sur deux.

Timothé, « Tim » comme il lui demanda de l’appeler, se révéla en la matière d’une compréhension et d’une souplesse qui la ravirent. Il fit en sorte d’aménager son temps. Elle ne lui donna pas de détail sur ce qu’elle faisait réellement et Tim n’en demanda pas. Il était si doux et prévenant avec elle, qu’elle en oubliait parfois son aspect extérieur, redevenant incongrument femme et se reprenant aussitôt. Tim, malgré tout jetait quelques regards qu’elle préférait ignorer ne sachant s’il était plus judicieux de le mettre dans la confidence ou de laisser planer le doute. Elle avait en effet, maintenant, il ne s’en cachait pas vraiment avec elle, la certitude qu’il était gay. Ses regards pouvaient donc donner lieu à différentes interprétations. Elle ne voulait à aucun pris faire de la peine ou « ballader » le jeune homme. Elle se promit d’avoir une discussion avec lui.

Le X3 désossé, passé au crible, occupait toute l’équipe, Dom, Tim et Alain se concentrait sur ce qui aurait pu les guider, mais sans le montrer Dom faisait une autre sorte d’investigation. Il mettait sur le grill de façon très habile, tous les collaborateurs qui avaient eu accès à la machine avant les essais.

L’acide avait été placé quelques minutes avant le départ, il fallait donc être présent sur place. Sa composition ainsi que l’emplacement où il avait été versé dénotait un machination savamment orchestrée, il fallait donc une préméditation et une parfaite connaissance du produit et du X3. Ses soupçons s’orientaient, mais quelque chose d’autre le tracassait, quelque chose qui n’avait rien à voir.

Dans ses filets, il amassait des détails et de jour en jour, il était chiffonné par de petits riens venant de Tim et Alain.

Il savait les attirances de Tim, mais ce qui le gênait était autre. Un je ne sais quoi d’indéfinissable qui perturbait souvent le comportement d’Alain. Dom crut d’abord qu’il était homosexuel, mais au-delà de ça, une façon de bouger, quelques exclamations par trop exubérant. Non, il ne savait pas vraiment, mais dans sa quête d’un coupable il observait tout le monde à la loupe. N’étant pas une priorité, il se dit toutefois qu’il en aurait le cœur net.

Tim ce matin là, examinait un fil de nylon. Dom avait mis à sa disposition un matériel performant, presque démesuré, qu’Alex n’avait pas rechigné à louer, afin que tout soit mis en œuvre pour faire la lumière sur ce qui restait dans l’esprit de tous, comme une terrifiante réalité.

Tous croyaient encore à une guerre professionnelle, seuls, Dom, Alain et Tim étaient dans la confidence d’une autre éventualité.

Alice rentrait chaque soir, en se changeant chez Perdrix qui lui avait laissé la clef. Avec les fréquentes incursions de Roman dans son petit univers, cela compliquait passablement les choses et elle devait redoubler de prudence.

Gentiane passa à l’improviste, elle semblait soucieuse, et Alice fut heureuse d’avoir eu le temps de reprendre son apparence de femme.

Elle ne put moins faire qu’inviter la jeune femme à boire un thé, ce que Gentiane accepta avec trop d’empressement pour qu’Alice n’y vit un réel besoin de parler.

Gentiane se sentait mise à l’écart, Alex était préoccupé et tel un bouledogue se renfermait sur lui-même. Alice se doutait qu’il ne cherchait qu’à préserver la quiétude de sa femme en lui cachant le réel danger que courait encore Nicolas. Gentiane semblait attacher presque autant que son mari à cet homme un peu fou et tête brulée.

Gentiane parla à Alice sans se douter qu’elle puisse en savoir autant qu’elle, voir plus.

Devant le désarroi de la jeune femme, Alice tenta sans en dire trop, de la rassurer et de lui faire entendre qu’Alex ne cherchait sans doute qu’à préserver sa femme.

Gentiane se mit en colère.

- C’est tout lui ça, je sais bien ! Franchement, vous imaginez que je sois plus à l’aise avec des silences qu’avec une vérité, si douloureuse soit-elle ?

Gentiane se reprit très vite, elle prit conscience de la monoparentalité d’Alice, de ses difficultés et en femme généreuse qu’elle était, s’en voulut de son égocentrisme.

- Je suis désolée, Alice, c’est vrai que mes problèmes doivent vous sembler bien mineurs.

- Non, pas du tout ! Je me mets à votre place.

Elle était sincère et surtout elle ne voulait pas étaler ses propres préoccupations au risque de parler par mégarde de sa vie chaotique.

Perdrix fit irruption et cela fut une bénédiction orientant la conversation sur les rencontres magiques d’internet, ce qui dérida Gentiane et fit rire Alice.

Une fois seule avec Perdrix, Gentiane ayant proposé d’emmener Marie pour la soirée et la nuit. Alice confia à son amie la rencontre proposée par Barco. Perdrix sauta sur l’occasion, la soirée était prévue pour demain, elle garderait Marie, Alice devait y aller, au moins se changer les idées et qui sait :

- Tu trouveras peut-être l’homme de ta vie !

- Je l’avais trouvé… Enfin j’ai cru.

