l'évangile selon le jeune con
julien2lorme
l'évangile selon le jeune con
julien delorme
avant-propos
Tout part de la réflexion d'un pote, lorsque je lui déclare vouloir arrêter d'écrire. Face à ce qui n'est quand même pas l'annonce de la retraite de Zidane, il se marre, et me répond : « tu devrais écrire un texte testamentaire ». Je me marre à mon tour. Devant son regard sérieux, je l'invite à développer. Il poursuit donc, ainsi : « écoute, il faut bien reconnaître, que tout ce que tu as écrit, forme un putain de bordel, souvent illisible, imagine que tu te décides à regrouper tout ce que tu peux penser, en un texte ultime, un testament, faisant la somme de toutes les idées que tu as abordées dans tes textes ». Je me marre. Mais jaune. Comment ça : un « putain de bordel, souvent illisible ? »
Merde ! Va pour le testament. Après avoir hésité à faire un copier coller du testament de Brassens, qui est, sans nul doute, de loin le mieux que l'on puisse faire en la matière, je commence à envisager la chose sérieusement.
Mais mon pote ne s'arrête pas là : « je te parie que tu n'es pas capable de m'écrire un texte qui soit la somme de tout ce que tu penses et a écrit, et ce en moins de cinquante pages, et d'inspiration biblique ».
Le bougre pense me connaître, et me voit comme un athée, moi qui suis certainement, le plus croyant des croyants. Point de religion ici, mais une mystique, sûre d'elle-même, confiante et généreuse. Une mystique n'est pas une religion, et n'a nul besoin de la matérialité dont se gave la religion. Et je désire une mystique qui ne soit rien d'autre que le tout formé par la fusion écrite de l'héritage de Buddha, des mythologies grecque, mais surtout germanique et nordique, des cultures inuites, et bien sûr de la mystique rhénane et de son père : Maître Eckhart.
Alors, je me lance dans l'entreprise sacrée, de ce que je conçois quasiment dès le commencement, comme un évangile. Puis, je profite de mon pote, pour me demander qui je suis, ou plutôt qui je suis, à travers ce que j'écris. Suis-je Camille de des cœurs à peindre ? Suis-je Paul ? Suis-je Bengal ? Théo ? Suis-je tous ceux-là ? Aucun d'eux ? Un autre ? En fait, l'idée m'apparaît claire et limpide : je suis le jeune con, ni plus ni moins, donc c'est à travers lui, que le testament se déroulera. Je développerai donc ma mystique, celle du jeune con, qui sera une mystique urbaine. J'aime les textes bibliques, j'aime les sermons, j'aime lire Saint-Augustin, j'aime lire Maître Eckhart, mais j'aime aussi lire Lautréamont. J'aime sa prose divine.
Alors je décide de croire que la mystique que je désire, sera le fruit de ces amours-là. Puis, je me pose la question suivante : quelle est l'essence de cette mystique ? De quoi ai-je finalement toujours parlé dans ce que j'ai écrit ? Et en quoi suis-je prêt à croire ? Si je crois. L'imaginaire, le rêve, la volonté, la façon dont les gens se définissent les uns par rapport aux autres, les uns par les autres et pour les autres, dans leurs sentiments réciproques. L'amour. Evidemment. Mais l'amour n'est que par et pour tous les autres sentiments. L'amour n'est pas un sentiment. Il est les sentiments. Il est comme le créateur, qui n'est pas créé, mais qui est, et n'est pas, puisque plus haut que tout ce qui est haut : l'amour n'est pas, et il est en même temps, tout et tous. Voilà la mystique urbaine qui prend corps. Son essence serait la suivante : nos sentiments nous constituent en tant qu'homme et femme, et nous nous abandonnons à eux. C'est le rêve, l'amour, l'imaginaire, qui font que nous sommes libres, les uns dans les autres, par et pour les autres. Là est la mystique urbaine.
Urbaine ? Parce que les textes bibliques nous parlent de prés, de paysans, d'élevages, et que je vois, moi, des villes, des rues, des gratte le ciel, du béton, des ouvriers. Alors si l'on part du désir de création, pour arriver à la transcendance de notre âme et à notre devenir, à travers les sentiments, alors on parle de mystique urbaine, et l'on parle de l'écriture. Je crois en cette faculté que nous avons à nous dépasser pour et par les sentiments. Et en cela, l'art, et la musique en particulier ont une place à part. Car pour réaliser ce qui n'est autre qu'un surgissement de nous-mêmes, en tant qu'âme, corps et cœur, il nous faut nous affranchir du monde lui-même. La musique nous y invite.
Mais pour sentir cette mystique, et l'embrasser à son tour, il faut être croyant. Non pas croyant dans la pratique, ou dans la matérialité de la croyance, non pas croyant en un Dieu, en plusieurs Dieux, non pas gnostique, rien de tout cela. Il faut vouloir croire, comme on parle aussi du vouloir vivre. C'est cette volonté propre, infinie et dénuée de toute substance, qui permet à l'homme et à la femme de s'élever plus haut que le plus haut des anges.
Il faut croire donc, croire en un rêve, croire en une idée, croire en soi, ou en quelqu'un d'autre, croire en quoique ce soit, mais croire, croire dans le sens de vouloir, d'espérer, de désirer, il faut croire, parce que croire n'est autre qu'avoir l'enthousiasme de.
Et c'est cet enthousiasme, cette volonté, ce vouloir, qui nous ouvre les portes de l'imaginaire. Et je vois en l'imaginaire, le lieu de notre bonheur.
Donc, je crois, pour m'ouvrir les portes du rêve, et donc être heureux.
Cette mystique n'est pas optimiste, puisqu'elle part du postulat que seul l'imaginaire mène au bonheur. Mais elle n'est pas non plus pessimiste, puisqu'elle ne nie pas la possibilité du bonheur, et même sa réalisation.
Je dis donc, que la femme et l'homme, en ce qu'ils sont et deviennent l'un par et pour l'autre, trouveront dans leur volonté propre et partagée, le courage de se baigner d'imaginaire, pour goûter au rêve, et donc au bonheur.
Je ne nie pas que le bonheur soit, sans le rêve, possible. Mais il m'apparaît, dans ces circonstances là, plus éphémère, fragile, plus banal, et profondément matériel.
Je dis donc, que l'imaginaire nous offre, si l'on a la volonté nécessaire, le monde que l'on rêve, et qu'il est possible d'en faire, le monde que l'on vit, à condition de s'abandonner à lui, et de croire en lui, totalement et finalement. La mystique est donc par et pour l'imaginaire, parent des sentiments, et du désengagement, et donc du dépassement.
Et là commence ce testament : l'évangile selon le jeune con.
