Les nausées abondent
Boris Krywicki
Farandole de true stories sur les écrans larges. On les recycle en autant de tableaux noirs où graver à la craie pourpre une « leçon-de-vie ». Le terme régit l'enseignement d'un cinéaste pour ses élèves-spectateurs. On ressent comme une recrudescence du documentaire, une décrue du cru fictionnel. Pourquoi pas. Quand on saisit son outillage dans l'urgence de raconter une catastrophe, traduire le complexe sans interprète devient envisageable. Le public peut observer et conclure, pas trop vite. Encore faut-il s'affranchir du carcan de la fable.
Timbuktu, plutôt que de circonscrire la réalité d'une insurrection délicate, choisit de mener à l'accablement. Les islamistes d'Ansar Dime foulent un Mali fantasmé, une Afrique béate devant le bétail. Le drame est personnifié : il frappe un noyau familial exemplaire. Un père, son épouse, sa fille. Ils n'ont rien demandé d'autre que vivre de leurs vaches. L'une d'elles s'appelle « G.P.S », clin d'œil abject à la mondialisation. Gobez le schéma : des victimes et des agresseurs. Pour calmer le jeu, ces indépendantistes se ridiculisent. Ils bafouillent à l'enregistrement des fameuses vidéos virales. « Travaille ton regard, on n'y croit pas assez », répète le leader à un apprenti abruti. C'est bon de rire entre deux lapidations.
Sissako, autrefois témoin exemplaire de la barbarie, s'interroge ici moins sur la façon de décrire les rouages de l'occupation que sur la position de sa caméra. Des plans grandioses, Timbuktu en fourmille. Oh, la jolie symétrie. Oh, la focale parfaite. Le film semble tellement lisse qu'il s'y reflète nos manichéennes conceptions occidentales. Les intrus ? Des bêtes incultes qui agissent sans raison. Les autochtones ? Des martyrs férus de la culture idoine. Multiplier le même n'a jamais surpassé la tautologie. Personnifier le conflit avec des figures idéalisées ne fera pas avancer la charrue. Détourner l'empathie des bœufs (pauvre G.P.S), itou.
Où est passée l'urgence ? La véracité a déserté le champ de bataille. On n'y retrouve que peu d'horreur. En découle un divertissement mâtiné de prise de conscience lacrymale. L'enjeu du projet résidait dans la représentation des événements du Mali septentrional. Voilà l'accomplissement factice tourné en Mauritanie. On nous parlait d'un croquis in situ, on reçoit un tableau de maître d'après photo. Ce zèle pompier du réalisateur déforce son propos. Impossible de ressentir la peur des dominés en carton-pâte. On reconnaît des scènes voulues emblématiques. La poissonnière et ses gants, le match de foot sans ballon. Elles façonnent des fresques sublimes. Ça reste indéniable. Mais paraissent, au regard du sujet de long-métrage, tellement exsangues. Les enfants qui se passent une sphère invisible sur fond de musique offsurlignent l'interdiction. Ça brille de mille feux, mais Sissako ne montre jamais ce qui brûle vraiment.
Le film s'ouvre sur une gazelle qui s'enfuit, montrant ses poursuivants qui provoquent sa fatigue. L'emphase des métaphores n'en finit pas de gonfler le soufflé à la crème. Si on abstrait ses ambitions,Timbuktu se déguste comme un festin visuel. Pour le gourmet averti, mieux vaut s'accrocher à son estomac.