- Arrête avec l’autre crétin, c’était une erreur, passe à autre chose !

- C’est le père de ma fille.

Perdrix grimaça :

- Père, c’est un homme qui est là, ou au pire qui s’occupe de son enfant, même un père divorcé peut être très présent, mais lui, ton « Pierre » ce n’est même pas ça, c’est juste le type qui à couché avec toi et qui vous a jeté toutes les deux !

- Tu es dure…

- Non, je suis ton amie et j’en ai marre de te voir perdre ta jeunesse et ta vie. Tu as une fille géniale, tu es belle, et même tu as un boulot, alors.

Elle n’eut pas le temps de finir, Alice la coupa :

- Un boulot, bah je ne sais vraiment pas pour combien de temps.

- Tu t’es fait pincer ?

- Non, mais… chaque jour j’ai des doutes, dans le regard de Tim, dans celui de Dom, et puis maintenant il y a Roman et Gentiane, tu te rends compte Perdrix ?

Si jamais on savait ! Tout ce qui pourrait se passer ?

- Oui, je sais, mais rappelle-toi que tu n’avais plus le choix, et ça, moi je le sais ! Alors oui c’est moche, mais tu as mieux comme travail ?

- Non, pas encore, mais, il y a plus.

- Plus ?

Perdrix scrutait son visage. Alice ne chercha pas à le cacher.

- Nicolas… Nicolas Bartov.

- Le pilote qui a eu un accident ?

Alice avait décrit les faits, sans toutefois mentionner les détails ni bien sûr le sabotage.

- Celui-là. Je ne sais pas, on dirait qu’il vit dans ma tête.

Elle avait eu un court instant l’air rêveur, Perdrix ne s’y trompa pas. En se moquant gentiment, elle reprit :

-  Dans ta tête hein ? Hum, moi je crois que c’est là qu’il se fait une place, non ?

Elle avait désigné le cœur d’Alice, mais comme si cela ne suffisait pas :

- Et peut-être aussi qu’il réchauffe ce joli corps trop longtemps seul ?

Alice n’eut pas le cœur de dire non, d’ailleurs c’était vrai et elle était soulagée de l’admettre.

- Alors, dis-moi, tu lui plais ?

Alice pouffa de rire.

- Oh ça ! Comment veux-tu que je lui plaise avec ma cravate et la boule de chaussettes dans mon pantalon ?

Perdrix eut une moue cocasse.

- Aïe, c’est vrai, ce n’est pas la meilleure approche. Flute !

- Eh oui…

Perdrix ne se démonta pas :

- Bon, ben tu m’as bien dit que tu l’avais vu en femme non ?

- Oui, et là, je dirais que j’ai eu le sentiment de lui plaire, mais c’était bref, et depuis…

- C’est un bon début ! Tu ne seras pas toujours mec !

Alice eut l’air las

- Oh tu sais, ce genre d’homme, c’est une femme ici, une femme là, je ne crois pas…

- Tsst ! Tu ne crois pas, tu parles ! Tu as surtout une trouille bleue de séduire un homme et de passer la nuit avec lui !

- Perdrix !

Perdrix souriait, contente de sa sortie.

- Tu sais que j’ai raison, et puis zut, tu dois réapprendre les codes ! Alors demain soir, tu sors ! Bon ce n’est pas ton apollon à moto, mais ce « Barco » est peut-être tout à fait potable !

- Perdrix !

Mais Alice se laissa convaincre, elle savait qu’il fallait revivre, qu’il fallait retrouver sa vie de femme, et plus encore maintenant qu’elle devait l’abandonner sous un déguisement le jour.

La soirée battait son plein. Barco avait donné rendez-vous à Alice à neuf heures. En avance, elle fit le tour des masques. Certains étaient comiques, d’autres, comme le sien était plus sensuel, dentelles et velours. Les hommes cherchaient tous leurs compagnes, et cela donnait lieu à des quiproquos amusants. Alice se détendit dans cette ambiance courtoise et bon enfant. Elle craignait le côté rencontre sexuelle qui l’aurait rebutée. Il n’en était rien, du moins pour l’instant, les couples se cherchaient, se trouvaient, certains se dévoilaient et il était touchant de voir avec quel plaisir certains se regardaient pour la première fois.

Barco la trouva, il était toutefois moins plaisant, hélas que sur le forum. Il chercha tout de suite un coin tranquille et Alice comprit qu’il espérait finir la nuit avec elle. Elle en fut déçue, mais pas vraiment surprise. Au fond, le romantisme du forum ne cachait que l’envie de séduire. Ce qu’elle n’avait pas prévu par contre c’est qu’il l’importune au point qu’elle en vienne à ne plus savoir comment s’en dépêtrer.

Elle allait mettre un terme à leur entretien sans s’être dévoilée, quand un homme au bras d’une créature de rêve passa non loin du groupe du forum. Cet homme, c’était Nicolas. Appuyé sur une canne, il ne semblait pas souffrir de son accident, du moins pas suffisamment pour rester chez lui comme le préconisait Alex et les médecins. Alex était sans cesse sur son dos pour le renvoyer chez lui, mais Nicolas faisait de fréquentes incursions dans le labo, demandant les derniers résultats et attendant la remise en état du X3. Si Alex l’avait vu ce soir, nul doute qu’il ait enragé.

