Les sentiments numériques de Marcus (prologue)
marlon
MARCUS
Michel Sardou. Michel Sardou me réveille tous les jours et je ne sais pas pourquoi. Mon radioréveil est vieux de 20 ans, il ne capte plus qu'une seule station, Radio Nostalgie, et par je ne sais-quel miracle de la programmation, je me tape Michel Sardou tous les matins. Parfois, la réception est perturbée par la cibi des pompiers du 20ième arrondissement et ça me fait un peu d'action. Le foyer des jeunes maliens de la rue du retrait va-t-il finir en cendres ? J'aimerais bien. Mais je dis ça probablement parce que j'habite en face. Et que le jour de mariage d'Amadou et Mariam commence à me les briser sévère. Surtout à 1 heure et demi du matin.
Je me lève donc avec la femme des années 80, femme jusqu'au bout des seins. Moi, des bouts de seins, j'en ai pas vus depuis des lustres. Depuis que ma vieille amie Magali-sans-« e »-à-la-fin allaitait son mioche lors d'une de nos sorties bowling. Les seins de Magali avaient toujours été un fantasme pour moi. Jusqu'à ce soir-là. J'ai perdu au bowling. La tension sexuelle me faisait souvent gagner. Ce soir-là, cette tension a disparu entre la bouche de ce petit garçon pas beau qui suçotait mon fantasme sans même prendre le temps d'ouvrir les yeux. Ce soir-là je me suis rendu compte que Magali avait un gros cul. Tant pis pour elle.
La douche. Au bout de quelques secondes je n'ai déjà pratiquement plus d'eau chaude. Je dois partager mon ballon avec ses autres habitants de l'immeuble, c'est pas possible autrement. Là où je me fais baiser, c'est que ce ballon est situé dans ma chambre. Enfin, dans mon appart, quoi, puisqu'il se résume à ma chambre, justement. Et vu le bruit qu'il fait toute la nuit, je ne comprends pas qu'il ne produise pas plus de 20 secondes d'eau chaude. Bref.
En sortant de la douche, je me regarde dans mon miroir sale. Je rentre mon ventre. Merde, j'ai 30 ans et déjà un peu de ventre. Demain je me remets au footing. Non, je me mets au footing.
Dans 35 minutes je dois être au bureau. Je n'en ai plus le temps mais je me parfume quand même. Minotaure, de Paloma Picasso. J'en balance une tonne. C'était le parfum de mon cousin. Mon cousin a toujours été un beau gosse alors je lui ai piqué son parfum faute de pouvoir lui piquer sa gueule. Et son ventre plat. Je sens bon. C'est ma journée.
Oui, c'est ma journée. Pas à cause de Michel Sardou, pas à cause de Magali-sans-e-à-la-fin, de ses nichons gâchés ou même de Paloma Picasso. Non, si aujourd'hui c'est ma journée, c'est parce que ce soir, j'ai rendez-vous.
EMMA
7h00, le 7 mars, la sirène des pompiers du 20eme m'éveille. Après un rapide calcul, je prends conscience que ça fait 12 mois pile que je suis dans le désert, un désert affectif. Douze mois sans la moindre vibration, sans les moindres prémices de quoi que ce soit. Douze mois, ça fait long.
Après un quart d'heure à rêvasser, je me bouge et me glisse sous la douche, l'eau chaude me fait du bien… Antoine ? Qu'est-ce qu'il fait encore dans ma tête celui-là ? Douze mois qu'il est allé voir si l'herbe était plus verte ailleurs, et visiblement oui parce qu'après, il est parti. Alors bien sûr, je lui en ai voulu à mort (mais ce n'est qu'une expression), et puis, finalement, une fois la colère passée, j'ai compris ; Compris que ma vie était loin d'être trépidante et que je n'étais pas une fille trépidante non plus… Bon, ça suffit, tout ça appartient au passé, je claque la porte de la salle de bain sur le souvenir d'Antoine.
C'est décidé, aujourd'hui, je me rhabille en fille, oui, une fille maquillée avec des talons hauts, une fille qui va de l'avant… et qui a un rendez-vous. Aujourd'hui, j'ai envie de croire que je peux changer, aller vers un homme, le faire craquer, j'ai envie de vivre une vrai belle histoire. Ça a marché pour ma copine Sabine alors pourquoi pas pour moi ?
« Non mais tu te crois au pays des Bisounours ? Le grand amour, c'est dans les films, dans la vraie vie, ça n'existe pas ! » Ce sont les mots de ma copine Delphine, ils résonnent dans ma tête malgré moi, l'anxiété me gagne…
Bref. Je me disais que je pourrais aller piquer une tête à la piscine de la rue Denoyez avant mon rendez-vous, l'eau ça détend, en plus j'ai un nouveau mascara water-proof, je n'aurais donc pas une tête de cocker en sortant… sauf que pour mon brushing, ce serait un suicide… Donc non. Quand je m'angoisse, je pense à tout un tas de connerie, il faut vraiment que j'arrête.
Retour dans la vraie vie. Là, je suis la fille qui va devoir courir en talons hauts pour ne pas être en retard au boulot.
