A madame *** Lettre XVII
scribleruss
A N *** , le mercredi 21 mai 2014
Bonjour chère amie,
Malgré nos incompatibilités et aversions il me plaisait de vous écrire, il vous était plaisant de me lire. Je fantasmais, vous fantasmiez, et du moins nous aidions-nous implicitement à passer le temps, moi en vous écrivant, vous en me lisant.
Mais votre mutisme borné, votre fierté, votre mort enfin - rassurez-vous je n'y échapperai point - m'ont convaincu de cesser là la poursuite de cette correspondance posthume et apocryphe.
Au terme de nos existences respectives, vous n'êtes rien, je ne suis rien, vanité des vanités tout est vanité et donc dérisoire et ridicule, alors ce matin sous ce ciel gris alors que les coquelicots n'ont pas encore relevé la tige dans les herbes trempées, je vide l'encrier, je jette ma plume, je brise le porte-plume.
Me connaissant je sais que tant que mes neurones auront quelque potentiel, que mes doigts pourront se mouvoir, que j'aurai quelqu'étincelle de plaisir, je me commettrai encore dans quelques écrits certes vains mais divertissants.
Peut-être ne m'adresserai-je désormais qu'à mon bonnet, soliloquant, comme ces vieillards tangeantant le grabat mais traînant encore leurs savates dans les allées de l'hospice au bras venimeux d'une accompagnatrice vénale et haineuse.
Je ne dis jamais au revoir, je ne dis jamais adieu, je vais, tant que je vis, mes hommages madame, même si vous n'êtes que quelques os dans l'ossuaire, ou qu'une cendre, nouvel humus de quelques centimètres carrés de terre nourrissant une mauvaise herbe.
s ***
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