Ma Vérité

Dominique Capo

Lettre de ma compagne à ses parents, cinquième partie :

L'attitude de Papa et de Maman a également progressivement altéré la santé de Dominique. A force de tenter de mettre leur nez dans notre couple, à force de le prendre à parti pour tout et n'importe quoi, ils ont commencé à le stresser. Tout d'abord, cela n'a été qu'épisodique. Il s'est agi de légères et passagères crises d'angoisses. Je le souligne, car c'est important, ses crises n'ont jamais été liées à mon handicap ou à ma Sclérose en Plaques. Elles apparaissaient systématiquement, juste après que Papa et Maman soient intervenus d'une manière ou d'une autre dans notre vie de couple. Puis, au fur et à mesure, celles-ci ont commencé à s'aggraver. Ses crises sont devenues plus longues et plus fréquentes : dès que Papa et Maman manifestaient leur intention de se mêler de nos affaires, ils déclenchaient aussitôt chez lui des crises de vomissement de plusieurs semaines. Ils ont engendré chez lui une véritable souffrance, autant morale, psychique, que physique. Et finalement, afin de pouvoir avoir des journées à peu près sereines, il a été obligé d'augmenter ses doses de Lexomil.


Les rapports que j'entretiens avec la famille de Dominique sont tout à fait différents. Eliane (sa Mère) et Mémé Yvonne (sa Grand-mère) viennent nous rendre visite à Valognes environ quatre à cinq fois par an. Quand j'y songe, elles ont passé davantage de temps chez nous que toutes les fois où Papa et Maman sont venus nous y voir. Eliane et Mémé Yvonne vivent à plus de 300 kilomètres de chez nous, Papa et Maman à une dizaine de kilomètres tout au plus. Cela montre, si c'était nécessaire, laquelle des deux familles fait le plus d'effort pour aller à notre rencontre.

D'autre part, Eliane nous téléphone régulièrement ; au minimum une fois par semaine, parfois plus. Elle prend ainsi de nos nouvelles, à tous les deux je tiens à le préciser. Evidemment, nous leur en donnons des nôtres. Dominique et sa mère s'appellent aussi parfois, juste pour le plaisir de discuter cinq minutes. Parfois aussi, ils se contactent grâce à Facebook, puisqu'Eliane utilise régulièrement Internet, et ce réseau social, pour ses activités associatives. De temps en temps, ils s'envoient des emails, parce que sa Maman qui participe a des compétitions canines, lui envoie des photos de ses deux Boxers. Et Dominique et moi lui téléphonons, évidemment, tout aussi souvent qu'elle.

Je tiens à dire que Papa et Maman, eux, ne se donnent jamais la peine de nous téléphoner. Sauf exception – c'est-à-dire, lorsque la date d'une réunion de famille approche et qu'ils ont décidé que je devais y être présente -, ils ne prennent jamais de nos nouvelles. Ils savent pourtant pertinemment que Dominique et moi ne pouvons pas nous déplacer, vu que nous n'avons pas de moyen de locomotion. Le téléphone permet donc de rester en contact les uns avec les autres assez aisément. Or, c'est toujours moi qui dois en prendre l'initiative. J'ai parfois l'impression que, pour eux, il s'agit d'un objet qu'il faut utiliser qu'en cas d'extrême nécessité ; de même qu'Internet. Nous sommes au début du 21ème siècle, et quand j'y songe, j'ai le sentiment qu'ils en sont restés au milieu du 20ème siècle.

J'ai beau leur dire qu'ils peuvent me contacter quand ils le souhaitent, ils ne le font jamais. Et, quand j'effectue cette démarche, ils ne me parlent que d'eux, et, comme d'habitude. Tout ce qui me concerne au quotidien, tout ce que je vis au jour le jour avec Dominique ne les préoccupe pas. Une fois encore, ce comportement de leur part m'attriste et me blesse profondément. Quand je vois la complicité qui unit Dominique à sa Mère, j'en suis meurtrie. L'attitude de Papa et de Maman m'humilie. Lorsque je vois qu'Eliane et Mémé Yvonne ne font aucune distinction entre lui et moi dans leur comportement, j'en suis d'autant plus blessée.

