Loin des marronniers.
Marguerite De Branchus
La fin des vacances, l'ode des vendanges, les couleurs chaudes de l'automne, l'odeur des crayons à papier, les cartables amassés dans les magasins. Avec ce parfum de rentrée qui flotte dans l'air, moi aussi j'ai eu envie d'écrire. Sac sur le dos, sourire niais, la tête de tous ces mômes qui s'affichent à tout va sur nos réseaux au cas où, pendant l'été, sur la plage abandonnée, coquillages et crustacés nous avaient fait oublier cette belle et déchirante période qu'est la rentrée pour les parents. Et puis finalement, c'est un autre sujet d'actualité qui m'a pris aux tripes.
La petite tête brune est debout dans la grande cour de récré, les pieds bien droits sur le bitume décoloré. Derrière elle, un brouhaha de cris et d'agitation semble danser dans les airs. Pas de doute, ça sent le grand jour de la rentrée. Ce petit homme sert de toutes ses forces la main de sa maman et regarde droit devant lui. Il observe quelques enfants qui se sont rassemblés sous les marronniers. Il est partagé entre la peur de les rejoindre, de lâcher cette main si réconfortante et de s'aventurer dans cette vaste école qu'il connaîtra bientôt par cœur. Comme aimanté par les autres, l'enfant lance à sa mère un regard apeuré, lui lâche la main et s'élance de tout son cœur. Du haut de son un mètre trente, son sac bien accroché sur le dos, il rejoint timidement ses futurs camardes de jeu, ceux avec qui il va apprendre à rire, à se chamailler, à pleurer, à compter, à aimer, à danser, à chanter, à vivre et à grandir. Aujourd'hui, il ne le sait pas mais il va commencer une des plus belles aventures de sa douce existence: l'école, les copains, l'apprentissage, la découverte... Bientôt, il deviendra curieux, observateur, rieur et il croquera la vie à pleines dents. Bientôt, il deviendra grand et traverser le portillon de son école ne lui fera plus peur.
Une douce rentrée que ce petit bonhomme au t-shirt rouge et au short bleu ne connaîtra jamais car il s'est endormi pour toujours sur une plage abandonnée. Bien loin des coquillages et crustacés de nos vacances, bercé par les vagues qui lui caressent doucement le visage comme pour apaiser sa petite vie pour l'éternité, le petit homme ne vivra jamais sa première journée d'école. Il ne connaîtra jamais le battement de la peur qui tambourine dans la poitrine, les mains moites et la gorge serrée d'un premier jour de rentrée. Jamais, il ne connaîtra ce sentiment de fierté et de joie mélangées une fois l'épreuve passée. Aujourd'hui alors que des milliers de petits écoliers ont vécu ce grand jour, qu'ils sont enfin rentrés chez eux, le soir venu, pour se réchauffer auprès des leurs, pour se rassurer que la vie continue comme avant, pour raconter le cœur triomphant ces découvertes toutes fraîches, le petit bonhomme au t-shirt rouge et au short bleu fuyant son pays en guerre avec sa famille ne connaîtra jamais le bonheur de préparer son petit sac à dos, de serrer une dernière fois la main de sa maman, l'œil fier, prêt à démarrer sa grande et belle vie d'écolier.
Que les cloches de toutes les écoles du monde entier sonnent pour toi Aylan, 3 ans.