Barco devint encore plus entreprenant, il chercha à l’embrasser, alors que distraite par la vue de Nicolas, elle ne l’écoutait plus.

La gifle partie d’un coup sec, Alice se leva et se dirigea en hâte vers la sortie. Barco la rattrapa :

- Ah non ma petite ! Si tu crois que tu vas me planter comme ça !

Il lui serrait le bras à lui faire mal, elle tenta de se dégager, mais la force qu’il déployait lui arracha une grimace de douleur.

Il commença à l’entraîner vers la sortie et Alice eut peur. Dans cette foule, le groupe du forum ne prêtait pas attention à eux, les autres dansaient ou riaient, et la musique était trop forte pour espérer de l’aide.

Elle se débattit, en vain, il ne la lâchait pas. Il arracha son masque et celui d’Alice. Le visage de Barco était tordu de contrariété, elle se traita d’idiote de s’être mise en pareille situation, mais il fallait agir, et vite.

Une poigne solide ôta la main de Barco de son bras. Barco, surprit par l’homme tenta un coup de poing, mais c’est lui qui s’écroula.

Alice faillit tomber, mais deux mains solides la tenaient.

- Vous allez bien ?

La voix chaude, cette voix… Alice releva les yeux. Nicolas !

Elle voulait sortir, elle avait besoin d’air. Barco s’était relevé et avait pris la fuite, sans doute n’avait-il aucune envie de prendre une correction supplémentaire.

Nicolas dit un mot à sa compagne et entraina Alice dehors, la soutenant d’un bras.

La rue, la  fraicheur de la nuit, et lui. Alice ne pouvait détacher les yeux de Nicolas. Il sourit.

- Voulez-vous que je vous raccompagne ?

- Non, je… Merci, vous avez été très gentil. Je ne sais pas ce qui m’a pris, j’avoue ne pas être à ma place, ici.

Il eut un petit rire.

- Franchement, moi non plus.

Ils se regardaient, avec au fond des yeux cet évident désir. Lui ne cachait rien, au contraire, la teinte assombrie de ses prunelles, l’intensité avec laquelle il la fixait, elle ne pouvait pas l’ignorer. Elle, elle tentait bien de tricher, de taire son corps qui le voulait, de taire l’envie de faire l’amour, de se sentir au chaud dans ces bras-là. Elle sentit encore ses grandes mains qui tout à l’heure la soutenaient, et ce souvenir, ce contact, lui faire perdre toute raison.

Elle ne chercha plus à feindre, il ne voulut rien précipiter. C’est elle qui leva le visage, la bouche, se hissa sur la pointe des pieds, offrit ses lèvres.

Nicolas l’embrassa, passionnément, mais cet homme pouvait-il embrasser autrement ? Ils ne dirent plus rien, Nicolas ne sembla pas soucieux de la compagne laissée à l’intérieur, pas plus qu’Alice ne prit la peine de demander où ils allaient. Ils  se taisaient, rien entre eux qu’un impérieux besoin de se toucher, plus intimement, plus secrètement.

Ils avaient pris la voiture de Nicolas, une sportive blanche aux reflets de perle. L’intérieur en cuir souple semblait caresser la peau, et les jambes nues d’Alice lui transmettaient cette douceur comme si Nicolas, au travers même d’un simple objet cherchait à lui donner du plaisir.

La maison était vide, une maison luxueuse, aux meubles de qualité, sans fioriture, des lignes racées. Alice entra comme dans un rêve. Elle ne voulait pas reculer, elle n’avait jamais été si proche de faire quelque chose de fou, quelque chose de parfaitement impromptu et déraisonnable au possible, mais elle le voulait, tout son corps le criait.

Nicolas ne chercha pas d’atermoiement, pas de verre à boire, pas de diversion. Il la sentait prête et elle l’était. Il l’amena dans la chambre, un lit immense et une cheminée dans lequel un feu bienveillant ronronnait. Alice le laissa enlever sa robe. Le seul homme à l’avoir touchée était Pierre, et pourtant, avec Nicolas, elle n’avait aucune peur, aucune hésitation, elle se confiait à lui, le laissant la regarder, poser sa bouche sur la peau tiède, lui murmurer des mots sulfureux.

Elle avait tant de fois vécu en rêve ses mains, sa bouche, sa peau, qu’elle fit glisser sa chemise, qu’elle ouvrit son pantalon comme si un lien invisible s’était tissé entre eux, comme si leurs attentes étaient les mêmes à tous les deux.

Nicolas se fit doux et patient, ne cherchant qu’à susciter encore plus de soupirs alanguis, encore plus de gémissements. Elle se fit câline avant de devenir audacieuse, laissant ses mains affoler son torse, exacerbé son désir d’elle. Elle laissa sa chevelure en nappe soyeuse affolé sa peau et le faire gémir alors que sa bouche s’empara de sa virilité.

