les ours sont mes amis, ils me réchauffent
My Martin
Pyrénées, Ariège. Au fond de la vallée d'Auzat / Vicdessos, sur les pentes du pic du Montcalm (3 077 mètres)
Été 1807. Stupéfaits, deux chasseurs de Suc remarquent une femme nue, dans la montagne
Ils signalent sa présence à la communauté villageoise
Dès le lendemain, un groupe de pâtres part à sa recherche, dans la haute vallée de Suc
Ils la repèrent, la capturent, la ligotent. La ramènent au village
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Elle est hébergée dans une chambre du presbytère de Suc
Le curé du village, Joseph Dandine, l'interroge
« Robespierre a tué ma famille »
La femme s'exprime en langue française, non en occitan, comme les gens du pays
« Des restes de prestance et d'éloquence de sa haute hérédité »
« Un esprit cultivé ». Un « accent pur »
Une fenêtre. Elle saute. S'enfuit
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Juin 1808. Vicdessos. Ordre du juge de paix. La Garde nationale capture la femme. Elle est jetée dans la prison du château de Foix
Elle parle. Aristocrate. Un accent étranger
Le sous-préfet, Paul Gabriel Bascle de Lagrèze (23 ans) 1785-1850 demande à Paris, des instructions relatives à l'identification de la femme
Joseph Fouché, ministre de la Police (1804-1810)
Les semaines passent. La femme tombe malade
Elle est soignée à l'hospice de Foix, par les sœurs de Nevers
Elle s'évade
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Une dizaine de jours plus tard. Elle est reprise, dans les environs de Foix
Château de Foix. Emprisonnée dans un cachot de la haute tour ronde (15e siècle), qui domine la ville
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Communiqué de la préfecture de Foix
Samedi 29 octobre 1808. Une heure du matin
L'inconnue est décédée
Un permis d'inhumer est délivré
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1814. Toulouse, Bellegarrigue (35 pages). Paul Gabriel Bascle de Lagrèze
La Victime de l'amour conjugal : ou Histoire récente d'une jeune femme trouvée entièrement nue sur les hautes montagnes du canton de Vicdessos, près le hameau de Suc, situé dans les Pyrénées
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17 septembre 1793. Loi de Prairial. Décret d'application relatif aux gens suspects
Maximilien de Robespierre 1758 - guillotiné à Paris, 28 juillet 1794 érige la terreur en système, en proclamant la légitimité du nouveau gouvernement révolutionnaire
Anéantir les suspects
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1793. Un couple de Français émigre en Espagne
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9 novembre 1799. Coup d'État du 18 Brumaire. Le général Napoléon Bonaparte (30 ans) prend le pouvoir. Il met fin au Directoire et à la Révolution
1799-1804. La Constitution de l'an VIII établit un régime autoritaire dirigé, en théorie, par trois consuls (Bonaparte, Jean-Jacques-Régis de Cambacérès, Charles-François Lebrun)
En réalité, dirigé par le Premier consul, Napoléon Bonaparte
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Printemps 1801. La situation en France s'est améliorée. Le couple décide de rentrer en France, en passant par l'Andorre
Ils franchissent le port de Rat (anciennement port d'Aula). 2 540 mètres d'altitude
entre l'Andorre (paroisse d'Ordino, vallée du riu de Tristaina), à l'est
et la France (vallée du Vicdessos), à l'ouest
Mauvaise rencontre. Des brigands espagnols
Le mari est tué
La femme est violée
Seule, dévêtue, choquée, la malheureuse trouve refuge dans les montagnes de l'Est andorran
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La fonte des neiges. Elle franchit le col. Elle est en France, dans les montagnes proches de Vicdessos et du pic de Montcalm
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L'été, l'hiver, elle vit nue
Elle se nourrit
noix, noisettes, châtaignes, faines, glands
mûres, myrtilles, airelles, framboises, nèfles, prunelles
de miel, que trouvent les animaux. De la sève, des arbres. Des poissons, qu'elle pêche
des lièvres, écureuils, insectes, marcassins, oiseaux, qu'elle capture
Elle est protégée par les ours, avec lesquels elle semble vivre en bonne entente
« [...] les ours sont mes amis, ils me réchauffent »
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Enquête de la gendarmerie. Dans la montagne, les locaux la connaissent. Ils lui viennent en aide, lui donnent de la nourriture
Pendant plusieurs années, en toute quiétude, elle mène sa vie solitaire