Ma Place

sylvenn

Noires Heures - Essais

Je suis parti plusieurs fois. Loin. A chaque fois pour des raisons différentes, avec de nouveaux questionnements avides de réponses. La première fois, j'étais dégoûté de la France. J'avais perdu ma première copine, mes amis, mes espoirs de mener une carrière brillante, et mon identité égotique du même coup. Parti en Australie, en Nouvelle-Zélande et à Bali, j'ai eu la liberté comme seule réponse. Et la solitude. Qui ne m'a jamais quitté où que j'aille, quoi que je fasse. La seconde fois que je suis parti, c'est parce que je ne supportais plus cette dernière. Je voulais retrouver la liberté, mais cette fois-ci accompagné d'Estelle, mon âme sœur. Liberté et Amour. Ma place était trouvée sur cette Terre. Le Bonheur bouillonnait en moi comme un doux ronronnement. Mais comme dit l'adage, jamais deux sans trois.
A mon premier pas de retour sur les terres françaises, la réalité m'a rattrapé. Elle a saisi mon Bonheur et l'a piétiné. Elle s'est emparé de notre couple et l'a torturé pendant deux années jusqu'à ce que, ensanglanté, agonisant, il ne pousse son dernier soupir. Il résonna comme un coup de feu à mon troisième et dernier départ.
Qu'ai-je à apprendre à présent ? Quels sont mes questionnements, cette fois-ci ? Quel est mon dernier défi ? Cesser de combattre la solitude. L'accepter. Et même, en faire une alliée. Au moment où j'écris ces lignes, cette simple idée me paraît encore tout à fait impossible. Elle sonne à mon cœur comme pure folie, comme une hérésie de païens qui dans le temps, finissaient sur un bûcher. Mais les faits sont là : j'ai passé 29 ans à tenter de la réduire au silence, de l'enfoncer au plus profond sous terre, et en réponse elle m'a brisé. Elle a détruit mon équilibre, mon amour, mon envie de vivre. Mon âme sœur. Ma famille. Mes amis. Ma place sur Terre. Je suis à chaque fois parti pour la fuir, et à chaque fois elle m'est revenue avec plus de haine que jamais. Je suppose donc que cette fois-ci, je suis parti pour apprendre à l'accueillir avant qu'elle ne me cueille à mon tour.
Bon. Voilà le défi. Il est clair. Depuis plusieurs mois, combien de personnes m'ont vanté les mérites de ce concept abstrait, d'être heureux par soi-même ? De s'aimer ? De vivre pour soi ? Tous ont avoué que c'était dur, mais que c'était l'unique clé d'un Bonheur durable, inconditionnel. J'ai découvert des gens qui ont affronté le deuil. La rupture. L'inadaptation. Le rejet. La pauvreté. Tous ont affronté une forme de solitude pour finir par l'épouser. Tous sans exception m'ont dit de m'accepter comme je suis. De l'affirmer à voix haute, sans hésitation.
Alors certains affirment ainsi qu'ils sont des artistes. Certains crient qu'ils sont gays. Certains laissent leur personnalité, aussi originale soit-elle, hurler pour eux. Pourtant, il y a des vérités que l'on ne peut pas dire. Aucun d'eux n'a jamais eu à avouer à chaque femme qu'il n'existait qu'à travers elle, et à chaque homme qu'il craignait son jugement. Coincé entre les deux. Un homme qui ne se sent ni homme, ni femme, ni rien entre les deux. Un homme qui s'éprend pour une femme chaque matin, et qui endure chaque soir la torture viscérale de la rupture d'une union qui n'a jamais eu lieu que dans son esprit, et jusque dans son sang. Un mythe grec. Une flamme qui s'embrase dans mon cœur chaque fois que l'aube naît à l'horizon, et qui le réduit en cendres lorsque le soleil disparaît au loin. Quel homme ressent ça ? Quelle femme ressent ça ? Personne, aucun. Et tous ces gens qui me parlent de m'affirmer, de me laisser être. Voilà qui a du sens pour l'écrasante majorité de cette planète. Pas pour moi. La souffrance est ma peine, le silence est ma survie sociale.
Alors chaque jour je me consume un peu plus, silencieusement. Les hommes diront que j'ai simplement envie de choper, que c'est normal. Les femmes diront que je ne tombe pas réellement amoureux. Les deux auront en partie raison. Mais aucun ne comprend la dépendance, le besoin incessant d'exister
dans les yeux d'une femme, d'être aimé profondément en retour, sans quoi je ne suis rien. Je n'existe pas. Et pourtant, la vie demande à ce que la seule que j'épouse aujourd'hui soit la solitude. Belle ironie.

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