« Il existe encore une puissance qui est également incorporelle, elle flue de l'esprit et demeure dans l'esprit, elle est absolument spirituelle. Dans cette puissance Dieu arde et brûle sans cesse avec toute sa richesse, avec toute sa douceur et avec toutes ses délices. »
Maître Eckhart, in Sermons
Ce fut bien avant que le monde soit monde
Et bien avant que Dionysos ne devienne
Le Dieu le plus proche des hommes et des femmes
Ce fut bien avant que l'amour
Que la tendre mélancolie
Que l'infinie souffrance
Ne prennent possession du Néant
Ce fut au temps, où les Dieux
Se comptaient par milliers
Ce fut le temps que l'on nommât
Un jour : Nuit des Temps
Avant que le monde ne plonge
Dans la nuit éternelle
Paradoxe charmant :
La Nuit des Temps se propageait
A travers le jour le plus pâle
Les Dieux donc
Jouissaient de toutes les fortunes de l'Univers
De toutes ses richesses
Mais, bien sûr
Aucun ne souhaitait les partager
Chaque Dieu tentait,
Le plus souvent vainement,
De s'emparer des richesses d'un autre
Et chacun essayant
De tromper l'autre
Une guerre finit par éclater
Une guerre divine
Les Dieux étaient, en ce temps,
Tous de force équivalente
Et dans pareille circonstance
La guerre n'épargna aucun d'eux
Si ce n'est celui, qui se mit à l'écart
Et pointant son épée vers le sol
Se refusa à la guerre
« Point de lâcheté dans ce geste
Mais la clairvoyance du Néant
Qui, au-dessus de tout et de tous
Pressent qu'il ne sert point de combattre
Lorsque d'autres le font pour vous »
Les Dieux, au cours d'une guerre de mille siècles
S'entretuèrent donc
Laissant un Dieu
Qui devint alors : le dernier des Dieux
Car la légende dit aussi
Que le dernier des Dieux
Ne se contenta pas de laisser sa lame
Tournée vers la Terre
Mais la dressa contre chacun
Des Dieux de l'Univers
Et les tua tous, l'un après l'autre
Pour s'en faire un festin
Demeurant seul, dans l'ivresse du monde
Le dernier des Dieux subit alors
Les foudres du Néant
Car le Néant vit bien
Qu'il n'y avait plus qu'un seul Dieu
Et le Néant ne pouvait accepter
L'unicité du Dieu
Puisque seul le Néant est unique
Seul le Néant est l'unicité
Alors que le dernier des Dieux
Sommeillait dans l'ombre du monde
Le Néant s'approcha
S'enveloppa tout autour du dernier des Dieux
Et le happa
Ainsi ingurgité
Le dernier Dieu baissa les armes
Et se prosterna dans les entrailles du Néant
Le Néant ne pouvait cependant
Laisser le monde sans Dieu
Il décida alors de rendre Dieu à la terre
Il s'ouvrit le ventre
Et de la plaie béante
Accoucha du dernier Dieu
Mais en lui donnant, toutefois
Une forme différente :
Il réduit le dernier Dieu
En une simple masse physique
Et la sépara en trois parts égales
Il les reforma, leur offrant une âme
Ainsi, le néant donnait-il vie à la Trinité :
Le Dieu des Dieux, Buddha, et le Vilain
Tout trois fils de l'Unique
Tout trois n'étant qu'un
Garant de l'équilibre du monde
Enfants du Néant
Le Dieu des Dieux règnerait sur la moitié du monde
Et serait la beauté, la sagesse
Il serait la pureté, l'élégance :
Et serait la bonté
Le Vilain serait en tout point son contraire
En tout point si ce n'est d'apparence
Car le Vilain serait lui aussi la beauté
Afin de pouvoir être le Vilain
Car le Néant savait cette règle immuable
De la Nature :
Il faut être la beauté
Pour espérer pouvoir nuire
On ne peut nuire efficacement
Si l'on n'est laid
Donc le Néant fit le Vilain, beau
Enfin, et le Néant fut fier de cette idée
Il fit de la troisième partie
Tirée de la chair du dernier des Dieux
Une source de liberté pour l'homme et la femme :
Il fit de cette troisième partie,
Tirée de la chair du dernier des Dieux :
L'Imaginaire
Le Néant se dit, que grâce à elle
L'homme et la femme trouveraient
Le réconfort au milieu de toutes les peines du monde
Mais surtout le Néant
Voyait dans l'Imaginaire
Ce qui sauverait le Monde
Il lui donna le nom de Buddha
« Le grand Imaginaire »
Il retourna sur Terre
Déposa la Trinité là où il avait trouvé
Assoupi, le dernier des Dieux
Et dit au Dieu des Dieux :
« Je te donne la charge de la moitié du Monde
Et l'autre moitié je la donne à Buddha
Non, parce que tu ne règneras pas sur l'Univers tout entier
Mais parce que le Monde a besoin de vous trois
Je donne le reste au Vilain
Le reste n'est rien
Et donc le reste est tout
La Trinité tiendra donc le Monde
Et le Néant que l'on ne nomme pas
Tiendra la Trinité »
A l'aube du premier jour
La mère sent qu'elle enfantera
Dans les heures à venir
L'Astre est là, qui veille sur la couche
A l'aube du premier jour
Le soleil baigne ses derniers rayons
Sur le monde incolore
Et draine la douleur éternelle
Sur nos corps fatigués
A l'aube du premier jour
L'enfant ne cherche point d'Ailleurs
Etant tout à la fois ici et là
Plongé dans l'ancien et le nouveau
Il ne le cherche pas
Etant l'Ailleurs, sous nos yeux
Sa mère, son père, ses ancêtres
Et l'humanité dans sa fraternité toute entière
Nous tous, balbutions nos devenirs
Communs et réciproques
Et faisons de l'Ailleurs
Un ailleurs, comme noyé parmi tant d'autres
Nous le sacrifions
Et le mettons à mort, comme
Nous avons mis à mort, les femmes et enfants
Qui nous procuraient trop de joie
Alors le soleil se baigne
Dans nos rayons de misère
Et nous ne voyons point
Poindre l'écho de l'enfant
L'Ailleurs avorté
Qui, à l'aube du premier jour
S'évanouit dans un feu d'artifices étoilé
Accouchant, à son tour
De ce qui nous refusera à tout jamais
L'Ailleurs : cette ligne tracée
A la règle humaine :
L'horizon
Dans l'antichambre du temps
La mère, la tête reposée sur l'épaule du père
Ils s'aiment
Ils ne peuvent ni ne veulent mettre des mots
Sur les sentiments qui se sont emparés d'eux
Mais ils s'aiment
Le temps coule
Et au loin, ils distinguent
Le chant mélodieux d'une harpe
La mère est la fille d'un Dieu déchu,
Grand-père maternel de l'enfant,
Un vieillard qui prétendait
Que le Soleil tournait autour de la Terre
« Le fruit des entrailles du Dieu des Dieux
Ne saurait être en orbite de son Père »
Par ces mots, le Dieu des Dieux, condamna le grand-père
Et l'enferma dans ses entrailles
La mère de la mère
Qui ne vivait que d'amour pour son Dieu
Traversa les chemins de terre
Qui reliaient le centre du cerceau caecal
Au bout de la Terre
Parvenue jusqu'au bord du monde
Elle se jeta dans le vide
Qui n'était pas si vide
Mais personne d'autre que le Dieu des Dieux
Ne le sut
La mère de l'enfant,
Ainsi abandonnée par ses deux parents
Se trouva un mari
Alors qu'elle errait
Au beau milieu du monde
Elle trouva sur la route
Le bandit dont tout le monde parlait
Les gens des villages alentours
Racontaient qu'il pillait les fermes et les potagers
Elle le trouva endormi,
Au pied du cerisier éternel
Les bras repliés sur son ventre ouvert
Par l'épée d'un Héros
Que les paysans appelèrent
Pour chasser le loup
Qui les dépouillait sans cesse
La mère de l'enfant
Pris soin du brigand
Et l'aima aussitôt
Qu'il ouvrit les yeux
Car ses yeux, lui semblait-il
Portaient la peine du monde
Et l'errance infinie
A laquelle tout homme
Etait, par le Dieu des Dieux,
Condamné
Le père de l'enfant
Se réfugia dans les bras de la femme
Et lui aussi orphelin,
Mais de naissance
Partagea son chagrin
Dans la tendre nuit de solitude commune
Qui s'éterniserait à la vie
La mère de l'enfant, et le père de l'enfant
S'aimèrent d'amour
Au pied du cerisier éternel
Et couvés par les larmes de la harpe lointaine
Le père de l'enfant
Pris la mère de l'enfant dans ses bras
Et l'enfanta
Et dans une douleur infinie
Qui se noyait dans le plaisir inavoué
Les deux amants égarés
Epongèrent leur chagrin
Et passèrent de vie à trépas
Dans le pâle bonheur
D'un matin d'automne
Orphée acheva le Te Deum
Commandé par le Dieu des Dieux
Puis traversa le temps
Et se perdit dans les bois du bout de la Terre
Alors qu'il guidait ses pas
De notes improvisées
Il trouva là
Deux corps enlacés, fatigués et aimant
Et morts
Il s'assit sur la pierre millénaire
Qui veille depuis l'aube des Temps
Sur le dernier cerisier éternel
Orphée chanta alors
L'histoire des cerisiers éternels
Lorsque les amants perdus
Expièrent leur dernier souffle
Le Dieu des Dieux sortit de l'ombre
Il contempla alors
L'œuvre de sa vengeance
Il pensa ému, à son fils Œdipe
En vomissant le grand-père
Qui venait d'enfanter sa fille
Depuis les entrailles du Dieu des Dieux
C'était là châtiment mérité
Pour qui estime pouvoir
Retourner l'Espace
Et s'approprier le Temps
Alors qu'il régnait depuis l'aube de la nuit des Temps
Sur la moitié du monde
Buddha, se sentant partir
S'assit au centre du champ du centre du monde
Là, où l'astre solaire baignait de sa lumière pure
Le cerceau caecal
Buddha, dont la santé
Se fragilisait un peu plus chaque jour
Planta deux cerisiers
L'un mâle et l'autre femelle,
Qui le préserveraient
Des larmes de feu
Pleurées par le Vilain
Il fit de ces arbres,
Des arbres éternels
Qui veilleraient sur le monde
Lorsqu'il passerait de vie à trépas
Buddha sema les graines de la nuit
Que l'Astre avait posées dans sa main
En le mettant au monde
Sur la colline divine.
