Les ombres de l'oubli

astiacle

Quand un nouvel ennemi attaque leur soeur et la laisse inconsciente sans moyen de la réveiller, les douze frères corbeaux n'ont pas d'autre choix que de se fier aux fées.

Janvier leva les yeux au ciel et cria à ses frères :

-Suivez la lune !

Elle était pleine, inondant la forêt d'une clarté glaciale, ils ne pouvaient pas la manquer. Pourtant, il répétait régulièrement cette phrase, craignant à chaque instant que l'un d'eux ne s'égare. Cela faisait un moment qu'ils couraient et qu'ils s'étaient perdu de vue. Il les entendait cependant, sur sa gauche. Combien ? Il ne savait pas trop. Il avait repéré Mai légèrement en arrière qui avait relayé son ordre, puis une autre voix l'avait repris et encore une, avant qu'il n'entende plus rien. Il se concentra sur son propre chemin, les yeux rivés au sol pour tenter d'éviter les obstacles qui pourrait le faire trébucher. Il n'avait plus de souffle, ne sentait plus ses jambes, mais au moins, tant qu'elles ne lui faisaient pas mal, il pouvait courir. Ses pensées allèrent vers ses frères plus jeunes, courraient-ils toujours ? Janvier jeta un regard rapide à la lune, toujours droit devant. Il allait rappeler son ordre quand un hurlement sur sa gauche lui parvint. Lâchant un juron, il dévia sa route sans hésiter un instant, pour rejoindre celui qui avait crié. Il croisa Mai qui semblait vouloir suivre la même trajectoire, mais il le rappela dans un souffle :

-Non, Mai, je m'en occupe ! Continue !

Le garçon obéit aussitôt et repartit en direction de la lune. Janvier cru entendre d'autre pas, des silhouettes qui courraient dans la même direction. Espérant que ce fut ses frères, il lança dans un dernier effort :

-Continuez ! Vers la lune !

Enfin, il aperçut dans un champ de fougère, deux silhouettes. Sous la lumière blafarde, ses frères ressemblaient à de spectres. Il reconnut Octobre, pliait en deux, qui tentait de se remettre à courir. Mars, l'épée au clair, faisait face à l'endroit d'où ils venaient. A leur hauteur, Janvier prit de grandes respirations en demandant :

-Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

-Une pierre, Octobre est tombé.

Janvier tira son épée :

-Allez, dépêche-toi !

Octobre se remit en marche en claudiquant d'abord, puis de plus en plus vite, avant d'enfin pouvoir se remettre à courir. Une fois assuré que leur cadet avait pu s'éloigner, les deux jeunes hommes rangèrent leurs armes et le suivirent. Mars resta aux côtés de Janvier pour lui demander :

-Es-tu seulement certain que l'on va la trouver ?

-Les fées me l'ont dit, suivez la lune. Les autres doivent déjà y être.

-Qu'est-ce que t'en sais ?

Il préféra ne pas répondre et conserver son souffle, mais il pria intérieurement pour que les fées lui aient dis la vérité. Il commençait à douter quand enfin, les arbres se firent plus clairsemés. Ils arrivèrent à la clairière avec en son centre une vieille chaumière. Janvier sentit une bouffée de soulagement lui monter à la gorge en apercevant Février qui leur faisait de grands signes à l'entrée. Ils pénétrèrent dans l'habitation et la porte fut aussitôt claqué derrière eux. Janvier se laissa tomber au sol :

-Tout le monde est là ?

Quelques voix lui répondirent alors qu'il parcourait la pièce du regard. Ils étaient dans une pièce assez large, mais tellement encombrée qu'elle paraissait petite. Au centre, se trouvait une table que ses frères avaient débarrassé pour poser leur sœur inconsciente. Des chaises croulaient sous des guenilles. Octobre reprenait son souffle sur l'une d'elle, tenant son genou entre ses mains. Sur l'un des murs, des étagères fixées débordaient de fiole et d'ingrédients nauséabonds. Sur un autre, une cheminée contenait un chaudron couvert de suie et vomissant un liquide gluant et noirâtre. Sur la gauche de Janvier, la salle était séparée par un rideau mité qui laissait entrevoir un amas de fourrure et de tissu qui devait servir de lit. Juillet, debout près de la table questionna son frère :

-Qu'est-ce qu'on fait maintenant ?