MARCUS
Il commence à pleuvoir. J'en ai pour 7 minutes à pieds pour atteindre le métro et la météo ne me permet même pas de faire ce trajet au sec. Il faudrait que je pense à migrer vers le sud de la France. Oui, je vais faire ça. En plus je n'ai aucune attache par ici. Mes amis, ma mère, ils me rendront visite et moi je ne serai plus obligé de me taper des réunions familiales interminables. Ce serait tout bénef. Ce soir quand je rentrerai de mon travail, je regarderai ça. Ah mais non, c'est vrai, j'ai rendez-vous. J'ai presque oublié. Autant être honnête, il y a quand même peu de chance pour que mon rencart de ce soir se passe si bien qu'il me donne envie de rester dans cette région. Et puis à ce qu'on dit, les filles du sud de la France ont le sang chaud.
Quand je m'engouffre dans la bouche de métro, je suis trempé. Et un peu en sueur aussi. Pas certain que ça s'annule. Pour le moment, Paloma Picasso m'empêche encore de sentir mauvais. Mais j'ai déjà envie de reprendre une douche. Arthuro le clodo est toujours là. Je lui laisse 1 euro. Il me sourit. Il n'a plus de dent. J'aime bien ce petit rituel, malgré tout. Mais je devrais peut-être lui demander un reçu, pour tout ce que je lui laisse le matin, ça me permettrait peut-être de déduire ça de mes impôts.
La première rame qui se présente sur le quai est bondée. Je la laisse repartir sans même tenter de m'y introduire. C'est également le cas de la seconde. J'essaye de garder mon calme et ma bonne odeur (à défaut de bonne humeur). La troisième est un peu moins saturée alors je fais comme tout bon parisien qui se respecte (à défaut de respecter les autres) : je rentre en poussant. Il faut chaud, ça ne sent pas bon. Je tiens en équilibre entre un costard cravate qui écoute du Beyoncé sur son Iphone 5S et une grosse mama noire que ce monde, moi y-compris, a l'air d'excéder autant que moi. Je regarde le plafond, je place mes pieds à 100° (c'est ce que j'ai trouvé de mieux pour tenir en équilibre dans le métro sans m'aider des mains) et je prie pour que le conducteur ait une conduite souple. Peine perdue, c'est Alain Prost sur rails. Je suis bousculé de toute part. J'ai peu de choix, soit je m'accroche au fil blancs des écouteurs du costard cravate, soit je me cale dans les seins (oui je sais, c'est une fixation) de la mama. J'opte pour la barre. Tant pis si je chope un virus. On vient de s'arrêter à une station, il y a 5 centimètres carrés de libre, je les fais miens. On redémarre. C'est brusque. Une main vient se poser sur la mienne. Je déteste ça. Ai-je du savon liquide dans ma sacoche ? Ça ne dure pas longtemps, heureusement. Je me contorsionne pour essayer de voir qui est responsable de ce contact. Je veux lui mettre ma main sur la gueule. Je découvre alors que la main en question appartient à une femme totalement ravissante. La main sur la gueule n'est plus au programme, je veux l'embrasser. Mais je n'aurai pas le temps de le lui dire puisque je suis arrivé, et que la foule m'entraine dehors. Je regarde autour de moi pour voir si elle est sortie aussi. Ce n'est pas le cas. La rame est déjà repartie. Tant pis.
Je sors. La navette de la boite m'attend. Mes collègues sont déjà là. Il y a même Denise. Denise me drague depuis qu'on s'est rencontré. Elle n'est pas mal, Denise, d'ailleurs. Mais elle ne m'attire pas plus que ça. Un peu froide, peut-être, je ne sais pas. Bref, on se fait la bise et je prends place à côté d'elle. Elle me sourit. Je lui dis que ce soir j'ai rencart. Elle ne me sourit plus. Je ne sais pas encore si ça veut dire que la journée commence bien.
EMMA
A peine ai-je mis les pieds dehors qu'il commence à pleuvoir, ça me saoule… Bon, je galope (façon de parler parce qu'avec mes talons, c'est loin d'être évident) en direction du métro Ménilmontant. Avec ce temps, c'est bondé. Je crois que mes cheveux commencent à friser… c'est parfait ! Cette journée commence à merveille, j'espère qu'elle va s'améliorer au fil des heures sinon, mon premier rendez-vous risque d'être un fiasco !
J'arrive tant bien que mal à me glisser dans la rame, je suis comprimée de toute part et par toutes sortes de gens, mais ce n'est pas grave, j'oublie ce mélange d'odeurs, j'ai décidée d'être positive et rien ne pourra me faire changer d'avis, c'est ma journée aujourd'hui, le jour du changement, le premier jour de ma nouvelle vie… POSITIVE.
Les portes se referment, le métro démarre, j'arrive in extremis à attraper la barre en fer pour ne pas m'effondrer. Je ne sens pas le froid du métal, c'est plutôt chaud et doux. Je retire ma main en vitesse. C'est dégueulasse ! J'ai posé ma main sur celle d'un parfait inconnu. Oh mon Dieu, la honte ! Je baisse la tête et regarde discrètement aux alentours pour essayer de savoir sur qui j'ai posé ma main. C'est insoluble, un enchevêtrement de bras, je n'y vois rien.
Trop la haine, pour éviter cet enfer, la prochaine fois, je marcherai sous la pluie.
