Ma douloureuse

elyna

Face à moi, ce mur froid et gris m'observe, placide.

    Demain, même heure , je ne serai plus qu'un corps, sur un sol assombri de mon sang, répandu lamentablement autour de mon visage, blême.

    Chaque mouvement effectué, est lourdement amplifié par le poids de mon existence qui s'effrite au gré des minutes. Chacune de ces secondes sont autant de secondes perdues.
    Je soupire...
    Malotru que je suis. Pourquoi aura – t – il fallu que j'attende cet instant pour comprendre ce qu'était cet insondable sentiment de vie ? Je n'ai pas pris le temps de le connaître.

    Juste en cette minute, je comprends que j'ai tout raté. Je suis passé à coté... De tout. De l'essentiel. Du mot : Vie.
    Jouir de l'existence aura été pour moi d'une durée plus que brève. Si seulement je m'étais... J'inspire profondément, retiens mon souffle, juste ça... Je veux sentir en moi cette vie qui s'infiltre. Je ne veux oublier cette sensation étrange qu'est le supplice des émotions face à ma Douloureuse.
    Mais qui est – elle, cette vindicative ?  Elle, qui se permet de venir si tôt me happer...
    Je me sens si jeune...
    Qu'aurais – je donc laisser de trace sur cette Terre, si ce n'est un nom sur une pierre tombale ?

    *Regrets.*

    Mais le passé n'étant plus, ne pouvant être changé, je demeure ça. Celui que l'on condamne, au prix de ma vie, je le paie. Et moi, ne m'assassine – t – on point ?! Pourquoi la Justice se targue – t – elle de me condamner si sévèrement alors que moi – même j'estime avoir rendu le châtiment qui été dû face à l'iniquité?
    Je veux ressentir la mort s'enivrait de mes entrailles. Je ne fermerais pas les yeux au moment où ils posteront leur fusil sur moi. Et cette douleur de l'instant où ma vie défile sous mes yeux tels des lambeaux de chairs éphémères qui ne sont plus que des miettes de moi – même.

    *Nostalgie.*

    Ces moments où j'aurais pu me noyer dans la jouissance de bonheurs anodins. Trop tard, je ne reverrai plus cette montagne qui se dressait devant moi chaque matin lorsque je m'adossais nonchalamment sur le rebord de la fenêtre, la cigarette à la main. Je ne l'avais jamais vu si belle que dans ce souvenir qui vient en mon esprit aujourd'hui. Est – ce de la divagation... Je me souviens de chaque détails, le petit chemin qui monte en lacets vers le sommet, le champs en pâture sur le versant nord et le soleil qui frappe à l'ouest, le soir. Je parviens même à sentir la chaleur ambiante. On est en plein été, et elle est là, elle aussi. Ma Douloureuse. Mon amour passé. Je l'ai tant aimé. Elle n'est plus qu'une image lissée d'un sentiment enfoui d'un coin de ma tête. Son sourire. Ses yeux reflétant une tendresse presque maternelle à mon égard. Elle était tout ce dont j'attendais de la vie, enfin je le croyais.
    Que me reste – il à présent, face à mon mur des lamentations indicibles. Quelques fragments du passé, je les balaye de la main. Des larmes coulent. Est – ce une preuve de courage de ma part, que de m'enfermer dans ma propre compassion ? Je ne le crois pas. Je dois demeurer fort et humble, jusqu'à ce qu'ils m'emmènent et m'exécutent, demain, 8h. Je garderai la tête  haute. Je n'ai rien à me reprocher, je n'ai rien fait, pourquoi pensent – ils autrement ? Pourquoi ne m'écoutent – ils pas !
    Je me devais de le faire, je ne pouvais rester ainsi face à cette injustice amoncelée de cruauté perceptible...
    Qui est le fou dans toute cette histoire ?
    Moi, peut - être. Sinon, je ne serais pas là, dans ce trou, comptant les minutes qui s' égrènent. Attendant en silence que l'on vienne me chercher pour me tirer une putain de balle dans la tête !
    Je me perds sur mon mur froid et gris, qu'il arrête ainsi de m'observer de sa taciturnité insupportable. J'ai envie de le détruire, de sortir de ma cage et de respirer à plein poumon l'air extérieur.

Rendez – moi ma liberté ! je cris. Rendez – moi ma vie... je  murmure, le timbre agonisant.

    A vif, je ne me contrôle plus, mes sentiments sont mélangés, je ne sais plus si je dois rire ou pleurer. Finalement est – il mieux de connaître l'heure de sa mort, est – ce une chance que l'on m'offre, un privilège ?
    Je suis au supplice de ma Douloureuse. Elle me ronge inexorablement les tripes, pourtant il me reste 19 h. Oui, 19 m'a annoncé, il a environ un quart d'heure, le gardien de mon ergastule lorsqu'il m'amenait ce verre d'eau fraîche, qui trône sur un bout de table mitée.
    Je n'y ai même pas touché. Pourtant, c'est bien moi et moi seul qui l'est exiger tout à l'heure, un caprice de condamné, le verre d'eau fraîche. L'Eau, la Vie. N'est – ce pas...
    Je souris, un rire vient se loger au creux de ma gorge. Il est là bien vivant, il excelle de beauté, il veut sortir, je lui laisse ce droit. J'éclate de rire. Je me délecte de ce doux apaisement de mon être qui libère ses tensions assassines. Cela est bref. Le silence enveloppe à nouveau les lieux.
    Alors, je fixe mon mur, il n'a pas changé. Il demeure et demeura. Moi je ne serai plus, mais il aura été là, jusqu'au bout. Mon pilier de solitude et il m'aura écouté, compris, qui sait ? Ainsi je n'aurais pas été seul face à ma condamnation, mon injustice, mon existence qui s'enterre d'elle – même dans une folie à ne pas voir,  à ne pas croire, que demain à cette heure – ci, je serai...Ne serai...
    Un coup retentit, puis deux...
    Silence.
    Un bruit de pas, une porte qui grince, il approche.
    Il me scrute, je l'ignore.
    Je sens son regard, pourvoyeur de mépris.     

On a dû l'achever, un dur à cuire. Un conseil, crève sur – le champ demain, on économisera des balles, me crache – t- il au visage.

    Alors je sors de ma réserve. Plus rien à perdre. Je me dresse, l'observe, avance.

Vous m'ôterez peut – être la vie, mais vous ne m'enlèverez cette soif que j'ai au fond de moi de me battre. Une chose restera après moi, cette injustice dont je suis victime et un jour, oui un jour ! Elle saignera sur vous et vous souillera de ma mort !
Pauvre fou, bougonne – t – il.

    Je retourne à mon mur.
    Lui, mon ami, mon confident de fin de vie.

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