Les Rubans Dorés

sylvenn

Noires Heures - Essais

Quand on est un rêveur, vous savez – lol – chaque particule de vie est susceptible d'attiser le feu de votre imagination jusqu'à donner naissance à un incendie faisant irradier forêts, villes et océans. Ce feu peut prendre n'importe où, n'importe quand. Mais évidemment, certaines braises sont de meilleure qualité pour faire frémir les premières flammèches.
Un cœur brisé, un paysage sans horizon, une scène de vie dans la rue, une mélodie aussi entêtante qu'émouvante, un rêve dont la lumière du petit matin ne parvient pas à effacer la trace… oui, il existe de nombreux terreaux à l'imagination ; et la mienne a la chance d'être fertile comme le lierre sur les hautes parois d'une ruine ancestrale.
***
Mais tout ce que la Nature – ou Dieu, peu importe – donne, la Nature – ou Dieu, pour moi c'est pareil – le reprend. Il fallait donc que mon don trouve sa contrepartie, sa malédiction. Sa kryptonite en fait. Le Malheur à jamais ? Non, je n'en suis pas là ! Je ne suis pas un génie torturé ! La Folie ? Pas assez pour que ça transparaisse à ce point… Non, la Nature a simplement décidé de placer, un peu partout sur Terre, des obstacles à mon inspiration, des draineuses de rêve. Des aspirations.
Ces dernières attirent mon attention en permanence, et comme une mouche piégée à son ruban adhésif, je ne peux plus m'en détacher sans y laisser une part colossale de mon énergie. Mon énergie créatrice ; mais surtout mon énergie vitale. Pendant tout ce temps où je me retrouve empêtré dans ma faiblesse, j'oublie la vie. J'oublie mon monde. Je ne perçois plus que ce textile aux couleurs agressives dont je ne saurais m'échapper. Comme une mouche, j'ai été berné par son odeur, sa vivacité, sa beauté naturelle à laquelle je n'ai jamais su résister. C'est con une mouche, non ?
Et comme les insectes se grillent à leur lampe au beau milieu de la nuit, je me brûle à cette lueur qui irradie parmi les éléments d'un décor trop morne à mon goût. Tout le reste se floute alors, et mon regard se fixe. Mes rêves se figent. Mon énergie s'effrite. Je pensais – comme tout humain prétentieux - que mon intellect me placerait au-dessus du niveau d'un vulgaire insecte ; pourtant il semblerait que mon esprit n'apprenne jamais des innombrables fois où chaque jour je me brûle.
***
Alors quelle solution la Nature a-t-elle laissée sur le chemin de l'immonde drosophile que je suis ? Bonne question. Des brûlures. Des tas de brûlures jusqu'à ce que, comme dirait Dolorès : « le message pénètre » mes entrailles et que, éventuellement, l'apprentissage se fasse enfin par le cœur et plus par les réseaux neuronaux. Mais voilà qu'aujourd'hui, je ressens cette souffrance au plus profond de moi au quotidien ; pourtant mes réflexes refusent catégoriquement d'évoluer.
Alors devrais-je me crever les yeux, ou bien fuir loin, très loin de tous ces rubans dorés ? Mutilation ou mutation ? Asile ou exile ?
Oui, l'imagination a un prix, et j'avoue que par moment j'aimerais résilier mon forfait. Mais la vie ne change qu'avec Orange, et Dieu sait comme il est long et coûteux de se désabonner.

Signaler ce texte