Janvier se releva malgré le tremblement de ses jambes :

-Il doit y avoir une plume quelque part, une grande plume.

Les douze garçons se mirent à fouiller frénétiquement. Décembre se redressa soudain :

-Vous avez entendu ?

Janvier lui lança tout en continuant à fouiller le contenu des fioles :

-Concentre-toi.

-Mais… si elles arrivent ? Elles n'étaient pas loin derrière nous, hein ?

Juin, qui fouillait les cendres sous le chaudron tenta :

-Plus vite on trouvera la plume, plus vite on partira, alors fouille.

Les doutes de Décembre atteignirent Novembre :

-Mais… la maison est à quelqu'un non ? Qu'est-ce qu'il va dire ?

Mars qui fouillait chaque haillon, jeta une jupe en grondant :

-Je suis pas sûr que Janvier veuille nous le dire et je suis pas sûr, au vu de l'état de la maison, que l'on veuille le savoir. Alors, les petiots, vous remuer vos miches et vous cherchez avant qu'elles n'arrivent.

-Je l'ai !

Avril qui était passé derrière le rideau, revint en brandissant une plume rayée de noir et marron, longue d'un mètre.

-Enfin, je crois que je l'ai…

Janvier lui prit des mains et s'empressa de tendre le bras pour atteindre une des vieilles poutres au plafond.

Juin se pencha vers Juillet :

-Il est en train de chatouiller une poutre ?

-Je crois.

La réaction ne se fit pas attendre. La maison se mit en branle et les garçons se raccrochèrent à ce qu'ils pouvaient pour ne pas tomber. Janvier se précipita vers sa sœur, mais Février et Mai la retenait déjà. Août retint Septembre qui trébuchait sur une chaise après une nouvelle secousse :

-Qu'est-ce qu'il se passe ?

Janvier se dirigea vers la fenêtre, imitait par ses frères :

-La maison va retrouver sa maîtresse.

Février fit glisser le corps de leur sœur au sol pour la tenir contre lui :

-Comment ça ?

Tous se tournèrent vers Janvier qui se contenta de répondre par une grimace. Peu à peu, ses frères échangèrent des regards de compréhension et ce fut Juillet qui tenta :

-Me dis pas qu'elle se déplace avec des pattes de poule cette maison.

Janvier ouvrit la bouche, mais Juin l'empêcha d'aller plus loin :

-Il t'a dit de pas le dire et je te conseille de ne pas le dire.

Août jeta un regard inquiet à son aîné :

-Baba Yaga ? Les fées nous ont envoyés dans la maison de la sorcière Baba Yaga ?

Juin commença d'un ton calme :

-Les sales pu…

Juillet s'empressa de le couper :

-Juin, n'insulte pas les fées, elles pourraient t'entendre.

Janvier se redressa :

-Allez, on n'a pas de temps à perdre.

Février le considéra avec inquiétude :

-Pour quoi faire ? On ne peut pas sauter et elle nous mène droit à la sorcière. Puis même si on réussit à sortir, on ne peut pas laisser notre sœur ici.

Ne semblant pas l'écouter, Janvier avait pris une des chaises et détruit une des petites fenêtres. Avril secoua la tête :

-Pourquoi tu n'ouvres pas la porte ?

-On ne peut pas. La porte se ferme automatiquement dès qu'elle se met en mouvement.

-Mais, on ne passera pas, même Décembre est trop grand.

-Pas si on retire nos chemises.

Il y eut un silence, puis Janvier frappa dans ses mains :

-Allez, allez. Envolez-vous et dirigez-vous dans des directions différentes. Il faut prévenir le plus grand nombre de royaumes, le plus grand nombre de héros. Dépêchez-vous !

Les garçons retirèrent cape et veston pour révéler dessous, des chemises d'orties qu'ils enlevèrent. Aussitôt, ils devinrent corbeaux, prirent leur chemise dans le bec, afin de pouvoir se retransformer, et s'envolèrent par la fenêtre. Seul Février, assis sur le sol, la jeune fille dans les bras, resta avec Janvier.

-A deux contre une sorcière ? Tu crois que ça va se terminer comment ?

Janvier vint s'asseoir près de lui :

-On verra à ce moment-là. S'ils réussissent à prévenir les royaumes du mal qui approche, c'est l'essentiel.

Ils restèrent silencieux, berçaient par les pas rapides et réguliers de la chaumière.

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