L'Illustre Baraque (extrait)
olivier-de-velosnes-torgny
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- Bon, toi, Coco, tu cadres sur le pic de Bugarach avec le maire en premier plan et ce petit bout de ruine là, sur le coté. Vous, Albert, Monsieur le maire, ne bougez pas tout le temps et ne craignez rien, tout va bien se passer.
- … ben, vous savez, ce n'est pas la première fois que je passe à la télé, ça doit faire plus de cent fois depuis cette histoire de fin du monde.
- Allez, on y va : cinq, quatre, trois, deux, un, zéro…
- … chers téléspectateurs bonjour, ici Yves Morritz et nous sommes aujourd'hui à Bugarach avec le sympathique maire de cette localité qui, a en croire certains, serait la seule cité à survivre à la fin du monde annoncée pour ce vingt et un décembre prochain. Monsieur le maire, que pensez-vous de cette histoire ?
- J'en ai marre, … et mes concitoyens aussi, de toute cette agitation et de tous ces fadas qui viennent de partout, ces télévisions et ces journalistes qui fouinent dans tous les coins et recoins de notre commune, je le dis et je le répète : nous en avons tous marre de vous, bande de zozos, … et je vous compte dedans. Vivement la fin du monde, … et que l'on retrouve notre tranquillité !
Et il quitte le champ de la caméra sans y avoir été invité, empli d'une sainte colère.
Arrivé sur la place du village, il jette un regard désolé sur ce qu'était devenue sa paisible bourgade. Des simili-indous tournent en rond en psalmodiant des « arreuh-arreuh » dont il ne comprend pas bien la signification. Un car de touristes est stationné devant l'épicerie du Joseph pour y acquérir ses fameuses « boules d'éternité », composées, suivant la notice, d'un morceau du pic de Bugarach sur lequel viennent se déposer des flocons de neige en plastique après une agitation frénétique prétendument salutaire. Il faut dire que le Joseph, il avait été malin et que, lorsqu'il avait vu sur internet que Bugarach serait épargné de la fin du monde grâce à sa montagne et ses extra-terrestres, il s'était empressé de faire réaliser en Chine ces petites « merveilles » qu'il vendait à prix d'or à tous ces bobos-gogos contre lesquels pestait notre bon maire.
Il faut dire qu'il avait fort à faire à tenter de canaliser tous ces hurluberlus qui entreprenaient l'ascension du pic, encordés comme s'ils allaient gravir l'Everest, et tout ça pour en redescendre avec un morceau de rocher prélevé au sommet. Parce que, à l'autre bout de la terre, des indiens avaient oublié d'ajouter un tome à la grande histoire de l'humanité, que des cerveaux fumeux en avaient conclu que la fin du monde aurait lieu ce vingt et un décembre et que, par la grâce des extra-terrestres et de leurs soucoupes volantes, ceux qui seraient à proximité du roc de Bugarach à ce moment-là seraient épargnés. Alors, depuis, les riches américains ou australiens avaient acheté les quelques bergeries disséminées dans les montagnes, ne laissant que les pâturages où planter leurs tentes à toutes ces espèces de hippies qui avaient suivi. Le maire, lorsqu'il avait vu la tournure que prenaient les évènements, ces masures de cartons et de tôles qui s'érigeaient en favelas occidentales, ces garçons et ces filles aux regards troubles qui laissaient leurs enfants à moitié nus déambuler du matin au soir, ces assemblées où n'importe quel prêcheur apostrophait jusqu'à SES petites vieilles sur le chemin de la messe, …