L'habit
My Martin
France, Grenoble
18e siècle
Mariage de Jean-Baptiste Grandjean et Claudine Cordier
1732. Naissance de Anne Grandjean
Baptisée fille, Anne se sent garçon
Anne grandit au couvent
Alors, entre l'âge de sept à seize / dix-sept ans, une fille de la classe moyenne entre au couvent
Elle apprend la moralité, la couture ; tenir sa maison
Puis pour se marier, elle sort du couvent
1746. Quatorze ans, un instinct de plaisir rapproche Anne, de ses compagnes
La préférence des hommes, la laisse froide et tranquille
En confession, Anne avoue ses instincts
Le prêtre de la paroisse lui ordonne de « changer d'habit ». Se vêtir en homme
Le père de Anne choisit son nouveau prénom, Jean-Baptiste, « Dieu fait grâce »
Lyon. Jean-Baptiste s'installe comme tailleur -il sait coudre, il a appris jadis au couvent. Il était alors Anne, jeune fille
Trois publications de bans. Formalités ordinaires
1761. Jean-Baptiste Grandjean (29 ans) épouse Françoise Lambert
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La rumeur court
Portée à la connaissance du substitut du procureur-général de Lyon
Il rend plainte contre Grandjean
Des témoins sont entendus
L'accusé est visité. Les médecins rédigent un mémoire
Un mélange des deux sexes ; tout l'ensemble de Grandjean paraît être dans la même imperfection
Des seins ; pas vraiment
La voix d'un enfant mâle qui arrive dans l'adolescence ; des enrouements, des sons, tantôt graves, tantôt aigus
Les chirurgiens rendent compte de ce qu'ils estiment appartenir au sexe masculin ; ils croient devoir attester que le sexe prédominant de Grandjean, est le sexe féminin
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Grandjean (31 ans) est interrogé. Fers aux pieds, mis au cachot
Lyon. 1763. Procès en première instance
Profanation des liens sacrés du mariage. Pour contracter un mariage avec une femme, Grandjean est accusé d'avoir dissimulé son sexe
L'accusé est condamné
à être attaché au carcan pendant trois jours, avec un écriteau : profanateur du sacrement de mariage
par la main du bourreau, être fouetté
être banni à perpétuité
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Grandjean interjette appel
Parlement de Paris
Me Vermeil, avocat, assure la défense de Grandjean
Pas de procès public. Dans un document transmis au juge, l'avocat expose ses arguments
Vingt-deux pages, publiées en 1765. Bibliothèque nationale de France
Mémoire pour Anne Grandjean, connu sous le nom de Jean-Baptiste Grandjean, accusé et appelant, contre M. le procureur général
Question : un hermaphrodite qui a épousé une femme, peut-il être réputé profanateur du sacrement de mariage, quand la nature, qui le trompait, l'appelait à l'état de mari ?
Me Vermeil établit que
l'accusé était dans la bonne foi
Il n'y a point eu profanation du sacrement de mariage
Conséquemment, point de délit
Me Vermeil observe que le jugement prononcé contre Grandjean,
rapproché du temps où les Romains, encore barbares, jetaient les hermaphrodites à la mer,
eût été plus facile à justifier
Mais les Français sont gouvernés par des lois fondées sur l'humanité et la justice
L'accusé a tout lieu d'attendre de la cour, un arrêt qui le décharge de l'opprobre et lui rende la liberté
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Jeudi 10 janvier 1765. Arrêt rendu en la Tournelle, au rapport de M. de Glatigny, quant aux peines prononcées contre Anne Grandjean (33 ans)
La sentence est infirmée
Le mariage est déclaré nul et abusif
La Grandjean est tenue de reprendre l'habit de femme,
avec défense de hanter Françoise Lambert,
et de contracter aucun mariage
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Michel Foucault, philosophe 1926-1984
1976-1984. Histoire de la sexualité
Janvier à mars 1975. Cours au Collège de France, sur "Les Anormaux"
Trois catégories
Les monstres, qui font référence aux lois de la nature et aux normes de la société
Le monstre est un désordre, il est une erreur, que ce soit
à cause de son physique (il enfreint la loi des espèces, par exemple -dont la reproduction durable)
ou à cause de son comportement (monstre moral),
Les incorrigibles, pris en charge par les nouveaux dispositifs de dressage du corps,
Les onanistes, qui depuis le 18e siècle, alimentent une campagne visant à la mise en discipline de la famille moderne
Le philosophe déploie une réflexion, non pas tant sur les hermaphrodites, que sur les comportements des hermaphrodites
qui se seraient mariés
ou auraient eu des rapports avec des personnes de l'un ou l'autre sexe
voire, de l'un et l'autre sexe
Michel Foucault étudie l'argumentation des procès
En conflit, les instances tentent de déterminer quel est le vrai sexe de la personne
La religion, le prêtre. « Le vrai sexe est en fonction du désir de Grandjean ?
