L'un ou l'autre

nat28

Projet Bradbury - Semaine 28

            Elle avait toujours eu du mal à faire des choix. Toute petite, déjà, elle passait des heures à rédiger sa liste pour le Père Noël, étalant les catalogues de jouets sur la moquette de sa chambre et hésitant sur le cadeau à sélectionner. Il y avait tant de possibilités ! Très rapidement, ses parents l'avait exclue des courses de pré-rentrée, ne supportant plus ses longues minutes d'hésitation pour acheter une trousse ou un cartable. C'était une fille, elle aurait du rose, et tout le monde gagnerait son temps. Elle détestait le rose, ça, elle l'avait rapidement su. Mais elle n'arrivait pas à l'avouer à ses parents, se demandant sans cesse à quel moment et avec quels mots l'information serait la mieux accueillie.

 

            La bibliothèque municipale, comme le supermarché, lui était interdite pour cause d'indécision chronique. Sa sœur ainée se chargeait de sélectionner pour elle un livre chaque semaine. Elle, elle savait ce qu'elle voulait, et, la plupart du temps, elle ne se trompait pas dans sa sélection littéraire.

 

            Les menus enfants des restaurants lui facilitaient la vie avec leur choix réduit, mais les fast-food étaient sa bête noire : trop de petits jouets inutiles à collectionner, et donc à demander avec sa box lors de la commande. Une figurine ou une voiture ? Un livre ou un jeu ? Elle croyait le cauchemar terminé en passant la barre fatidique de ses douze ans, et puis elle avait réalisé que la carte des adultes était bien plus fournie que celle des tous petits. Alors elle s'était mise à commander la même chose, tout le temps, histoire d'en gagner, du temps.

 

            Par confort plus que par envie, elle avait laissé sa mère et sa sœur décider de tout à sa place, de sa tenue à ses loisirs, en passant par sa spécialité au lycée, et elle devait reconnaitre que tout s'était à peu près bien passé. La danse classique, activité extra-scolaire suggérée par sa grand-mère, ne l'emballait pas plus que ça, mais au moins, elle avait un port de tête et une silhouette élégante qui faisait défaut à nombre d'adolescentes timides et voûtées. Certes, certains éléments de son jardin secret lui avait donné du fil à retordre, mais c'est au prix de longues nuits d'angoisse qu'elle avait pu sauvegarder un semblant de vie privée. Qu'on choisisse la couleur de son jean passait encore, mais quant au premier garçon qu'elle avait embrassé, pas question.

 

            L'histoire, qui, au final, n'avait duré que le temps d'une fête chez une de ses camarades de collège, avait été épique. Pendant la soirée, deux garçons l'avaient invitée plusieurs fois à danser et ils avaient montré des signes clairs d'attirance à son égard. Elle les appréciait tous les deux, et avait une folle envie d'échanger son premier baiser, mais elle ne savait pas lequel choisir. De plus, elle n'était pas très fière de ses critères de sélection : l'un était très beau, la star du collège, le genre d'adolescent sportif et brillant épargné par l'acné, et l'autre, son ami depuis plusieurs années, était très gentil mais cumulait la myopie, les problèmes de peau, et l'orthodontie. Elle avait opté pour le bellâtre de cinquième B, à la fois pour épater la galerie mais aussi pour s'épargner une "vraie" relation qui aurait entraîné encore plus de choix à faire. Il était trop beau pour être son petit ami, pensait-elle, et le jour suivant, elle vérifia qu'elle avait eu raison dans la cour du collège.


            Mais aujourd'hui, son indécision chronique lui posait un véritable problème. Elle venait d'obtenir son baccalauréat et l'heure du choix de ses études supérieures avait sonné. Cette décision , elle ne pouvait pas la déléguer, tout le reste de sa vie en dépendait.

 

            En remplissant les cases dans APB, elle avait mentalement croisé les doigts pour qu'une seule des formations sélectionnées ne l'accepte. Pas d'alternative, cela aurait été parfait. Malheureusement, elle avait reçu deux enveloppes à son nom, deux dossiers, pour deux universités différentes, et pour deux cursus diamétralement opposés.

 

            Elle avait tenté de résister mais n'avait pas pu s'empêcher de montrer les deux courriers à sa mère et à sa sœur. Sa génitrice l'encourageait à aller étudier la Biologie dans un IUT de la ville où la famille habitait. Peu de frais, une filière scientifique, et une formation synonyme d'emploi. La voie de la raison en somme. Son aînée, quant à elle, la poussait à partir dans une autre région pour intégrer une école de journalisme, une filière certes plus précaire mais aussi plus en phase avec sa passion pour l'écriture. Une petite folie, mais si on n'est pas fou à 18 ans, quand peut-on l'être ?

 

            Elle avait une semaine pour se décider, et elle n'avait quasiment pas dormi ni manger pendant six jours. Son père avait fini par la poser sur une chaise, devant les deux possibilités qui s'offrait à elle, et l'avait enfermée, seule, dans la pièce, en la sommant de faire un choix. Au bord des larmes, elle avait failli craquer, avant de se reprendre et de réfléchir, calmement, à ce qu'elle voulait. Vraiment.             

 

            Elle pris une grande respiration et considéra une dernière fois les deux dossiers de candidatures posés sur la table de la cuisine familiale. Elle en saisit un et le glissa dans une grande enveloppe timbrée, et jeta le second dans la poubelle dédiée au recyclage du papier.

 

            Voilà, elle avait fait son choix.

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