Mon patron est arrivé avant moi, je m'attends à un beau sermon sur la ponctualité… Mais il n'en est rien : « Ouah, vous êtes redevenue une femme, c'est bien… pour les clients, euh, c'est plus professionnel… ». Je suis tellement étonnée que je ne réponds rien, je me contente de m'assoir derrière mon bureau, et de sourire bêtement.
MARCUS
Quand on est cadre, la journée commence par la machine à café. C'est un avantage que nous avons par rapport aux vrais salariés, nous avons moins de gens hiérarchiquement supérieurs dont la seule occupation est de nous montrer l'heure avec un air mi concerné mi consterné. On discute du programme télé de la veille. Un concours de chant (avec parait-il une nana qui déchire tout mais qui ne semblait pas avoir de culotte, les deux informations étant peut-être un peu liée), une émission sur la cuisine et une rediffusion d'un vieux film avec Bourvil. Je n'ai rien vu de tout ça parce que j'ai regardé une série téléchargée sur Internet. « Orange is the new black ». Une petite merveille. Et bien que les blondes ne soient pas mon genre, j'ai bien envie de me marier avec Taylor Schilling. Si mon rencart de ce soir pouvait être du même genre, ça serait juste le bonheur.
Denise est là mais elle ne participe pas à la conversation. Elle se contente de me lancer un regard noir, qui, je l'avoue, me rend plus triste qu'il ne me fait peur. Quand tout le monde a terminé (c'est-à-dire qu'on ne dit plus rien et qu'on regarde nos pieds), on se dirige tous vers nos bureaux. Denis m'attrape alors le bras et me parle tout bas.
— C'est qui ton rencart de ce soir ? Une fille rencontrée sur un site internet ?
— Oui.
— J'ai déjà fait ça, j'ai toujours été déçue.
— Désolé pour toi.
— Tu me raconteras, demain ?
— Euh… si tu veux, mais je voudrais pas que ça te pose… genre… un problème…
— Pourquoi tu dis ça, tu crois que je suis jalouse ?
— Ben je sais pas, je sais pas. Je sais pas.
— Rassures toi Marcus, je suis pas jalouse. On est ami, c'est tout. Et ta vie sentimentale m'intéresse. Alors vient diner demain à la maison, comme ça on pourra en parler.
— Euh… ok, ouais. Merci…
Elle répond par un clin d'œil. Et je suis incapable de savoir ce qu'il veut dire.
EMMA
Les premiers clients passent la porte de l'agence.
« Bonjour, bienvenue chez EXOTISME Voyage, je m'appelle Emma, asseyez-vous, je vous en prie. » leur-dit-je en affichant un large sourire. Parce que le sourire, c'est important, pour ne pas dire primordial.
Il y a quelques mois, quand je n'allais pas très bien, mon patron me répétait sans cesse de laisser mes soucis sous le paillasson avant d'entrer, il me disait :
« Tu dois vendre du rêve, s'ils voient ta tête de déterrée dépressive, ils iront voir ailleurs ! »
Alors j'ai pris sur moi pour conserver mon job, et je suis devenue une imposture, une sorte de vitrine du bonheur, toujours souriante et de bonne humeur. Et ça marche ! Le problème c'est que maintenant et malgré moi, je fonctionne comme cela tout le temps et avec à peu près tout le monde. Personne, moi y compris, ne sait vraiment qui je suis…
Mon téléphone sonne, pas de clients en vue, je réponds. Ce sont mes copines, elles ont prévus de débarquer chez moi avant mon rendez-vous pour un coaching en règle. Non mais ça va aller les filles, je n'ai plus 15 ans, je peux gérer ce genre de chose !
« A 19h00, bon d'accord, à toute ! » Oui, je sais, je n'ai aucun caractère, je n'arrive pas à m'imposer…
MARCUS
12h00, pause déjeuné. Je n'ai rien foutu de la matinée. J'étais censé organiser une réunion, faire un contrôle surprise sur 4 opérateurs du plateau « service clients niveau 1 » mais je n'ai pas réussi à me concentrer. Dans ma tête, mon rendez-vous de ce soir, la main de cette mystérieuse passagère dans la rame de métro et le clin d'œil de Denise. Karim, un collègue du service information et réseau, passe sa tête dans mon bureau. Je mange avec lui ou quoi ? Bonne question. Je regarde mon agenda. La réponse est non, aujourd'hui je mange avec ma sœur. Ça risque d'être moins drôle.
