L'Enfant
damephoenix
L'enfant n'a pas son pareil pour créer. Observez attentivement ces jeunes marmots lorsqu'ils se croient seuls. Vous serez surpris de voir avec quelle facilité ils font l'opposé de l'adulte. Plutôt que de vivre dans le monde, c'est le monde qui prend vie par eux. Les ombres deviennent des monstres, les lumières des anges et le néant de la matière.
L'enfant unique peuple son monde. Mais ce ne sont pas là des humains, bien trop fades à son goût. L'enfant a la finesse de la perception, et ne croyez pas que parce qu'il ne le verbalise pas, il ne le perçoit pas. Déjà petit l'enfant s'entoure d'animaux, d'esprits, de créatures vives et bienveillantes pour combattre les méchantes ombres ; celles de l'adulte qui, traquant derrière la porte entrebaillee, n'attend qu'une occasion de lui sauter au cou pour lui asséner l'horreur du jeu social et de cette idiotie qu'il appelle la Réalité.
L'enfant unique ou l'Unique enfant. Celui qui ne veut pas voir au delà de ses paysages. Celui qui refuse d'aller vers cet étrange monde où le béton noie l'herbe et où les gens sont gris, terriblement gris. Où donc est la couleur ? Où donc est la joie ? L'enfant unique s'ennuie d'un tout et s'occupe d'un rien. L'enfant unique découvre les lettres et les mots, et s'octroie de longues lectures allongé sur le tapis de sa chambre, l'esprit entièrement tourné vers l'histoire, une formidable machine à imager les mots. Il ne se préoccupe pas du regard des autres, lui. Il ne se formalise pas des devoirs du bon citoyen, lui. Il ne s'inquiète pas des révolutions, lui. Il a tout ce qu'il faut dans sa chambre et dans sa tête.
Mais l'enfant unique doit apprendre à grandir. Grandir, vieillir, mourir. Et une fois adulte, l'enfant unique perd son exceptionnel et se fond dans la masse. La masse du monde, la masse des grands, la masse de ceux qui ne rêvent plus. Il est triste l'enfant qui survit au fond du coeur. Qui a faim, qui a soif, qui a peur. On l'oublie tellement vite, l'enfant unique. Parce que s'en souvenir c'est faire le deuil de ce temps où, si on a eu la chance de ne pas grandir trop vite, on prenait le temps de créer le monde, et de créer son bonheur.