Les trois naissances de Cervantes de Leon

jeffzewanderer

Les trois naissances de Cervantes de Leon

 

 

Un conte d’âmes et d’épées transcendant l’histoire et le monde, éternellement réécrit. Voilà comment ils ont appelé mon histoire.

            Je suis né une première fois dans le sang. Je n’existais pas avant de donner la mort pour la première fois. Tout ce qui s’est passé avant n’avait ni rime ni raison, pas de sens et encore moins d’importance. J’ai quitté ma patrie et rejoint les frères de la côte pour aller semer la mort et la destruction. Pas pour un idéal ni pour défendre un quelconque intérêt. Non, seulement au nom du chaos qui m’a vu naître. Au bout d’un an mon nom et celui de mon navire étaient sur toutes les lèvres ; au bout de deux nul n’osait plus les murmurer de peur de s’attirer le mauvais œil. On me disait un démon surgi des enfers, ou la colère de Dieu ; on me prêtait des pouvoirs surnaturels… Je n’avais cure de ces racontars. Pourtant l’une des légendes qui parvint à mes oreilles éveilla mon intérêt. Elle parlait d’une épée extraordinaire, si puissante qu’elle seule pourrait m’anéantir. Je ne saurais dire pourquoi mais je décidai de partir à sa recherche. Je ne croyais pas réellement à sa puissance mais j’étais comme fasciné par elle. Envoûté. Je ressentais son appel au plus profond de mon être.

            Ne laissant derrière moi que ruine et désolation, je finis par la trouver, ou plutôt les trouver car il y avait en réalité non pas une mais deux épées. Moi qui avait coutume d’utiliser deux lames au combat j’y vis un présage et m’empressai de les saisir. Ce fut ma seconde naissance. A l’époque je croyais déjà ne plus avoir d’âme. Je me trompais. Pour noire et corrompue quelle fût j’en avais bien une et au moment où j’avais fermé le poing sur le pommeau ces épées on me l’avait arrachée. Peut-être était-ce le prix à payer. Ou peut-être était-ce simplement mon destin. Quoi qu’il en soit ce que j’ai perdu à cet instant ne m’a jamais manqué car j’ai reçu bien plus en échange. Comme si j’avais enfin trouvé quelque chose qui m’aurait toujours fait défaut sans que je le sache. La réponse que je cherchais depuis si longtemps sans même savoir quelle question poser. J’avais trouvé mon essence.        Ce qui suivit est encore l’objet de nombreuses légendes. Mes carnages précédents faisaient figure de vaines amusettes à côté du règne de terreur qui fut le mien en ce temps. Même les gouvernements renoncèrent à lutter contre moi, de la même façon qu’on ne lutte pas contre un ouragan. On ne peut qu’espérer y survivre. Quelques aventuriers tentèrent bien leur chance mais ils n’y gagnèrent qu’une mort glorieuse. Ce que je retiens surtout de cette période c’est ce désir permanent et incessant qui m’habitait ; maintes fois satisfait mais jamais comblé, toujours plus présent. Tuer mes victimes ne suffisait pas, il me fallait les détruire, m’emparer de leur âme, m’en nourrir. Encore et encore. Mon pouvoir grandissait sans cesse. Je me sentais devenir divin. Mais il m’en fallait toujours plus. J’aurais dû me douter que tout avait une fin.

            Pour moi cette fin pris la forme de deux femmes. C’est la ninja qui m’a tué, mais la grecque m’avait déjà infligé bien pire. Quand elle m’a défié, se prétendant envoyée par ses Dieux, je n’ai vu en elle qu’une âme de plus pour ma moisson. Jusqu’à ce qu’elle parvienne à briser l’une de mes lames. C’est alors que j’ai compris ce qu’était le désespoir. Je l’ai blessée. Elle était mourante. Mais ça n’avait plus d’importance. J’avais perdu. J’étais perdu. La ninja est apparue et l’a sauvée en brisant la coquille vide que j’étais devenu. Peu m’importait ; j’étais déjà mort. Les ténèbres m’ont embrassé.

            Puis j’ai rouvert les yeux et j’ai su. J’ai su que l’épée survivante m’avait ramené à un semblant de vie. J’ai senti que ce jeune imbécile s’était emparé d’elle mais n’avait pas su faire corps avec elle. Il la laissait le dominer, n’était qu’un pantin sans volonté. Son apparence grotesque en était la preuve. Je savais tout cela et bien plus encore mais j’étais impuissant. La demi-vie que m’avait conférée l’épée, comme un appel au secours, ne suffisait pas. Alors j’errais, ni mort ni réellement vivant, rejeté par un monde qui n’était plus le mien et roi déchu de l’au-delà. Jusqu’au jour au je reçus le signe que je n’espérais plus.

            Un oiseau de ténèbres vint vers moi porteur d’un fragment de mon épée, de mon essence. Et dans ses yeux de braise je me suis vu renaître. Lorsque mes doigts se refermèrent autour du précieux objet je compris. L’épée, lassée de sa marionnette, s’était suicidée pour moi. Elle s’était laissée détruire et ses fragments avaient été dispersés à travers le monde. Les fous virent cela comme leur victoire, mais je sus immédiatement qu’il s’agissait d’un appel.

            A partir du fragment je forgeai une nouvelle lame, pâle reflet de l’original mais suffisante pour ce que j’avais à faire, et je me mis en quête. Seul, j’ai parcouru les océans, ne laissant rien ni personne se mettre en travers de ma route, guidé par sa complainte. Elle est toute proche, je le sens. Bientôt je la tiendrai à nouveau entre mes mains. Ce sera ma troisième naissance. Alors j’ajouterai un nouveau chapitre à ce conte d’âmes et d’épées et jusqu’aux cieux trembleront au son du nom de CERVANTES.

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