Les sentiments numériques de Marcus

marlon

Cette série de nouvelles est un "spinoff" à la série "Sentiments Numériques Revisités" publiée par Joanandmom. Marcus était présent dans le premier épisode, et maintenant il vit ses aventures en solo.
(ce texte peut se lire en parallèle à Sentiments Numériques Revisités épisode 2)


 

Il est 8h00 du matin. On est samedi. Je suis en train de rêver. Je dors à côté d'une femme magnifique. Nos corps se touchent. D'ordinaire je n'aime pas ça, d'ordinaire mon matelas est séparé en deux comme une frontière israélo-palestinienne, mais là ce n'est pas comme d'ordinaire, c'est un rêve salé où j'aime qu'on me touche quand je dors. Je sais déjà comment ça va se passer, on va se réveiller, on sentira bon de la bouche (on est dans un rêve), on aura pas de trace d'oreiller sur la joue (on est dans la un rêve) et on aura pas envie de pisser (on est dans un rêve). Et du coup on fera l'amour pour se réveiller. Je ne suis pas du matin mais dans mon rêve, si. C'est un beau moment. Ma main gauche est sur son sein droit. C'est doux et chaud. C'est juste formidable.

J'ouvre les yeux. On est plus dans un rêve mais ma main gauche touche toujours un sein droit. Je tourne la tête. C'est le sein de Joli, c'est le sein de ma sœur que je suis en train de toucher.

C'est un moment horrible. J'ai juste envie de gerber. Surtout parce que je me dis que son sein était vraiment agréable à toucher. Mais je suis sauvé, car je n'ai pas bandé. Même l'excuse du « morning glory » ne m'aurait pas sauvé d'une honte éternelle.

Joli dort chez moi depuis une semaine. Dans quelques jours elle a un entretien d'embauche dans ma boite. Il faut qu'elle ait ce job, il faut qu'elle ait un salaire, il faut qu'elle ait un appart à elle.

Je me lève. Je checke ma page perso sur le site de rencontre. Pas mal de visites, quelques messages. Il y en a une qui semble jolie. Son pseudo c'est Olympe. Elle est brune et a un piercing. Jamais fait, ça, le piercing. A la langue, je veux dire. Je lui réponds. Ça pourrait être cool, si tant est qu'elle soit clean sur l'hygiène (jeu de mots). Est-ce que je peux la voir ce soir ? Je regarde mon agenda sur mon smartphone. La réponse est non. Parce que ce soir, je dois vivre ce que je reporte depuis une semaine : une soirée chez Denise.

Je matte une dernière fois les nichons de ma sœur (personne ne le saura jamais) et je me rendors, pour la peine.     


Je fais les courses chez ED. Je préfère aller au Carrefour Market à l'angle de la rue des Pyrénées et de Ménilmontant mais l'argent que j'ai investi dans le site de rencontre, dans Paloma Picasso puis dans Ck Be m'oblige à aller chez ED. Chez ED c'est pas cher. Pas bon mais pas cher. Le choix est fait.

Joli m'accompagne. Elle ne voulait pas mais je lui ai juré qu'elle n'aurait pas à payer la moitié des courses donc elle a accepté de porter le « chariot à provision » édition limitée Flash McQueen, gagné à un loto organisé chez ma grand-mère. Merci de ne pas poser plus de questions à ce sujet.

-       On prend quoi ?

Joli pose une bonne question, je n'ai pas fait de liste, comme de bien entendu.

-       Du concombre et de la tomate, il faut que je fasse attention, je dois manger léger.

-       Tu peux manger du concombre autant que tu veux, si tu rajoute 500 grammes de féta et 1 demi litre d'huile d'olive, ça va pas te faire maigrir…

Ma sœur devrait s'occuper de son cul plutôt que de mon ventre, mais je ne lui dis pas car je n'ai pas envie de me disputer. Alors j'argumente.

-       Je compense en mangeant des Spécial K.

-       Parce que les céréales ça fait maigrir ? C'est nouveau, ça ?

-       Tu commences à me gonfler, t'es abonnée à Biba toi maintenant ?

-       Tu ne t'étais pas acheté un tapis à abdo ?

