Ma vie avec... V2.0
Corinne Ozenne éditions
Un texte de Walter OZENNE sur la réflexion et plus encore...
sa page FB : http://www.facebook.com/walter.oteur.3
Seconde version, publiée avec son autorisation. Texte encore en gestation.
Texte protégé contre les droits de reproduction
Ma vie avec...
"Bonjour, vous ne me connaissez pas et pourtant vous en savez beaucoup plus sur moi que vous ne le pensez.
En fait, je suis comme bon nombre d’entre vous. Notre point commun ? Nous partageons notre vie avec un dépressif.
Je le connais depuis bien longtemps déjà et pourtant je n'ai rien vu venir. Les aléas de la vie ont fait que cet état s'est installé.
Dans mon métier on dit que les aléas ne sont rien sans les enjeux et que sans enjeu, l'aléa qui se concrétise n'a aucune conséquence. Cependant, les enjeux ne sont pas toujours où on les attend et encore moins où on les espère parfois. Les aléas sont quant à eux souvent incontrôlables. Ils vont se nicher partout : dans une maladie curable ou non, dans un supérieur ambitieux et parfois jaloux, dans un entourage dont la complaisance masque des intérêts personnels vils... La liste pourrait être longue et vous connaissez tous des gens comme cela dans votre entourage : bienvenue dans la civilisation de la production et du rendement.
Mais voilà, c’est ainsi, l’histoire fait qu’aujourd’hui je partage depuis plus de deux ans la vie d’un dépressif.
Je me dois de vous avouer quelque chose : cette personne dépressive avec qui je partage ma vie je la connais effectivement très bien puisqu’en fait, c’est moi.
Bien sûr en avouant cela je passe pour un schizophrène, un dérangé aux multiples facettes qui renie sa maladie.
Il n’en est rien.
Je sais être malade, j’en suis conscient, je me soigne même. Mais la réalité est bien plus basique en fait, cette maladie fait de moi un être différent. Cette personne est réellement différente de moi. Elle est mon double, mon ombre : elle est tout, mais surtout, elle n’est pas le vrai moi. Bien sûr, je ne suis qu’un, mais la personne que me reflète le miroir ne me ressemble en rien. J’ai souvent le sentiment d’être juste assis à côté de mon corps et de ne plus être capable de le piloter. Le sentiment le plus fort dans cela est la honte. Celle de ne pas savoir passer outre, celle de ne pas pouvoir me réapproprier mon enveloppe.
En règle générale, les gens pensent que la dépression est un choix, voire une complaisance pour obtenir un peu de repos.
Croyez-moi, la réalité est toute autre, tellement différente même !
Le cerveau se bat contre vous, renie vos choix et il impose à vous un état que vous ne comprenez pas.
Acte I, le prélude...
Le malaise s’installe peu à peu jusqu’à ce matin où, en ouvrant les yeux, vous voyez votre monde s’écrouler morceau par morceau : tout ce que vous avez mis des années à construire par votre travail, votre amour semble s'effriter irrémédiablement devant vous. Cela est arrivé si doucement que jusque-là, vous n’y avez pas prêté attention. Vous mettiez cela sur le dos d’un peu de surmenage chronique, d’un rhume mal soigné. Vos proches ne le sentaient pas forcément non plus et faisaient juste le même constat que vous : une bonne nuit de sommeil et il n'y paraîtra plus.
Mais, la fatigue s’est installée durablement, profondément. Chaque jour un peu plus jusqu'à ce que le corps réagisse. Vous êtes nauséeux, vous êtes pris de malaises, vous grossissez ou maigrissez d’un coup sans raison médicale évidente. Vous êtes arrivés ! La première étape du processus est engagée depuis bien longtemps déjà et la "bête" peut enfin se réveiller et se montrer. Le mal vous a pénétré, il est là bien ancré en vous, la période de gestation est complète.
L'acte II peut débuter.
Et puis, un jour, ce fameux matin arrive.
Tout ce que vous avez connu s’effondre d'un coup. La pièce est emplie de noir et d’ennemis inconnus que vous avez peur de combattre. Alors, irrémédiablement vous vous fermez au monde. Vous rapetissez chaque jour toujours un peu plus, vous recroquevillant sans cesse, occupé à chercher un espace rassurant où vous cacher. Cette régression quasi fœtale prend fin au moment même où vous arrivez au sentiment d’inutilité.
C’est là que l’entourage pourtant si présent découvre d’un coup que votre fatigue perpétuelle depuis plusieurs semaines n’est pas due à ce "satané virus qui traîne en ville".
Et là, à la phobie de l’autre, s’ajoute la honte. Celle qui fait de vous un enfant de 5 ans pris en flagrant délit de vol de bonbon dans le bocal de l’étagère. Ce sentiment incontrôlable, mais totalement irrationnel vous envahit tous les jours un peu plus.
Honteux d’être au lit, honteux d’avoir des nausées permanentes, honteux de montrer ce visage à ceux qui vous aiment. Honteux d'être !
Et soudain, un jour comme les autres dans cet univers sombre qui vous entoure, tout semble s’éclairer : on regarde la fenêtre et l’on se dit que la solution est simple, que l’issue est juste là, devant vos yeux depuis le début.