Les médecins. En fonction de l'anatomie ? »
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Jean-Claude Monod (né en 1970), philosophe, cinéaste
17e siècle. Les personnes intersexes sont accusées, condamnés à mort, exécutées
Le droit est mêlé de catégories religieuses
Le mariage est un sacrement ; celui qui transgresse ses lois, est un profanateur
Progressivement, le droit se sécularise ; il s'affranchit de la religion
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Début du 17e siècle. Un jeune homme choisit le sexe masculin, qui domine en lui
Il aurait été accusé de sodomie
1603. Paris. Arrêt du parlement. Le jeune homme est condamné à être pendu, puis brûlé
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Fin du 17e siècle. Toulouse. Le médecin de l'hôpital examine Marguerite Malaure (orpheline toulousaine, née en 1665)
Quoiqu'elle eût porté jusqu'alors l'habit de femme, le sexe masculin paraît dominer
Après avoir consulté les vicaires généraux, il lui est enjoint de porter l'habit d'homme
Cinq ans plus tard, Marguerite Malaure (26 ans) porte un habit de femme. Elle est punie de prison
21 juillet 1691. Ordonnance des capitouls de Toulouse. Il lui est enjoint
de se nommer Arnaud Malaure
de s'habiller en homme, avec défense de prendre le nom et l'habit de femme, à peine du fouet
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1715-1789. Le siècle des Lumières
Sur le plan de la représentation du masculin et du féminin, de l'expression des genres, le 18e siècle est complexe
Les signes (physiques, vestimentaires) ne sont pas les mêmes qu'au 19e siècle, ou aujourd'hui
Ainsi, les hommes adultes portent en ville, des couleurs vives. Ils ont les cheveux longs. Ni barbe ni moustache
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Dans la philosophie des Lumières, la question du genre -ce qui se détache de la norme- est déconstruite
Le débat identitaire s'alimente par la question de la nature humaine, en lien avec la notion de « monstre »
D'une part, l'approche du monstre, catégorie intermédiaire entre la mythologie et la science
Hermaphrodite, personnage de la mythologie grecque. Bisexué, à la fois homme et femme
Les associations rejettent le terme hermaphrodite, qui ne correspond pas à la réalité ; dans la mythologie, Hermaphrodite est doté d'organes mâles et femelles fonctionnels, ce qui n'est pas le cas dans la nature
D'autre part, l'approche par les médecins et chirurgiens. La configuration inhabituelle des organes génitaux. « Les irrégularités de la nature », dont la personne n'est pas responsable
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Écrivain, philosophe et encyclopédiste, Denis Diderot (1713-1784) relativise la question du monstre ; aux yeux de quelqu'un d'autre, toute personne peut sembler être monstrueuse
Chaque sexe est une monstrueuse variante de l'autre sexe
Le Rêve de D'Alembert (1769). Trois dialogues philosophiques
« L'homme est le monstre de la femme ; la femme, le monstre de l'homme »
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Estimation, 1 à 2 %. La relative fréquence des cas d'intersexuation à la naissance est aujourd'hui connue. Proportion comparable à celle des personnes nées rousses
L'hormonothérapie. Les opérations chirurgicales
Aux États-Unis depuis les années 1990
et en France, au cours des dernières années
plusieurs mouvements de personnes intersexuées ont porté leurs revendications
Notamment contre les opérations chirurgicales, décidées sans le consentement des personnes, dans leur petite enfance
Opérations souvent décidées davantage par les médecins, que par les parents eux-mêmes, qui s'inclinent devant le « pouvoir médical »
Les médecins décident d'assigner et de construire des organes conformes à la représentation sociale de la binarité