Il n’y eut pas la moindre retenue dans ce qu’elle lui donna, elle se sentit à lui comme elle n’avait jamais été. Pas même avec Pierre, mais sur le moment elle ne s’en rendit pas compte, elle fut heureuse dans ses bras, et le râle rauque qu’il poussa en lui donnant son plaisir fut le plus délicieux des trophées.

Il s’endormit contre elle, qui resta dans ce fabuleux espace après la jouissance avant de sombrer dans un profond sommeil.

Elle s’éveilla sans savoir où elle était, reprit vite ses esprits, et sentit dans son dos, le corps chaud de son amant. Son bras posé sur elle l’emprisonnait encore et elle savoura un instant cette délicieuse prison.

Il fallait qu’elle parte, il fallait qu’elle rentre et se farde en homme, qu’elle aille travailler, et oh pitié se dit-elle, qu’elle ne le croise pas aujourd’hui dans les bureaux de MHK, car comment ne pas montrer son désir à un homme avec qui on vient de faire l’amour avec une telle intensité, une telle perfection ?

Il ne s’éveilla pas, elle admira un instant son visage endormi, il était si beau qu’elle aurait voulu que ce soit une idylle, une vraie histoire. Elle fut un peu triste en refermant la porte. Elle n’avait pas d’autre choix.

Une vilaine surprise l’attendait. Dans le couloir deux gendarmes en faction. Elle fut si affolée qu’elle faillit reculer, mais un autre arriva, poussant Perdrix, menottée devant lui. Alice fut si surprise qu’elle faillit se mettre en travers, mais Perdrix, lui fit un signe muet, de se taire et de passer son chemin.

Alice eut du mal à devenir Alain ce matin-là, elle tremblait. Son cœur serré dans un étau, sa tête ne pensant qu’à Perdrix et son corps encore assoiffé de celui de Nicolas.

Tim vit son état, et comme toujours, d’une discrétion adorable, il sut la protéger des autres, prendre pour lui les questions, les urgences et laisser Alain dans un état de relative tranquillité.

Alain n’était pas au point, ce matin-là, tout fut trop dur, et Alice transparue alors que son corps lui rappelait comme tous les mois, qu’elle était bien femme.

Sa sacoche tombant, les protections féminines sur le sol, sous le regard de Tim qui ne sembla pas surpris. Alain laissa Alice émerger d’un cri bien féminin. Tim regarda autour de lui, ils étaient seuls, alors il ramassa le contenu de la sacoche et dit doucement :

- ça va  aller…

Alice en fut si touchée, certaine à présent qu’il se doutait de tout, et depuis un moment. Elle lui sourit et il répondit d’un sourire complice, un doigt sur les lèvres. Cher Tim, si doux, et si compréhensif. Il n’était pas amoureux d’Alain, il avait seulement vu Alice, et comment d’ailleurs un être si fin aurait-il pu manquer cela ?

La journée s’écoula lentement. Tim et elle durent manger en travaillant et elle n’eut pas de temps pour en savoir plus sur Perdrix, mais il le fallait, elle devait savoir ce qu’il advenait de son amie.

Elle n’avait pas peur pour elle, mais pour Perdrix. Les faux papiers pouvaient coûter cher à la jeune femme. Alice le savait.

Devant son inquiétude, Tim se fit son confident. Le soir venu, il lui proposa son aide. Un ami policier pourrait surement en savoir plus.

Elle l’invita à dîner et prenant Marie à l’école, fit quelques courses en attendant qu’il les rejoignent à son appartement et lui livre ce qu’il aurait appris.

Perdrix avait été arrêtée non pas pour les faux papiers, mais parce que son amant, le bel Arnaud, était en fait un dealer recherché par la police. Comme elle n’avait rien à voir dans ses trafics, elle fut relâchée et Tim qui avait fait jouer ses relations fut à même de la ramener chez elle. Ils firent ainsi connaissance avant de se retrouver à dîner chez Alice.

Marie était heureuse de ce nouvel invité, et Alice comprit que la fillette manquait aussi quelque peu de vie de famille. Il fallait qu’elle voie du monde et non plus que leur vie soit si hermétique.

Tim et Perdrix s’entendirent à merveille, Tim était un homme d’une grande érudition et d’un esprit ouvert qui l’enchantaient. Marie lui fit aussi un accueil chaleureux, il faut avouer que quelques tours de magie firent de la fillette une grande fan de son nouvel ami.

La soirée se termina mieux qu’on l’aurait espéré quelques heures plus tôt, mais Alice fit jurer à Perdrix de cesser toute activité illicite, lui promettant à son tour de changer de travail et de retrouver sa vie de femme très bientôt.

Ce n’est qu’une fois dans son lit qu’Alice prit conscience que Nicolas ignorait tout d’elle, à part sa fille et l’école de celle-ci. S’il avait envie de la revoir…

Elle chassa vite cette pensée. Attendre un hypothétique coup de fil, un message, ou tout simplement attendre d’un homme un engagement était une blessure qu’elle ne voulait plus subir. Nicolas avait été au-delà de ses attentes, un amant magnifique qu’elle n’oublierait pas, mais elle devait tourner la page, ne serait-ce que parce qu’Alex risquait de la trainer en justice s’il apprenait son stratagème.