Buddha sema les graines de la nuit
En l'exact centre du champ
Qui était le centre de la Terre
Et les cerisiers jaillirent du sol
Comme une promesse accouchée
Buddha s'assit alors
Au pied des cerisiers éternels.
Il se rappela alors
Les heures passées à observer
Le fleuve de la vie couler
Sous ses yeux de curiosité
Buddha demeurait là
Dans le silence de l'Univers
Se rapprochant du Néant
Ce grand tout, informe
Et supérieur
Parfois, le fou le rejoignait
S'asseyait à ses côtés
Et lui chantait l'ire du monde
Buddha se souvenait
Qu'un jour
Le fou épousa la fille de Buddha
Une biche bâtarde
A qui il manquait une patte
Buddha, ému par la tendresse du fou
Qui dépassa la patte manquante
Pour ne voir que l'amour
Fit du fou, un être éternel
Et la voix insondable de Buddha,
Lorsque le dernier souffle
S'empara de lui,
Résonna dans les âmes et le Néant tout entier :
« Puissiez-vous demeurer dans la beauté des choses »
Et ces mots adressés par Buddha
A sa biche de fille
Et à son amour, le fou
Se greffèrent au monde
Et le firent tourner
De longues années durant
Et certains prétendent
Qu'ils sont encore et toujours
L'axe autour duquel
Le monde se déploie
Buddha, donc, s'éteignit
A l'ombre des deux
Cerisiers éternels
Mais, en mourant, Buddha
Laissa libre de Maître
La moitié du monde
Sur laquelle il avait jusque-là
Veillé tendrement
Le Vilain ressentant
En son for intérieur
Buddha quitter le monde
Enfourcha l'aigle des entrailles
Et creusa le ciel
Jusqu'au champ du centre du monde
Le Vilain traversa le champ
Et, arrivé en son milieu
Ne vit rien que deux arbres
Fleuris jusqu'au ciel
Le Vilain se détourna
Pour repartir en son lieu
Lorsque lui vint l'idée
Que ces arbres étaient beaux
Et qu'ils seraient parfaits
Au cœur de son royaume
Le Vilain interrogea
L'aigle des entrailles
Qui lui signifia que deux
Seraient un fardeau trop lourd
Le vilain trancha
Et accepta de n'en prendre qu'un
« Laissant le second, comme vestige de Buddha »
Vint alors le choix
Difficile, impossible,
De l'arbre à laisser
Et de celui que l'on prendrait
Le Vilain s'attarda
Sur chacun des cerisiers
Et ne mit pas longtemps à constater
Que l'un était joli, fier et majestueux
Que l'autre, n'était qu'un arbre
Donc, il sortit du fourreau étoilé
L'épée de son ancêtre : le Néant
Et abattit l'arbre en son pied
Au premier coup porté
Il emporta le cerisier
A dos d'aigle des entrailles
Jusqu'au cœur de son royaume
Où il le planta à son tour
L'observa un instant
Puis en fut dégouté
Presqu'immédiatement
Le Vilain se détourna donc à nouveau
Et ce, pour toujours
De l'arbre éternel
Vestige de Buddha
Le Dieu des Dieux
Héritier légitime
De la moitié du monde
Laissée orpheline par Buddha
Arriva sur les lieux
Peu après le départ du Vilain
Horrifié de voir
Le testament de Buddha
De la sorte, violé
Le Dieu des Dieux érigea
Une pierre millénaire
Sur le tronc manquant
Du cerisier éternel
« Ainsi, Buddha, la pierre millénaire,
Veillera sur le cerisier éternel,
Qui pourra consacrer
Le temps qui lui est infini
A veiller sur les femmes et les hommes
Comme tu le fis en ton temps »
Il changea alors
Le vestige de Buddha
En un sanctuaire inviolable :
La mémoire de Buddha
Et le Dieu des Dieux se tourna
Vers les entrailles du monde
Et teinta le cerisier éternel
Par le Vilain dérobé
D'un voile brun
Lui ôtant toute beauté
Debout, immobile
Devant le spectacle d'horreur
Orphée pensa alors
Que les amants perdus
Par effroi de l'inconnu
S'étaient donnés la mort
Orphée, qui fut toujours
L'évangile de l'humanisme
Décida alors d'offrir aux Femmes
Et aux Hommes
Le repère qui,
Aux amants égarés, manqua
Il tendit le bras vers le ciel
Aussi haut qu'il le put
Et abattit sa harpe pour fendre la terre
Une ligne infinie, se dessina alors
Et forma ce que plus tard
Nous appellerions Horizon
Mais on ne lève pas
Le bras jusqu'au ciel
Sans craindre en retour
La colère du divin
Celui-ci, demeuré dans l'ombre des feuillages
Punit Orphée pour son ultime outrage
Et chargea le Malin
D'exécuter le pécheur
Le Malin naquit d'une erreur de jugement
Alors que le Néant
Avait accouché de la Trinité depuis les siècles des siècles
Que le Vilain tirait
Les ficelles du Monde
Laissant le Dieu des Dieux
S'afférer pour le futile
Et Buddha, contempler le fleuve de la vie
Le Vilain, surpris par la beauté d'une femme
D'une mortelle coupable
Crut tomber amoureux
Bien sûr le Vilain,
N'ignorait rien de ce sentiment
Que le Dieu des Dieux portait
En plus haute estime
Mais il pensait bien pouvoir s'en prémunir
Et lorsqu'il vit, pour la première fois
La mortelle coupable
Il se sentit choir
Dans les siècles des siècles
Le Vilain tenta bien
De nier l'évidence
Et ferma les yeux
Sur cette nouveauté
Qu'il créait de la sorte : l'Absurde
Car le Vilain n'aime pas
Et il dut se cacher
Dissimuler ce sentiment
A l'aigle des entrailles
Jouer de mille ruses
Pour que le volatile n'en prenne pas conscience
Et se détourne de lui
Car s'il est une chose que
L'aigle des entrailles abhorre
Il est certain qu'il s'agit bien
De sentiments en général
De l'amour en particulier
Donc le Vilain, après avoir
Essayer d'échapper à cela
Dut se rendre à l'évidence
Il se porta donc au devant de la coupable femme
Comme le Néant l'avait fait beauté
Le Vilain s'accomodait du regard des mortelles
Mais celui-ci le fit
Tressaillir de corps et d'âme
Et de ce qu'il découvrit alors :
De cœur
Le Vilain posa la paume de sa main
Sur le centre de son corps
Et sentit quelques pulsations irrégulières
Le Vilain paniqua
Lorsqu'il vit la main de la mortelle coupable
S'approcher de son corps
Et se poser à son tour
Sur le centre de l'Univers
Il tenta de réfréner l'indiscipline
Du nouvel organe
Mais ne put que
Constater les dégâts
Le Vilain entendit la voix féminine
Lui dire : « je t'aime en retour
De ton amour infini »
Le Vilain succomba
Et s'engouffra dans la chair
Soudainement innocente
Et enfanta la belle
Donnant corps au Malin
Alors même qu'il déversa la vie
Dans le corps de la mortelle coupable
Le Vilain comprit
Qu'il faisait fausse route
Tuant dans l'œuf son désir, son amour et l'Absurde
Il prit l'enfant et tua la femme
D'un coup d'épée dans le ventre
Il rentra en son royaume
Au centre de l'Astre
Et éleva l'enfant
Aussi longtemps qu'il le put
Car, à chaque maudite fois
Où ses yeux de Vilain
Se posaient sur le fruit de l'Absurde
Le dégoût de lui-même
S'emparait du Vilain
Il se résigna donc à renier son enfant
Emporta le corps du fruit de l'Absurde
Au bout de l'Univers
Et l'abandonna en le maudissant à jamais
Et donc, à la naissance du fils du Dieu des Dieux
Alors que l'Océan se fondait dans les terres
L'Ailleurs disparut
Et se mua en horizon
D'autres, nostalgiques convaincus
Bercés par la tendre mélancolie du découvrir
Persistèrent à appeler cette ligne : ailleurs
L'enfant cria au sortir du ventre maternel
Il pleura aussitôt
Et décida que lui,
Fils du Dieu des Dieux, et ultime source de joie
Rendrait l'Ailleurs au ciel
Et laisserait l'horizon, ce vain mirage
En pâture aux femmes et aux hommes
Du troupeau
L'enfant pose les pieds sur la pierre froide
Il tourne la tête tout autour du monde
Remarque avec effroi le désert qui s'étend
