Les pois de l'amitié
leiloona
Barnabé avait pris l’habitude de s’adosser contre le vieux chêne pour se reposer de ses longues balades dans la forêt. En automne, l’humidité donnait une odeur envoûtante à la clairière. C’était un loup tout à fait ordinaire, un de ceux qui font trembler les enfants dans les contes. De grandes oreilles pointues et poilues, un long museau et de grandes dents.
Un loup qui faisait peur. Un loup tout à fait banal.
Mais voilà, Barnabé se sentait bien seul, il n’avait personne avec qui partager ses découvertes. D’ailleurs, il ne comprenait pas très bien pourquoi tous les animaux de la forêt avaient peur de lui et se détournaient de son chemin. Bien sûr, quand son ventre criait famine, il croquait quelques pattes d’animaux bien dodues, mais le reste du temps Barnabé était un véritable agneau. Comme la solitude lui pesait, il prit alors la décision de parler au prochain animal qui entrerait dans cette clairière.
Aussi, lorsqu’il vit de loin un lapin, il mit sa faim de côté pour ne pas le croquer et entreprit de faire sa connaissance. Mais le lapin était terrorisé ! Devant lui, se tenait le fameux prédateur de ses histoires du soir ! Il savait très bien que les loups aimaient croquer des agneaux en guise de plat et des petits lapins à l’apéritif ! Il essaya de se cacher, mais peine perdue, le loup lui avait déjà adressé un sourire rempli de dents pointues. Le petit lapin Pieter crut que sa dernière heure avait sonné ! C’est tout tremblant qu’il murmura :
« - Pitié, monsieur le loup, ne me mangez pas ! »
Barnabé eut beau lui faire son plus joli sourire, Pieter ne cessait de trembler de peur. Le loup ne se doutait pas que ses dents aiguisées terrorisaient le petit lapin ! Barnabé lui tendit alors sa patte gauche, une énorme patte griffue, et les tremblements de Pieter redoublèrent !
Barnabé avait pourtant très envie de connaître ce petit lapin : ils étaient tous les deux tellement différents qu’ils pourraient apprendre plein de choses l’un de l’autre ! Il eut alors une idée ! Il allait devenir végétarien ! Encore devait-il prouver sa bonne foi à Pieter.
Il faut savoir que Barnabé accomplissait là un très grand sacrifice, car les loups sont des carnivores, ils ne mangent que de la viande. Mais que voulez-vous, avoir un ami est aussi la plus belle chose qu’on puisse avoir au monde …
Barnabé s’assit et, de dépit, il se cacha les yeux avec ses pattes :
"- Comment pourrais-je te convaincre de devenir mon ami ? Je ne peux ni me couper les griffes ni me limer les dents ! Je suis prêt à devenir végétarien pour que tu m’acceptes !"
Pieter redressa ses oreilles. Le loup pouvait-il être sincère ? Ne lui jouait-il pas la comédie ? Au fond de lui, il n’avait plus peur : avec ses oreilles rabattues, Barnabé lui faisait même pitié.
Il fit trois pas en arrière, non pour s’échapper, mais pour retirer de son panier caché dans un buisson une cosse de petit pois. C’était son légume préféré ! Comme il aimait le croquer ! Pif, paf ! Quel délice quand le petit pois s’écrasait dans sa bouche !
Il le tendit à Barnabé, mais celui-ci fit la grimace. Tout ce vert l’écœurait ! Il approcha un pois près de son museau, le renifla et sortit le bout de sa langue ! Pouah ! C’était infect ! Ou plutôt cela n’avait aucun goût ! Il était décidément très difficile de devenir l’ami de ce petit lapin ! Pieter eut alors l’idée de relever le tout par de la moutarde. Il partit très vite chercher le nécessaire pour que le loup devienne végétarien.
Pendant ce temps, Barnabé réfléchit à la situation : il était toujours plus simple de manger de la viande, il n’avait qu’à se servir, et le tour était joué. Mais le loup se dit que cette amitié valait le coup de faire des efforts. Dans la vie, il fallait parfois patienter pour être récompensé.
D’ailleurs, Pieter revenait déjà. Il tendit à Barnabé une assiette de pois à la moutarde. Quelle erreur ! Le loup devint tout rouge, il cracha même quelques flammes ! La sauce devait être trop forte ! Alors Pieter eut une idée de génie : dans son panier, il prit deux œufs, un peu de crème, et il écrasa les pois avec quelques tomates. Il mélangea le tout et le mit dans une poêle bien chaude. Il ajouta encore quelques épices dont il avait le secret, et le tour était joué !
Les yeux du loup pétillaient d’envie : l’assiette que lui servit Pieter sentait terriblement bon ! Barnabé dégusta le plat lentement, à la fin son ventre était rebondi comme un ballon. Le plat de Pieter était parfait, le loup n’avait plus faim et les deux compères allaient pouvoir faire connaissance. Barnabé avait très envie de lui faire découvrir les plus beaux coins de la forêt. Il avait enfin un ami avec qui partager ses joies, et de son côté Pieter ne tremblerait plus de peur : il avait quelqu’un pour le protéger. Et au cours de leurs balades, ils trouveraient sans doute d’autres petits pois, et partageraient de nombreux repas ensemble.
Nous ne serons pas là pour voir leur belle amitié car l’histoire se termine là, mais lorsque vous mangerez des petits pois la prochaine fois, vous pourrez penser à Barnabé, à Pieter, et à cette formidable et inattendue amitié.