l'éveil

My Martin

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D'après le livre de Gilles A. Tiberghien, philosophe 

 

'Aux frontières du rêve. Un voyage en Asie' (2023) 

 

 

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Indonésie Sud 

Île de Bali  

Denpasar 

 

Les combats de coqs, interdits par le gouvernement indonésien après l'indépendance ; une tradition séculaire, il est difficile d'empêcher qu'ils aient lieu. 

La discrétion est exigée, des guetteurs sont postés. 

Autour d'un enclos en bois, des hommes en sarong se pressent et discutent vivement. Dans cette arène, d'autres hommes tiennent leur coq, une main maintenant fermement l'animal sous la cuisse, l'autre lui caressant le plumage et décrivant de grands S, du sommet de la tête jusqu'à l'extrémité de la queue. 

Les ergots métalliques sont des lames de sept centimètres de long, terminées par une sorte de crosse, qui sert pour les ligaturer aux pattes de l'animal, au moyen d'un fil rouge.  

On choisit les lames dans un présentoir à panneaux mobiles, sur chacun desquels est fixé l'un de ces ergots en acier, dont la forme et la longueur varient. 

 

Les propriétaires des coqs mettent leurs champions en présence, les laissent se donner quelques coups de bec sur la tête, pour les exciter ou leur donner le goût du combat. 

À un moment, les gens dans l'assemblée agitent la main droite pour faire monter les enchères, semble-t-il, le tout avec force bruits de bouche et claquements de langue. Je ne suis pas sûr qu'ils soient autre chose que des sons. Pourtant, on dirait bien des paris !  

Le brouhaha dure trente secondes. Puis, sans que je comprenne comment, le silence s'installe brusquement. Un silence total. 

 

Les coqs sont lâchés face à face. Certains sautent et se cabrent, pour attaquer leur adversaire. D'autres se tournent autour.  

Mais tout va très vite, si l'un se défile, il a perdu.  

S'il est blessé, une courte pause est prévue, durant laquelle le propriétaire vérifie l'état de son coq. S'il estime qu'il peut encore combattre, les challengers sont remis dans l'enclos et s'affrontent de nouveau. 

 

Le dernier combat auquel j'assiste se termine par un animal blessé au sol, piétiné par son adversaire ; il n'est pas mort, cela ne va pas tarder. 

 

En sortant, à côté d'un groupe de femmes qui préparent un 'sate ayam' (brochettes de poulet), j'aperçois deux vaincus, pendus par les pattes à un arbre, attendant d'être plumés. 

 

 

Chine Sud-Ouest 

Yunnan, Shibaoshan 

 

Le temple Baoxiang 

 

Edward Conze 1904-1979, érudit anglo-allemand, écrit 

 

Il existe différents corps du Bouddha ('L'Éveillé'). 

Le Bouddha humain, appelé Siddhartha Gautama ou Shakyamuni ('le sage des Sakyas'), a peut-être historiquement vécu. Les bouddhistes ne s'en soucient guère, si ce n'est à travers sa légende, qui raconte par exemple sa lutte avec Mara, le démon de la mort et des passions, le maître du monde. Avant l'illumination du Bouddha. 

 

Mais le Bouddha est aussi un principe spirituel appelé Tathagata, un mot composé de 'tatha' ('ainsi') et 'agata' -un participe passé qui signifie 'venu' ou de 'gata', 'allé'. 

Le Tathagata est celui qui est venu ou est allé ainsi, c'est à dire comme les autres Tathagata sont allés et venus. 

Le Bouddha historique n'est pas un phénomène isolé, il est l'un, parmi une série sans fin d'innombrables Tathagata, apparaissant à travers les âges dans le monde, proclamant toujours la même doctrine. 

Pour parler du corps de ce bouddha, on parle alors de son corps de dharma ('loi', 'enseignement'). 

 

Le troisième corps, le corps glorifié. Derrière son apparence de mortel existe un autre corps, un corps de jouissance, un corps non adultéré (altéré, dégradé), un corps exprimant la vraie nature propre de Bouddha.  

Il existe trente-deux marques principales de sa surhumanité et quatre-vingts marques subsidiaires. La liste des trente-deux marques est commune à toutes les écoles.  

 

Parmi elles, le corps glorieux du Bouddha ferait dix-huit pieds de haut et serait de couleur doré. D'où la représentation gigantesque du Bouddha doré. 

 

Entre les sourcils du Maître, une boule de poils saillants ('urna'), douce comme du coton. 

Le tantra ('système de pratique') le représente avec un troisième œil, celui de l'éveil, sur lequel souvent les yogins se concentrent. 

 

Une autre particularité de ce corps glorieux est l'ushnisha ('turban'), sorte de capuchon qui est représenté sur les statues, par une excroissance ou une protubérance sur la tête. 

 

Une lumière émane toujours du Bouddha. 

 

Ces histoires expliquent certaines particularités de la statuaire.  

 

 

Inde Sud-Est 

État du Tamil Nadu 

Pondichéry 

 

Le temple de l'Éléphant porte bien son nom.  

