Logorrhée bleue

nadjalataille

Superbe xxième siècle. Où l’on aime être seul, on commence à l’accepter. La pilule a été dure à avaler parce qu’on n’acceptait pas de savoir qu’on allait être seul. Alors on s’est débattu un peu forcément puis on commence à se résigner. À quoi bon sortir ? « C’est la crise » nous assène-t-on partout avec fatalité. Rien ne présage d’aller mieux que ce soit pour nous ou pour les autres. Non content de s’effondrer soi-même, on voit ceux qu’on aime s’effondrer aussi et ça ronge encore plus nos bourgeons d’optimisme. Quand est-ce que Paris est devenue si morose ? Je n’ai rien vu venir. Mieux vaut se réfugier dans ses souvenirs. Lors de ces moments, l’immeuble pourrait bien s’écrouler sous mes pieds, cela ne changerait rien. Rien ne m’éloignerait de ce sentiment de retrouver les sensations heureuses. Voilà ce que ce siècle a fait de nous, des orphelins du bonheur, on nous l’a à peine donné qu’on nous le reprend, c’est inhumain. La génération au dessus aura eu le temps de grandir, de comprendre qu’on peut perdre quelque chose pour l’accepter dignement. La génération d’après ne l’aura pas assez connu pour s’en souvenir, comme un enfant en bas âge. Nous, on ne comprend pas, on était corps et âme dépendant de ce bien. Alors on n’a pas grandi. On a fait semblant mais on a tous encore mal. Une génération qui a le blues. On traîne nos souliers parce qu’on en bave. On n’arrive pas à tenir debout, on ne peut plus se porter seuls. Bien sûr que ça me rassure de professer anonymement que c’est le mal d’une génération, alors que ce n’est en fait que du mien que je parle. Attention, je ne suis pas non plus la seule à avoir des problèmes. Mais on trouve plein de gens heureux aussi. Moi par exemple, je le suis parfois. Heureuse. Dans l’euphorie d’un bon  moment. Il faut savoir prendre les bons moments là où ils sont. On a un minimum d’instinct de survie. On ne va pas trainer notre malheur partout non plus.

Ce qui m’effraie le plus au fond, c’est de devoir atteindre l’acmé de mon ivresse pour avoir l’impression de me réveiller d’une sacrée cuite.

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