Les Nymphéas
versolite
J'avais aussi envie de parler d'un endroit, parce que, l'autre jour, je l'ai parcouru en sens inverse, et je ne peux pas exprimer ce que ça a fait en moi, ces pas, comme l'impression de croiser un passé que je conçois pleinement mais qui est parti, mort, qui correspond à un autre contexte.
Ça me déroute, le passé, les contextes oubliés. C'est présent en soi, ça ne veut pas partir et on ne veut pas que ça parte, mais on n'y peut rien, ça ne reviendra jamais. Pourtant, est-ce que quelqu'un d'autre connait cette nostalgie bizarre et tellement agréable que je ressens pour quelques bribes très spécifiques de mon passé ?
Quand j'étais au collège, j'empruntais pour aller au sport ce chemin, passant par la passerelle.
(J'ai toujours adoré ces mots, aussi, "passer par la passerelle". "Tu passes par la passerelle". Je ne sais pas pourquoi exactement, c'est juste drôle et poétique, et j'aime ça.)
On dépassait un banc, on longeait un mur. Dit comme ça, ça paraît banal, alors je veux arrêter la description là, parce que mon ressenti là-dessus, je ne veux pas qu'on le pense comme banal. Je n'ai pas non plus envie de donner les noms des lieux. C'était un stade et un gymnase. Un stade et un gymnase. J'aime comme les noms des lieux sonnent, quand on ne leur donne pas d'identité. Ça pourrait être partout.
(Pas seulement "partout" comme peut être partout un endroit anonyme évoqué dans un roman. Partout comme un lieu qui n'a pas de temporalité. J'aime les lieux loins et secrets, auxquels on, personne n'a accès. L'anonymat, ça doit être pour ça. Ma propre Midnight City.)
Je me souviens du gymnase. De ses couleurs et de son odeur désagréable de vestiaire, mêlée à celle plus douce des tatamis. J'ai pour cet endroit une constellations de pensées qui semblent perdues, bien que je n'y ai passé que très peu de temps. Trois ans, ça passe tellement vite, on n'a pas idée.
Je me souviens de ce terrain, dans le gymnase. Le vert-bouteille-indescriptible-mais-plus-foncé de son sol. Ses murs. Les cordes. Le réservoir de je ne sais quel système de chauffage en forme de quart de cercle sur lequel on ne pouvait jamais vraiment bien s'asseoir, et ce n'était pas faute d'essayer. L'odeur, aussi. Moi qui n'ai rien d'une sportive, j'ai pour cet endroit un attachement certain.
Et la route du stade. C'est elle que j'ai croisé. J'y allais de jour, côte à côte avec Laudanum, ou seule quand on avait encore trouvé le moyen de se disputer. J'en rentrais plus tard, je n'ai plus le souvenir, était-ce le soir ou encore la journée ?
Et j'ai fait la route du trottoir d'en face, de nuit.
Je pensais aussi au garçon qui, à un moment (peut-être encore aujourd'hui ?) vivait là. Notre Dieu sur Terre, le garçon au nom biblique. Appelons-le Arès.
Arès n'est jamais souvent là. De lui aussi, pourtant, j'ai des souvenirs pêle-mêle. J'ai oublié l'époque où il n'était pas Dieu. Peut-être ne l'est-il plus. Il faut nous tenir au courant, pour qu'on s'adapte.
Je ne sais pas pourquoi, mais l'endroit m'évoquait les couleurs des Nymphéas de Monet. Je ne dis pas ça pour prétendre être artistique. Je suis juste allée à Orsay il n'y a pas longtemps, avec des amies, et mon souvenir le plus marquant là-bas était l'adorable glace chocolat-café que je me suis descendue.
Versolite.