De l'horizon lointain jusque sous ses pieds divins
L'enfant avance alors vers le gris devant lui
Vers ce gel qui semble figer l'espace
Il court et court encore, tant qu'il est encore temps
Et se réfugie sous l'arche des mélancolies humaines
L'enfant en danger est accueilli
Par un couple de paysans, âgés
Et rompus aux épreuves de l'éducation
Et de l'apprentissage
Elle lui donna le sein
Et l'enfant entrevit l'horizon
Dès que les paupières se soulevèrent
D'elles-mêmes, un matin de printemps
Plus tard l'enfant
Se souviendra ému
De ces tendres années
Passées au creux de l'épaule protectrice
De ces parents de fortune
« Je dis et je redis, que je n'entends nullement
Prendre la couche du Dieu des Dieux
Et le rendre pieds et poings liés
à la mémoire du monde
J'entends seulement éveiller l'homme
A la force céleste de l'horizon »
Par ces mots, Caïn troubla le sommeil de l'enfant
Qui trouva alors une raison de fuir
De traverser les champs
Jusqu'à ne plus trouver
Que cette ligne jadis tracée
Par la harpe d'Orphée
Les étendues se succédaient
Les unes aux autres
Pris en tenaille entre le cœur
Et le ciel
Et l'enfant sentait bien
Le cerceau caecal
Tourner encore et toujours
Comme l'orbite la mieux réglée
Alors qu'au loin l'orage gronde
Sur la ville et ses artères
En son cœur, râle
Une colère bien plus amère
Une rancœur éternelle qui coule le long
De nos visages blafards dans la nuit de plomb
Et toute l'eau qui se déverse sur nos corps apeurés
Ces litres de supplice qui se glissent en nos pores
Toute l'envie du ciel et de sa ceinture étoilée
Rien de tout cela ne vaut notre soif d'encore
Alors l'enfant reprend sa course
Et le cheval ailé,
Surgissant de nulle part
Et disparaissant de même
L'emporte un peu plus loin
Avançant de la sorte
Sans trop d'efforts consentis
L'enfant parcourt l'univers
De part en part, et ce
Trois fois de suite,
En passant chaque fois
Sur la ligne jadis tracée
Par les cordes d'Orphée
Alors qu'il traversait
L'un des champs du bout de la terre
L'enfant croisa l'œil fatigué
D'un vieillard en sursis
Celui-ci lui apprit
Qu'il connut Orphée
Du temps de sa superbe
Et qu'il officiait à présent
Comme gardien de la ligne
Jadis tracée par le musicien damné
L'enfant but les paroles de l'ombre
Que le soleil écarlate dessinait sur le sol
Depuis, semblait-il,
Que le Dieu des Dieux
Avait fait soleil, l'étoile de feu
Le vieillard lui chanta
Quelques vers oubliés
Que le poète Orphée
Avait écrit tout jeune
Il lui conta enfin
Comment piégé par la fatalité
Dans les entrailles de Caïn
Orphée parvint à faire
Que le soleil, fait tel par le Dieu des Dieux,
Tournât enfin tout autour de la terre
Et de l'Océan lui-même
Sentant la colère monter en lui
A la vue d'Orphée brandissant le bras vers le ciel
Le Dieu des Dieux héla donc le Malin
Pour l'envoyer châtier
L'imprudent orgueilleux
Le Dieu des Dieux avait assisté
Impuissant
A la lâcheté du Vilain
Abandonnant son fils
Il s'était alors rendu
Au bord du Monde
Et emporta l'enfant
Au cœur de la Trinité
Le Malin fut élevé par le Dieu des Dieux
Et devint l'homme de main
De celui qui fut jadis
Le dernier des Dieux
Le Dieu des Dieux commanda donc
Au Malin
D'exécuter sa vengeance
Et de tuer Orphée
Le Malin avait plusieurs fois
Entendu la harpe de celui
Que l'on appelait le maudit
Résonner dans l'air et la terre
Et transpercer le Temps
Le Malin savait où trouver Orphée
Souvent, il jouait de la Harpe
Sur le plus haut sommet du Monde
Celui que les païens avaient nommé
Olympe
Le Malin avait souvent vu
Le Dieu des Dieux en furie
Devant le pathétique spectacle
De héros, demi-dieux et mortels
Qui, dans l'Olympe
Croyait voir le Ciel
Et donc le Néant
Lorsque le Néant est au-delà
Du Ciel lui-même
Ceux-là mêmes qui pensaient
Rendre hommage au Néant
Se fourvoyaient en fait
Dans une religion de bas-étage
Qui, au sommet de son sommet
L'Olympe
Se fixait une limite,
Avouait sa matérialité
Et oubliait ainsi,
La croyance, la déité : le Néant
Qui n'a point d'horizon
Donc le Malin se rendit
Au pied de l'Olympe
Il croisa quelques bergers
Quelques paysans
Ainsi que des couturières
Il gravit le mont des Païens
Et trouva Orphée
Effleurant sa harpe
Au sommet du monde
Orphée achevait de composer
Un poème lyrique
D'une tendre mélancolie
Il se tourna vers le Malin
Et lui adressa ces mots :
« La mélancolie a été insinuée
Dans le cœur de l'homme
Pour qu'il redoute sans cesse
Les jours à venir
Mais pourquoi craindre
Le soleil naissant
Je fais de la mélancolie
Une source d'espoir
Et d'inspiration
Et je la limite à cela
Parce que je ne redoute point
Les jours à venir
Puisqu'ils sont à venir »
Alors que le soleil déclinait
Le Malin sortit du fourreau divin
L'épée que son père
Lui avait offerte
Avant de le renier
La lame scintillait
De la poussière du Monde
Il la tendit vers Orphée
Qui restait immobile
Il appuya la harpe dans le creux de son bras
Et joua une dernière fois
Le Te Deum de son cœur
Le Malin planta la pointe
De l'épée meurtrière
Dans le ventre coupable
Du musicien maudit
Celui-ci s'écroula
Sur le sommet du monde
Arrachant à la mort
Quelques dernières notes
Le Malin contemplait
Son œuvre misérable
Et ronger de remords
Décida d'offrir une sépulture
A la hauteur de cette ultime mélodie
Il prit donc le corps d'Orphée
Et le porta jusque dans
Le lieu le plus sombre
Et le plus froid du monde :
Les entrailles de Caïn
Il s'enfonça alors
Le corps sur le dos
Dans le gouffre des gouffres
Où la lumière n'est pas
Où aucune flore ou faune
N'a jamais vécu
Il déposa le corps d'Orphée
Sur une pierre
Couverte d'une pellicule de froid
Et quitta le gouffre des gouffres
Pour retrouver le monde
Et laisser derrière lui
L'effrayante Caïnie
Orphée laissé là
A l'abandon
Plongé dans le coma divin
Sommeilla des siècles durant
Dans le gouffre des gouffres
Le ventre de Caïn
Caïn, au temps des mille Dieux
Etait devenu le chasseur le plus redouté
De divinités
Il sillonnait le monde
Et le traquait sans relâche
Caïn était fils de celui qui
Au bout des siècles des siècles
Et de la bataille des Dieux
Deviendrait
Le dernier des Dieux
Sa mère était elle aussi
Une divinité
Des plus respectées :
Elle était en effet
La source de vie des Dieux
Auprès d'elle venaient
Les Dieux malades, ou soucieux d'assurer
Leur progéniture
Elle donnait la vie
Et celui qui serait
Au bout du siècle des siècles
Le dernier des Dieux
Répétait souvent
Qu'elle était la vie
Et donc ce dernier
La courtisa sans cesse
Et la Vie, belle comme le jour des jours
Céda aux avances du dernier des Dieux
Ils s'accouplèrent et donnèrent la vie
A des jumeaux, que tous
Prédestinaient au plus grand des destins
Fils de celui qui serait
Au bout du siècle des siècles
Et de la Vie
Aucun autre Dieu n'imaginait
Qu'il en fut autrement
Pourtant les jumeaux
Naquirent mortels
Leur père avait en son pouvoir
De les rendre éternels
Pourtant, écoutant la parole
D'un sage mortel
Reclus tout au cœur de la Terre
Et que l'on nommait Wotan,
Le dernier des Dieux décida
De les laisser mortels
Evidemment, le père
Ne comprenait pas pourquoi,
Fils de celui qui serait
Le dernier des Dieux
Et de la Vie,
Ses enfants étaient nés
Simple mortels
Et Wotan, le sage mortel,
