Lettre à Nâzim Hikmet
Marion Ploix
Cher Nâzim,
Ici, de montagne point, mais le reflet de l'eau sur la Seine sinueuse.
Un touriste venant d'ici ou d'ailleurs, comme cet homme, accompagné d'une jolie femme en talons hauts. Il a retroussé les manches de sa chemise et marche, sans se presser le long des quais à la recherche d'un objet, un livre peut-être qui ferait bien français, à la couverture un peu ancienne, souvenir à rapporter parce que voyager c'est bien, mais le prouver une fois rentré au pays, c'est mieux, rentabilité oblige !
Paris ville lumière, si belle en cette fin d'après midi. Le soleil décline doucement, ses rayons rasent les boites des bouquinistes et invitent à paresser à une terrasse de café.
Un peu plus loin, sous les arches d'un pont, les sans-abris, les sans-papiers regardent passer les bateaux mouches. On ne les voit pas et pourtant ils sont bien là, comme le prouvent ces tentes distribuées par une association bienveillante. Ils sont les fantômes que l'on repousse dans la terreur que l'on a d'une misère que l'on préfère étrangère. Cette détresse pourtant qui grandit dans l'ombre de nos écrans, bien humaine et que l'on pourrait toucher du regard.
Ainsi les années passent et les batailles qui perdurent se ressemblent. On se dirait presque que ce drôle d'animal humain n'apprend décidément rien. Ou bien, se sentir humain serait peut-être la clé, l'aboutissement d'un désir profond qui conduirait à l'action parce que vivre c'est se sentir vibrer. !
Nâzim, quand tu parles de tes montagnes ou de l'amour d'une femme, je t'entends vivre et la succession de tes combats sont comme le flux rouge qui coule dans nos veines, nécessaires, vitales. Il suffit d'un être bien humain pour donner à voir à d'autres êtres qu'ils peuvent vibrer eux aussi. Et les montagnes sont si belles au petit jour.
Il y a des hommes et des femmes qui ont cette force résistante et libre d'appréhender à la fois l'ombre et la lumière. Peut-être que l'une ne va pas sans l'autre. Tu nous a nourri de la pomme rouge de ton cœur grandit et tes mots continuent de voler par delà les frontières. Ils me parlent comme si je pouvais te voir autour de cette table où je me trouve assise, moi, jeune française si loin de toi. Ils ont la force des mots vrais parce que nés d'un désir généreux. De cette générosité pleine d'espérance en l'homme, tu continues de vibrer et de nous inciter à y croire.