Lettre aux milles souffrances

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Si cette lettre vous revient c'est que je ne suis très certainement plus de ce monde.

Au Caporal Emeric Causape,

Si cette lettre vous revient c'est que je ne suis très certainement plus de ce monde ou alors c'est une erreur de calcul de ma part. Cela serait gênant si c'était le cas. Je ne sais pas par quoi commencer, il y a tellement de choses à écrire. Les gens, autour de vous, pensent que vous n'êtes qu'une personne froide et sans coeur, qui se fiche pas mal des autres, mais ils ont tort. À ce moment précis, je sais pertinemment que vous vous maudissez intérieurement, que le poids sur vos frêles épaules est beaucoup trop lourd à porter. Vous vous dites que l'attachement vous devrait être enlevé, que c'est vous qui auriez dû y passer mais c'est faux. Si vous y étiez resté, encore plus de vies auraient été détruites, plus de familles auraient souffert et je pense que l'humanité en elle-même n'aurait très certainement pas survécu. Vous ne pouvez pas sauver tout le monde, vous ne pouvez pas ramener chaque homme à la maison.
Je sais pertinemment qu'à l'intérieur vous souffrez et j'aurai donné n'importe quoi pour vous l'enlever, cette douleur. Caporal, vous êtes une bonne personne, une merveilleuse personne. Je voulais vous remercier, vous avez été tellement patient, gentil et doux malgré vos airs de grand homme. Si j'avais pu, si j'en avais eu le courage, je vous aurai très certainement dit toutes ces choses en face, mais ces mots ne seraient pas sortis aussi simplement que sur un bout de papier. Belle ironie n'est-ce pas ? Allez souriez, juste un peu.
J'espère que ma mort aura permis de donner quelque peu de courage pour que l'humanité puisse riposter. J'espère que nous n'auront pas tous disparus en vains, que nos vies valaient la peine d'être prise. Je souhaite que ma présence vous aura été, en quelque sorte, d'une grande aide. Moi, vous m'avez aidé. Vous m'avez permis de grandir dans un milieu terrifiant et douloureux. J'avais cette impression de me sentir en sécurité à vos côtés, comme si rien ne pouvait être impossible. Tant que vous seriez là, j'aurai eu un endroit où me réfugier, où j'aurais pu évoluer un peu plus. Un endroit où rentrer.
Honnêtement, j'aurai fait tout ce qui aurait été en mon pouvoir pour qu'il ne vous arrive rien. Malheureusement, je ne suis certainement plus là à l'heure qu'il est. Je vous avoue que quelques larmes sont en train de s'écraser sur cette maudite feuille abîmée. Je voudrais que vous sachiez que je ferai tout ce que je peux pour vous surveiller, là-haut. Je serai en quelque sorte votre ange gardien, du moins si ce genre d'utopie est possible.
Certaines choses nous font mal et la mort des personnes qui nous sont chères nous détruis plus que n'importe quoi d'autre. Je ne veux pas que vous pensiez que tout est de votre faute, je ne veux pas que vous vous disiez que vous auriez pu nous sauver. La vie est faite ainsi, on ne peut pas changer le cours de l'histoire. On ne peut pas ramener quelqu'un. Il faut seulement essayer d'oublier, de nous rayer même si c'est plus facile à dire qu'à faire.
J'ai l'espoir qu'un jour votre nouvelle équipe vous aidera à faire un trait sur le passé. Si vous ne vous ouvrez pas aux autres, si vous préférez être seul vous allez finir par vous noyer dans vos émotions. Vous vous enfermerez dans votre monde. Je pense que le problème c'est qu'on vous en demande beaucoup trop. Si vous ne brisez pas cette glace qui retient toute votre haine et votre rancoeur vous ne pourrez jamais remonter à la surface.
Je ne serai plus là pour vous soutenir, je ne serai plus là pour vous maintenir. En quelque sorte, nous étions vos piliers et vous vous étiez celui qui nous rendrait notre liberté. Je ne regretterai jamais le fait que vous nous ayez choisi, que vous m'ayez choisi, parce que j'aurai vécu quelque chose de magique. Malgré tout le désespoir qui se trouve dans ce monde, je pourrai dire que le bonheur avec vous n'a pas de limite. Au final, nous vivrons éternellement à vos côtés, merci pour notre petite infinité. Je vous aime comme je n'ai jamais aimé.


