Ma Critique Théâtre : Les Damnés de la Terre
Albert Laurizan
J'adore le nom de cette pièce. Les Damnés de la Terre. Ca fait tellement russe, au début je pensais être tombé sur une adaptation d'un roman de Dostoïevski ou de Tolstoï. En fait, je n'étais pas si loin du vrai. Ce n'est pas un russe qui l'a écrit mais un auteur français né en Martinique en 1925, Frantz Fanon. Ce dernier rejoindra le FLN en Algérie pour son indépendance. La pièce retrace ses écrits qui sont comme une boule à facette des horreurs de la guerre, de la colonisation et de l'Homme en général. Cette pièce avait lieu au Théâtre Jean Vilar du 18 au 21 derniers.
Premier défaut qu'il y eut dans la pièce ce fut les maquillages. Vouloir transformer un Blanc en Noir c'est très risqué surtout au théâtre où la moindre faille se voit. Et la moindre faille s'est vue. Je devrais même préciser les failles. Tous les comédiens maquillés étaient visibles. C'en était presque caricatural, il manque juste à prendre la posture d'un singe et de faire l'accent et c'était parti pour une pièce raciste. Heureusement, ça ne s'est pas passé comme ça. Et le maquillage n'est pas resté. Néanmoins, il était visible que le maquillage prenait moyennement sur la peau du comédien blanc. Même sur ceux qui était plus mate de peau. Cette vision donc laisse un doute incertain sur le reste de la pièce quand on assiste à l'ouverture à ce spectacle. En fait les failles se repéraient sur le visage, autour des yeux et les lèvres plus rouges, plus clair du Blanc et des Arabes
Un petit air de musique classique connu ouvre la scène noire. Puis lumière ! Des hommes et une femme peinte en noir, derrière des lits en métal mis debout. Chacun le sien derrière la cage. Des noirs. Un couple s'avance et raconte leur mésaventure avec le Blanc qui est venu les opprimer. Ils vont s'enterrer dans le monticule de terre du milieu tandis que deux autres Noirs les remplacent pour symboliser un syndrome de Stockholm à échelle raciale. Le Noir qui veut devenir blanc. Ces deux derniers iront dans une baignoire au lointain juste avant la rangée de lit. Ils se frotteront pour enlever leur « maladie de peau ». Et enfin, un dernier Noir, unique, vient se placer et exprime sa fierté d'être noir. Il va déterrer les enterrés, il va ramener les transfuges. Une sorte de combat se met en place. Il abandonne finalement épuisé de ce combat. On voit déjà ici ce que va être cette pièce. Non pas une pièce engagée ou accusatrice, mais un manifeste sur la décolonisation.
Problème, étant donné que c'est l'adaptation d'un roman, il paraît difficile de faire une pièce sur des éléments narratifs, or c'est un peu ce que l'on ressent. Untel est devenu fou, tel autre a vu sa femme violée, etc … Des descriptions assez. Cependant peu d'ennui au final, au contraire. Cette longueur textuelle ne s'est guère fait ressentir. Même lors de témoignage particulièrement long les comédiens furent assez doués pour maintenir chez le spectateur une certaine haleine. Disons que j'ai plus ressenti la pièce comme je lirais un livre dessus. Et j'ai beaucoup apprécié. C'est une pièce véridique sans toutefois être tout à fait réel.
