Les mésaventures d'Olivier

Un rayon de soleil réussit à passer à travers le volet et réveilla Olivier. Il était vraiment temps qu'il fasse quelque chose de ces foutus volets. Il était 07h23. Olivier avait depuis quelques temps perdu l'habitude de mettre un réveil. A quoi bon se réveiller tôt alors qu'il n'avait rien prévu de ses journées ? Le temps lui paraissait bien long, à rôder dans son appartement. Ses deux colocataires avaient quant à eux des journées bien remplies. Tom était ingénieur en électronique chez ELECTOO. Tom avait beau lui parler chaque soir de son travail, il n'en comprenait pas grand-chose. Il faut dire qu'Olivier ne l'écoutait pas vraiment. Olivier s'était toujours dit que le boulot de Tom était bien le truc le plus inintéressant qu'il connaissait. Et pourtant, Tom lui rabâchait que grâce à lui, des milliers de petits africains pouvaient avoir accès à l'eau potable. Il va s'en dire qu'Olivier n'en croyait pas un traitre mot. En quoi l'électronique permettait de faire boire des enfants ? Olivier n'avait d'ailleurs jamais vraiment confiance dans les gens qu'il côtoyait.

07h37. Quelle idée de se réveiller si tôt ? Jeanine, son autre colocataire, devait encore mettre trois plombes à se sécher ses 3 mètres de cheveux. Il fallait vraiment qu'il demande à changer de chambre car, en plus du bruit assourdissant de la salle de bain le matin, il devait en plus supporter les odeurs de café qui émanaient de la cuisine située en face de sa chambre. Olivier avait horreur du café. A quoi bon ingurgiter des litres de boisson dont la seule vertu était de maintenir énerver celui qui avait le malheur de la boire. C'est sans parler du goût infect et la couleur noirâtre du café que préparait Tom. Il disait toujours que c'était sa drogue qui lui permettait de se maintenir éveillé toute la journée et qui contribuait ainsi à sauver les petits africains. Qu'est-ce qu'Olivier pouvait le mépriser quand il disait de telles conneries.

Il se retourna dans son lit. Olivier n'avait aucune intention de se lever maintenant. Il serait encore la cible des remarques pleines de pitié de Jeanine qui soit disant « s'inquiète pour lui ». Depuis quand n'a-t-on plus le droit de rester dans l'appartement toute la semaine sans que les autres s'inquiètent pour soi ? Jeanine persistait à dire qu'il avait besoin de respirer l'air frais, de prendre le soleil. Olivier ne voyait que la fumée des pots d'échappement dans l'air et l'ombre des buildings tous plus hauts les uns que les autres. Quelle idée de vouloir construire des bâtiments si hauts ? De toute façon, c'était toujours la même chose avec les hommes. Ils veulent tous avoir la plus belle voiture, les plus hauts talons, les plus gros seins, les chaussures les plus chers.

Quelque chose vint frapper la vitre et résonna dans la chambre d'Olivier. Il ne prit même pas la peine de regarder ce qu'il se passait à l'autre bout de sa chambre. C'était le chat de Jeanine qui détenait la palme de la débilité (au chat, pas à sa colocataire). Casse-Noisettes portait bien son nom. Jeanine l'avait appelé ainsi car elle lui faisait penser à un écureuil étant jeune. Pour Olivier, il n'en avait que le nom. Depuis 3 jours, Casse-Noisettes s'était mis en tête qu'il avait la capacité de passer à travers les fenêtres. Et pourtant, les vitres de la chambre d'Olivier n'étaient clairement pas transparentes. La fumée de ses 17 cigarettes quotidiennes y était pour quelque chose. Un voile grisâtre recouvrait les vitres de sa chambre. Enfin, c'était plutôt un cagibi qu'Olivier occupait. Il avait récupéré la chambre la plus minable et la plus petite. Soit disant car il ne recevait personne dans sa chambre. Certes, Olivier n'avait personne dans sa vie, mais il n'avait jamais compris cette logique de ses colocataires. En quoi être célibataire était un argument pour qu'il se coltine la chambre la plus miteuse de l'appartement. Au contraire, Olivier avait une vision bien à lui des choses. Considérant qu'il était seul, il devrait pouvoir avoir la chambre la plus spacieuse. Pour dire vrai, Olivier vivait très bien son célibat. Il n'avait jamais compris ces gens qui ne vivaient qu'à travers leur coéquipier. Oui car l'amour était pour Olivier plus un jeu qu'un sentiment. Après tout, Tom trichait bien avec sa chère et tendre Margot en enchaînant les conquêtes toutes plus pulpeuses les unes que les autres.

Malheureusement, Olivier se rappela qu'on était le 27 janvier et que c'était l'anniversaire de Jeanine. Cette dernière lui avait si subtilement rappelé la veille qu'elle attendait que ses deux colocataires aient une attention à son égard pour ses 31 ans : « Demain vous savez bien que c'est une date importante pour moi les colocs hein ? Mon amoureux Jack me préparait toujours le petit déjeuner au lit le jour de mon anniversaire quand je vivais aux States ». Oui car Jeanine avait effectivement vécu 3 années aux Etats-Unis, ce qu'elle ne manquait pas de placer dans les conversations dès qu'elle en avait l'occasion. Que le sujet de la discussion soit le réchauffement climatique, la faim dans le monde, le repas de la veille ou encore un rendez-vous chez le gynécologue, tout était prétexte pour évoquer ces 3 folles années aux Etats-Unis. Olivier n'avait jamais vraiment compris pourquoi elle avait tant besoin de dire qu'elle avait vécu chez ses fous de la gâchette. Ce qu'il préférait, c'est lorsque Jeanine s'entêtait à prononcer les mots anglais à l'américaine. Ce qui lui valait d'innombrable « Quoi ? » et « Hein ? » de la part de ses interlocuteurs. Oui mais Jeanine en profitait évidemment pour parler de son expatriation. A chaque fois qu'elle en parlait, elle avait cette manie d'ébouriffer ses cheveux châtains qui lui arrivait en haut des fesses. Olivier n'avait jamais compris l'intérêt d'avoir des cheveux aussi longs.