On se retrouve à la brasserie. Ma sœur fait la gueule, ce qui semble indiqué qu'elle est dans un bon jour. Ma sœur est gothique. Elle a percé tout ce qu'elle pouvait percer (oui oui, là aussi, si vous vous posez la question) et son dernier tatouage en date lui recouvre une partie du crane (la partie rasée, l'autre étant recouverte de ses cheveux, dont la couleur du jour m'est inconnue). Ma sœur s'appelle « Joli ». Mes parents sont des visionnaires. Ou des drogués. Bref. Joli ne trouve pas de boulot et commence à en avoir marre. Inutile de lui dire que cela a peut-être un rapport avec son apparence, c'est le meilleur moyen de finir avec le plat de tagliatelles sur la chemise Armand Thierry. Joli me demande de lui trouver un travail dans ma boite. Au téléphone, elle pourrait faire des miracles, qu'elle me vend. Je savais que ce jour-là finirait par arriver. Les pates sont bonnes, ma chemise est toujours intacte, j'ai envie que ça dure donc je lui dis que je vais faire mon maximum, que oui, c'est peut-être possible. Elle esquisse un sourire. A moins qu'elle se soit coincé un truc entre les dents, je ne sais pas. C'est presque un bon moment. Presque, parce que son téléphone sonne et qu'à l'autre bout c'est « Sam », sa meuf depuis 6 mois. Stop, je vous vois venir tout de suite : ma sœur n'est pas la caricature de la gouine goth. Joli est bi. Elle joue sur tous les fronts et c'est probablement le seul truc que j'envie chez elle. J'aimerai bien être bi un jour. Mais avant, juste, il faudrait que je sois un peu hétérosexuel. Vraiment, je veux dire, pas virtuellement.
Sam l'appelle, donc. Pour lui dire que c'est terminé. Joli est visiblement trop envahissante, Sam ne reconnait plus son appart depuis que ma sœur s'y est installée. C'est une dispute qui pourrait très bien se régler, vu que le problème n'est pas si important que ça. Mais Joli, comme toujours, s'emporte, se met à lui hurler dessus en la traitant de pute. Pour résumer. Tout le monde est choqué et moi je prie pour ne pas que ma chemise finisse tachée. Je prie et je transpire. Paloma est morte. RIP. Joli raccroche. Elle pleure. C'est la première fois que je la vois pleurer. Son maquillage ne coule pas, aussi je me demande si lui-aussi n'est pas tatoué sur son visage. Elle n'a nulle part où dormir. Ce moment aussi, je savais qu'il arriverait. Mais je lui tends mes clés sans hésiter. On appelle ça forcer le destin, puisque de toute façon, je ne rentrerai pas dormir chez moi ce soir. Elle attrape les clés, m'embrasse et s'en va. Sans finir son assiette ni payer la moitié de l'addition. Ma chemise est immaculée, mais je pue. Il faut que je trouve une douche.
EMMA
12H00, Pause déjeuné. Je vais voir ma grand-mère, on déjeune ensemble une fois par semaine, c'est notre petit rituel. Quand je suis avec elle, c'est comme quand on met un film sur pause, le temps s'arrête, tu es seulement dans la discussion, dans l'écoute et ce qui est autour n'existe pas. J'adooore ma grand-mère, c'est quelqu'un de pur avec un vrai sens du devoir. Oui, je sais, on dirait que j'ai 100 ans avec cette dernière phrase « sens du devoir »… Ouais d'accord, c'est pompeux mais c'est réel. Ça se rapproche de la notion de bien et de mal qui se perd un peu de nos jours. Ouah, je me fais peur toute seule en pensant comme ma mère, il faut que j'arrête ça tout de suite !
Bref, j'adore quand elle me raconte sa jeunesse, sa rencontre avec mon grand-père et la manière dont les choses se sont terminées. En fait, j'admire sa capacité à faire les choix qui s'imposent (ou qu'elle s'impose) et à rester droite dans ses bottes, toujours, subir sans sourciller, sans faiblir.
Tout cela est un peu confus, je me replonge dans l'histoire : Ma grand-mère, après s'être fadée les 4 rapports hebdomadaires réglementaires pour tomber enceinte rapidement après le mariage, a enfanté 3 merveilleux enfants…Je vous passe les détails, elle s'occupait d'élever ses gosses, tout en organisant la distribution des journaux dans la Drôme. Elle était donc très occupée.
Mon grand-père lui, était dans l'armé, bien gradé. Il allait régulièrement à des réceptions où était présent tout le gratin (mondain pas dauphinois, ok !). Ma grand-mère, elle ne voyait pas les invitations jusqu'au jour où elle a appris qu'il s'y présentait toujours au bras de la même femme. Et oui, c'est peut-être une malédiction familiale ! Ma grand-mère a subi, dignement, pour les enfants, le rang social… et puis, il est parti vivre avec cette autre femme.
Là, on se dit ouf, elle va être tranquille ma grand-mère, elle va souffler parce qu'en plus il était plutôt autoritaire. Et bien, elle n'a pas vraiment soufflé, les 3 gosses, leurs déceptions lorsqu'ils attendaient leur père en vain, le boulot… Un vrai roc ma grand-mère.
Pour tout cela, on l'admire déjà, mais la leçon de vie, pour moi, c'est la suite : figurez-vous que cette femme (celle des réceptions) est morte, que ses enfants ont récupérés son appartement et que du coup, mon grand-père n'avait plus d'endroit où aller. Des années s'étaient écoulées depuis qu'il était parti, les enfants étaient devenus des adultes, et lui, il est revenu, après tout ce temps, il est revenu frapper à la porte de ma grand-mère. Pas de honte. Et elle, elle lui a ouvert la porte. Oui. Elle l'a repris dans sa maison, jusqu'à sa mort… Pas pour se venger oui lui faire payer toutes ses années, non, juste parce qu'ils étaient mariés, qu'il était le père de ses enfants et qu'elle ne voulait pas le laisser dehors ! Bichette, tu parles !