Il s’écoula une bonne semaine, avant que Nicolas ne paraisse à nouveau chez MHK. Elle le croisa et sous son regard vert, se sentit les jambes en coton et le cerveau en ébullition. Il était pourtant ailleurs et ne lui prêta pas attention. Alex s’enferma avec lui dans son bureau et des éclats de voix s’échappèrent comme le fruit d’une colère.

La colère était celle d’Alex. Il voulait faire renoncer Nicolas. Il avait certes bien récupéré, mais l’entreprise qu’il envisageait était trop risquée.

Nicolas était furieux, Alex soucieux de la sécurité de son ami. Les deux hommes se confrontaient.

Alex tenta :

- Nicolas, ce fil de nylon n’a pas réussi à nous mener à quelque chose de concret.

Tu n’as que des soupçons, pas de certitude.

- Et il te faut quoi comme certitude ? Quelques jours après l’accident, on met à jour sur le groupe Manke, un trou de trésorerie destiné à la Fondation ! Tu veux que je te dise, je suis certain que c’est ça.

- Je t’en prie, mettons la police au courant, c’est leur boulot, pas le tien !

Nicolas était dans une colère noire, Alex savait trop ce que Nicolas pouvait faire dans un état pareil.

- Ton demi-frère est une ordure, je sais, mais de là à vouloir te tuer. C’est un faible, pas un criminel.

Nicolas eut un sourire cynique :

- Justement un faible fait faire le sale boulot, il ne se  salit pas les mains, il  donne des ordres, paie un sous-fifre et voilà ! Pas un criminel ? Non, juste un type qui détourne des fonds destinés à des œuvres humanitaires pour s’en mettre plein les poches.

Alex savait qu’il avait raison. Le scandale du détournement de fonds n’aurait pas été mis à jour si au lendemain de l’accident du X3 Nicolas était mort et sa signature passée dans les mains de Pierre Dabreville. Il suffisait d’avoir les rennes du Groupe Manke ce qui par le décès d’un des deux était le cas du fils restant.

À peine remis, Nicolas avait du faire face à la colère des responsables de la fondation, spoliés, écoeurés par le détournement avéré des fonds promis.

Pierre avait manœuvré, mais, acculé, il lui fallait masquer son délit, or la fondation devenant pressante sur la remise des fonds, il avait besoin de temps, et ce temps, Nicolas ne lui donnerait pas.

Alex se doutait que l’affrontement des deux frères serait destructeur.  La culpabilité de Pierre, n’était pour l’instant connue que de Nicolas. Pierre, par désespoir pouvait choisir d’aller au bout de sa folie et tuer son demi-frère, Alex ne voulait prendre un tel risque. 

- Écoute, Nicolas, il faut renoncer, Dabreville peut aller jusqu’au bout, tu n’es pas en état.

Alice n’aurait pas dû entendre cette phrase, elle n’aurait pas dû entrer, mais Dom venait de démasquer le saboteur de l’équipe et il réclamait la présence d’Alex et Nicolas pour le mettre au pied du mur. Il avait chargé Alain, d’aller les chercher.

Elle avait  frappé, mais les deux hommes trop occupés n’avaient pas entendu, alors elle était entrée, et  le nom, celui de Pierre avait surgi du passé.

Elle en oublia le motif de sa venue, et devant les visages peu avenants des  deux hommes emportés par leur débat, elle bredouilla, puis sortit avant de courir dans les toilettes des femmes.

Tim la vit et courut l’en sortir. Devant l’état de panique, il prit le temps de l’écouter. Alors elle débita. Pierre, sa fille, la trahison, et ce nom, entendu une minute avant à peine, dans ce bureau, où il n’aurait jamais dû être prononcé.

Ce fut Tim, doucement, qui lui expliqua, Nicolas, son demi-frère et le groupe Manke, la fondation…

Alice fut si perturbée qu’elle faillit défaillir, elle qui jamais ne sombrait, sentait ses pieds s’enfoncer dans un sol mouvant.

Dom attendait, s’impatienta et alla chercher Alex et Nick. Il tenta de retrouver au passage Tim et Alain, mais sans succès. Il renonça, tant il avait hâte de confondre le coupable.

Alors que dans le labo, Gregory, un jeune ingénieur avouait sa faute sous le feu nourri des questions, Alice aidée de Tim tentait de reprendre ses esprits.

Tim, conscient qu’elle ne pouvait continuer à jouer son rôle, la mit dans un taxi, promettant de la rejoindre dès qu’il pourrait. La soirée à MHK risquait de s’éterniser étant donné les circonstances.

Alex décida de porter plainte, il le devait, le X3 représentait un investissement conséquent. Il laisserait pourtant Nicolas faire ce qu’il devait, car Gregory confirma son commanditaire, Pierre Dabreville. Dom, soulagé de trouver et d’éliminer le maillon pourri de son équipe reprit de plus belle les rennes du projet X3. Tim fit acte de présence, l’esprit occupé par les déboires d’Alice.

Alice, elle, serrait Marie si fort dans ses bras, que la fillette protesta :

- Tu m’étouffes maman…

Elle riait, mais  Alice desserra son étreinte.