Que d'autres appelaient Zarathoustra,
Lui adressa ces mots :
« Fruits de l'union
D'un Dieu et de la Vie,
Enfants nés de l'unicité,
Et pourtant mortels
Tu ne dois point t'en vouloir
Ou céder à une quelconque déception
Tu ne comprends pas
Et personne ne le comprendra jamais
Mais tes fils sont nés mortels
Il en est ainsi
Ce qui ne parvient pas à notre conscience
Nous revient sous forme de destin
Tes fils ont le destin qu'ils mériteront
Et ils le recevront
En gage de votre amour
Le premier d'entre eux
A s'être donné au jour
Effleurera l'éternité
Après les plus grandes souffrances
Le second, lui,
Effleurera la souffrance du monde
En pensant toucher à l'éternité
Ils n'en auront pas conscience
Ainsi le veut leur destin
Ainsi le veut le Néant
Mais au bout du siècle des siècles
Et dans le jour flamboyant
Au seuil des souffrances du monde
Viendra au monde celui que l'on nomme Espoir
Il sera le jeune con
Qui te défiera
Mais te respectera
Dans ton immatérialité
Il sera celui qui te combattra
Le plus férocement
Mais sera l'être le plus
Proche du Néant
Et l'Espoir sera une force
Bien au-delà de tout
Et du Néant aussi
Si bien que selon
La volonté du Néant, lui-même,
L'homme et la femme
Par l'Espoir
Se libèreront
De tout engagement
De leur propre corps
De leur monde
Pour se rendre à l'Impératif :
L'Amour »
Celui qui deviendrait le dernier des Dieux
Accepta les paroles de Wotan,
Celui que l'on nommait aussi,
Zarathoustra
Il retourna auprès de la Vie
Pris dans ses bras ses deux fils
Abel, le premier venu,
L'ainé
Ouvrait les yeux sur le monde
Des yeux couleurs de l'océan
Le dernier des Dieux
Déposa un baiser sur son crâne
Puis il posa les yeux
Sur le cadet des jumeaux : Caïn
Caïn regardait son père
Sans que ses pupilles ne tremblent
Il semblait dormir
Les yeux grands ouverts
Il ne bougeait pas
Le monde ne semblait pas
Avoir d'emprise sur lui
Le père pensait
Qu'il n'avait donc ni âme ni corps
Après des siècles de coma
Orphée ouvrit les yeux
Il demeura immobile
Quelques temps encore
Tenta de s'accomoder
De la pénombre infinie
Puis, il reconnut l'endroit
En apercevant au loin
La statue de pierre
A l'effigie d'Abel,
Celui qui, un jour,
Se dressa face à son frère
Caïn
Abel ne poursuivait
Aucun but, ni aucun dessein
Il jouissait de la jouissance elle-même
Des fruits du monde
Et de la Nature
Son frère cadet, Caïn
Traquait les Dieux
Convaincu qu'il était
D'être celui qu'il fallait
Pour faire tourner le Monde
Caïn ne croyait pas aux Dieux
Et certains prétendent
Qu'il est lui-même à l'origine
De la bataille des Dieux
Son père tentant,
Malgré la culpabilité avérée de son fils
De le défendre devant
Les mille autres Dieux
Ceux-ci se liguèrent
Contre l'infortuné père
Et déclenchèrent ainsi
Leur propre perte
Mais Caïn, dans sa folie
N'en oubliait pas son frère
Et il nourrissait à son égard
Un amour pur et vrai
Que la Vie lui avait légué
Cet amour était selon les propres volontés de leur mère
Partagé par Abel
Bien qu'il soit sans nul doute
Ecœuré par Caïn
Mais Caïn ne supportait plus
L'attentisme d'Abel
Et souhaitait plus que tout
Le voir le rejoindre
Dans sa lutte contre les Dieux
Abel refusant
Caïn, pris de fureur
Le tua sans remord
Il rejeta la faut
De la mort de son frère
Sur les Dieux eux-mêmes
Et la Déité tout entière
Orphée se rappela l'histoire
Et ce que les sages en disaient
Et se dit qu'il devait son improbable salue
A la haine vouée
Par Caïn, envers les Dieux
Pourtant, Orphée se sut
Prisonnier de Caïn
Sauvé de la mort
Mais condamné à jamais
Car Caïn ne laissait jamais partir
Quiconque était en son sein
D'autres racontent qu'Orphée,
Touché par la lame du Malin
Voyait la plaie mûrir
Et le ronger entièrement
Orphée finalement,
Devint une plaie
Et accéda ainsi à l'éternité
Car la souffrance du monde
Se nourrissait de la sienne
Et la souffrance du monde
Est éternité
Orphée, après des années de doute
Et d'errance,
Dans les entrailles de Caïn
Fourbit les armes de sa vengeance
Envers les Dieux
Depuis le centre du cerceau caecal
Protégé qu'il était
Par les entrailles de Caïn
Il parvint à faire que le Soleil enfin
Tourne autour de la Terre
Et de l'Océan lui-même
Il inversa donc
L'ordre des choses qui était
L'ordre établit depuis les siècles des siècles
Orphée, par ce geste
Plaçait l'homme au centre du centre
La colère du Dieu des Dieux n'y fit rien
Et à jamais, le Soleil
Tournerait autour de la Terre
Et de l'Océan lui-même
Le vieillard acheva
L'histoire d'Orphée
Il voyait bien l'Enfant
Qui regardait le monde
Le vieillard comprit alors
Que l'Enfant était le fils
Du Dieu des Dieux
Il se tourna lentement
Vers le vieillard fatigué
Et prononça ces mots simples :
« Qui es tu ? »
Le vieillard amusé,
Ouvrit la paume de sa main
Sur un myosotis
Et répondit de la sorte
A l'Enfant du Dieu des Dieux :
« L'Imaginaire est né
De la conscience du Néant
L'Imaginaire fruit du Néant
N'est ni corps ni âme
Il est surgissement
Il est jaillissement
Il n'est pas une idée
Il n'est pas
Comme le Néant
Il n'est pas
Il n'est pas une substance
Il n'est pas l'absence non plus
Fruit des entrailles du Néant,
L'Imaginaire est comme le Père
Il n'est pas
De la même façon que le Père
L'Imaginaire pourtant
Est à la portée de l'homme
Par la grâce du Néant
L'homme peut voir l'Imaginaire
Le sentir, le happer
Le Néant l'a permis
Mais l'Imaginaire Pur
Dans son unicité –
Puisqu'il est fils de l'Unique –
N'est pas à portée immédiate
De l'homme et de la femme
L'Imaginaire a donc eu un fils
Qui ouvre les yeux
De l'homme et de la femme
A l'Imaginaire Pur
Le fils de l'Imaginaire
Est donc né Illusion
L'Illusion a pour tâche
D'éveiller le regard
Des hommes et des femmes
L'Illusion doit permettre
Aux femmes et aux hommes
D'effleurer l'étincelle,
Le Néant
L'Illusion doit donc s'insinuer
Dans les yeux de chacun
Mais plus encore dans les cœurs
Car ni l'homme ni la femme
Ne peuvent voir
Ni le Néant, ni même l'Imaginaire
Et l'étincelle ne peut qu'être
Effleurée que par le cœur
Car il est l'impalpable
De la femme et de l'homme
Mais la tâche ne fut point aisé
Pour l'Illusion
Tant la femme et l'homme
Sont peu enclins
A dépasser la matérialité
Du monde, et de leur propre devenir
L'Illusion a-t-elle donc sollicité
L'aide d'un Dieu
Et tu comprendras vite
Qu'il te faut savoir conserver
Ce que je vais te dévoiler
Au plus profond de ton être
Pour les siècles des siècles
Car, à l'issue de la guerre des Dieux
Alors que tous pensent
Que seul subsiste le dernier des Dieux
Un autre Dieu demeure
Tapis dans l'ombre
Dans la poussière, fruit
De la bataille divine,
Le Néant décide
Dans son unicité
De laisser ce Dieu
Dans l'ombre des jours
Lorsqu'il Créa la Trinité
Le Néant confia le secret à Buddha
Qui le laissa dans les cerisiers éternels
Et au Dieu des Dieux
En revanche, il ne dit rien
De celui que l'on nommerait plus tard
Dionysos,
Au Vilain, car le Néant savait
Que le Vilain, apprenant l'existence
D'un autre Dieu
Ferait tout pour le sortir
De l'Espace et du Temps
Ainsi Dionysos a-t-il traversé
Les siècles des siècles
Aidant l'Illusion à créer
Chez l'homme et la femme
L'étincelle leur permettant
D'effleurer l'Imaginaire
Pour cela Dionysos
Possédait une arme redoutable :
L'Ivresse.