Jeanine était plus grande que ses 2 colocataires. Elle ne portait jamais de talons, uniquement des baskets aux couleurs bleu ou verte. Ses tenues étaient toutes plus improbables les unes que les autres. Elle pouvait aussi bien porter une robe léopard avec un legging bleu qu'un Tee-Shirt Nirvana XXL avec une mini-jupe rose. Ses deux colocataires s'accordaient à dire qu'elle avait son style bien à elle et qu'ils ne lui feraient jamais part d'une quelconque faute de goût à ce sujet. Ils s'étaient d'ailleurs mis d'accord dès l'arrivée de Jeanine dans la colocation. Les premiers jours de colocation leur avaient tout de même valu quelques fous rires qui avaient installé une certaine connivence entre eux.

Olivier fit l'effort d'étendre son bras pour atteindre son réveil. Il était 08h11. Jeanine partait généralement vers 08h20 pour avoir son bus à 08h22. Sachant qu'il lui fallait 5 minutes pour aller jusqu'à l'arrêt de bus, Olivier n'avait jamais compris pourquoi elle partait si tard alors qu'elle était debout la première le matin. L'hypothèse qui lui semblait la plus plausible était que le chauffeur de bus ne pouvait pas rater Jeanine. Il faut dire que ses tenues étaient toujours composées d'au minimum 4 couleurs primaires. Olivier prit son courage à une main (l'autre était engourdie car il avait dormi dessus toute la nuit) et se rendit dans la cuisine où Jeanine répondait probablement à toutes ses notifications Facebook d'anniversaire. Olivier n'était que très peu concerné par son apparence mais il accordait un point d'honneur à ne pas sortir de sa chambre en pyjama. Alors qu'il avait 7 ans, il avait participé à un séjour d'été à l'UCPA. Il s'agissait à l'époque de son premier voyage seul sans ses parents. Il était très fier de partir seul mais était aussi terrorisé que les autres enfants ne l'aiment pas. Ce séjour l'avait marqué. Le deuxième matin du séjour, lors du petit déjeuner, tous les enfants, âgés de 7 à 12 ans, étaient attablés et prenaient leur petit déjeuner. La plupart d'entre eux étaient en pyjama. Et un des enfants avait été la cible de moqueries durant les 2 semaines qu'avaient duré le séjour. Il avait eu le malheur d'avoir une mise au garde à vous incontrôlée ce matin-là. Il va s'en dire qu'Olivier n'était plus jamais descendu en pyjama de peur qu'une telle tragédie lui arrive à lui aussi.

Olivier se redressa dans son lit. Il enleva ses lunettes pour se frotter les yeux et se masser les tempes. Oui car Olivier ne dormait jamais sans ses lunettes. Son père lui avait un jour dit alors qu'il était enfant que la nuit était un moment très important dans la vie d'un homme. Il lui avait affirmé que les rêves en disaient long sur la vie et permettaient de comprendre bien des choses. Olivier avait alors pris au pied de la lettre ces paroles de son père. Il y avait déjà à cette époque de nombreux détails qui lui échappait, et notamment chez les autres. Très naturellement, il avait donc commencé à porter ses lunettes le jour comme la nuit, sans lesquelles il n'y voyait quasiment rien. Après tout, comment pouvait-il réussir à comprendre ses rêves s'il ne portait pas ses lunettes ?

Olivier sortit donc de sa chambre avec une tenue débraillée. Il ne sortait jamais de sa chambre en pyjama. Mais ne prenait pas non plus la peine d'être présentable. Ce matin-là, il portait des tongs vertes, un jogging mauve de yoga et une Tee shirt orange échancré qui mettait en valeur son torse poilu dont il n'était pas peu fier. En traversant le couloir qui menait à la cuisine, il s'aperçut dans un des miroirs que Tom avait absolument voulu mettre pour être sûr qu'il était impeccable avant de sortir de l'appartement. Tom faisait effectivement très attention à son apparence et à l'image qu'il renvoyait aux autres. Olivier se rendit compte qu'il avait comme chaque matin un épi d'une dizaine de centimètres au milieu du crâne. Il était vraiment temps que Jeanine lui coupe les cheveux. Arrivé à la cuisine, Jeanine allait encore sursauté car elle ne l'entendait jamais rentrer dans la pièce. Il n'avait pourtant pas la démarche la plus discrète qu'il soit. Certes, c'était son anniversaire aujourd'hui, il comptait être sympa avec elle quitte à devoir écouter pour la énième fois que Jack, son ex-amoureux des Etats-Unis, l'avait emmenée à Las Vegas pour ses 27 ans. Alors qu'il ouvrit la porte de la cuisine, il s'étonna de ne voir ni Jeanine, ni Tom. Il chercha dans les autres pièces de l'appartement. Rien. Pourtant il n'était que 08h17. Jeanine ne devait pas être encore partie prendre son bus. Aucun mot dans l'appartement. Seule la tasse de café de Tom était posée sur la table. Elle était à moitié remplie et le café était encore chaud. Enervé, Olivier se dit qu'il s'était levé pour rien et retourna se coucher. Cette journée commençait vraiment mal.

A suivre …