Ca ne sert à rien de poursuivre sur cette voie, Joli est plus forte que moi à ce jeu-là. On prendra donc du concombre, des tomates et des hamburgers surgelés. Ce qui ne sont pas bons, qui brûlent à tous les coups mais qui ne sont vraiment vraiment pas chers. En nous dirigeant vers la caisse, et alors que je fouille dans mon portefeuille pour trouver mes tickets restaurants, je bouscule une dame. Je m'excuse, elle me sourit et poursuit son chemin. Sa tête me dit quelque chose. Je la connais ! Je ne me rappelle pas du tout de qui ça peut bien être, mais je sais que je la connais. Je la montre à Joli mais ça l'intéresse moins que les jolis lobes d'oreille de la caissière alors je n'insiste pas. Mais dans ma tête je lance ma recherche.  

-       Tu vois ta collègue alors ce soir ?

Merci Joli, j'avais presque oublié. 


J'ai laissé Joli pour déjeuner et je suis parti retrouver Julian, l'un de mes meilleurs amis, au Bombardier, près du Panthéon. On y mange toujours bien, mais trop, mais c'est pas grave. Julian est le frère d'une d'une ex (j'aime appeler comme ça les filles qui m'ont embrassé un soir de réveillon du jour de l'an parce qu'elles étaient bourrées. En même temps il n'y a qu'elle, donc… bref). Elle, je ne la vois plus, mais lui, oui, toujours. Bien que plus jeune que moi, Julian est en quelque sorte mon mentor au niveau site de rencontres. Il les a beaucoup pratiqués avant d'y rencontrer celle qui porte aujourd'hui son enfant. Il semble heureux, apaisé, il vient de s'acheter une Peugeot 208 bordeaux métallisée, il nage donc dans le bonheur. Mais il n'a pas envie de parler de son bonheur.

-       Alors t'en es où ?

-       Comment ça j'en suis où ?

-       Bah niveau rencontres ?

-       Une seule. La semaine dernière.

-       Une seule ? Tu payes 29 euros par mois et tu te tires seulement une seule nana ? C'est pas rentable ! C'était bien au moins ?

Là, attention, je vais mentir :

-       Ouais, pas mal.

-       Pas mal seulement ? Elle faisait quoi, elle faisait tout ?

-       Je sais pas, c'était la première nuit alors c'est pas comme si…

-       Comme si quoi ? On est en 2015, là, on se réveille, mec ! Quand t'essayes une bagnole, tu te dis pas que tu vas vérifier si la boite de vitesse fonctionne bien après l'avoir achetée. Tu testes tout de suite tout ce que tu peux tester, après du coup t'as les éléments pour dire si t'achètes ou pas.

-       Faire une comparaison entre les filles et les voitures, c'est 2015, ça ?

-       Dis-toi que la meuf elle pense pareil, mec. Si elle t'a pas rappelé c'est qu'elle doit être déçue que t'aies baisé comme un grand-père, c'est tout.

-       Ouais, ça doit être pour ça…

-       Tu vas la revoir ?

-       Je ne sais pas, je ne pense pas. J'ai d'autres messages. Et ce soir je vois une collègue.

-       Tu testes tout cette fois, mec, tu déconnes pas !

-       Je ne suis pas certain de coucher avec elle, hein, c'est juste…

-       Demande lui ce qu'elle fait et ce qu'elle ne fait pas, alors, au moins. Elle peut te baratiner, mais au moins ça te fera fantasmer. Et elle verra que t'as pas froid aux yeux, à tous les coups ça va l'exciter.

Julien a peut-être raison. J'avoue que je ne sais plus très bien comment je dois procéder. C'est vrai que la semaine dernière, c'était plutôt direct, même si ça s'est terminé avant d'avoir commencé. J'ai toujours eu dans l'idée que ce n'était pas correct de coucher le premier soir, que les filles ne voulaient pas et qu'il fallait respecter ce que les filles voulaient, mais peut être que je me trompe. En un sens c'est sans doute une bonne chose, de faire ça dès le premier soir, parce que ça évite de trop y penser. La pensée étant chez moi l'ennemi de l'érection.

Allez, c'est décidé, ce soir, au premier signe positif, Denise, je lui saute dessus !  


