Les siamois / Chapitre 2

Caïn Bates

       L'été était passé sous le signe de l'onanisme. Jean devait sans cesse plaider son envie de se soulager, et parfois passer outre le rejet de son frère, que ce soit sous la douche ou dans leur lit. Mais il était difficile d'être discret avec un humain aggloméré à soi. Les disputes se multiplièrent entre les siamois, Pierre fixait Jean tout le long que durait son entretien avec lui-même, pour produire en lui le mal-être qui, il l'espérait,  le ferait renoncer à la puberté.
        À la rentrée de septembre, Jean et Pierre firent leur entrée au lycée. La société serait nouvelle, l'éloignement d'avec leur ancien collège leur épargnant le mépris de leurs précédents camarades. Un lycée était affilié à leur collège mais après le scandale déclenché par la représentation théâtrale, le personnel dirigeant trouva une excuse pour ne plus reprendre les siamois. Il remit en ce sens une lettre de recommandation dithyrambique à l'attention des chefs d'établissements des alentours, pour les convaincre d'accepter eux, le vilain petit canard. Un proviseur se laissa séduire et une notice d'information lui fut remise, précisant quelle tête était qui, et les activités devant être bannies de l'emploi du temps des jumeaux, en particulier l'EPS et le théâtre.
      Leur arrivée fit grand bruit, certains enfants de prof avaient parmi les rangs fait courir la rumeur de la rentrée prochaine d'un élève à deux têtes, beaucoup crurent à un canular. Quand Jean et Pierre entrèrent timidement dans la salle polyvalente où les classes seraient attribuées, un groupe de jeunes hippies vint à leur rencontre, persuadé qu'il s'agissait d'une expérience sociale filmée en caméra cachée. «On va leur montrer que nous sommes tolérants!» s'écriait l'un d'eux, un autre se pressant d'ajouter: «En plus ça se voit que c'est un costume, c'est grotesque!». L'une des filles du groupe s'enhardit à leur faire la bise, c'était compliqué, l'espace entre les deux têtes était restreint. Elle les considéra dubitative, c'était quand même bien fait se disait-elle mais surtout, il y avait quelque chose de dérangeant dans ce déguisement. La tête de Jean était plutôt normale, une barbe naissante, quelques boutons, il paraissait l'âge qu'il avait alors que celle de Pierre arborait une expression plus âgée, bien qu'ayant encore la peau douce d'un enfant. Mais surtout elle n'était pas naturelle. La jeune fille ne le savait pas mais cela était dû à la portion moindre de corps dont jouissait Pierre, sa figure au bout de son cou semblait avoir été ajoutée à posteriori sur un être déjà conçu. Un tic nerveux anima les frères au même instant, alors l'adolescente réalisa qu'ils étaient de vrais siamois et recula brusquement la tête en criant.
       Ses amis la prirent dans leurs bras, eux aussi venaient de comprendre ce qu'étaient Jean et Pierre. Le malaise fut palpable, ils ne voulaient pas passer pour des salauds. S'il est de bon ton d'être sectaire au collège, au lycée il faut au contraire se montrer ouvert, alors on excusa l'amie et on se présenta.
— Désolé pour Stéphanie elle a… heu… des tics, elle crie parfois sans raison, voilà. Moi c'est Nicolas.
Le garçon serra la main de Jean, puis celle de Pierre, ce qui était emmerdant parce qu'il n'avait qu'un bras gauche alors cela créa un instant d'hésitation.
— Nous c'est Pierre et Jean, présenta Pierre.
— Moi c'est Jean, précisa son frère.
— Enchanté ! Elle donc c'est Stéphanie.
La jeune fille consciente que son cri d'horreur pourrait la mettre au ban, joua l'énergumène aux limites de la Tourette et poussa un cri de bête. Ses amis comprirent l'astuce et eurent un sourire entendu.
— Moi c'est Pauline, enchantée.
      «Popo» comme elle était surnommée, approcha sa figure des jumelées. Elle leur fit la bise, frisant la claustrophobie quand elle dut passer de Jean à Pierre. C'était la plus jolie de la bande, beaucoup déploraient qu'elle se fût enlaidie avec des dreads et des sarouels.
— Et moi c'est Marco.
Celui-là eut le bon sens de tendre sa main gauche à Pierre. Un serre-tête maintenait ses longs cheveux en arrière et il avait un grand nez. Son sourire était constant.