Elle n’arrivait plus à penser rationnellement. Nicolas, demi-frère du père de sa fille, le complot, l’accident de Nicolas et encore, elle ignorait encore le pire, la  culpabilité de Pierre.

Tim tint parole, et fut le confident d’Alice jusque tard dans la nuit. Alice prit une décision difficile, demain, elle irait trouver Alex, elle lui dirait tout, et qu’importe. La seule chose qu’elle souhaitait est que sa fille et Roman n’en pâtissent pas, mais elle n’avait plus le choix.

Tim la quitta devant le bureau d’Alex, le lendemain matin. Comme un brave petit soldat, elle entra, prête à entendre hurler Alex. Elle frappa et cette fois attendit.

Alex répondit, d’un ton las, fatigué. Lorsqu’elle entra, devant sa mine de carnage, elle crut qu’il savait déjà, mais elle comprit vite que la découverte de Gregory et son arrestation l’avait tout de même ébranlé.

Elle fut sur le point de renoncer, mais se força à continuer. Reculer était inutile, et même si le moment s’y prêtait mal, il fallait en finir.

Devant Alex, impassible, elle expliqua. Tout. Sa débâcle financière,  son choix, les papiers, sans toutefois dire comment elle les avait eu. Pendant son récit, Alex ne dit pas un mot, il l’écouta, la regarda même, à l’aide d’un mouchoir, lui donner l’ultime preuve de sa supercherie en effaçant les fars.

Puis, elle attendit. Dans un silence qui lui parut durer une éternité.

Alex la regardait, il semblait anéanti.

Il finit par lâcher d’un ton indifférent.

- je n’aurais jamais cru passer à côté de tout ça.

Alice se méprit :

- Je vous assure que je ne voulais pas vous nuire, je n’ai fait cela que

Il l’interrompit d’un geste.

- Je me fous que vous soyez une femme ! Ce que je ne comprends pas c’est comment j’ai pu ne pas le voir ! Comment j’ai pu avoir à mon service dans le même temps une femme déguisée en homme et un assassin dans mon équipe !

Alice tenta un mot, mais se retint. Alex ne lui en voulait, pas, c’est à lui, qu’il en voulait. Il lui semblait si malheureux, si atteint qu’elle ressentit encore plus la légèreté avec laquelle elle avait agi.

- Je vous en prie, je ne parle pas de moi, faites ce que voudrez pour me punir, mais… Marie… Elle ne sait rien, c’est une enfant, et elle est réellement très attachée à Roman, je ne voudrais pas qu’ils en souffrent.

Alex se mit en colère.

- Et c’est maintenant que vous y pensez ?

- Non, mais je ne savais pas que cela se produirait, je ne savais pas que je ferais autant de mal, même à vous.

Elle était si triste, si sincère qu’Alex se calma. Il sembla se rappeler quelque chose :

- Vous êtes la mère de Marie, donc… vous êtes l’inconnue mystérieuse de Nicolas.

Alice fut prise de court.

- Nicolas vous a parlé de moi ?

Alex semblait moins fâché.

- Oui… Il était même heureux de savoir que nous avions votre adresse. Il avait l’intention de vous revoir.

Alice oublia son forfait, ses déboires, Nicolas voulait la revoir. Elle s’apercevait qu’au fond, elle l’espérait, elle l’attendait.

- Il voulait ?

- Oui, enfin je pense qu’une fois toute cette sale affaire réglée, il le fera.

Alice se rappela le nom et Pierre, soudain, elle pressentit le pire.

- Je sais que vous avez le droit de ne pas répondre, et même, je comprendrais avoir perdu tout crédit à vos yeux, mais…

Alex sourit à son courage :

- Mais ?

- Je vous ai entendu prononcé le nom de Dabreville l’autre soir, et ce nom…

Alex fronça les sourcils. Il savait Nicolas parti voir son demi-frère, il n’était pas tranquille sur l’issue de l’entrevue, Alice l’intriguait avec sa question.

- Ce nom ?

Elle se tut, cette fois il fallait avouer quelque chose d’intime, quelque chose d’enfoui.

Alex insista, il ne lui ferait pas grâce.

- Alice, je crois avoir mérité une explication, non ? Si vous voulez que je vous en dise plus, dites-moi pourquoi !

Alice parla avec difficulté, avec lenteur, avec  émotion. Alex écouta. Quand il comprit, il était très pâle. Ce qu’il n’avait pas avoué à Alice, c’est que Nicolas lui avait parlé d’elle, de son inconnue en des termes si élogieux, si enthousiastes qu’il le pensait amoureux. Nicolas ne l’avait jamais été, il n’avait jamais eu d’attache, or, cette femme semblait l’avoir conquis, enfin.

Savoir Alice mêlé à l’imbroglio du sabotage même de cette façon, risquait de blesser Nicolas encore plus. Apprendre qu’elle avait une fille de son demi-frère était un coup du sort qu’Alex voulait éviter.

Il fit un choix, le seul possible.

- Alice, Dabreville est le commanditaire du sabotage. Il voulait tuer Nicolas.

Alice blêmit, puis s’étouffa. Elle était si blanche et tremblante qu’Alex lui offrit un alcool fort.