De nos jours, qui ferait ça, hein ?
Le tic-tac de l'horloge se fait entendre à nouveau, fin de cette parenthèse hors du temps, j'embrasse ma grand-mère, je retourne bosser.
MARCUS
— Bien sûr qu'on a des douches, Marcus, pour ceux qui arrivent en vélo ou qui font du footing pendant le déjeuner. C'est ton cas ?
Mon boss se fout de moi, peut-être, mais en tout cas il me sauve la vie. Je vais pouvoir me laver. Il me reste néanmoins un problème à régler : je n'ai pas de sous-vêtements de rechange. Et prendre une douche sans changer de sous-vêtements, c'est comme de se brosser les dents sans dentifrice, c'est pas optimal. Je fais un tour des bureaux occupés par des hommes. Des sous-vêtements L en rab, les gars ? Echec total.
La mort dans l'âme, je me rends donc au sous-sol. Je découvre les vestiaires et les douches. 2 ans que je suis dans cette boite et je n'avais jamais mis les pieds ici. C'est beau, c'est propre, il faut chaud, c'est un endroit assez cool, en fait. C'est possible d'y faire des réunions ou bien ?
Il n'y a personne. Tant mieux. J'entre dans une cabine et je me déshabille. L'eau est chaude et une aimable personne a laissé du gel douche sur place. Ça fait du bien. Je resterai bien ici jusqu'à la fin de la journée. Au bout de 15 minutes je me sens enfin propre. J'espère que ça tiendra jusqu'à ce soir. Niveau parfum, par contre, c'est le zéro absolu. Je passerai faire un saut chez Séphora avant le rendez-vous. Il est temps de sortir de là avant que mon absence ne se remarque trop. Je coupe l'eau. Et je réalise que je n'ai pas de serviette de toilette, et que je suis un gros nul. Je n'ai pas trop le choix, alors je m'essuie avec les sous-vêtements que je ne vais donc définitivement pas réutiliser. C'est la lose. Surtout quand j'enfile du coup mon pantalon sans caleçon. En chemise sans t-shirt ça ira, même si ça ne me rend pas très à l'aise. Je remonte vite vers mon bureau. Enfin, pas si vite que ça, parce que quand on court, ça se voit très vite quand on n'a pas de caleçon…
EMMA
Retour au bureau. Au fil des heures, beaucoup de questions m'assaillent, finalement c'est bien que mes copines soit là ce soir parce que j'aurais pu me défiler.
Allez, je me reprends, j'essaie de préparer mentalement mon retour dans ce monde, il faut que je réintègre quelques notions essentielles :
Pour qu'un moment puisse être magique, il faut s'y préparer un minimum. Je m'explique, peut-on tomber amoureux lors d'un premier rdv à la cafeteria du centre commercial ? Eh bien, la réponse est non, bien sûr que non, il faut que toutes les conditions soient réunies, que l'endroit soit à la hauteur, qu'il ait quelque chose de particulier, cosy, lounge ou vintage, peu importe mais il faut qu'il ait quelque chose. Une histoire commencée dans une cafétéria c'est la lose, ce n'est pas romantique, et ça finit au bord d'une autoroute ou pire encore… C'est sûr.
Ah, une autre chose primordiale : il faut être prêt mentalement pour tomber amoureux. Ça parait ridicule dit comme ça mais c'est une réalité, enfin pour moi… Si tu n'es pas libéré des sentiments et des souvenirs du passé, tu peux croiser Jude Law sans te retourner et pourtant Jude Law quand même… (Tu devrais plutôt avoir envie de lui sauter dessus). J'ai jeté les restes d'Antoine il y a 3 mois, je suis donc prête !
« Emma, arrêtez de rêvasser, souriez ! » Je reviens à moi juste à temps, avec mon sourire, pour les nouveaux clients.
MARCUS
18h00. Les salariés quittent l'étage tandis que les cadres restent. Non pas parce qu'ils ont encore du travail, mais parce qu'un cadre se doit de faire des heures sup. On préfère un mec qui reste au bureau tard pour ne rien faire qu'un mec qui rentre tôt chez lui. Moi, de toute façon, je préfère rester ici. A part l'étape Séphora, je n'ai pas le temps de faire grand-chose avant mon rendez-vous, prévu entre 19h30 et 20h00 au Okay café, pas loin de la Villette. Je me demande s'il faut que je garde ma cravate ou pas.
— Ne garde surtout pas ta cravate !
Denise vient de passer la tête dans mon bureau. Elle entre. Je soupire intérieurement.
— Les cravates, c'est pas sexy. Sauf si c'est une cravate fine, noire ou grise, comme Frédéric Taddei dans son émission télé. Genre mal nouée, un peu détachée. Mais une cravate de travail, ça ne donne pas envie de déchirer ses vêtements !
Hum, bon, je me demande si Denise n'a pas raison, pour une fois. Il faut que je la joue cool. Et ma cravate Bart Simpson n'est pas ce que j'ai de plus tendance.
— Alors, c'est quoi le programme ?
— Ben… on va boire un verre.
— Et c'est tout ?
— Bah je sais pas, on verra.
— C'est pas comme ça que tu vas arriver à tes fins.
— Ah bon ?