Avec tout l'amour du monde, Anna Loutbrok


C'était sous la lumière de la lune et pendant le chant nocturne que le Caporal venait de terminer sa lecture. De ses mains abîmées, il serrait aussi fort qu'il le pouvait ce bout de papier lui rappelant une affreuse vérité. Des perles glissaient de ses yeux rougis et fatigués. Le soldat regarda alors l'astre de la nuit. Du haut de sa clairière, protégé par les montagnes et les murs titanesques, il laissa la ballade des canidés danser dans ses oreilles. Et dans un souffle douloureux, il déposa sa tête sur ses bras bandés, ramenant ses jambes à son corps mutilé et s'abandonna. Emeric se balançait lentement sur lui-même. Les larmes roulaient d'avantages, délicates et assombries, elles finirent leur course sur cette lettre qu'il avait trouvée.


Elle avait été soigneusement pliée puis déposée sous ce pot de fleurs à la couleur de l'hiver qui n'était autre que le sien. Elle était entrée un beau jour, déplorant l'allure terne de son appartement. Jugeant qu'il manquait de vie. Alors, elle avait déposée ce trésor au bord de cette fichue fenêtre où elle pouvait regarder autant qu'elle le pouvait ce paysage magnifique. Puis il se rappela que c'était la première fois qu'il avait vu cet adieu. Anna lui avait-elle déposée à chaque fois qu'ils s'en allaient et l'avait-elle enlevée dès leurs retours ? Depuis combien de temps cela durait ? Elle était partie mais comme une fleur son parfum restait. Il l'entourait, disparaissant un peu plus à chaque minute. Emeric ramena son eldorado à ses narines laissant l'effluve délicate se perdre en lui.


Et c'est avec une voix tremblante, alors que son regard s'échouait à nouveau sur la lune, qu'il vida son coeur.


—Je ne suis pas aussi fort que tu le prétends, tout ça, ce n'est qu'une mascarade. Je ne jouais qu'un rôle, je me mentais à moi-même. Qui viendra m'emmener un gâteau pour mon anniversaire ? Qui chantera les chants de Noël ? Qui illuminera la caserne d'un doux rayon ? Je crois.. Non, j'en suis sûre. Je suis tombé amoureux de toi Anna, mais tu es parti en emmenant mon coeur. Je te promets de prendre soin de tes plantes et de les chérir autant que j'aurais pu le faire avec toi. Je te promets de faire en sorte de ne pas me laisser mourir et de permettre à de nombreuses personnes de rentrer à la maison. Aucun homme ou femme ne pourrait survivre à une telle douleur. Mais Anna, comment vais-je pouvoir me relever d'une telle blessure ? J'aimerais tant apercevoir ton visage. Je souhaiterais remonter le temps et pouvoir te sauver. Vous ramenez tous les trois au bercail. Je ne pourrai plus jamais vraiment vivre. Je serai bancal, un peu brutal. Je ne serai qu'un marin perdu dans les écumes qui tenterait de remonter. Je dépendais de vous comme le sel dépend de la mer. Tu sais, j'ai toujours eu froid parce que j'ai longtemps regardé là où il n'y avait pas de chaleur, alors, j'essayerai de vivre pour toi, pour chacun d'entre vous.


Il s'était tût et ne reçut qu'en réponse la plainte d'un loup maintenant seul et anéanti. Une bourrasque vint caresser ses cheveux corneille chuchotant des promesses éternelles. Et c'est à ce moment-là, que Emeric éprouva le besoin de lui sourire comme-ci elle était là, inquiète et en larmes. Alors, il avait souri, à pleine dent, les yeux débordant de larmes.


W H E R E   A R E   Y O U   N O W ?

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