Elle avala sans protester le liquide ambré. Elle faillit s’étrangler, mais fit face à l’horrible vérité. Elle pensait à Marie, il ne fallait pas que sa fille apprît un jour une monstruosité pareille.

Alex attendit patiemment qu’elle ait repris des couleurs, mais il ne pouvait infliger une douleur supplémentaire à Nicolas.

- Alice, je ne peux vous garder ici, pas après cet aveu. Je ne veux pas que Roman ou Marie en souffrent aussi ils pourront se voir, mais… vous comprendrez qu’il n’est pas souhaitable que Nicolas sache qui est le père de Marie ?

Alice fit oui de la tête, elle comprenait, trop bien. Elle avait fait assez de mal, elle ne voulait plus blesser personne.

Alex lui versa son salaire, se débrouilla avec les papiers officiels et rectifia les choses, afin qu’elle ne subisse aucune poursuite. Il lui versa même une prime qu’il estimait méritée pour un travail irréprochable et une aide précieuse dans le drame qui s’était joué. Il tint parole et Marie put voir Roman sans aucun souci.

Alice était pour l’instant à l’abri du besoin, cela ne durerait pas, mais Tim lui trouva une place temporaire chez une connaissance à lui et elle pourrait au moins souffler un peu.

Perdrix essayait de la sortir de sa torpeur, mais Alice était malheureuse, elle pensait à Nicolas, que ce soit la nuit ou le jour, elle se demandait où l’aurait conduit une véritable histoire avec lui, et pour continuer à avancer, se mentait en la condamnant à un échec fatal.

Nicolas avait confondu Pierre. Il n’avait que le choix du scandale, condamnant le Groupe Manke à subir une baisse boursière si la malversation était mise à jour, ou a un accord avec Pierre le condamnant à l’exil dans un pays lointain et à l’abandon de ses parts et biens liés au Groupe Manke. Pierre choisit cette solution, il savait que Nicolas serait implacable et le détruirait s’il refusait.

Nicolas se retrouva à la tête du Groupe, ce qu’il ne souhaitait pas, mais assumerait du moins pour l’instant.

Un peu plus au calme, il chercha des renseignements auprès d’Alex, il voulait revoir Alice, ne savait rien d’autre qu’elle était la mère de la petite Marie qu’il voyait souvent chez son ami.

Curieusement Alex était réticent. Il tentait de le dissuader, augurait même de problèmes avec une telle femme. Nicolas, très épris, se mit en colère sous les insinuations.

- Alex ! Je ne te demandes pas ton avis ! Si tu ne veux rien me dire, je me débrouillerai !

Alex était gêné, et l’œil acéré de Nicolas ne pouvait louper cela.

- Qu’est-ce que tu ne me dis pas ?

- Nick, crois-moi, laisse tomber.

Nicolas mit un temps avant de répondre d’une voix lourde de sens.

- je ne peux pas… Je veux la revoir.

Alex écrivit sur un papier l’adresse d’Alice.

- Il faut…

Nicolas attendit la suite, mais Alex avait vu le visage de son ami, s’éclairer en prenant l’adresse. Cette joie, Alex ne la lui avait jamais vue. Alors il laissa le destin s’accomplir, ne voulant pas l’entraver. Alice saurait ce qu’il fallait faire, et les dés étaient jetés depuis longtemps.

Alice fut heureuse de le voir sur le pas de sa porte, elle fut heureuse le temps de se rendre compte. Elle avait appris la passation du Groupe Manke entre les mains de Nicolas, l’éviction de Pierre et plus encore sur lui qu’elle n’en avait jamais su.

Elle était à la fois triste, et en colère des mensonges que Pierre lui avait fait, et ces mensonges, elle l’apprenait, maintenant, allaient encore plus loin que ce qu’elle avait appris à l’époque. Sa situation sociale n’était pas ce qui la choquait le plus, mais ce qu’il avait été capable de fomenter la révulsait.

Elle fut heureuse d’apprendre que lui et sa famille choisissaient de partir en Patagonie pour vivre une vie plus calme et saine. La version officielle ne la berna pas une seconde et elle se doutait que Nicolas ne lui avait donné que ce choix.

Nicolas, droit sur le paillasson attendait un geste d’elle, une invitation à entrer, un mot gentil, un sourire. Elle ne fit rien de cela, se força à prendre l’air ennuyé, occupé. Il fallait qu’il parte, qu’il la laisse, qu’il ignore ce qu’elle avait fait à MHK et pire encore, qu’il n’apprenne jamais qu’elle avait été la maitresse de Pierre, ce demi-frère maudit qui avait voulu le tuer.

Elle préférait souffrir seule, de le perdre plutôt qu’il la rejette, dégouté.

Elle le regarda partir, tournant les talons comme sous une insulte après lui avoir dit qu’elle ne vivait pas seule et attendait son ami.

Elle le regarda disparaître dans l’escalier comme si sa vie s’enfuyait avec lui, comme si elle perdait le seul être qu’elle puisse aimer profondément, à part Marie.

Cet amour qu’elle venait de rejeter, d’éloigner d’elle alors qu’elle en avait tant besoin la mina complètement.