L'Ivresse, insinuée dans le cœur
Et le sang
Dilue le corps et la matière
Et la fond dans l'Univers
L'Ivresse ouvre le monde
Et le change en poussières
Le fait glisser le long du Temps
Et le rapproche du Néant
L'Ivresse ouvrant à l'Illusion
L'esprit le plus récalcitrant
Dionysos devint le Dieu
Le plus de l'homme et de la femme
Qui n'ait jamais été
Permettant aux mortels
D'effleurer l'Imaginaire
Fruit du Néant
Il te faut comprendre pourquoi
Le Néant tient tant
A ce que l'homme et la femme
Accèdent à l'Imaginaire
Le Néant est bonté
Et fait du Dieu des Dieux
La bonté, comme le fils
Est semblable au père
Et le Néant qui a vu
Le Dieu des Dieux
Faire l'homme et la femme
Voit en eux ses fils
Et les veux proche de lui
Comme un fils l'est du père
Mais l'homme et la femme
S'ils sont les enfants
Du fruit du Néant
Ne sont pas le Néant
Puisqu'ils sont,
Et ne sauraient donc, l'effleurer.
L'Imaginaire leur permettrait
D'échapper à leur matérialité
Et donc, de croire
Qu'effleurer le Néant est possible
Et ainsi,
De s'abandonner à lui »
L'Enfant s'allongea finalement
Sur les genoux du vieillard
Et dormit sur l'éternel matelas
De l'un des derniers champs perdus
Du bout de la terre
L'Enfant et le vieillard
Furent sortis de leur sommeil millénaire
Par celui que l'on surnommait
Le fou
La légende, les écritures, les histoires héritées, disent ceci :
Le fou parcourt le monde
Et, bien sûr,
Certains prétendent l'avoir croisé
Ivre et couvert de larmes
Enroulé dans un large manteau
Il descend vers le noyau
Vers le centre épileptique –
Qui serait un point imaginaire –
Du cerceau caecal
Il descend sans relâche
Sans jamais se retourner
Retenant les leçons du passé
Alors que Buddha
Venait de s'éteindre
Répandant sur le monde
L'Imaginaire infini
Le fou demeurait avec la biche éclopée
Sur la rive du fleuve de la vie
Dans la beauté des choses
Comme Buddha le leur avait soufflé
Le fou était donc
Par la volonté de l'Imaginaire
Devenu éternel
Pour son malheur éternel
La biche ne l'était pas
Et s'éteignit d'amour
Quelques temps après Buddha
Le fou la pleura
Jusqu'au bout du siècle des siècles
Mais sur la rive du fleuve de la vie
Rien ne pouvait
Atténuer la douleur
Qui étreint le fou
Alors il partit
Et traversa le monde,
Et le traversa encore
Jusqu'au bout du siècle des siècles
Dans la souffrance éternelle
Furieux de la misère humaine
Et de l'Univers
Le fou décida alors
Que le champ des cerisiers éternels
N'avait rien à faire
Au centre de la Terre
Au cœur des querelles
Des maux et des vices
Il le tira donc
Jusqu'au bout du monde
Pour offrir l'apaisement
A la mémoire de Buddha
Certains prétendent encore
Qu'épuisé par cela
Qu'au bout du siècle des siècles
Le fou se réfugia
Au cœur d'une plaine
Qu'on appelait Toscane
Une plaine verte
Endroit le plus proche du Pur
Et de la tendre mélancolie
Le fou contemplait le doux tableau
De l'Enfant, dont la tête
Reposait sur le corps du vieillard
Le fou reconnut l'Illusion
Qui observait le monde
En protégeant l'Enfant
Le fou savait que le vieillard
Etait vieux depuis les siècles des siècles
Car telle est l'Illusion
L'Illusion comprit
Que l'heure était venue
D'apprendre à l'Enfant
L'existence de son frère
Son existence propre
Sa matérialité partagée
Car l'Enfant du Dieu des Dieux,
Contrairement au Néant,
Est
Il est, et n'est pas unique
Il est tout
Et l'Enfant se répand sur le monde
Et l'Enfant a un frère
Qui est lui, qui est
Qui est par lui, pour lui
Et à travers le Néant
L'Illusion se leva et entraîna l'enfant
Jusqu'au bord du monde
Il lui montra l'Univers
Et parla en ces termes :
« L'étincelle que tu es
Libère l'homme et la femme
De leur matérialité coupable
Et les rend au Néant
Car la femme et l'homme
Ne touche au bonheur
Que par et pour le Néant
Mais ils ne le peuvent
Si toi, fis du Dieu des Dieux
Qui s'éteindra au bout du siècle des siècles,
Tu ne deviens pas la flamme.
Et toi, l'étincelle,
Tu ne peux être flamme
Que si tu te trouves toi-même
Dans ton errance infinie,
Et, avec le pur innocent –
Celui que le Néant appela
Le Fal Parsi –
Dans votre immatérialité,
Vous donnez naissance
Au monde nouveau, fruit du Néant
Car ni l'un ni l'autre
Ne pouvez le faire seul
Et tous deux, vous devrez
Prendre gare au Vilain
Qui guettera dans l'ombre
L'heure du gouffre des gouffres
Où le monde s'effondrera
Dans les entrailles de Caïn
Le vieillard laissa alors l'Enfant
Tout au bord du monde
Et retourna s'asseoir
Tout près de l'horizon
Là où il est
Là où l'Illusion transcende les hommes et les femmes
Alors, le fou s'approcha
Et, s'adressant à l'Enfant,
Lui reporta les mots
Que le pur innocent,
(Le seul qui puisse totalement
Et finalement
S'abandonner au Néant)
Prononça, lorsqu'il vit le Néant :
« Pour palper de l'ailleurs
Je prends appel sur le bateau ivre
Qui tangue tendrement
Au soleil de printemps
Très vite je me perds
Mes pieds s'emmêlent dans la large voilure
Que le vent gonfle en silence
Je me sens sombrer dans le gouffre infini
De cette voix épaisse qui hante nos nuits
Lorsqu'une main enfouie dans la terre
S'extirpant des cercles de l'enfer
S'agrippe à mon corps abandonné
Et me tire des méandres
De ce monde salé
Pour palper de l'ailleurs
Je vole sa serpe au tailleur
Coupe les cordes du navire
Et le laisse voguer
Au gré de mon ire
Mais l'ivresse d'un mat
N'est rien
Si l'on boit celle d'un Dieu
Et que l'on permet à ce Ciel
De couler en nos veines
Alors, la voile s'échappe
Et se fond dans le béton
Que quelques âmes errantes
Au soleil de printemps, nappent
Pour palper de l'ailleurs
Je m'en remets à toi, pauvre chien
Je me fonds dans la boue
Du cerceau caecal
De notre Caïnie
Et, de ce belvédère
Que l'on rêve au matin
Je te vois, le corps plié en deux
Arrimé à l'huile sombre
Dans laquelle tu dérives
Je deviens cette focale
Qui referme ses larges pales
Sur tes rêves d'enfants
Sur ton corps d'avant
Pour palper de l'ailleurs
Je me cache dans l'ombre
Dans le revers du jour naissant
Que l'on idolâtre en pensant
Que l'herbe est douce lorsque l'on y sent
Le vent se frayer une peur en son sein
Alors je tête ce mamelon de verdure
Et mes lèvres couvertes de gerçures millénaires
Se greffent à cette étoile charnelle
Et je rêve soudain de l'univers in vitro
D'un fœtus hurlant que l'ailleurs est ici
En ce fort intérieur, que quelques sentinelles
Gardent en secret, lorsque le jour s'éteint
Et que l'étoile scintille au loin
Pour palper de l'ailleurs
Je me gave de Baudelaire
De tous les maudits de la terre
Je m'enfouis sous ces vers éteints
Par l'histoire galopante et le temps
Je baise Genet jusque dans les moindres recoins
De sa folie perdue
Je me vois transporter jusqu'au port du Havre
Là, je me fige sur la rade étroite
J'aspire à l'amour de cet océan noir
Me vient alors la supplique de Lautréamont
Et scande avec lui que je suis enfant
Du Dieu des Dieux : ô vieil océan
Ô vieil enfant, déjà
Pour palper de l'ailleurs
Je me vautre dans l'existant
J'erre dans les rues que je sais
Dans ces villes qui m'ont vu naître
Je pose mon cul dans les prés de ma jeunesse
Je fouille le corps de sa mémoire physique
Et sonde la méta, qui hurle en moi sans cesse
J'embrasse les filles que j'ai mille fois possédées
Je leur souffle les mots
Que leurs lèvres esquissent d'envie
