L'ordonnance de la pierre
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Les sabots des chevaux claquaient sur le pont levis. Des allés et venues incessantes et une certaine agitation dans la cour du château faisaient monter un brouhaha de marché.
Depuis bientôt cinq jours, le château de Pons More était en effervescence. Le seigneur des lieux, Louis Picot II, s’apprêtait à recevoir avec grands honneurs Jean de Luxembourg. Celui-ci était parti de Brienne le 18 janvier 1559, suivi de son escorte, pour rejoindre Paris où il devait assister au mariage de Charles II, Duc de Lorraine avec Claude, la fille du Roi de France Henri II. Un messager s’était présenté au châtelain Louis picot II pour l’informer de cet honneur pour diner le samedi 21 janvier 1559.
Tout devait être parfait. Il fallait préparer un festin, prévoir de quoi panser et nourrir les chevaux, les mules, ainsi que toute l’organisation pour l’accueil de l’escorte. Tout cela ne serait pas simple ! Déjà, un cuisinier cherchait son couteau de travail afin de découper les demi-veaux. Il accusait du coup, un commis de ne pas prendre soin du matériel. D’autres encore plumaient, découpaient ou nettoyaient la cour et la grande salle. Des villageois avaient été recrutés le matin même, car il fallait donner un coup de flamboyant au château. Le travail et les soucis ne manquaient pas ; un domestique se plaignait car son affuteuse avait disparu, tandis que deux femmes tergiversaient de la couleur d’une étoffe…
Louis Picot II tenait à recevoir son hôte avec tous les honneurs dus à son rang et à lui offrir un magnifique présent en remerciement de l’honneur que Jean de Luxembourg lui faisait de sa présence. Il avait acheté deux magnifiques pierres de joaillerie. La première destinée à son invité était un magnifique rubis et la seconde qui portait le nom de « cœur de diamant » était un présent de mariage pour la fille d’Henri II.
Pour le buffet, Il s’agissait de garnir la table de chapons, perdrix, demi-veaux et de toutes sortes de légumes et fruits frais. Jean de Luxembourg était grand amateur de vin et pour cette raison un sommelier tenait place dans son escorte. Pons More était situé sur la route de Bourgogne, et les grands crus seraient ramenés depuis cette voie, point stratégique entre Troyes et Senlis, deux autres voies reliaient Melun à Meaux et Paris à Reims. Le châtelain avait envoyé ses cuisiniers quérir les meilleurs produits de la région. Le pont en pierre qui permettait de traverser le Grand Morin leur permit de rejoindre sans difficultés l’autre coté de la rive pour se rendre dans la commune voisine. Là-bas, le meilleur des maraichers garnissait régulièrement leurs paniers de produits du terroir. Jadis, il en aurait été tout autrement ! Un pont en bois construit par les Bénédictines de Faremoutiers en 1270 afin d’éviter de verser des droits de passage, au seigneur de l’époque fût, un jour de grande crue, emporté par la tumultueuse rivière. Henri II, qui avait compris la situation stratégique de ce pont pour le transport des marchandises et les mouvements de troupes, ordonna en 1553 sa reconstruction, moyennant une taxe versée par les villages environnants. Le projet du maitre d’œuvre attitré de Louis Picot II ne fut pas retenu et celui-ci dû quitter le château. Plusieurs maîtres d’œuvre s’étaient présentés et le projet choisi fût celui d’un pont en pierre à sept arches. Le châtelain voulait que l’ouvrage soit parfait et il avait choisi le meilleur de tous, tout simplement. Depuis ce jour, le châtelain se sentait redevable envers le Roi. C’est pourquoi, il tenait à présenter des hommages particuliers à sa fille.
-II-
Benoit avait mal au dos. Depuis la veille au matin il parcourait la forêt à cheval pour ramener quelques gibiers et oiseaux. Dans la hâte, le châtelain avait demandé à son ami et garde du corps épris de chasse de faire quelques belles prises afin d’agrémenter le buffet. Benoit avait accepté avec grand plaisir car il adorait parcourir la Brie suivi de sa mule.
La forêt et les coteaux entourant Pons More regorgeant d’animaux sauvages, à poils ou à plumes, les sacs de la mule débordaient. Benoit envisagea donc de prendre le chemin du retour en longeant la rivière. Il passa devant des femmes affairées à abreuver les vaches et leur adressa un cordial signe de tête avant d’accélérer la cadence. Sur le chemin, Il doubla un domestique qui menait au château, une mule chargée de bois. Il prenait tout le chemin ! Tout à coup, une partie du chargement versa et le domestique dû se pencher pour le ramasser. Furtivement, Benoit le vit replacer un objet dans sa poche. Il se dit que si la foi de cet homme était aussi grande que la taille du crucifix qu’il venait d’empocher, son fardeau, quel qu’il soit, serait moins lourd à porter.
