MA P'TITE SORCIERE
Sylvie Benguigui
Je l'avais rencontré au cours d'une soirée
Certain'ment pas chébran et même un peu coincée
Tout le monde me disait qu'elle avait l'air bizarre
Mais moi, grand innocent, j'ai pas voulu les croire.
Quand je la regardais, elle avait l'air ringard
Mais elle avait quelque chose, là, dans le regard
Une flamme un peu bizarre qui s'allumait la nuit
Et qui ensorcelait tous les keums du pays
Avec toujours un air d'pas vouloir y toucher
Elle faisait fantasmer même les plus damnés
Tous ceux qui la voyaient ne pouvaient s'y tromper
Cette meuf-là, grâce au ciel, ne pouvait qu'exister.
Et moi dans mon p'tit coin, j'la regardais en douce
Pendant qu'elle innocente r'gardait voler les mouches
De temps en temps, quand même, elle me j'tait un regard
Mais était-ce du désir ou bien de la colère noire ?
Puis elle se radoucit et me fit les yeux doux
Et moi dans mon p tit coin j'ai cru que j' devenais fou
J'savais plus où donner ni des yeux ni d' la tête
Que fallait-il que je fasse pour ne pas mourir bête ?
Soudain elle se leva et s'avança vers moi
J'savais plus comment faire pour m'tirer d'ce mauvais pas
Alors j'me suis engoncé dans l'canapé rose
Avec l'impression que c'était devenu d' la guimauve
Mais malheureus'ment j'pouvais pas aller plus loin
Sinon à tous les coups j'me serais cassé les reins
A trop vouloir rentrer la tête dans les épaules
On finit par s'tromper et jouer un autr' rôle
Alors j'me suis lâché et j'me suis rapproché
Et elle a bien compris qu'elle me f'sait plus flipper
Pour qui elle se prenait cette meuf endimanchée ?
Pour se croire tout permis et s'dire que j'allais craquer ?
J'allais donc lui montrer de quel bois je me chauffe
Maintenant ou jamais, il fallait que ça chauffe
Je me suis donc levé, j'avais une tête de plus
Elle avait plus qu'à se taire cette espèce de cruche
Que croyez-vous qu'elle fit ? elle prit l'parti de s'asseoir
Et doucement, d'sa poche, elle sortit un mouchoir
Fit mine d'avoir qué'que chose qui la gênait dans l'œil
Jusqu'à c'que tout penaud, je me penche sur cet œil
Je n'y vis pas grand-chose mais mon regard loucha
Du haut de ma hauteur, sur, vous d'vinez pas quoi ?
Alors pour arrêter d'avoir les yeux qui s'croisent
J'mis un genou à terre et descendit d'ma toise
Et mes potes qui s'marraient dans l'autre coin d'la pièce
En s'disant q'cette fille-là, c'était une drôle d'espèce
Attendaient d' voir tranquil'ement ce qui allait s'passer
Commençant à dérouler l'fil de ma soirée
Elle leur avait déjà fait le coup ? Non, pas vraiment
Et c'est sans doute pour ça qu'ils étaient sous calmants
C'était quand même pas faux qu'elle faisait un peu peur
Mais malgré ça toujours ils étaient en chaleur
Avec mon ge'nou à terre j'avais pas l'air malin
Surtout qu'j'évitais d'planter mes yeux dans les siens
J'me disais : si tu l'fait, t'es foutu, t'entres en guerre
Et c'était clair pour moi, j'voulais pas m' laisser faire
Mais elle s'pencha vers moi et j'entendis son souffle
Me murmurer tout bas qu'il fallait que l'on souffle
La petite bougie bleue qui était sur la table
Qui était si jolie et entourée de sable
« Ca nous portera chance », dit-elle à mon oreille
Pendant que son pied droit m'effleurait un orteil
Puis elle se recula en m'disant « ce se'ra toi »
Je la traitais d'sorcière. Bah non, j'la croyais pas !
« Tu verras q'j'ai raison », me dit-elle avec force
« Tu n'y échapp'ras pas même si tu t'désamorces
Tu m'aim'ras je le sais parce que je l'ai rêvé
Et que mes rêves toujours deviennent réalité »
Cette fois ça suffisait il fallait arrêter
De jou'er avec le feu sans app'ler les pompiers
Je décidais d'partir et d'la laisser toute' seule
C'était une drôle de dingue et bien fait pour sa…
Non, quand même, j'le dirai pas !
Bon, je reprends
Mais à peine couché, des rêves enflammés
Tournèrent autour d'mon lit et vinrent me hanter
Je la voyais d'partout, je la sentais partout
Sur mon lit, dans mon lit et dans l'creux de mon cou
Le lendemain fût pire, j'étais monté au ciel
Ca en était dev'nu un rêv' obsessionnel
Je n'pouvais plus manger plus boire et plus écrire
Et à franch'ment parler c'était quand même le pire
Alors, quinz' jours après n'y tenant vraiment plus
J'l'avais pas oublié malgré c'que j'avais bu
J'me pointais à nouveau à une soirée débile
Avec la peur au ventre, la larme au bord des cils
Fallait qu'je la retrouve quitte à courir la terre
Sinon je finirai sûr'ment quatre pieds sous terre
C'était c'que j'me disais en entrouvrant la porte
Quand je la vis de loin « Que le diable l'emporte ! »
Elle était belle, ma sorcière, j'l'avais pas vu comme ça
Illuminée autour par une superbe aura
C'était l'amour, je pense, qui la rendait comme ça
Et qui f'sait qu'aujourd'hui, j'me trouvai d'nouveau là
Arrêtez d'vous marrer les keums et fermez là
C'est pas tous les jours qu'on rencontre une fille comme ça
J'étais fait et refait j'lui tombais dans les bras
J'me foutais d'tout maint'nant, ne comptait plus qu' ses draps
Moi qui'avais toujours cru que les proverbes sur Dieu
N'étaient qu'des racontards envoyés par les Cieux
Mis devant l'fait accompli, j'vais vous faire un aveu
« Ce que femme veut… Dieu le veut » !
© Sylvie Benguigui texte