— Eh bien enchanté, répondit Jean.
Les siamois se demandaient si c'était du lard ou du cochon, personne ne les avait jamais traités de la sorte, comme des humains à une tête.
— Vous rentrez en seconde aussi?!
— Oui oui, confirma Nicolas.
— Parce que vous avec l'air de déjà vous connaître, vous venez peut-être du même collège?!
— Oui on était ensemble à Maupassant, et vous deux vous étiez dans le même collège aussi?!
— Bah oui, s'exclama Pierre en haussant l'épaule.
Jean sentait monter le dédain de son frère, il craignait qu'il sabordât leurs amitiés naissantes; alors malgré la question stupide de Nicolas, Jean expliqua:
— En fait avec notre handicap on était obligés d'étudier au même endroit…
— Votre handicap?!
Nicolas voulait tellement les normaliser qu'il en devenait consternant.
— Heu oui, nous sommes siamois, rétorqua Jean.
— Ah oui.
Le garçon hocha la tête, comme pour montrer qu'il venait de comprendre quelque chose à tout ce fourbi. Il aurait voulu dire qu'il n'avait rien remarqué mais cela aurait été s'enfoncer encore un peu plus dans cette comédie ridicule.
— Venez on va s'asseoir, rebondit-il en désignant une rangée de chaises libres.
       Jean et Pierre les accompagnèrent et s'assirent à leurs côtés, entourés de regards méfiants, curieux ou effrayés. Le personnel éducatif assigna chaque élève à une classe, les choses avaient été bien faites, les siamois étaient ensemble. Pauline était aussi avec eux, les autres répartis ailleurs. Comme au collège, la vie de la classe des jumeaux était rythmée par eux, chaque professeur, chaque surveillant et chaque élève, avant d'entreprendre quoique ce soit, pensait aux jumeaux pour leur éviter une situation gênante. La situation était telle qu'après à peine un mois, les élèves de la classe des frères s'agacèrent que tout tournât autour d'eux, et une animosité s'installa.
    Il en était de même pour Nicolas, Marco, Pauline et Stéphanie. Tout d'abord cette dernière était contrainte depuis son malheureux cri impromptu de mimer un tic vocal à chaque fois qu'elle était en présence des siamois. Elle agrémentait chacune de ces phrases par des beuglements singuliers, et si personne dans la bande n'y prêtait plus attention, les autres lycéens la considéraient comme une débile légère. Le groupe s'était surtout aperçu qu'aux yeux des autres lycéens, il n'existait plus que comme «les gens qui traînent avec le type à deux têtes», et leur identité n'était plus définie que par ça. C'était particulièrement probant auprès de Pauline qui, puisqu'elle partageait leur classe, avait des difficultés à s'émanciper d'eux. À chaque travail de groupe elle devait se les coltiner, aucun ne voulant d'eux et comme tous savaient qu'elle passait ses pauses avec, il était évident que ce fût elle leur binôme. La jeune fille souffrait de cette situation, elle n'avait jamais demandé à devenir leur amie, c'était Nicolas et Stéphanie les investigateurs de cette mascarade; elle n'avait fait que suivre bêtement. D'autant que Pauline éprouvait une certaine attirance pour Benjamin, un rugbyman à la moue combattive, un athlète bien bâti vouant un culte au corps et à l'apparence, n'ayant que mépris pour Jean et Pierre, qu'il tenait même responsable de leur propre état. Quant à Pauline, s'il l'avait remarquée c'était uniquement parce qu'elle était la boniche du monstre; celle qui les aidait quand il fallait s'emparer d'une chose en hauteur ou accrocher l'affiche d'un exposé. Sans ça, jamais il n'aurait prêté attention à une fille aussi négligée.
   Nicolas et Marco étaient les moins indisposés par ce problème, même si à la longue et bien qu'ils mettaient un point d'honneur à accepter avec flegme les remarques désobligeantes, avoir pour identité la simple appellation « copain de » les fatiguaient. Seulement comment dire à Jean et Pierre qu'ils n'étaient plus désirés ? Cela commença par des petites piques, par des rappels à leur handicap, et petit à petit, les membres de la bande commencèrent à sournoisement appeler les siamois «Jean-Pierre».