Sur son passage, les braves gens qui n’avaient pas été réquisitionné, vaquaient à leurs occupations habituelles tout en le saluant poliment. Dans le ciel, une buse tournait en poussant des sifflements aigus à la recherche de quelques charognes.
A peine franchies les larges douves du château, Benoit ressentit une tension inhabituelle, qui ne lui semblaient pas dû à l’excitation des préparatifs. Des cris montaient et le châtelain donnait prestement l’ordre de lever le pont levis.
Benoit sauta à la hâte de sa monture et se précipita à la grande salle. La cour du château n’était pas très grande et rapidement il se trouva au côté de son ami. Louis Picot II se tenait debout et derrière lui des gentilshommes et des domestiques curieux se penchaient en avant. Des dames se retournaient effrayées et des murmures montaient çà et là. Il se fraya un chemin jusqu’à son ami pour voir ce dont-il s’agissait. A ses pieds, gisait le corps d’un homme de confiance, étendu, le visage à terre. Ordre fût donné d’évacuer la salle. Le sang s’écoulait encore d’une blessure béante au milieu de son dos. Benoit entreprit un examen minutieux du corps. Aucune trace de lutte, ni même de meubles renversés. Tout cela avait dû aller très vite ! Quant à la plaie, celle-ci n’était pas courante et Benoit était bien incapable de dire quelle arme avait été utilisée. Toutefois, il remarqua dans la plaie une écharde de bois. Ce qui était sûr c’est que l’homme avait dû être pris par surprise ! Sur une tablette, un coffre ouvert avait sans doute était fouillé.
Resté seul avec le châtelain, il sentit son ami bouleversé plus que de mesure. En effet, la mort était monnaie courante. Les brigands assassinaient, les guerres de religions et les maladies tuaient. Décidément, Benoit ne comprenait pas le malaise de son ami ! Le châtelain semblait peiné, certes, mais une certaine angoisse se lisait sur son visage. Par quoi pouvait-il être préoccupé à ce point ?
Après quelques minutes de silence, le châtelain sortit de sa torpeur et expliqua à Benoit que le garde avait en charge de protéger le présent destiné à Jean de Luxembourg et « le cœur de diamant ». Oui mais voilà, Les bijoux avaient disparu ! Il avait non seulement engagé une partie considérable de sa fortune, mais s’inquiétait du discrédit qui en résulterait auprès du Roi Henri II ! Son invité arrivait le lendemain, il fallait absolument retrouver le coupable ! II demanda donc à Benoit de prendre en charge cette affaire pour sauver son honneur.
Il fallait faire au plus vite ! Mais par où commencer ? Le sang était encore chaud, donc le coupable se trouvait probablement encore dans l’enceinte du château puisque le pont-levis était levé. Il fallait donc tout inspecter, interroger toutes les personnes et surtout relever des indices ! Le châtelain assura à son ami que seul le garde était au courant de la présence des bijoux, cependant il expliqua qu’il avait envoyé deux de ses hommes de confiances chez un grand joailler de Paris. Au total, ils étaient donc quatre à connaître ce secret ainsi que ses intentions.
-III-
Benoit ouvrit la porte de la pièce et ordonna à trois domestiques de retirer le corps, nettoyer le sol et de ne rien toucher d’autre. Il entreprit l’inspection de la grande salle.
Il décida d’examiner en premier lieu le coffre qui contenait les joyaux. Seules de fines étoffes de soie étaient encore à l’intérieur. Benoit les retira délicatement, une à une. En ôtant la dernière, un tintement se fit entendre au fond du coffre. Benoit se pencha et découvrit un morceau de métal qui semblait être deux jambes brisées à mi-cuisse. Qu’est-ce que cela pouvait bien être ? Tout comme lui, Louis Picot II ne put répondre à cette question. Il demanda à l’un des domestiques un petit bout de tissu afin de ranger sa trouvaille. L’homme lui tendit un mouchoir et Benoit eut un léger sourire en le saisissant, car celui-ci portait la broderie spécifique aux Bénédictines de Faremoutiers. Cela lui rappela combien la foi était importante et prononça en murmurant quelques mots pour le défunt.
Sa découverte en poche Benoit commença l’inspection du château, puis, tout le monde fût réunis dans la cour, chacun fût fouillé et interrogé. Rien de concret ne ressortit de tout cela, cependant un cuisinier l’informa qu’il lui manquait un couteau ainsi que son affuteuse.