De plus la scénographie n'amenait pas vraiment à voir une part de réalité dans cette pièce. Alors comme d'habitude la scénographie s'est dirigé vers une scène avec plusieurs modules permettant ainsi de changer de décors assez rapidement sur scène. Mais, contrairement aux pièces manquant d'originalité la scénographie ne s'est pas calquée sur le modèle des grands parallélépipèdes normés et identiques qui troublent un tantinet la lecture scénique. Ici, les modules sont des lits de fer vides, des matelas, des cordes, des chaises, des murs écroulés. Ce qui est très agréable à voir car ils arrivent ainsi de passé à la plaine à l'hopital, puis à la scène de torture dans la police et enfin dans une salle d'école. J'ai trouvé ce procédé merveilleux car là on voyageait et on pouvait voir autre chose que de simple comédien jouant sur de la matière brut. Certes le théâtre n'est pas la réalité, mais elle s'en inspire, elle y ancrée, et Jacques Allaire a trouvé justement ce lien entre théâtre et réalité, dans la scénographie du moins. Il y avait un arbre qui sortait des cintres. Voilà la part d'irréel théâtral qui fait plaisir à voir dans un spectacle. L'arbre en fait se trouve être un cerisier Japonais symbolisant le renouveau et la paix, Jacques Allaire en voulait un sans savoir son symbole. Il a trouvé ça très intéressant d'avoir mis cet arbre au-dessus de la scène en guerre. De plus, inversé de cette manière Jacques Allaire concevait à ce renouveau renversé l'humanité inversée. Ce qui est une belle image de la décolonisation ou inversement de la colonisation.
Ce que le metteur en scène Jacques Allaire a expliqué lors de la rencontre qui a suivit la représentation ce fut sa méthode de travail. En fait il se mettait à dessiner les scènes par tableau, un peu à la façon d'un story-board, et à partir de là les comédiens évoluaient comme une peinture vivante sur scène. Cette façon de travailler permet déjà d'entamer la scénographie ainsi que dans une certaines mesures la lumière utilisée et la projection. Ces dessins s'inspirent de la sensation qu'il ressent lorsqu'il a lu les textes. Il dessine ainsi son rapport au texte, comme on le mettrait en scène. Cette façon de procéder permet une vision plus explicite de ce que l'on ressent forcément car les mots sont parfois insuffisant pour montrer ce que l'on désire, ainsi par la ligne du crayon on a comme dernière limite la capacité physique des comédiens, et éventuellement financier. De plus cette façon divise la pièce en différent tableau. Ainsi on observe la plaine. Ensuite on observe l'hôpital, le repaire du FLN, la salle de torture, l'école. Ces lieux qui sont un témoignage à eux seul de ce qui s'est passé quand on voit leur photo. Ainsi la pièce devient légèrement plus lisible et agréable donc.
Enfin, ce que l'on retrouve qui est très intéressant c'est la recherche de l'aliénation de l'individu dans la colonisation. Cet axe de pensée très important pour Frantz Fanon, et ultérieurement pour Jacques Allaire devient autre chose sur scène. Cette aliénation, dû à la soumission à un être « supérieur » est similaire à la soumission du comédien sur scène au texte. L'aliénation, se rendre étranger à soi-même est un abandon de soi, de son corps pour autre chose d'inconnu. Cette aliénation coloniale semble faire écho à l'aliénation théâtrale. Le comédien ainsi devenu étranger, devient l'étranger du texte. C'est une sorte de mise en abyme de l'aliénation. L'aliéné s'aliène encore plus en incarnant le rôle d'un aliéné. C'est à devenir fou à lier Cependant, le comédien ne risque pas la folie par cette aliénation, c'est seulement une interprétation totale du rôle, alors qu'en revanche pour les personnages joué il s'agit d'autre chose. Cette chose est appelé le syndrôme « Nord-Africain ». C'est un mal qui prend le ventre et reste. La douleur, celle de ne plus avoir de pays, celle de ne plus être libre. C'est un mal qui semble partir, mais revient subitement à la pensée de l'oppresseur Blanc. Cette pensée fait perdre les personnages dans une certaine folie. Et c'est, je pense la recherche de cette folie désaxé de la pensée humaniste que Jacques Allaire cherche. Cette folie allant à contre-courant des valeurs françaises durant la colonisation.
Pour finir j'ai beaucoup aimer ce spectacle innovant, intelligent et pas ennuyeux qui amenait sur scène un vrai discours sur un vrai sujet qui semble être aujourd'hui d'actualité avec l'auto-détermination des peuples à être libéré du joug de l'oppresseur. Hier, ce fut les colonies, aujourd'hui c'est les tyrannies.