Denise habite dans le 9ième arrondissement. Elle me voit en costume cravate tous les jours donc j'ai décidé de la jouer cool, chemise et jeans bien taillé, et caleçon rose pour la touche métrosexuel. Le problème est que pour le moment j'ai les mains vides. Comme une andouille je n'ai même pas pensé à demander ce que je devais ramener. Une bouteille ? Un dessert ? Un bouquet de fleurs ? En vérité je n'ai pas envie d'y aller. C'est un peu le honte, j'y vais par dépit. Par dépit de ne pas avoir d'autres rendez-vous, par dépits de ne pas avoir conclu la semaine dernière, par dépit d'être aussi sexuellement frustré. Denise, je ne suis pas amoureux d'elle, elle ne m'attire pas plus que ça physiquement mais j'en suis à m'imaginer coucher avec elle juste pour combler une sorte de manque bestial, de vide affectif. Je me dis qu'il faut que je couche avec elle alors que je n'en ai pas envie. Quelle galère, j'ai juste envie d'annuler. Mais la perspective de passer encore une fois une soirée avec ma sœur en train de regarder Ink Master (l'émission télé) sur Numéro 23 (la chaine de télé) me fait poursuivre mon chemin d'un pas à peine décidé.

Ce sera des fleurs. Mais lesquelles ? Des roses rouges ? Non, c'est une histoire de passion ce truc là, ça va pas le faire. Des tulipes ? Bof, classique. J'opte piur une Orchidée. C'est joli et c'est super rare les orchidées, non ? Bon, c'est super cher aussi. Je prie pour que la carte bleue ne soit pas refusée. Ouf c'est bon. Le fleuriste me souffle que l'orchidée est le symbole d'un amour raffiné et mystérieux. Ouais, je suis pas emballé, contrairement à la fleur, et j'aurais aimé qu'il me précise ça avant que je balance 32 euros dans l'affaire. Mais bon, tant pis, ça fera la blague.

Le métro est bondé, la fleur est cabossée mais j'arrive à bon port. J'ai toujours pas vraiment envie d'y aller. Elle me sort par les trous de nez toute la semaine, qu'est-ce que je vais bien pouvoir lui dire toute la soirée ? Je doute de tout, de moi, de ma fleur et de mon caleçon rose. Je serre les fesses et appuie sur l'interphone.


Je n'avais jamais remarqué que Denise avait les yeux aussi bleus. Je crois que je ne la regarde pas assez, en fait. Là, ce soir, je ne peux pas manquer ces yeux, ils sont cernés de noir. Ses yeux sont beaux mais je ne suis pas fan du résultat. Ça fait un peu trop « look, mes yeux sont beaux et bleus ! ». En même temps, avant je n'avais pas fait attention, donc elle a eu raison. Je pense tout et son contraire.

Je remarque aussi qu'elle porte des bas. Je le remarque parce que sa robe remonte un peu quand elle s'assoie et qu'on voit la jarretière. Je pense qu'elle fait exprès. Ou peut-être pas. Je pense tout et son contraire.

Elle m'a remercié pour l'orchidée. Elle me dit que c'est sa fleur préférée mais elle me demande s'il faut l'arroser. Je lui réponds que je n'en ai aucune idée et je me dis que ça ne doit pas être sa fleur préférée parce que sinon elle le saurait. Mais elle la met à la place où il y a ce qui ressemble à une tige d'orchidée dont la fleur aurait totalement moisi. Donc peut être que c'est quand même sa fleur préférée. Je pense tout et son contraire.

On boit du vin. On boit du vin et elle parle. De son boulot, de ses ex, de son appart qu'elle a acheté sans prendre de prêt immobilier. Entre temps, elle pose une question sur moi mais n'attend pas de réponse et repars sur elle, sa vie son œuvre. J'ai envie de me lever et de lui dire de se taire. J'ai envie de me lever et de lui montrer mon caleçon rose. J'ai envie de me lever et de baisser mon caleçon rose. Mais je me tais et je l'écoute. Je pense tout et son contraire.