Soudain, le son d’une corne se fit entendre. Deux gardes abaissèrent le pont-levis. Aussitôt, des hommes de Louis Picot pénétrèrent dans la cour. L’un d’entre eux portait devant lui le corps d’un homme couvert de sang. Le cavalier jeta le paysan au pied du chatelain ! Le pont levis fût refermé à la hâte. Le châtelain entreprit immédiatement d’interroger l’homme avec fermeté mais celui-ci apeuré secouait la tête énergiquement en meuglant quelques sons incompréhensibles.Benoit compris vite que le paysan ne parlerait pas, il était muet ! Il écarta doucement son ami et calma le paysan. Avec patience et avec maints gestes, il lui demanda des explications sur l’origine du sang dont il était recouvert. Un dialogue de gestes s’était installé et après quelques minutes, Benoit se retourna vers le châtelain l’informant que le malheureux n’était pas le coupable. Louis Picot II ne comprenant pas, Benoit lui expliqua que l’homme avait profité de l’agitation pour voler le couteau de cuisine manquant et s’en était allé sitôt son larcin commit. Le malheureux voulait l’utiliser pour braconner et nourrir sa famille ; d’ailleurs il venait de découper un chevreuil dont le sang maculait ses guenilles. Toutefois, il jura ne pas avoir pris quoique ce soit d’autre.
Le châtelain fit mettre l’homme aux arrêts pour braconnage, puis tourna les talons, désappointé. Il demanda à son ami de prier pour son salut. Jamais, ils ne résoudraient cette affaire à temps ! Benoit marqua un temps d’arrêt … Soudain il demanda qu’on lui mène son cheval de toutes urgences ! Il l’enfourcha et cria à son ami que tout allait s’arranger tantôt et qu’il serait de retour d’ici deux heures. Le Châtelain resta interloqué, demanda que l’on prépare les torches, la nuit tomberait vite.
-IV-
Benoit, sonna la cloche du couvent de Faremoutiers. Une bénédictine vint lui ouvrir et il demanda à parler à Louise de Bourbon abbesse de Faremoutiers.
L’abbesse lui demanda ce qui pouvait bien l’amener à une heure aussi tardive. En effet beaucoup de rôdeurs sévissaient dans la région et plusieurs vols avaient eu lieu dans la chapelle. Alors, sans plus de détours, il présenta à Louise de Bourbon le mouchoir et son contenu. Celle-ci le fit aussitôt entrer ! Il s’entretint plus d’une heure avec elle et une bénédictine.
Deux heures plus tard, comme convenu, il fût de retour au château et fit de nouveau rassembler immédiatement toutes les personnes à la lueur des torches. Il fit venir son ami et lui demanda d’être attentif, car il pensait avoir trouvé le coupable et allait tenter de le démasquer sur-le-champ.
Benoit dévisagea lentement chacun d’eux le temps pour lui de reconnaitre l‘homme qui avait perdu son chargement de bois alors qu’il retournait au château chargé de victuailles. La tension était à son comble. Les innocents redoutaient une erreur de jugement où l’accusation d’un de leurs proches. Le garde du corps s’avança et s’arrêta devant un homme petit et trapu. Son visage était à peine visible, caché sous une barbe touffue et une masse de cheveux bruns- gris tombant sur ses yeux. Il lui demanda de faire un pas en avant et l’homme s’exécuta. Benoit se tourna vers le châtelain et lui dit : « Voici votre coupable ! ».
Il expliqua qu’après l’arrestation du braconnier, tout lui avait paru plus clair. Seuls quelques détails restaient à éclaircir. En effet, la prière que lui avait demandée son ami, lui avait rappelé celle que lui-même avait prononcé pour le défunt garde, à la vue du mouchoir spécialement tissé par les bénédictines ! C’est pourquoi, il avait filé au couvent pour s’entretenir avec l’Abbesse. Celle-ci avait identifié le monogramme du mouchoir et convoqué immédiatement la sœur à qui il appartenait. Après une heure d’entretien celle-ci avait avoué avoir péché en tombant amoureuse d’un homme qu’elle hébergeait en secret dans une pièce inoccupée du couvent. Elle lui avait confié ce mouchoir en gage d’amour, car elle hésitait encore à rompre ses vœux. L’homme utilisait ce refuge depuis quelques mois à l’insu de tous. Lorsqu’elle l’avait rencontré, il semblait miséreux ! Au début, l’âme charitable de la bénédictine avait été touchée naturellement par le sort de cet homme et, peu à peu, le doute s’était installé, elle découvrait des sentiments jusque que là inconnu. Elle lui amenait chaque jour de la nourriture et à mesure du temps en était tombée amoureuse. L’Abbesse avait convoqué dans son cabinet particulier la jeune femme et Benoit avait pris congés.
