L'inconnu du boulot
viviana
Il nous arrive parfois de nous sentir seuls au monde. Certains auteurs ont mis si bien ce thème en chanson que nous savons tous que nous ne sommes qu'un parmi tant d'autres, surtout lorsque l'on vit en ville. Et encore plus dans une grande capitale comme Paris. Nous apprenons à évoluer au milieu de la foule, à trouver notre petite place dans un rassemblement et l'autre, finalement, n'est souvent personne, jusqu'à ce qu'il devienne quelqu'un.
Je traversais une période difficile. J'avais donc revêtu une solide carapace et j'avançais comme je pouvais dans un environnement professionnel que je voyais comme hostile car tout simplement pas encore assez connu. Toute mon attention se concentrait sur mon stress, sur ma charge de travail, sur le temps qui passe si vite et les délais à respecter. Et puis un jour, on m'arrêta en pleine course.
La question qu'on venait de me poser ne collait pas avec le décors. Je dus alors lever les yeux.
Une réponse rapide et complètement à côté de la plaque sortit de ma bouche avant que je ne m'en aperçoive. Mais le jeune homme précisa son propos :
- Je voulais dire : avant d'entrer dans cette entreprise, tu travaillais où ?
- Ah ! Et bien...
Je m'entendis alors raconter mon expérience professionnelle antérieure de façon assez automatique, tout occupée que j'étais à gérer la surprise dans laquelle je venais de me noyer.
Mes pensées disaient parallèlement tout autre chose :
- Mais c'est qui celui-là ? De quel droit il me parle ? Enfin, en quoi cela peut-il l'intéresser de savoir quoi que ce soit sur ma vie antérieure, sur moi en somme ? Mais il a quel âge d'ailleurs ? Et il a quelle tête ? Et c'est quoi cette intonation qu'il donne à sa voix ?
La politesse me poussa à lui rendre la question, ce qui me laissa du temps pour l'observer tout en obtenant à mon tour des informations sur sa vie, qui m'intéressait si peu jusqu'à il n'y avait encore que quelques minutes.
Assis derrière son bureau, je découvris qu'il y avait bien quelqu'un. Jeune, oui, trop jeune pour me poser des questions personnelles. Cheveux courts, chatin clair, yeux bleus, mince. Les traits de son visage étaient harmonieux, disons même assez agréables à regarder. Et sa voix plutôt douce. Il avait l'air inoffensif. Et pourtant...
J'aurais dû me méfier. Maudite bonne éducation ! Mes parents me l'avaient pourtant bien dit : « il ne faut jamais parler aux inconnus ». Le diable se cache souvent derrière de beaux visages.
J'aurais dû lui répondre :
- Mais voyons, jeune homme, de quoi je me mêle ? Est-ce que je vous demande, moi, ce que vous avez choisi pour votre déjeuner à la cantine ? Non ! Voilà ! Non !
Cela m'aurait évité bien des malheurs. Et bien de bonheurs aussi, dois-je l'avouer. Car après ce jour, beaucoup d'autres s'ensuivirent. Beaucoup d'autres questions ; beaucoup d'autres réponses. Beaucoup d'autres regards... qui devinrent des caresses. Jusqu'à ce que ça s'arrête, un jour, aussi brusquement que cela avait commencé.
Aujourd'hui, ma vision de la solitude a bien changé. Parfois, je n'arrive même plus à trouver ma petite place au milieu d'un rassemblement. En fait, je crois bien que j'aimerais être seule. Malheureusement, même s'il n'est plus là, son image, elle, ne me quitte pas.
Merci Guire ! Je suis ravie que cela vous ait plu. Je ne connaissais pas ce vers de Lamartine. Google aidant, j'ai découvert qu'il se trouve au beau milieu de son poème "L'isolement". Ça fait une lacune de moins dans ma culture générale. Doublement merci donc ! :-)
· Il y a environ 12 ans ·viviana