Vous regardez cette lucarne. La lumière vous appelle. Vous hésitez entre résister et répondre à cet appel. Contrairement à la croyance populaire, la difficulté est aussi bien d’avancer que de rester stoïque. On dit que le suicide est une lâcheté, que c’est abandonner les siens et que c’est choisir la solution de facilité. Il n’en est rien. Vous êtes intimement convaincu que la solution est là, de l’autre côté de cette fenêtre et qu’enfin vous allez redevenir vous-même, que vous allez enfin récupérer votre corps. Vous voulez prouver que vous êtes encore capable d’avoir le contrôle sur ce corps qui vous échappe.
Votre esprit, à ce moment précis, ne vous appartient plus. Vous ne commandez plus rien. Votre corps semble répondre à un autre, cet autre qui tire les ficelles depuis quelque temps déjà.
Vous ne savez pas pourquoi vous avancez ou pas. La lumière se trouble, les bruits disparaissent. Ce moment vous échappe vraiment ! Il semble durer des heures.
Quand vous reprenez conscience, vous avez l’impression d’avoir fait un rêve. Vous êtes dans une pièce sans même vous rappeler que vous y étiez entré. Vos jambes chancellent. Tout votre corps exprime une immense fatigue. Vous voyez la fenêtre sans trop comprendre ce que vous faites là. Vous ne savez même pas pourquoi vous êtes là, immobile à fixer cette fenêtre.
Vous vous réveillez et vous vous dites : "non, ce n’est pas possible, je n’ai pas failli faire ça". Vous avez peur. Peur que dans un moment d’absence plus prononcé que les autres vous ayez avancé.
C’est à cet instant que vous réalisez que déjà vous êtes allé trop loin.
Alors, deux solutions s’offrent à vous : soit vous vous laissez couler irrémédiablement, soit vous poussez la porte du médecin.
Cette seconde option représente une acceptation de votre état, mais n’est pas le remède. Ce n'est pas non plus la plus facile puisque c'est celle qui va vous révéler aux autres comme un dépressif.
Dépressif ! Ce mot tabou et qui semble contagieux. Votre statut social vient de changer.
En fait, vous avez juste franchi une étape : celle qui rassure votre entourage. Cela vous ouvre une porte vers un peu de stabilité et de tranquillité. Mais tout cela n’est que de courte durée.
On vous prescrit des traitements, vous conseille des gens en support. Vous venez de n’obtenir une béquille, rien de plus.
Le mal est toujours là, il vous ronge toujours de la même manière, toujours sournois, prêt à vous assouvir encore un peu plus à la moindre occasion, exploitant la moindre de vos faiblesses.
Un nouveau combat commence : celui entre votre corps et les psychotropes. Une bataille acharnée où le bien-être que votre cerveau ressent soudainement est mis à mal par les douleurs atroces que votre corps vous renvoie. Vous avez l'impression que quelqu'un essaye de s'extraire de votre crâne à grand coup de masse, que l'on vous met du sable dans toutes les articulations. La molécule chimique qui va vous enfermer dans un carcan se met en place !
Petit à petit la bataille se fait moins violente, les coups sont plus doux et vous capitulez sans même vous en rendre compte.
Acte III !
Le calme semble revenu. Vous découvrez enfin que vous êtes dans le puits, c'est tout.
Pas n'importe quel puits ! Non, un de ceux où quand on se penche pour regarder l'eau, on semble y voir le reflet de toute la noirceur de sa propre âme. Un de ceux qui vous donne le vertige même assis sur le bord de votre lit. Celui dans lequel on tombe petit juste au moment de s'endormir.
Ce puits est vicieux. Au moment où vous pensez qu'enfin vous êtes assis en son fond, vous essayez de vous agripper aux parois. Vous vous redressez, enfoncez vos doigts dans la roche friable, puisant dans vos forces intérieures pour vous redresser. Vous êtes sur vos jambes : droit, fier de ce que vous venez d'accomplir, aussi minime soit l'exploit aux yeux des autres.
Et là, vous sentez un craquement. Machinalement, vous regardez vos pieds : le fond craquelle, se désagrège irrémédiablement, vous entraînant à nouveau, plus bas, vers un autre fond.
Et le cycle se reproduit palier après palier. La bataille entre vous et ce puits se résume à savoir qui de vous où de ses fonds intermédiaires aura le dernier mot. Vos ongles s'usent, vos mains fatiguent, vos muscles deviennent de plus en plus douloureux et cependant vous savez que ce puits ne peut pas avoir raison de vous. Enfin, normalement !
Alors vous faites une pause, en espérant que ce fond-là tienne et vous laisse un peu de répit. Vous acceptez l'immobilisme.
Le regard des autres ne vous importe plus ; de toute façon, il n'y a plus "d'autres". La peur de la contagion a installé une quarantaine virtuelle mais tellement visible autour de vous ! La peur de déranger, de gêner, éloigne petit à petit vos proches. Vous n'avez ni l'envie ni la force de les blâmer, inconsciemment vous auriez peut-être agi de la même manière. De toute manière, les vrais "proches" sont toujours là, à portée de téléphone, de conjoint... Juste un peu plus discrets sans plus. Ceux-là, vous les reconnaîtrez, même sans les voir, vous savez qu'ils sont là.
Le mode pause s'installe, vous êtes comme en veille de la télévision : encore connecté mais plus vraiment en fonctionnement."