Ma naissance
Leo Leo
C’est ici que la culture et les traditions de mon beau et vaste pays d Afrique centrale ont pris la majeure partie de leur essence. Ici c’est Mitumba, un village oublie et abandonne dans une vieille province, ayant pour villes limitrophes au Nord, Koki et au Sud, Atcheke, un village qui n’existe même pas sur la carte géographique mais qui garde tout de même son importance en tant que symbole ancestral, comme gardien des traditions qui perdent en valeur a cause de la modernisation et l arrivée du christianisme. En effet, ce qu’il y a de particulier ici c’est la souffrance sévère causée par la famine ; l insuffisance de l’eau, l absence d écoles et hôpitaux et l absence d électricité.
Cependant ici c’est le monde de l’animation ; les tam-tams qui résonnent au quotidien sont le moyen le plus utilisé pour communiquer ou pour fêter événements de tout genre.
Les tam-tams annoncent une joie personnelle ou communautaire ou encore un malheur dans le village. L événement se laisse deviner selon l intensité du son, selon la longueur du son, ou alors selon la façon avec laquelle le tam-tam est battu ; ainsi les sons de tam-tams très longs, au son percutant annoncent un décès, tandis que les tam-tams joues par plusieurs personnes, très brefs annoncent une naissance. Mais lorsque le tam-tam s accompagne de chants de femmes, on est sur que le chef du village effectue une promenade dans le village .
Ici , la modernité n a pas encore pointe le bout de son nez. Même la radio nous est méconnue. Nous mangeons dans des plats faits en bois et nous mangeons avec les mains mais on s y plaît . Cela procure plus de « goût au repas » , aime a dire mon frère. En effet on a pas d autres choix. On fait avec les moyens du bord.
Aujourd’hui le tam-tam a encore tonné : c’est un son très laconique mais strident qui à présent traduit la naissance chez Mama Anabo d’un petit enfant de sexe féminin. A l’écoute de ce son, les habitants du village, où qu’ils soient (maisons, champs, rivière) confluent tous vers le domicile du chef, une hutte de terre battue et dont des pailles tissées servent de portes et de toit. C était la plus grande maison du village et qui ressemblait a tout sauf a une chefferie. C’était une mocheté effroyablement sale et pleine de mystères, l apanage des chefs. Seuls les notables et les épouses du chef pouvaient y pénétrer. Même les enfants du chef n y pénétraient, auquel cas ils seraient punis. Leurs mères leur faisaient croire que la mort y séjournait et que quiconque osait s y introduire a l exception du chef et de ces épouses , la rencontrerait. Quel leurre ! Cette histoire avait été invente de toutes pièces par les notables pour maintenir le mythe sur la vie du chef. Dans la cour du chef il y avait tout au centre un arbre sous lequel se tenaient les réunions du village, un arbre constitues de grandes branches aux larges feuilles qui ne desséchaient et ne tombaient jamais que le tonnerre gronde, qu il neige, qu il pleuve, qu il vente, ou que le temps soit ensoleille pendant des mois. Derrière la case du chef il y avait des monuments d hommes qui représentaient les différents chefs ayant précédé l actuel.
En réalité, l’objet de ce rassemblement est comme le veut la tradition de trouver le nom que portera la petite fille. Tout le monde se dépêche, ceux qui se trouvaient dans les champs abandonnent le travail, ceux qui dormaient se réveillent et même les femmes qui cuisinaient, arrivent chez le chef que les Bamilékés du Cameroun appellent «, les du Gabon, cote d ivoire, ……. A Mitoumba, nous disons « EWE ». Notre démagogue et casanier de chef ne se faisait voir qu en des événements pareils. Il prenait un malin plaisir a rester chez lui, profitant des ses épouses et de leurs talents culinaires. C était le plus petit mais le plus dodu et costaud du village. Son nez épaté en forme d hélicoptère séparait ses deux énormes joues pendantes comme fatiguées sous l effet de l age. Il portait du 1er janvier au 31 décembre de l année, une robe noire en feuilles de baobab séchées.
C’est dans la cour d EWE, sous l’arbre à palabre que tout a lieu. Il est midi et en pleine saison sèche, quelques gouttes de pluies tombent. Tout le monde est content car cela faisait des mois qu’une seule goutte de pluies n’avait pas atteint le sol de Salangwana. Mais cette joie fut de courte durée car après deux minutes le soleil redevint plus brillant que jamais. Ensuite, fin de la pluie ! Comme si pluie et soleil s’affrontaient dans un combat d où le soleil sortait toujours vainqueur. On pouvait alors entendre certaines femmes dire : « mon Dieu, pourquoi toujours le soleil? Où est passé la pluie ? On dirait que la pluie s’en était allé en voyage, un voyage d’où elle ne reviendra plus jamais. Pauvres de nous ! Pendant ce temps meurent nos enfants et nos vieillards de famine, de soif et de maladies dont le nom et le traitement nous restent inconnus ». Les hommes ne disaient rien. Il revenait aux femmes de pleurer. Voir un homme pleurer constituerait une honte pour ce dernier, aussi grande que pouvait être la douleur qui l anime. Même s ils ne disaient rien, il n en demeure pas moins que l amertume et la froideur de leurs visages témoignaient de leur enthousiasme.