À l'entrée, un pachyderme, orné de guirlandes et de cloches, bénit celui qui met dans sa trompe quelques roupies, en lui tapotant la tête, avec son énorme trompe. 

 

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Dans cette religion, les dieux vivent parmi nous, font partie de notre quotidien.  

Mais les simagrées de certains brahmanes, dont j'admire pourtant tellement l'allure, lorsqu'ils passent drapés de blanc, tels des Grecs de l'Antiquité, en portant noblement le chignon, finissent par m'agacer.  

Parmi eux, aussi de vrais épiciers, qui pratiquent l'import-export spirituel et le commerce des âmes, mêmes s'ils le font le plus souvent, avec beaucoup de grâce. 

 

 

Inde Sud-Est 

État du Tamil Nadu 

Tanjore 

 

Le temple de Brihadisvara, une forteresse avec une pyramide centrale qui s'élève vers le ciel 

 

Avant de pénétrer dans l'enceinte, on rencontre un éléphant, bénissant ceux qui lui donnent de l'argent.  

 

Il a l'air moins docile que le précédent, si j'en juge par les chaînes qui entravent ses pattes. Il est surveillé par trois hommes.  

Les Indiens se font prendre en photo avec leurs enfants, sur le dos du pachyderme. 

 

 

Inde côte ouest 

État du Maharashtra 

Mumbai / Bombay 

 

Le temple jaïn de Malabar Hill 

 

Les jaïns ('vainqueurs'), vêtus de blanc, répètent leurs prières, en traçant sur le sol des svatiskas ('bonne fortune', 'bien-être') avec des grains de riz. 

A l'intérieur du temple, la croix est symbole des quatre mondes, celui des hommes, des animaux, de l'enfer et du paradis. Les trois points au-dessus indiquent le savoir infini. Le croissant marqué d'un point, symbolise le Nirvana ('extinction du feu des passions'), la sortie de la roue des réincarnations. 

Hors du temple, la croix signifie prospérité et santé. 

 

Cette religion est aussi ancienne que le bouddhisme. Les jaïns doivent respecter la vie, renoncer à la violence et rechercher le bien d'autrui. Ils sont végétaliens. Ils sont quatre millions, en Inde. 

Comme les bouddhistes, ils croient à la réincarnation, au karma ('actes', cycle des causes et des conséquences), mais ils n'adorent ni Krishna, ni Vishnou. Ils vénèrent le fondateur de la doctrine et les vingt-quatre tirthankara (maîtres spirituels) qui en sont les réincarnations.  

Le dernier d'entre eux qui a ravivé le jaïnisme, est Mahavira / Vardhamana, né au 6e siècle avant J.-C. 

 

Les jaïns sont habillés de blanc, symbole de pureté et couleur de la paix. Ils portent un point safran entre les yeux, en l'honneur de leur dieu -le safran est rare, cela manifeste leur profond respect. Quand ils prient, ils font trois fois le tour de l'autel, qu'ils ornent de fleurs. Souvent, ils regardent la statue du Mahavira dans un miroir qui symbolise leur esprit, afin que la divinité se reflète en lui et y imprime d'une certaine façon, son image.  

 

Les jaïns croient qu'il existe des cycles de vingt-quatre mille ans, après lesquels le monde devient plus petit. Quant à nos réincarnations, elles durent cinq cents ans.  

 

Par la suite, j'ignore ce qui se passe. 

 

 

Inde Est 

État de l'Odisha 

Puri 

 

Les 'hijra' ('migration', 'exil' ; 'délaisser', 'abandonner') appartiennent à une secte respectée / marginalisée / stigmatisée.  

Des êtres du troisième genre, qui existent depuis l'Antiquité, ni hommes, ni femmes.  

 

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Sandrine, qui a passé du temps dans cette communauté pour un film, raconte 

 

J'ai rencontré une 'hijra', que j'ai côtoyée pendant plusieurs années.  

J'ai été invitée à leurs fêtes. Elles vivent en communautés très hiérarchisées. Elles sont pieuses, ferventes adoratrices de Krishna, Govinda (8e avatar de Vishnou), Iravan (en tamoul).  

On les craint comme des sorcières, on cherche leurs bénédictions, comme des déesses vivantes. Elles se conforment à une discipline religieuse stricte, le 'bhakti yoga' (dévotion à la divinité'), dans tous les actes de la vie. 

 

Selon la 'Bhagavad Gita', il aurait fallu sacrifier l'un des Pandava pour vaincre leurs cousins et ennemis, les cent Kaurava.  

Celui qui s'est désigné volontaire, Iravan, a reçu immédiatement la bénédiction de Krishna, qui lui a octroyé le droit de se marier avec la plus belle des femmes, Mohini, un avatar de Vishnou, pour une seule nuit.  

 

Les 'hijra' ou 'aravin' revivent cette histoire chaque année dans un village du Tamil Nadu, au festival de Koovagam.  

Elles viennent se marier avec le dieu lui-même, ou bien avec leur compagnon.  

Le lendemain, les voeux sont rompus. Les prêtres qui les ont unis la veille, cassent les jolis bracelets enfilés pour le mariage. 

Les 'hijra' pleurent pendant des heures. 


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