Je mange vite et bien. C'est bon mais j'oublie ce que c'est dès que je l'ai avalé. Je regarde Denise parler. Elle a beaucoup bu et ça se voit parce que ses joues sont rouges. J'ai bu aussi alors je rigole à ce qu'elle dit, sans savoir pourquoi. Je la regarde et je me demande si je pourrais l'embrasser, si je pourrais coucher avec elle et si je pourrais avoir une relation amoureuse avec elle. Je sais que ce serait compliqué parce qu'acheter du parfum me met à découvert et je crois qu'elle aime l'argent. Mais est-ce que c'est important ? Est-ce que c'est important qu'elle soit aussi soulante que ça à parler tout le temps ? Est-ce que c'est important que son appart ressemble à un appart Ikéa pour célibataire bobo, alors que j'ai toujours voulu que ce soit pareil chez moi et que j'ai toujours échoué ? Est-ce que c'est important que sa voie m'irrite presque autant que cet album de Camille qui tourne en shuffle + repeat depuis le début de la soirée ? Ça ne doit pas être important puisque je me rends compte que malgré tout ça, elle m'excite, là, tout de suite. Je pense tout et son contraire.

Le vin fait effet et le fantôme de Julian me souffle les mots dans mon dos. Je me lève.

-       Et si on allait baiser ?

Elle s'arrête immédiatement de parler et me fixe. Je sens qu'on est au climax de la soirée et je suis toujours aussi excité. Elle semble réfléchir. Je me demande bien à quoi. J'ai vite ma réponse.

-       Hum… pourquoi pas, tu as des préservatifs ?

-       Euh… nan.

Note pour la prochaine fois : une boite de capotes plutôt qu'une orchidée à 32 euros.

-       Alors on ne peut pas. C'est dommage, j'avais mis des bas.

-       Je sais. J'ai vu. Mais toi tu n'en as pas, des préservatifs ?

-       Non, j'ai terminé la boite samedi dernier.

Note pour plus tard : ne jamais reporter les rendez-vous d'une semaine.

-       Mais il n'y a pas, genre, un distributeur pas loin de chez toi ?

-       Si peut-être. Prêt de la pharmacie, à 100 mètres.

En seconde je suis dehors avec ma sacoche. J'ai deux euros en monnaie, ça ne doit pas valoir plus de deux euros, une capote au distributeur, hein ? Une c'est peut-être un peu juste, cela dit. Mais c'est mieux que rien. Faudra juste pas que je me loupe.

A 100 mètres il y a effectivement une pharmacie et un distributeur. Et c'est 2 euros les 3 capotes, ce qui me fait me sentir, là, maintenant, tout de suite, comme le maitre du monde. Mon excitation est intacte, il ne peut rien m'arriver. Je cours jusqu'en bas de l'immeuble et je sonne. Rien ne se passe. Je re-sonne. Rien. Je retente, rien. Aucune réponse. J'ai ma sacoche, mes papiers, mon (peu d') argent mais, bordel, la femme avec qui je veux baiser est restée en haut. J'essaye à nouveau mais je comprends que c'est mort. Que peu importe la raison, je viens une nouvelle fois de foirer le truc. J'ai envie de pleurer mais je suis surtout énervé parce que je suis toujours excité, parce que ça se voit et parce que ça ne sert à rien à part me donner l'air d'un con. Je souffle et je prends la direction du métro.

Je commence à marcher et je croise une jolie petite blonde qui porte un jean slim et un air dépité. Je m'arrête, je me retourne, et je me dis que peut être qu'elle a passé une soirée minable elle aussi et que tous les deux on pourrait annuler ces moments misérables et en faire du positif, comme dans ce truc de mathématiques auquel j'ai jamais rien pigé mais qui me semble si beau tout à coup. Je commence alors à marcher derrière quand SOUDAIN ? j'ai le déclic. Caroline Loeb. Tout à l'heure au ED, c'était Caroline Loeb. La chanteuse de « c'est la ouate » ! Caroline Loeb ! Alors ça c'est trop fort. Il faut que je raconte ça à Joli en rentrant. C'est trop délire ! Je fais demi-tour sans hésiter. J'ai hâte de rentrer chez moi. De toute façon la blonde, elle trace, et est déjà loin. Ah ah, trop marrant, Caroline Loeb !       

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