Les jours suivants elle cessa de manger, devint si triste que Marie la prit dans ses bras comme un enfant pour tenter de la consoler. La fillette ne savait pas ce qui se passait, mais pouvait sentir l’infinie tristesse de sa mère.

Nicolas se mura dans un silence douloureux, Alex comprit qu’il était blessé, se garda de poser trop de questions et attendit qu’il veuille bien se confier. C’était improbable, mais Alex se doutait qu’Alice avait choisi le silence et il le respecterait.

Les semaines s’écoulèrent péniblement, Alice reprit le dessus, pour Marie. Gentiane se rapprocha d’elle et Alex, touché par la détresse qu’il vit chez Alice ne s’opposa pas à cette amitié risquée. Gentiane connaissait les faits, mais se garda d’intervenir. Elle était pourtant triste de voir Alice et Nicolas souffrir autant, car ce qu’elle ne disait pas à sa nouvelle amie, c’était la peine réelle et durable qui détruisait Nicolas.

Quand le X3 fut à nouveau au point, Nicolas l’essaya avec succès, mais même cela ne sembla pas le ranimer. Il prenait de plus en plus de risque, s’essayant aux sports extrêmes les plus dangereux, rien n’y faisait, il avait perdu du poids, dormait peu et buvait plus que de raison. Alex craignit bientôt de s’être trompé, et qu’une vérité si moche soit-elle fut moins douloureuse qu’un amour tué dans l’œuf. L’était-il d’ailleurs ? Alex en doutait. Alice qu’il voyait assez souvent semblait l’ombre d’elle-même. Nicolas était un fantôme, sans joie de vivre, sans rien qui le satisfasse. Même ses conquêtes féminines semblaient l’avoir lassé.

Nicolas se réveilla de mauvaise humeur comme chaque jour de ces derniers mois. Il grogna en apercevant l’heure. 4 heures ! Encore une nuit finie, encore un jour vide.

Il avait rendez-vous ce matin, au Groupe Manke, il lâchait les rênes, les tendait à un autre, garderait un œil averti sur ses actes, mais il n’en pouvait plus. Il l’avait annoncé à Alex, à Gentiane, il partait, loin, et de préférence, longtemps.

Il voulait avancer, oublier cette femme qui avait effleuré sa vie, et par un miracle qu’il ne s’expliquait pas accaparer son cœur comme s’il lui avait toujours appartenu. Il sentait encore son parfum, le délice de son corps contre le sien, la magie de cette nuit unique et fatale pour lui. Il avait refusé d’y penser ces dernières semaines, refusé de se retourner, et là, d’un coup, tout lui revenait, le moindre souffle, le plus timide sourire.

De façon curieuse, il sentit dans ses mains, une autre main, mais pas celle d’Alice, celle, chaude, douce, d’un homme, le seul qui l’ait troublé, le seul qui…

Il fut pris de frénésie, d’une sorte de folie, Alice ! Alain ! Voilà pourquoi ce garçon lui faisait un tel effet, comment avait-il pu ne rien voir ! Comment ?

En effervescence il débarqua chez Alex. Colère et curiosité mêlées, il le harcela jusqu’à ce qu’Alex avoue, oui, il savait, oui elle le lui avait dit !

Nicolas se sentit trahi, Alex ne savait comment se justifier. C’est Gentiane, alertée par le ton, qui s’immisca dans la conversation, força Alex à aller au bout, à avouer, tout, y compris l’ultime, le douloureux secret de la filiation de Marie.

Nicolas fut sonné, il ne dit pas un mot et sortit, laissant ses amis inquiet. Alex craignait d’avoir aggravé les choses, Gentiane fit confiance au temps, et surtout à un amour évident, qu’Alice partageait surement.

Il était devant la porte, encore sur le paillasson, il semblait avoir maigrit, ses joues étaient mangées de barbe et l’angoisse se lisait dans ses yeux.

Alice ouvrit, n’eut pas le courage, cette fois de mentir, de le repousser, de le voir disparaître encore une fois.

Il entra sans y être invité, la bousculant presque. Il parla, il savait. Il débita tout d’un trait, puis il attendit, cherchant dans le regard d’Alice la réponse à sa prière, la réponse à son amour.

La jeune femme n’en croyait pas son cœur, mais ce regard-là avait toujours été franc, direct, et là, il était inquiet, avide d’un mot, d’un encouragement.

Elle ne put parler, se contenta de prendre son visage entre ses mains, de l’embrasser avant que lui ne l’embrasse avec une passion décuplée.

Epilogue

Il fallut du temps pour que Nicolas raccroche ses folies et devienne plus raisonnable. Il ne cessa pas de prendre des risques, mais Alice à ses côté et Marie, radieuse de ce papa très remuant lui donnèrent la force de croire en l’avenir.

L’avenir c’était aussi le ventre arrondie d’Alice, et la venue proche d’un petit garçon qu’en taquinant sa femme, Nicolas promettait d’initier aux joies des sports extrêmes.

Alex et Gentiane promirent à Alice, en parrains attentifs de tenir en respect ce fou de Nicolas, mais Alice savait déjà parce qu’il le lui prouvait tous les jours avec Marie, qu’il n’y aurait pas de meilleur et plus tendre papa.

Signaler ce texte