Après avoir expliqué tout cela, il sortit de sa poche le petit bout de métal trouvé au fond du coffre. Il expliqua qu’il s’agissait en fait d’étain et que la mère supérieure y avait reconnu une partie d’un crucifix volé au couvent il y a peu. Il se tourna vers le commis de cuisine et lui demanda s’il avait finalement retrouvé son affuteuse. Celui-ci acquiesça. Il lui indiqua l’avoir retrouvé à sa place initiale et précisa que la pierre étant encore chaude ! Bien sûr il avait demandé si un commis l’avait déplacé ou utilisé ! Cela n’était pas le cas.
Benoit demanda alors au petit homme de le conduire à sa mule. Celui-ci s’exécuta. Il décrocha les sacs des flancs de la mule et les retourna. C’est alors, qu’il en tomba un crucifix dont le bois était taillé en pointe ! Benoit le ramassa et le présenta comme le crucifix volé dans la chapelle. Il ne restait du christ que le buste vainement accroché. Le morceau d’étain trouvé dans le coffre s’assemblait parfaitement avec le reste du corps sur la croix. Lors de la taille du bois, l’étain s’était fragilisé et les jambes du Christ étaient malencontreusement tombées lorsque le criminel s’était penché sur le coffre. Telle était donc l’arme du crime !
Louis Picot II en resta bouche bée :
- « mais, mais pourquoi ? » demanda-t-il en bégayement.
Le petit homme trapu avança alors vers Louis Picot II. Il le regarda dans les yeux et, avec hargne et dégoût. Il lui expliqua ses raisons :
- « Souvenez-vous de l’an 1553 … Le pont de bois avait été emporté par une crue exceptionnelle. Le Roi Henri II avait ordonné la reconstruction d’un pont en pierre de sept arches. Je vous ai toujours été fidèle et j’ai toujours honoré mes engagements envers vous, mon seigneur ! Mais obsédé par votre volonté de plaire au Roi qui emprunterait assurément cet ouvrage pour se rendre en bourgogne, vous m’avez évincé au profit d’un autre ! » éructa le petit homme.
Au fil de ce discours, le châtelain écarquillait les yeux et, lentement il reconnu dans ce regard foudroyant celui de son ancien maitre d’œuvre. Celui-ci souhaitait pour dernière œuvre le déshonneur de celui qui causa sa perte, sa déchéance et sa ruine, son ancien seigneur Louis Picot II.
Tout était élucidé à présent, cependant Benoit demanda comment il avait eu connaissance non seulement de la présence des bijoux, mais aussi des intentions du Seigneur de Pons More !
Le petit homme expliqua qu’après avoir mendié pendant des jours, il s’était offert un repas un peu plus copieux que de coutume dans une auberge sur la route de Paris. A la table voisine, deux hommes ayant bu plus que de raison en avait oublié le droit de réserve et s’étaient épanchés sur les bijoux et les intentions de Louis Picot II. Aussitôt, il avait tendu l’oreille, cherchant depuis des années comment provoquer la perte du Seigneur !
Il s’était donc caché dans le couvent pour bénéficier de toutes discrétions. Il lui fût ensuite facile de se laisser surprendre par la bénédictine préalablement repérée dans les jardins. Il s’était joué d’elle au début, certes !
Immédiatement, il fût mis aux arrêts. Benoit, lui assura que le jugement du Roi Henri II serait plus clément si les joyaux étaient restitués. Le maitre d’œuvre qui connaissait parfaitement le château les mena dans les combles de la tour nord-est depuis les cuisines. Cette tour servait de garde-manger, il lui avait été très facile d’y accéder en passant inaperçu tandis que toute l’attention se portait sur la grande salle !
Le 21 janvier 1559 les pas des chevaux de Jean de Luxembourg et son escorte résonnaient sur le pont levis !
Benoit se tenait à coté de son ami. Il portait sur lui deux écrins.
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Références historiques : Au cœur de la Brie « Pommeuse » d’Yves Richard.
Bien que le contexte se base sur des faits historiques réels. Tout ce qui relève de l’intrigue ne fait aucunement référence à des faits réels. Ainsi, les personnages du Maitre d’œuvre, et de Benoit, ainsi que tout les faits se rapportant non jamais existés et relèvent de la pure fiction.