      Jean était enchanté de cette nouvelle vie sociale, ce n'était plus comme à l'époque du collège où il se contentait d'assister aux conversations des autres, selon son accompagnateur du jour, ici il y participait. Seulement, il déplorait d'être bien souvent et malgré lui au centre des discussions. Nicolas et Marco lui demandaient comment il faisait pour effectuer telle ou telle chose, s'intéressaient beaucoup à la logistique qui régissait les gestes des siamois. Ils auraient également voulu poser des questions plus intimes, sans savoir qu'il s'agissait justement de l'actuel et unique sujet de discorde entre Jean et son frère. Pierre participait peu aux discussions, ou alors pour rappeler par un sous-entendu que lui et son frère ne formaient qu'un. Il jalousait en réalité l'entrée d'autres individus dans son couple. Les changements métaboliques de Jean étant déjà suffisamment pénibles, il ne voulait pas être témoin de modifications supplémentaires. L'instinct de Pierre l'avait averti de se méfier de Pauline, il trouvait son frère trop affable avec elle, plus encore qu'avec les autres du groupe. Il ne concevait pas qu'une jeune femme acceptât de se mettre en couple avec eux, c'était impossible, leur état entrainait trop de complications ; mais cette Pauline les aidait sans arrêt, toujours à leur rendre service et à se mettre en binôme avec eux. Elle récoltait des «Merci Popo» enjoués de Jean, mais Pierre restait au mieux muet, au pire se permettait d'asséner à l'amie qu'elle n'avait pas besoin de tout faire à leur place.
     Concernant les autres du groupe, Pierre leur vouait un mépris quasiment similaire, ils étaient des jeunes génériques, se targuant d'une grande ouverture d'esprit alors que tout était factice. Ils jouaient un rôle, disant ce qu'on attendait qu'ils disent, riant quand il le fallait, adoptant des postures décontractées par conformisme envers l'image qu'ils avaient de la mouvance hippie. Pierre n'avait jamais cherché à leur plaire, il se permettait une remarque de temps à autre mais jamais il ne participait aux échanges. Il ne se trouvait d'ailleurs rien de commun avec eux, leurs discussions ne l'intéressaient pas, ils voulaient parler comme des adultes mais cela ne tournait bien souvent qu'autour de la drogue et du cul, la ton ne montant que lorsque Nicolas ou Marco s'emportaient à propos de polémiques sociétales en esquissant de forts grands gestes, là aussi pour correspondre à leur personnage.
    Et puis, après quelques semaines, un changement devint perceptible. Nico, comme l'appelait désormais Jean (Pierre continuait de l'appeler Nicolas) était souvent moqueur, il rabaissait les jumeaux en évoquant des performances sportives que tout le monde selon lui « devrait être capable d'atteindre » ou évoquant le fait qu'être « encore puceau en seconde, c'était la lose ». Jean encaissait, Pierre avait lui, envie de secouer son frère pour qu'il arrêtât d'être à leurs pieds. Le processus d'écartement des siamois s'accéléra quand la bande commença à les appeler «Jean-Pierre». À toute occasion, ils invectivaient les frères par «Hé Jean-Pierre» et les tutoyaient, comme s'ils n'étaient qu'une seule personne. «Hé Jean-Pierre, t'as pas un euro pour la machine à café?!». Très peu de jeunes s'appelant «Jean-Pierre», cela ajoutait encore au côté burlesque des siamois.
       Pierre espérait qu'après cet affront, son frère se détournerait du groupe, même si au fond cela lui plaisait qu'on les considérât comme un seul et même individu.
     Un jeudi après les cours, Nicolas proposa à Jean-Pierre d'aller se poser dans un jardin public en compagnie de Marco, Stéphanie et Pauline. Jean accepta même si son frère l'informait qu'ils avaient des devoirs à faire. Il appela leur mère qui devait comme tous les jours venir les chercher et lui dit de venir les prendre une heure et demie après la fin des cours.
    Réunis autour d'un banc, Nicolas roula un joint, il commençait à être un gros consommateur, c'était en tout cas le but auquel il prétendait.
— Hé Jean-Pierre, tu veux tirer dessus?! demanda-t-il.
— Bah heu… hésita Jean.
Pauline se leva et rentra chez elle, elle en avait plus qu'assez de ce cinéma autour des jumeaux. Elle aussi voulait se séparer d'eux mais pas de manière aussi mesquine.