— Ben non. Il faut que tu aies un programme clair dans ta tête. Il faut que tu donnes l'impression que tu sais ce que tu veux.
— Il ne faut pas que je lui donne l'impression de la laisser choisir, plutôt ?
— Si, tout en sachant ce que tu veux.
— Et si on ne veut pas la même chose ?
— Tu veux quoi, toi ?
— Ben…
— Tu veux coucher avec elle ?
— Ah non mais ça ne je sais pas, je peux pas dire avant d'avoir fait quand même un peu connaissance, j'en suis pas non plus à…
— Ok donc tu veux coucher avec elle.
— Non, mais…
— Et elle aussi, probablement.
— Ah bon ?
Denise soupire. Un soupire qui veut dire que je ne connais rien aux femmes. Un sourire qui me fait douter. Et qui me confirme aussi que Denise a envie de coucher avec moi. J'hésite à lui redemander son numéro perso, au cas ou ce rendez-vous ne serait pas concluant, mais finalement je me ravise. On ne va pas à un plan A en ayant bétonné un plan B, sinon autant faire du plan B le plan A. Je suis bien clair ?
Je remercie Denise, je boucle ma sacoche et je quitte mon bureau. Je ne vois pas Denise mais je l'imagine me mater le cul pendant qui je m'éloigne d'elle.
EMMA
18 heures, je sors enfin. C'est étrange mais parfois le bonheur des clients me donne le sourire, je me dis que c'est possible, que ça existe. A d'autres moments, j'ai l'impression de combattre, je me prends leurs béatitudes en pleine face et ça fait mal. Là, tout de suite, je me sens vieille et moche, fatiguée, ce rdv, je m'en fous, je voudrais rentrer chez moi, me glisser sous une couverture et boire un lait chaud en regardant un film avec Hugh Grant ou un truc dans le genre… Mais demain, j'en serais au même point…
J'aperçois mes copines en bas de chez moi, elles sont déjà là… J'aime ces filles, chacune est à un moment donné la béquille de l'autre, ce cercle nous aide à rester debout, toujours.
Arrivées dans mon appart', elles m'assaillent de questions :
— Alors tu t'habilles comment ?
— Et au fait vous avez rendez-vous où ?
— Tes cheveux tu les laisses comme ça ou bien…
Je ne sais que dire, je suis un peu perdue, Sabine se connecte à partir de mon ordi sur le site de rencontre :
— C'est pas censé être perso tout ça ?
— Ben, dans la mesure où c'est moi qui t'es inscrite, que j'ai créé ton profil, choisi la photo et ton mot de passe…
— Hum…
— Je vérifie si tu n'as pas de nouveaux messages… Ah si, tu en as un ! Il est pas mal du tout d'ailleurs…
— STOP ! J'ai un rdv ce soir, je ne veux pas penser à autre chose, je veux donner une chance à celui-là !
— En même temps tu ne vas peut-être pas tomber amoureuse du premier venu ?
— Certes. Mais il y aura toujours un mec plus beau ou l'air plus sympa et après tu ne t'arrêtes jamais. Je veux juste un mec bien, qui soit là et qui reste.
J'ai dû être convaincante parce que Sabine à refermer l'ordi.
Je suis à présent re-douchée, re-maquillée et re-coiffée, fin prête quoi. Je vois que Delphine me regarde avec sérieux :
« Tu fais attention à toi. Tu restes sur tes gardes. Tu vérifies qu'il n'a pas une démarcation à l'annulaire, tu sais les mecs mariés qui enlèvent leurs alliances et la glisse dans leur poche juste avant un rendez-vous… ». Quoi, me regardez pas comme ça !
« Je ferais très attention. Il faut que j'y aille… ». On s'embrasse et ce promet de s'appeler demain pour tout se raconter, évidemment.
La porte se referme, j'enfile une veste et c'est parti. Direction les quais de la Loire, le O.Kay café. Dans ce lieu, on peut tomber amoureux enfin, je crois. Ce n'est pas ultra romantique, pas du tout même mais le cadre avec le cours d'eau à côté, c'est cool, ça me plait.
MARCUS
J'arrive devant le Okay, petit sac Sephora à la main. Il y a plusieurs personnes qui attendent devant l'entrée. Dont quelques filles visiblement seules. Je me vaporise discrètement un peu de Ck Be (ils n'avaient pas de Paloma Picasso) et je m'approche de celle qui me plait le plus, une petite brune avec un nez retroussé et une barrette dans les cheveux.
— Salut, tu es Emilie ?
— Oui. Tu es Marcus ?
Parfois, c'est à croire que les astres sont alignés. On entre, on s'installe (j'avais réservé), elle me sourit et me dit que je sens bon. J'ai juste envie de l'embrasser. C'est trop beau pour être vrai. On décide que le vin rouge fera notre apéritif et agrémentera notre repas. On commande. Et on commence à parler. Avec Emilie, les banalités semblent des mots doux, la pluie et le beau temps deviennent des sujets sexy.
Elle est professeur de Français dans un lycée difficile de la région parisienne, et son décolleté est incroyable (Magali-sans-e est effacée de ma mémoire dans l'instant). Elle parle de son métier avec second degré, ce qui me plait bien, vu que ma mère était institutrice et que je sais bien que second degré et éduction nationale ne font pas bon ménage. Emilie me raconte qu'elle est célibataire depuis 1 an, qu'elle a pris du temps pour elle avant de chercher à rencontrer quelqu'un d'autre.