Je leur montre les lieux où mille fois
Nous nous perdîmes
Et je les aime toujours
Comme on me l'a appris
Pour palper de l'ailleurs
Je palpe leur timidité
Je palpe leurs angoisses
Et leur tendre pudeur
Je palpe les putains qu'elles cachent
Vainement
Et leur offre mon cœur
En festin du dimanche
Et les belles se changent
Soudainement en hyènes
Affamées par l'odeur de la chaire en suspend
Elles se gavent finalement
De mon souffle divin
Et noient en moi leur virginité perdue
Pour palper de l'ailleurs
Je souffle donc la voile
Pour quitter le port qui me prie de rester
Me tourne une dernière fois
Et le salue dignement ;
Il se change en un œil
Malin et fatigué
Un seul œil qui crie
A la trahison éternelle
Tandis que la main du Dieu des Dieux me happe
En une larme venue des entrailles du monde
Qui me roule et me tourne et me roule encore
Et m'enfante en son berceau céleste :
Le cœur
Pour palper de l'ailleurs
Je me fais brigand
Fuyard et voleur
Et malfrat de chemin
De ces chemins de terre
Que l'on devine à peine
Dans le brouillard fumé
De nos peines matinales
J'arpente donc la terre de nos ancêtres
Et en fais le maquis de ma cavale
Je me nourris des vestiges champêtres
Que le monde ouvert
M'offre en sacrifice
Lorsque sur le monde, le jour tombe
Pour palper de l'ailleurs
Et expier mes errances
Je m'offre au corps
Et à l'âme du Dieu des Dieux
J'oublie les jours perdus
A ne pas admirer l'enveloppe charnelle :
Cette larme universelle
Qui se dérobe au monde
Et coule dans nos veines
Et le long de nos solitudes
Et draine la vie, comme nous cultivons la mort
Je m'offre à lui comme autrefois à toi
Et mon corps se perd sous ton œil cyclope
Et je meurs dans tes bras, sans ouïr ta prière »
Le fou laissant à son tour
L'Enfant, tout au bord du monde
Repris ses errances
A travers les entrailles du monde
Le fou trainait derrière son éternité
La souffrance du monde
Et la mémoire douloureuse
L'Enfant demeura
Dans la beauté des choses
Quelques instants, encore
Le Néant se pencha alors sur lui
Et dit :
« Le pur innocent ne doit pas t'effrayer
Le pur innocent n'est le fruit de rien
Et de tout, tout à la fois
Il est désengagement total
Et donc, par ce détachement final
De toute matérialité
Il n'est pas
Le pur innocent est donc
Le seul être, à ne pas être
En cela, il est le Fils du Néant
A l'image de son Père
Lui seul est donc capable
De faire que tu donnes naissance
A la fécondité
Car, toi aussi, enfant du Dieu des Dieux
Tu as une mission
Tu devras te fondre
Dans le pur innocent
Afin qu'il t'offre sans retour
Sans droit ni devoir
Son désengagement final
Ainsi, tu auras toi aussi
Le pouvoir de création
Et le plus haut qu'il soit :
De la fécondité »
L'Enfant traversa le monde
A la recherche
Du fal parsi
Au cours de son périple
L'Enfant constata
Que les champs de jadis
Etaient devenus villes
Que les chemins de terre
Se muaient en route
Que l'herbe verte ne poussait plus
Qu'au centre d'enclos
Finalement, il trouva
Le pur innocent
Au sommet d'une tour
Que l'on disait construite
Par l'humanité tout entière
Dans l'espoir millénaire
D'effleurer le ciel
L'Enfant sourit devant
L'innocence des hommes
Qui ignoraient sans doute
Que le ciel n'est rien
Comparé au Néant
Et qu'en atteignant le ciel
On ne toucherait à rien
A aucun accomplissement
Ni fierté, ni bonheur
Le Vilain sentait bien
Que l'Enfant grandissait
Et qu'un sombre dessein
Se tramait dans son dos
Le Vilain fit donc
Des entrailles de Caïn
Deux être semblables et égaux
Et d'un parfait équilibre :
L'ange, et l'archange
Il leur dit ceci :
« L'ange et l'archange,
Dans votre équilibre parfait
Vous tuerez l'Enfant
Pour l'équilibre du monde »
L'ange et l'archange
Prirent donc le chemin de la mort
Ils trouvèrent l'Enfant
Mais qui n'était pas seul
Un être l'accompagnait
Un être sans substance
Ce qui effraya l'ange et l'archange
Le pur innocent regardait l'Enfant
Fils du Dieu des Dieux
Le pur innocent sentait la présence
De l'ange et l'archange
Leur but, leur engagement
Leur matérialité
Les rendaient vulnérables
Et inutiles
Le pur innocent posa les yeux sur eux
Et parla ainsi :
« L'ange et l'archange
Selon le désir du Vilain
Sont l'équilibre
Mais l'équilibre n'est
Que dans la matérialité »
Se tournant vers l'Enfant,
Il poursuivit :
« Ton âme est bien plus haut
Que ne peut rêver de monter
Le plus pur des anges
Tu ne dois donc craindre
Ni l'ange, ni l'archange
Qui sont
Ils disparaitront
Comme ils sont apparus
Par leur engagement
Envers le Vilain
Toi, fils du Dieu des Dieux
Tu ne dois rien à rien
Si ce n'est au Néant
Qui ne te dois rien en retour
Par cette rhétorique
Tu rends l'ange et l'archange
A leur inutilité matérielle
Mais comme Caïn
Sans l'œil d'Abel
N'est rien
Sans l'ange et l'archange
Ton sacrifice n'est rien
En détournant mon regard
De leur être
Je les rends au monde
Et les laisse libre
Mais dans leur engagement
Et lorsque maintenant
Tu t'approches de moi
Et te fonds en moi
Tu te libères de ton être
Et créé cette femme féconde
Par cette création
Fruit du fils du Dieu des Dieux
Et du pur innocent
Nous donnons à l'homme
La liberté salvatrice :
L'Espoir »
Par ces mots,
Le pur innocent scella le monde
Au sommet de la tour
Jadis bâtie par l'humanité
Tout entière
Et qui, au bout du siècle des siècles
Surplombe le monde
L'Enfant réalise le sacrifice
Et se fond dans le pur innocent
Ainsi naquit la femme féconde,
Qui donna vie à L'Espoir
Alors qu'au jour déclinant
L'ange et l'archange
S'effaçaient dans l'horizon en flammes
Le Néant happa les flammes
Et les répandit sur le monde
Il fit de l'Espoir
Un être sans être
Celui que le sage Wotan
Avait jadis appelé :
Le jeune con
Le jeune con regardait
Le jour fuir vers l'ailleurs
Il plongea alors
Dans les entrailles du monde
Là où le Néant
Se rendait presque palpable
Il vit alors
Des femmes, et des hommes
Qui ne s'aimaient pas
Attachés les uns aux autres
Et tous ensembles au monde
Alors il déposa
Au cœur des entrailles du monde,
Là où l'œil d'Abel
Veillait sur Caïn,
L'étincelle qui se répandrait
Dans le cœur des femmes et des hommes
Le jeune con disparut
Lorsque l'Espoir naquit
Ainsi en était-il du monde
Et le Néant pensant
Qu'il s'agissait là
De la mort de l'Eternel
Et de tout ce qui fut éternité
Donc, de tout ce qui ne fut pas,
Vit l'Espoir bien plus haut
Que le plus haut des Dieux
Le Néant ferma les yeux sur le monde
Et disparut au loin
Dans l'horizon en flamme
Lorsque l'Espoir jaillit
Des entrailles du monde
Et la femme et l'homme
Enlacés dans l'Espoir
S'abandonnèrent à la tendresse
Du matin naissant
A la douceur du monde
Et à l'innocence infinie
Effleurant ainsi
Un Ailleurs apaisant
Ce qu'au bout du siècle des siècles
L'on nommera Amour
Appendix à l'évangile selon le jeune con
Le sermon d'Orphée
Au matin du premier jour
Nous entrerons tous un par un
Dans les cendres du monde
Et là, chacune et chacun
Nous serons face au miroir
De l'histoire
Témoins de nous-mêmes
De notre amour
Et de nos souffrances
Il ne s'agira pas de rendre des comptes
Il s'agira d'être digne
Parce que dans la dignité
Nous nous éteindrons, fiers
Lavés de tout soupçon
Lavés de toute rancœur
De toute détresse
Car dans la détresse
Dort l'enfer
Ce grand Béant qui attend
Que l'on se vautre dedans