Le départ de la jeune fille peina Jean. Se voyant rarement en dehors du lycée, il avait espéré avoir une occasion de lui avouer ses sentiments dans ce jardin. Maintenant qu'elle était partie, il voulait au moins que les autres parlent en bien de lui.
— Allez donne je vais essayer.
— Mais non ! s'insurgea Pierre.
Il ne pouvait rien fait d'autre que râler, tirer son frère par le bras était impossible, s'en aller simplement aussi. Nicolas remarqua la gêne de la tête de gauche, ça lui plaisait.
— Inspire bien à fond.
Le pétard aux lèvres, Jean tira jusqu'à se remplir les poumons. Il toussa et recommença aussitôt, il voulait prouver son zèle à se défoncer. Marco alluma un autre joint, les deux tournèrent et Jean consommait. Ses muscles se détendirent, il ressentit un engourdissement et tout allait soudainement mieux. Il s'affala dans le banc mais fut retenu par Pierre, si crispé face à cette énième nouveauté, sur le qui-vive et prêt à bondir en cas de problème.
— Bon allez Jean-Pierre on te laisse, à demain! s'exclama après une petite heure un Nicolas hilare.
Jean leva la main autant qu'il put, Pierre lui lança un regard inquiet.
— On y va aussi?! On a plein de boulot à la maison.
— Attends… attends…
Pierre voyait sur son frère se refléter son propre visage, mais livide et les yeux mi-clos.
— Non allez on s'en va, il fait nuit!
— Attends je t'ai dit, je suis bien là…
Un tel lâcher prise était inédit pour Jean. Il se sentait bien d'être sur ce banc, il se sentait un jeune comme les autres. Il prit même son téléphone et rédigea péniblement un SMS pour Pauline: «Salut Popo, je voudrais te voir en tête à tête, j'ai quelque chose à te dire…».
— À qui tu envoies un texto?!
— À Pauline.
— Pour lui dire quoi?!
— Que je voulais la voir en privé, pour lui avouer mes sentiments…
— Non mais n'importe quoi! Tu es drogué, tu ne sais plus ce que tu fais!
      Le cauchemar se réalisait, Jean voulait interposer une fille entre son frère et lui. Pierre prit à son tour son téléphone et envoya également un message à Pauline: «Excuse mon frère mais il a fumé et il t'a dit n'importe quoi!». Et craignant naïvement qu'elle serait séduite par la consommation d'herbe de Jean, il envoya un second SMS: «Non il n'a pas fumé en fait, il est juste malade à cause d'un truc qu'il a mangé.»
Pauline reçut ces trois messages alors qu'elle était dans son bain, les deux frères semblaient vouloir l'intégrer à un triangle amoureux malsain. Elle avait déjà remarqué les regards de Jean mais apparemment, Pierre aussi était attaché à elle, au point de tenter de discréditer son propre frère. La jeune femme s'imagina que les siamois étaient en concurrence pour ravir son cœur. N'ayant aucune envie d'être cataloguée comme «la fiancée du type à deux têtes» si le bruit de cette passion se rependait, elle prit la décision de ne plus les fréquenter, ni eux, ni la bande de Nicolas. Elle prit rendez-vous chez le coiffeur pour couper ses dreads et refit sa garde-robe dès le lendemain, choisissant des vêtements seyants pour souligner sa féminité. Elle ne voulait plus ressembler à une créature unisexe et négligée, elle aspirait à mieux qu'à rester servante de Jean-Pierre.
    Cela faisait déjà près de deux heures que Jean gisait hagard sur le banc public, le bien-être avait laissé place à l'horreur des premiers bads. N'arrivant pas à convaincre son frère de se lever, Pierre avait appelé des badauds à l'aide. Plusieurs d'entre eux étaient venus les voir mais avaient tourné les talons dès que l'apparence des frères leur avait sauté aux yeux. «Monsieur, vous pouvez m'aider à déplacer mon frère ! Hé Monsieur, revenez!». Le monsieur prenait ses jambes à son cou, il faisait noir, personne ne souhaitait se retrouver avec un inconnu sur les bras, encore moins s'il était bicéphale.
    Alors Pierre tenta de faire bouger son frère de force. Il était partagé entre la colère, à penser que son frère était juste en train de faire le malin, et la crainte qu'il fût vraiment malade. Pierre n'avait en fait aucune idée de ce que pouvait ressentir quelqu'un de défoncé. De son unique jambe gauche, le garçon se redressa et tout le long de son corps, sa chair tirait pour faire venir son jumeau. Il parvint à le faire descendre du banc mais ce ne fut que pour chuter sur le chemin de terre. Ils ne pouvaient pas se relever sans coordonner leurs mouvements.