Quand Eliane et Mémé Yvonne viennent passer quelques jours chez nous, elles s'adaptent à notre rythme de vie. De notre coté, nous changeons également un peu nos habitudes. Par exemple, les deux Boxers d'Eliane doivent régulièrement être sortis pour qu'ils puissent faire leurs besoins ; et cela, dès huit heures du matin environ. Donc, nous nous réveillons plus tôt que d'habitude. Par contre, chez nous, l'heure des repas est un peu plus tardive que chez elle. Mais cela ne lui pose aucun problème ; de même qu'à Mémé Yvonne. D'autre part, Eliane et Mémé Yvonne savent que nous aimons regarder des films. Dominique prépare des Thrillers – genre qu'elles apprécient particulièrement – avant qu'elles n'arrivent. Et durant leur séjour, elles les visionnent le soir avec nous. Elles discutent également avec nous de notre quotidien, de nos centres d'intérêts, de nos passions, de livres que nous avons lus, d'émissions que nous avons vues. Elles questionnent Dominique sur ses figurines, sur ce qu'il est en train d'écrire. Nous les interrogeons sur leur vie de tous les jours dans la Sarthe, des gens que nous y fréquentons lors de nos vacances là-bas. Elles se rendent encore à Saint-Vaast, à Sorthoville, ou ailleurs, de temps en temps avec nous, d'autres fois sans nous. Cela dépend de notre envie, en fait. Elles nous aident dans notre vie quotidienne en nous emmenant au supermarché si nous en avons besoin. Il y à un véritable partage que, je l'avoue, je n'ai jamais trouvé chez Papa et Maman.

Cette façon de procéder, de la part d'Eliane et de Mémé Yvonne, à chaque fois, me fait véritablement plaisir. Elles s'impliquent auprès de moi autant qu'auprès de Dominique ; sans parti-pris ni montre de favoritisme. Elles m'écoutent attentivement autant que lui, malgré mes bégaiements, malgré ma lenteur pour m'exprimer. Elles m'encouragent, sans me forcer, à mon rythme, ne me jugent pas, et me donnent des conseils qui restent des conseils, quand elles le peuvent.

Dans la Sarthe, lorsque nous sommes en vacances chez Eliane, il n'y a pas de grandes différences. Nous nous adaptons à leur mode de vie, autant que ces dernières s'adaptent au notre. Nous y menons une existence calme et tranquille. Nous y avons nos habitudes. Eliane poursuit ses activités, tandis que nous vaquons aux nôtres, en prenant le temps dont nous avons besoin. Ainsi, nous nous levons à peu près aux mêmes heures que chez nous. Nous prenons notre petit déjeuner, nous nous lavons, ou nous nous changeons, à peu près aux mêmes horaires. Le matin, Dominique est sur son ordinateur ; moi, j'aide aux taches quotidiennes de la maisonnée. L'après-midi, nous nous isolons dans notre chambre pour y visionner des films sur DVD ou des émissions que nous avons enregistrées sur le lecteur-enregistreur DVD les jours précédents. Le soir, nous lisons ou regardons la télévision. La seule différence majeure concerne les repas du midi et du soir. Ils sont plus tôt que chez nous. Eliane étant une excellente cuisinière, elle nous prépare toujours de bons petits plats, gourmands et non diététiques il faut bien l'admettre. Mais, autant Eliane que Mémé Yvonne essayent toujours de nous faire plaisir en ce qui concerne la nourriture.

Autre différence majeure : les grands repas de famille semblables à ceux de Papa et Maman. Ceux-ci y sont beaucoup moins nombreux. Le seul que je pourrais comparer à ces derniers est celui de Noel. Il dure un après-midi entier. Quant aux anniversaires, ou autres, ils ne s'étendent jamais plus de deux heures, au maximum. En outre, dans ce cas, nous avons la possibilité de quitter la table une fois le repas terminé. Les invités continuent à discuter un moment avec Eliane et Mémé Yvonne, bien évidemment, tout en buvant un café ou un digestif. Mais Dominique et moi quittons les lieux parce qu'épuisés, et personne ne trouve rien à y redire. Nous rejoignons alors notre chambre pour nous y reposer ; moi, je fais une sieste, Dominique lit. Quand je me réveille, nous regardons un DVD. Et finalement, lorsque les gens s'en vont, nous les rejoignons afin de leur dire au revoir.