Ah ! C’était la chanson quotidienne. Les habitants avaient déjà fini par prendre habitude au soleil et personne n’osait boire l’eau de la rivière « noire », cette eau noire dite maudite par les ancêtres car soi-disant « tombeaux des soldats morts lors de la guerre qui opposait Mitoumba a Koki ». Tout portait a croire que c était une mauvaise eau ; nous ignorions notamment la provenance. De mon point de vue, ce n est que pure et simple superstition de vieillards car le fait qu elle soit offensive n avait jamais été clairement établi ; n ayant jusqu’à présent provoque le décès de personne. Je trouvais cette rivière pourtant magnifique, une vraie merveille de la nature.
Tous les habitants étant réunis sous l’arbre à palabre, le chef pouvait alors sortir de sa case afin que débute la cérémonie traditionnelle. Il dit « Meh ntsateh ». Ce qui veut dire « je vous salue » et les habitants répondirent « hé ». La maman du nouveau-né fut alors présentée à tous les villageois, son bébé contre la poitrine et toute l’assistance se mit à crier et applaudir comme pour montrer sa joie. Ensuite la mère s’assit et un habitant proposa un nom pour le bébé : « UMRACHA »
En fait, selon les traditions du village, le nom d’un poupon s’obtenait à partir du nom d’un ou de plusieurs ancêtres ou Dieux ou Déesse. Et, chaque habitant ne possédait qu un seul et unique nom.
Subséquemment, le prénom Umracha résultait de la combinaison d’Um, Déesse du courage et Racha, Déesse de la beauté. Le nom fut immédiatement approuvé par le chef du village et à tout le monde de retrouver ses occupations, les cœurs certes joyeux, mais brises par la tombée brève d une pluie tant désirée.
Par ailleurs, la maman de la petite fille était une femme chanteuse dans l âme, parfois mentalement dérangée, parfois impulsive, pieuse parfois et très laborieuse. Elle était par certains temps, victimes de crise de nervosité dont on ne savait la cause et dont son père était la principale victime ; en revanche son père très simple, traînard, attachant, taciturne et dont la timidité confinait la nonchalance ; dont le était salue par tout le village. Cette famille avait un secret in-devinable : le père était battu par son épouse. Difficile a croire, tant il formait le couple parfait.
Souffrance gagnait en ampleur dans le village. Famine et soif cheminaient en permanence avec les villageois. Alors qu’au moins trois enfants et vieillards mourraient par semaine, le taux de naissance allait crescendo. Et le défaut d’eau était le plus pénible à gérer. Les aliments tels que le mil et le sorgho etaient les plus consommes.
Ce qui était frappant dans le village, c’était la croyance malgré tout aux multiples Dieux. Il y’ avait en outre le Dieu de l’eau qui détiendrait le pouvoir de faire tomber la pluie. Il était représenté par une statue faite de caillasses et située à quelques secondes de la rivière. La Déesse de la beauté, la Déesse de la prospérité, la Déesse de la fécondité étaient aussi très vénérées. Enfin, il y’ avait le chef du village qui par contre était palpable, visible, humain et qui détenait le droit de vie et de mort sur tous les Mitoumbas.
Le village était le théâtre de pratiques inhumaines : Ewe offrait la mort a certains hommes du village après leur avoir arrache leur femme. Gare aux hommes ayant de jolies épouses ! Le chef possédait une trentaine d épouses dont une dizaine avait été enlevée a leurs époux et enfants . Quiconque osait laisser paraître sa désapprobation face a cet acte exécrable se voyait extermine et personne n y pouvait rien. Ewe usait et abusait des pouvoirs qui lui étaient conférés par son statut . Toute sa famille , ainsi que ses sbires étaient supérieurs a tout individu du village. Ce qu il y avait de désolant dans cette société c était le rang attribue aux femmes. La femme y est un objet ; elle ne sert a rien. Il appartenait a son devoir de nourrir sa maisonnée. C est elle qui éduquait les enfants. C est encore elle qui pleurait, qui priait les Dieux pour leur demander de veiller sur la famille ; tandis que les hommes se réclamaient de leur force et de leur virilité. Ces femmes, pauvres d elles ! elles recevaient d interminables bastonnades, portaient de multiples grossesses tout en restant très soumises a leurs époux. Miteuse était la situation de la femme. Les marmots avaient quant a eux droit a tous les petits soins jusqu’à un certain age , particulièrement les filles qui, des l age de 9 ans devraient pouvoir faire la cuisine, maîtriser les travaux champêtres et se préparer au mariage. Il est a noter que les hommes restaient des bébés toute leur vie. Déjà a l enfance, le garçon avait le droit de frapper une fille aussi âgée soit elle et elle n avait pas le droit de se défendre.
Aujourd’hui , je suis née un dimanche, le vingt-cinq mars 1985 a Mitoumba. Moi Umracha, je vous narre mon histoire a dormir la tête dans l eau.