— Mais relève-toi maintenant, c'est bon! Ça fait deux heures qu'on est ici, j'ai trop froid!
— Attends, attends…
— Non, pourquoi tu veux attendre?! On part, on n'est jamais rentrés si tard, Maman n'arrête pas de m'appeler et je n'ose pas répondre!
— Réponds pas… réponds pas je te dis…
— Jean s'il te plaît, j'ai peur, je veux qu'on s'en aille.
Le frère restait inerte, condamnant par soudure son jumeau à stagner lui aussi sur le sol, en un agglomérat informe de chair, de boue, de poumons et de rates. Après avoir attendu encore une dizaine de minutes que son frère reprenne ses esprits, Pierre décida d'appeler leurs parents pour qu'ils viennent les chercher.
— Je dois appeler Papa ou Maman, on ne peut pas rester ici toute la nuit, je ne sens même plus mes doigts!
— Si tu… si tu…
— Quoi?! Je ne comprends rien!
— Si tu appelles les parents, toi et moi c'est fini…
La voix de Jean était nasillarde, chargée de haine, et elle glaça le sang de son frère. Il avait cette terreur enfantine de croire qu'on pourrait lui en vouloir éternellement d'avoir pris une initiative; alors il resta allongé sur la terre et les cailloux et attendit que le THC se dissipât de la moitié droite de son corps. Une bande de jeunes vint voir qui était ce citoyen au sol, une main saisit fermement l'épaule de Pierre et le retourna, avant d'hurler d'effroi. Après cela, peut-être que Jean prit conscience que la situation devenait périlleuse. Il était vingt-deux heures et il se releva péniblement en prenant appui sur le banc, son frère essayait de le soutenir au maximum.
    Complètement gelés, ils se dirigèrent en claudiquant jusqu'à leur lycée, espérant y trouver leur mère. Elle n'y était pas alors ils l'appelèrent, elle décrocha affolée, Pierre expliqua qu'ils avaient oublié leurs portables dans leurs sacs et que chez leurs amis, ils n'avaient pas vu le temps passer. Corinne était furieuse de cette négligence, c'était la première fois que ses fils s'absentaient ainsi sans raison. Elle quitta le commissariat et les rejoignit, elle sonda instantanément les yeux rouges de Jean.
— Qu'est ce que vous avez?! C'est quoi ces yeux?!
— Rien, c'est parce qu'on a fait des jeux vidéos chez un copain, inventa Jean.
Il remua de manière à ce que seul son frère le sente, le message passa.
— Oui on était dans le noir et c'était en 3D.
Corinne ne posa pas plus de questions, elle avait des doutes mais elle connaissait le caractère infantile de Pierre, elle supposait qu'il n'aurait pas laissé son frère avoir une conduite répréhensible. Sur le trajet du retour, elle les houspilla pour la frayeur causée et ce fut tout. Ils dinèrent, Jean mangeant pour deux, et les jumeaux allèrent dans leur chambre.
Ils avaient toujours envie de dormir au même moment mais cette fois, seul Jean le souhaitait, le synchronisme était rompu.
— Je ne veux plus jamais que tu refasses ça.
— Tu veux quoi, que toute notre vie on joue avec des jouets?!
— Je n'ai pas dit ça mais tu n'as pas besoin de prendre de la drogue, de chercher à draguer des filles, de voir heu …
— De voir d'autres gens que toi?!
— Non je n'ai pas dit ça.
— Mais tu le penses! On est plus pareils Pierre, tu comprends ça?!
Pierre ne répondit pas.
— J'ai muri, j'ai envie d'autres choses et on n'est plus du tout sur la même longueur d'onde! En fait, j'en ai ras le bol d'être collé à toi.
    Les larmes coulèrent des yeux de Pierre, il aimait son frère, plus que tout et même à cet instant; mais il savait qu'une chose était brisée, que leur entente ne serait plus jamais comme avant, que les hormones avaient altéré son frère de façon durable.
Cette nuit-là, Pierre rêva que son frère découpait leur épaule commune à l'aide d'une grande scie, les tuant tous les deux.

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