— Ça veut dire quoi, prendre du temps pour toi ?
— Ça veut dire que je n'ai pas cherché à avoir une vraie relation. J'ai juste rencontré des mecs avec qui j'ai couché !
— Et c'était bien ?
— Parfois oui parfois non. Mais souvent oui.
— Pourquoi arrêter, alors…
— Parce qu'au bout d'un moment ça lasse. Et que j'ai besoin d'autre chose.
Ah. Autre chose. Le truc qui fait peur à tous les mecs, moi y compris. Elle voit mon trouble. Et me rassure d'un « mais ne t'inquiète pas, je commence toujours par coucher. C'est un peu la base d'une relation, non ? ». Je souris en guise de réponse. Elle s'absente pour aller aux toilettes. J'espère que ce n'est pas une blague, une caméra cachée ou un truc comme ça. Je passe la meilleure soirée de ma vie depuis longtemps. Ça n'a pas l'air d'être le cas du couple assis à quelques mètres de là. Je ne vois pas la fille, qui est de dos, mais le mec en face vient de lui balancer qu'elle était froide comme un iceberg. En voilà un qui sait parler aux femmes. Emilie revient. Elle sourit. Je suis quasiment amoureux.
Le repas se poursuit sur le même mode. Je paye l'addition. Et elle me propose de prendre un taxi pour aller boire un dernier verre chez elle.
Les astres n'ont pas bougé. J'ai hâte d'être demain au boulot pour raconter tout ça à Karim. Et à Denise aussi.
EMMA
J'entre. Je dois y retrouver Marc, un banquier de 40 ans, banquier, c'est rassurant, une certaine stabilité… J'aperçois au fond de la salle, un homme qui me fait un petit signe de la main. Ah oui, c'est bien lui... En m'approchant, toujours avec mon sourire de circonstance, je me répète que tout va bien se passer, il est charmant.
— Bonjour, je m'appelle Emma.
— Salut, Emma, tu es ravissante.
— Merci.
— Un verre de vin ?
— Oui, c'est très bien.
Même si en réalité, je n'aime pas vraiment le vin, comme ça je suis assurée de ne pas abuser. Je garde le contrôle.
— Tu es inscrit sur le site depuis longtemps ?
— Quelques mois.
— Et tu n'as trouvé personne ?
— Personne qui convienne. On attend tous la même chose, le frisson, et jusqu'à présent ça n'a pas marché pour moi. Et toi ?
— Tu es mon premier RDV.
Bon, je vous épargne la suite, il était charmant, il m'a proposé d'aller au resto ou plutôt d'aller manger un plat de pâte à son appart, situé justement tout prêt ! J'ai décliné l'invitation. Il était un peu vexé, il m'a dit que pour trouver quelqu'un, il fallait y mettre du sien, que j'étais glacée comme un iceberg…
— Ne te vexes pas mais des filles comme toi, j'en ai rencontré des tas sur ce site, vous ne faites pas l'effort d'aller vers l'autre, de vous donner à fond. Dans ce genre de rendez-vous, il faut accrocher l'autre de suite pour qu'il ait envie de te revoir. Tu vois ce que je veux dire ?
— Oui, c'est limpide.
— Alors, on va les manger ses pâtes ?
— Ben non…
— Tu soignes l'emballage, un jolie paquet cadeau mais il n'y a rien à l'intérieur, une boite vide !!!
Là, je bois mon verre de vin d'un trait et pourtant je trouve toujours ça très mauvais. Je lève les yeux vers lui, dans mon fort intérieur, je l'insulte, j'espère qu'il lit dans mon regard les mots que je ne prononce pas, enfoiré de mes deux, sale con, vieux banquier de merde… mais il n'a pas du comprendre parce qu'il se permet d'en remettre une couche :
— La réalité c'est que tu es inscrite sur un site de rencontre, et oui, on n'est pas là pour jouer à la belote mademoiselle !
J'ai atteint le point de non-retour, je me lève et lui balance :
— Je préfère mourir plutôt que de jouer à la belote avec toi !
Je tourne les talons, assez fière de cette dernière phrase. Dehors il fait froid, ma fierté se noie rapidement dans le canal, d'ailleurs si l'eau n'était pas aussi fraîche je serais moi aussi allé y plonger.
Boite vide.
Ce n'était pas ma journée.
Boite vide.
Un couple d'amoureux passe en se tenant par la main, même dans la nuit, je vois que leurs yeux brillent.
Boite vide.
Je suis seule…
Vide, vide, VIDE…
MARCUS
Direction rue Daguerre, dans le 14ième arrondissement. Emilie sourit, je souris aussi et je ne cache même plus le fait que je louche sur son décolleté.
— Ne t'inquiète pas, dans 20 minutes tu verras ça de plus près…
On ne m'a jamais parlé comme ça. Emilie s'approche alors de moi. Sa cuisse touche maintenant la mienne. Elle approche son visage. Si j'ai pris un dessert à base de menthe, alors que je n'aime pas vraiment ça, c'est justement pour ce moment-là ! Elle m'embrasse. Et je commence à bander. Et oui, parfois, c'est facile.