Tout le monde, dans l'entourage d'Eliane sait que lui et moi fatiguons très vite dans ce genre de circonstances. Ils savent que nous avons du mal à suivre leurs conversations puisqu'il s'agit de sujets évoquant le club Hippique de la Sœur de Dominique, ou détaillant les différentes activités associatives d'Eliane. Donc, nous les suivons tout le long du repas proprement dit. Mais, lorsque celui-ci est terminé, ils ne nous reprochent aucunement le fait que nous les quittions afin de nous adonner à nos propres activités. Ceci n'empêche pas que nous les appréciions et qu'ils nous apprécient, et que nous avons plaisir à les rencontrer.

Il faut dire que les occasions de croiser des personnes issues de milieux différents et variés sont nombreuses. Comme Papa et Maman, Eliane exerce de multiples fonctions au sein d'organisations locales. Ceci nous fait croiser beaucoup de monde. Cela nous permet de connaître davantage de personnes que nous n'en voyons à Valognes. Par contre, cela ne nous perturbe aucunement notre quotidien. Nous côtoyons ces personnes lorsque nous le désirons. Nous menons les activités qui nous plaisent, sans que quiconque ne nous impose son point de vue ou son jugement. Si nous voulons nous mêler aux gens qui viennent voir Eliane, nous le faisons ; si nous ne le voulons pas, nous ne le faisons pas ; et nul ne s'en sent offensé ou blessé. Nos choix et nos décisions sont respectées.

Un autre aspect du lien qui existe entre Dominique, Eliane et moi est qu'ils ne sont pas toujours d'accords sur leur façon de voir les choses. Contrairement à ce qui se passe entre Papa, Maman et moi, ils trouvent cela naturel et ne s'en formalisent pas. J'ai, personnellement, déjà assisté à plusieurs altercations entre eux assez virulentes. Moi qui n'ai jamais osé affronter Papa et Maman ouvertement, j'en suis toujours resté ébahie et envieuse. Je ne sais pas quelle force intérieure permet à Dominique de se mesurer à sa mère. Car parfois, les mots qu'ils se disent sont sévères. Je l'envie aussi du fait qu'une fois qu'ils se sont expliqués sur leurs désaccords, Dominique et Eliane n'ont aucun mal à tourner la page de ce qui vient de se dérouler entre eux. Bien qu'ils n'arrivent pas, de temps en temps, à trouver un compromis, ils sont capables de dépasser leurs désaccords ou leurs différences. Ils assument leurs opinions tout en se montrant toujours autant d'affection.

Comme j'aimerai que ce soit pareil avec Papa et Maman. Je ne les ai jamais vu accepter que quelqu'un – et Dominique en particulier – ne se soumette pas à leurs points de vue. Non seulement cela, mais ensuite, ils deviennent hostiles et rancuniers. Leur orgueil et leur fierté – mal placés – ne les autorise pas à reconnaître que d'autres ont le droit d'avoir des opinions à l'opposé des leurs. Que ces personnes, ainsi que leurs idées sont tout aussi respectables, cela les hérisse au plus haut point. Je me demande si, dans notre famille, quelqu'un a déjà osé les confronter à des idées si différentes des leurs avec autant de détermination et de fermeté. Si c'est le cas, je ne m'en souviens pas.

Je suis persuadée que si je me permettais d'avoir la même attitude, de vive voix, ils seraient convaincus que j'ai été manipulée par Dominique. Ils ne me le pardonneraient jamais. Et vu l'état de nos relations actuelles, je me rends compte que je ne me trompe pas.

C'est pour toutes ces raisons, donc, que je suis plus détendue, plus épanouie, plus heureuse que chez Papa et Maman, lorsque je pars en vacances dans la famille de Dominique.

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