Alors, au matin du premier jour
Tu ne seras que musique
Que pure mélodie
Parce que seule la musique
Dans son infinité
Te portera au-delà du Béant
Te permettra de regarder
Caïn dans les yeux
Sans te détourner
Car par la musique
Tu laisseras ton corps
Errer dans les crevasses
Du monde
Et tu laisseras flotter ton âme
Plus haut que le plus haut des anges
Tu te laisseras ne plus être
Tu t'abandonneras au final
A l'étincelle que tu es
Tu te laisseras devenir cette étincelle
Afin d'effleurer le Néant
Car devant le miroir de l'histoire
Tu verras le Béant et le Néant
Se livrer à un combat
A mort
Alors tu devras effleurer le Néant
Pour ne pas sombrer avec lui
Dans le Béant
Voilà le prix de l'histoire
Car lorsque tu seras devant
Le miroir de l'histoire
Tu tiendras le devenir du monde
Entre tes mains
Car là est la bonté du Néant :
Lorsque le Néant a créé le monde
Et les femmes et les hommes
Il s'adressa au Dieu des Dieux
A buddha et au Vilain,
Leur montra que les femmes
Et les hommes
Auraient le contrôle du monde
Parce qu'étincelles
Ils sont plus haut
Que le plus haut des anges
Ils tiendront donc la destiné du monde
Au cœur de leur âme
Fruit de la création de ce qui n'est pas
Le Néant
Voilà donc notre liberté
Choisir le Béant ou bien le Néant
Décider de son propre sort
En fixant celui du monde
Car nos destins sont bien
Liés à celui de notre univers
Nos étincelles
Reposent sur la grande matérialité du monde
De ce qui nous entoure
Nous enveloppe
Et dans cette chair
Nous trouvons la substance même
De notre liberté
La soif de musique
Et du désengagement
Qui feront de nous
Les héros de cette Terre
Car le Néant en a voulu ainsi
Car le Néant nous a confié
La perte du Béant
Et nous devons
En respect pour cette liberté
Totale et finale
Nous engouffrer dans le souffle
Que répand la musique
Et croire
En la perte du Béant
Amen
La genèse
Au matin du monde
Le Dieu des Dieux réunit les femmes
Et les hommes
Qui n'étaient pas femme et homme
Encore
Il les priva de tous leurs sens
Mit les hommes dans sa main gauche
Et les femmes dans la droite
Il referma les paumes
Sur ce qui n'était pas encore
Et lorsqu'il les ouvrit
Au soleil
Un homme se leva de la main gauche
Une femme de la droite
Tous deux étaient nus
Mais ne le savaient pas
Ils étaient encore privés
De leurs sens
Il les prénomma Chloé et Théo
Les deux se retrouvèrent
Dans le champ du centre du monde
L'un face à l'autre
Et tous deux face au monde
Buddha, le grand Imaginaire
Vint les voir
Et leur parla ainsi :
« Privés de vos sens
Vous ne comprenez pas le monde,
Vous ne vous savez pas
Mais le Néant a voulu
Qu'en ne sachant pas
Vous puissiez malgré tout
Entrevoir
Entrevoir, c'est vous élever
Au-dessus de vos sens
Au-dessus de ce que l'on n'a pas
De ce que l'ont n'est pas »
Chloé se tourna vers Buddha
Et lui demanda comment faire
Buddha ouvrit la paume
Géante qui était la sienne
Et laissa se prendre au vent
L'Imaginaire
« Il vous faut apprendre
A avoir les yeux grands fermés »
Puis Buddha fit demi-tour
Vers le fleuve de la Vie
Au bord duquel
Il veillait sur la moitié du monde
Chloé et Théo sentaient l'Imaginaire
Les envelopper
Mais ils mirent longtemps
A apprendre à le dompter
A l'appréhender, et à comprendre
Au matin des matins
Ils savaient
Ils gardaient les yeux
Grands fermés sur le monde
Ils imaginaient
Alors, ils sentirent approcher le Vilain
Théo tenta bien de le repousser
Mais le Vilain ne s'adressait pas à Théo
Il n'avait d'yeux que pour Chloé
Il lui montra alors un fruit étrange
Qu'il appelait lytchee
Qui étaient jadis le fruit des Dieux bannis
Chloé regardait le fruit
Qu'elle trouvait étrange
Le Vilain tentait de la convaincre
De le manger
Il lui louait ses vertus
Le Vilain prétendait –
Et disait vrai –
Que le lytchee des bannis
Offrirait à Chloé
La connaissance, le savoir,
La lucidité
Chloé se souvenait alors
De l'avertissement du Dieu des Dieux
Avant qu'il ne les quitte :
« Vous êtes et serez pour toujours
Les maitres de ce monde,
Mais une seule chose doit vous être
Interdite, à jamais
Il s'agit du fruit que le Vilain
Vous proposera, sans cesse
Jusqu'à ce que vous le mangiez
Ce fruit sera votre perte
Et vous ne devrez jamais
Mordre dedans »
Chloé ne voulait pas prendre
Le fruit tendu par le Vilain
Mais celui-ci, insistant
Pris la main de Chloé
Et déposa le fruit dans la paume
De la jeune fille
Puis rebroussa chemin
Vers les entrailles de Caïn
Laissée seule par le Vilain
Au centre du centre du monde
Chloé regardait le fruit
Mais décida de ne pas y gouter
Elle enterra donc le fruit
Sous une pierre éternelle
Chloé s'en alla alors chercher Théo
Mais celui-ci n'était pas bien loin
Il se tenait dans l'ombre de Caïn
Et avait tout vu et tout entendu
De la scène
Lui, avait envie du fruit
Qui, il en était persuadé,
Lui offrirait le pouvoir total
Et final
Sur le monde
Attendant que Chloé s'éloigne,
Il sortit enfin de l'ombre
Et alla soulever la pierre éternelle
Il trouva le fruit étrange
Le fruit des bannis
Il ôta la peau violette et légèrement piquante
Et mordit dans le fruit
Le goût et le parfum
Se répandirent aussitôt
Dans le corps tout entier
Et jusque dans l'âme
Plus haut encore que le plus haut des anges
Et Théo sentit le monde tourner
Il sentit la nature
Tout autour de lui
Il vit le ciel se déplacer
Il entendit Chloé approcher
Il se tourna vers elle
Et la vit nue
Il la sut nue
Il la désira aussitôt
Il l'invita à mordre dans le fruit
Lui assurant qu'il était bon
Et qu'il lui offrirait le bonheur
Le beau et la bonté
Chloé, mordit dans le fruit
Parce qu'elle était innocente
Et dénuée de tout soupçon
Et le goût et le parfum se répandirent
Dans le corps tout entier
Et jusque dans l'âme
Plus haut encore que le plus haut des anges
Alors Chloé regarda Théo
Et le vit nu
Et le sut nu
Et le désira aussitôt
Mais aussitôt,
Lorsque leurs yeux se plongèrent
Les uns dans les autres
Ils ressentirent la gêne,
La honte, le malaise
Et bien vite
Ils se sentirent cloués au sol
Du champ du centre du monde
Ils sentirent enfin
Quelque chose de nouveau
S'emparer d'eux
Un mélange étrange
Aussi étrange que le fruit
Qui était autrefois
Le fruit des Dieux bannis
Ils sentirent le malheur, la nostalgie
La tristesse, la détresse
S'emparer d'eux
Et ils ne purent rien faire
Alors, ils se serrèrent
L'un contre l'autre
Comme pour oublier
Comme pour partager
Cette douleur intense
Qui se propageait
Dans le corps tout entier
Et jusque dans l'âme
Et plus haut encore
Que le plus haut des anges
Et ils s'endormirent là
Au centre du monde
Jusqu'au bout
Du siècle des siècles
Le myosotis
De la première étincelle
Du monde
Naquit une fleur
Une fleur éternelle
Garante de la Vie
Cette fleur vole
A travers le monde
Et veille à ce que
Les hommes et les femmes
Ne cessent jamais de rêver
Quatre fois par an
L'on peut donc voir
Le myosotis éternel
Venir abreuver
Ses racines vertes
Dans le fleuve qui coule
Au pied de Buddha
Le grand Imaginaire
Car il est dit
Depuis la nuit des Temps
Que lorsque les femmes
Et les hommes
Cesseraient de rêver
Alors leur emprise
Sur le monde
S'étiolerait
Ils perdraient leur âme
Et ne seraient plus que corps
Ils perdraient le don
Le plus cher que le Néant
Leur ait offert :
La Vie
©julien delorme – avril 2006