Les voisins-le discret déterminé

nadiakwords

Il faisait chaud et lourd, comme à chaque fois qu'on a beau temps plus de trois jours de suite. Vers 10h, je me suis installée sur la terrasse, pour lire à l'ombre. Juste en face, un homme est lui aussi sorti sur sa terrasse. J'habite au dernier étage, j'ai une vue plongeante sur bon nombre de balcons, jardins et mêmes intérieurs du quartier.

L'homme a entrepris de repeindre le sol boisé de sa terrasse, profitant du beau temps annoncé pour le week-end. A la main, il tenait un long manche au bout duquel se trouvait un petit rouleau d'à peine dix centimètres, qu'il trempait régulièrement dans un bac rempli de peinture. Sa terrasse entoure les trois quarts de son luxueux et grand appartement.

A 14h, il a fini un des trois côtés, trempant, roulant et peignant d'un joli brun foncé son sol en bois, à l'origine clair. Petite bande par petite bande, le beige usé disparaissait sous le brun, chaud.

A 17h, le 2e côté achevé, sa femme est sortie admirer le travail. Ils ont échangé une ou deux phrases, pas plus, et il s’est remis au travail. C’est un couple discret, ils ne reçoivent pas souvent et leur petit garçon joue toujours sagement, sans faire de bruit.

Même de loin, on voyait que l’homme était épuisé. On sentait une perte d'élan par rapport au matin, son dos était plus courbé, ses mouvements moins souples. Mais à chaque fois que je jetais un œil curieux, il trempait, roulait, peignait méticuleusement, entièrement absorbé par sa mission. Il a progressé ainsi, de dix centimètres en dix centimètres.

Pourquoi ce tout petit rouleau? Peut-être qu'avec un rouleau plus grand, on obtient un résultat moins parfait. Il faisait si chaud, il ne s’arrêtait jamais, sauf pour boire une gorgée d’eau de temps en temps. Il y a passé tout son samedi. Une détermination inflexible émanait de son attitude corporelle, concentré qu’il était sur le va-et-vient du rouleau, oubliant probablement l’effort. Quelle force de caractère de la part d'un homme aussi discret!

Quatre jours plus tard, une table en bois du même brun que le sol, quatre chaises et un parasol blanc sont venus couronner son chef d'œuvre. Aucune faute de goût, mais l'ensemble est ennuyeux. Depuis, je le vois de temps en temps avec sa femme et son fils, le soir au soleil couchant, attablés devant un repas. Pas très souvent.

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