Le baiser est agréable, ni trop ni trop peu… mais quelque chose me gêne. Je recule mon visage et je la regarde. Elle sourit et elle a visiblement encore envie de m'embrasser. Moi aussi. On s'y remet. Mais la gêne est toujours présente. Il y a comme une odeur de transpiration. Qui vient d'elle. Emilie sent la transpiration. Je débande direct. Et oui, c'est facile aussi dans ce sens-là.
Soudain, des tas de questions m'assaillent. Pourquoi est-ce que qu'elle sent comme ça ? Est-ce un problème récurrent ou un accident ? Un décolleté pareil, elle n'a pas pu le porter en classe, alors elle est passée chez elle, pourquoi ne pas s'être douchée ? Est-ce qu'on va se laver avant de se déshabiller ? Peut-être qu'elle n'aime pas se laver ? Peut-être que sa remarque sur mon parfum était à double sens ? Peut-être qu'elle aime les odeurs fortes ? C'est peut être son trip les gens sales ? Est-ce que c'est une babacool genre proche de la nature qui ne se lave pas, ne se parfume pas ne s'épile pas ? Est-ce qu'elle a des poils sous les bras ? Sur les jambes ? Ailleurs ??? Oh mon dieu. C'est la panique. Je recommence à transpirer. C'est pas bon. Il me faut de l'air. Il faut que je sorte !!!!
Le taxi arrive justement rue Daguerre. Elle paye, on sort, je lui tends la main. Je suis désolé, je ne couche pas le premier soir, j'ai trop de respect pour les femmes. Voilà l'excuse bidon que je lui sors. Elle perd son sourire. Ensuite, je ne sais pas, j'ai tourné les talons. Direction le RER. Retour chez moi.
Quand j'arrive à l'appart, la télé est tellement forte que je l'entends du métro ! Joli est sur mon lit, nue, avec une femme tout aussi tatouée qu'elle. Elles dorment l'une sur l'autre. Ce serait excitant si l'une des deux n'était pas ma sœur. Je me sens mal. J'éteins la télé. J'essaye de les réveiller, en vain. Je sors le matelas d'appoint que j'installe dans la salle à manger. Je le glisse entre la table et les chaises. Je veux effacer cette journée. En face, les maliens célèbrent une fois de plus Amadou et Mariam.
Demain, ce sera bien.
EMMA
Je m'éloigne des quais, pas envie de prendre le métro, pas envie de croiser qui que ce soit. Là tout de suite, je n'aime pas les gens. Le taxi ? Hors budget (à cause des supers chaussures à talons !). Je vais marcher, j'aime bien marcher… seule la nuit en talons, un peu moins. J'entends ma mère me dire horrifiée « Prendre de tels risques, ma fille tu n'y penses pas. Paris la nuit, c'est la jungle ! ».
Je m'en fous. Le plus gros risque de ma soirée fut de m'assoir à la table d'un parfait inconnu, c'est sure. C'est certainement le genre de gars qui peut te découper en morceaux et te ranger bien comme il faut (il est banquier) dans son congélateur.
L'éclairage urbain fait naître des ombres bizarres. Je ne suis pas rassurée en fait. Je m'accroche à mon sac à main comme à un doudou… Au pire, je me mettrai à courir, et à ce jeu-là, je suis sûre de gagner. Je suis capable de courir une heure trente-six sans m'arrêter, peu de voyous ou d'obsédés peuvent courir aussi longtemps, non ? Allez, il faut rester POSITIVE ! J'efface mentalement les rues froides de ce Paris by night et me transporte dans le sud, l'air est moins froid et moins pollué aussi, il faut vraiment que je pense à migrer définitivement par là-bas.
J'arrive chez moi en un seul morceau, c'est cool ! Je balance mes chaussures et quitte mes fringues en me dirigeant vers la salle de bain. Oui, j'en sème un peu partout, mais qui ça dérange ???
La chaleur de la douche… Un démaquillage rapide et je suis déjà au chaud sous ma couette. J'attrape mon portable machinalement pour vérifier mes mails, non pas que j'attende quoi que ce soit, mais c'est devenu une habitude…
Et je tombe sur le mail du gars du site de rencontre !
Pfff… je l'ouvre en prenant soin de ne pas regarder la photo, pas ce soir. J'écris simplement : « Plan Q, prière d'aller voir ailleurs, merci ». Et hop, c'est envoyé.
En refermant l'ordi, je me rends compte que j'ai oublié de manger ce soir, la faute à ce banquier à la con ! C'est pas grave, de toute façon, cette journée a assez duré.
J'avais oublié certains détails de l'histoire, ça me paraît bien loin déjà.
· Il y a environ 9 ans ·joanandmom
C'est vrai. Mais je comprends seulement maintenant pourquoi tu me demandais de mettre un peu plus de "moi" dans Marcus.
· Il y a environ 9 ans ·marlon
c'était une demande un peu perso, et que globalement je trouve que ça sonne plus vrai.
· Il y a environ 9 ans ·joanandmom
Il y a du vrai. Du faux. Dans le nouvel épisode de ce soir, l'équilibre n'est pas le même...
· Il y a environ 9 ans ·marlon