Male Bête
My Martin
XVIIIe siècle, le siècle des Lumières (1715-1789)
Le règne de Louis XV (1710-1774), d'abord surnommé "le Bien-Aimé", il perd progressivement sa popularité.
La vie de Cour entraîne de scandaleux gaspillages financiers, les campagnes sont misérables.
Louis XV est un vieillard pusillanime, obsédé par ses "favorites".
Madame de Pompadour, née Jeanne-Antoinette Poisson, -de 1745 à son décès en 1764-,
Madame du Barry, née Jeanne Bécu, prend le relais à partir de 1768 - guillotinée à Paris en 1793-.
Le roi règne personnellement de 1743 à 1774, en lutte ouverte contre le parlement. Il ne parvient pas à briser cette opposition.
La monnaie est stable, l'économie tend à s'assainir -croissance démographique. Les physiocrates sont libéraux, l'essentiel est de préserver la propriété et la liberté. Les prix progressent lentement au cours du XVIIIe siècle.
La guerre de Sept Ans (1756-1763) est la première guerre mondiale. Angleterre et Prusse, d'une part, Autriche, France et leurs alliés, d'autre part. Pour des motifs économiques et coloniaux. La guerre se déroule principalement en Allemagne, en mer et dans les colonies. Épuisées, la France et l'Autriche arrêtent la lutte.
Les Lumières
Rationalisme, tolérance en tout domaine. En sciences, la méthode expérimentale, l'observation de la nature (Georges-Louis Buffon 1707-1788, naturaliste et biologiste, pour une connaissance débarrassée des influences religieuses), sont à l'honneur.
L'esprit est encyclopédique, refus de la spécialisation, intérêt pour tous les sujets. Ironie, esprit critique, logique passionnée.
L'optimisme domine. La société a confiance dans le progrès humain et dans la possibilité du progrès futur.
La religion perd de son influence.
Le Gévaudan -d'après le nom du peuple gaulois qui habitait jadis cette région, les Gabales, "les hommes aux javelots"- est une ancienne province française qui correspond au diocèse de Mende, au sud de l'Auvergne.
Région d'élevage, paysage à la beauté majestueuse, aux vallées et montagnes boisées. Les villages sont dispersés, isolés, les déplacements sont difficiles.
Vestiges de la dernière glaciation (fin du Pléistocène, - 10 000 ans), des tourbières de moyenne montagne. Des "sagnes" (d'un ancien mot gaulois, "marais", "terrain marécageux"), des "molières" (de "mouiller").
Le climat est rude, les premières neiges surviennent dès septembre, jusqu'en mai.
Les paysans sont catholiques et fidèles au roi. Versailles est loin.
Les calvinistes cévenols -les Camisards- ont lutté contre les dragons de Louis XIV (révocation de l'édit de Nantes en 1685). Connaissant parfaitement leur pays, ils ont tenu en échec les soldats jusqu'en 1710.
Le 30 juin 1764, Jeanne Boulet, âgée de quatorze ans, est tuée au village des Hubacs, près de Langogne. La première victime recensée "de la bette féroce".
La Bête a une gueule plate, museau fin, courtes oreilles, poil roux traversé de bandes noires, marque blanche sur le poitrail. Des dents énormes, des pattes avant plus courtes que les pattes arrière, une très grande agressivité.
Les paysans disent "la Bête", pas "le loup". Ils connaissent les loups, nombreux dans le pays (plus de 20 000 en France) et ne les craignent pas. Habituellement les loups fuient l'homme, hors animaux enragés.
Automne et hiver 1764-1765
La traque de la Bête est menée par le capitaine Jean Duhamel, des soldats du régiment des volontaires de Clermont-Prince et des paysans. Des battues sont faites, la Bête est repérée, blessée mais les attaques, les victimes, se multiplient.
Les paysans se plaignent, les soldats ne payent pas leur logement, ni leur nourriture, et détruisent les récoltes.
Le 31 décembre 1764
L'évêque de Mende -Gabriel-Florent de Choiseul-Beaupré, comte de Gévaudan, 1685-1716- lance un appel à la repentance.
"Dieu vous voit" (livre d'Amos - 5, 10-15). Péché et prière.
La Bête est envoyée par Dieu afin de punir les hommes. Dans son mandement, l'évêque cite les paroles de Moïse : "j'armerai contre eux les dents des bêtes farouches" (Deutéronome 32.27).
Dévotions, pèlerinages, la Bête ne s'en soucie guère.
Février 1765 - 28 juillet 1765
Le conseiller du roi envoie sur place un grand chasseur louvetier, Jean Charles d'Enneval (1702-1769), le meilleur chasseur de loups du royaume. Et son fils Jean François, militaire de carrière (1734-1795).
L'austère château de la Baume - à l'intérieur, influence italienne, profusion de boiseries, dorures, tapisseries, tableaux, somptueux décor et ameublement, "le Petit Versailles du Gévaudan" - Le marquis Pierre-Charles de Morangiès (1703-1774) se plaint aux autorités de l'absence de résultats des d'Enneval père et fils.
Le 8 juin 1765 - 3 novembre 1765
Le roi fait envoyer son porte-arquebusier, François Antoine (1795-1771), accompagné de son fils, de gardes-chasses et de soldats de la garde royale. François Antoine doit réussir.
Le 20 septembre 1765, il abat un loup de belle taille près du bois des dames de l'abbaye des Chazes, près de Saint-Julien-des-Chazes. Des paysans attaqués par la Bête, confirment qu'il s'agit bien de ce loup. Naturalisé, il est ramené à la Cour à Versailles. François Antoine est largement récompensé. Pour le roi, l'affaire est close.
Les attaques continuent.
Les troupeaux sont regroupés, les gardiens ne restent pas seuls, ils ont des bâtons emmanchés de couteaux, visent la Bête aux yeux. Courageux, aidés par leurs animaux (vaches, chiens), ils repoussent plusieurs attaques.
Le 12 janvier 1765, la Bête attaque des enfants au Villeret, paroisse de Chanaleilles (Haute-Loire). Le jeune Jacques Portefaix -douze ans- exhorte ses camarades à affronter la Bête qui emporte un enfant. Elle lâche prise. Alertés par les cris, les hommes du village accourent en renfort, la Bête s'enfuit. Pour récompense de son courage, le roi offre de payer l'éducation de Jacques Portefaix (1753-1785), qui fera une belle carrière dans l'armée.
Le 14 mars 1765, mas de la Veissière, près du Rouget de Saint-Alban - Jeanne Jouve se bat pour arracher son enfant des crocs de la Bête. Elle recevra une gratification du roi.
Le 11 août 1765, entre Paulhac-en-Margeride et Broussous - Marie Jeanne Vallet -"la Pucelle du Gévaudan"- combat la Bête, la repousse, lui plante sa lance dans le poitrail.
Entre avril 1764 et juin 1767, la Bête se livre à deux cent cinquante attaques -majoritairement des femmes et des enfants-, fait au moins cent-trente morts et soixante-dix blessés.
Vingt-huit personnes survivent et décrivent la Bête, leurs témoignages se recoupent.
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Au XVIIIe siècle, les races de chiens ne sont pas stabilisées, les descriptions sont sommaires.
Le naturaliste et médecin suédois Carl von Linné (1707-1778) fut le créateur de la nomenclature binominale des êtres vivants (noms latins de genres et d'espèces).
Des croisements sont possibles entre loups et chiens (molosses). Les chiens sont utilisés en temps de guerre depuis toujours.
Gévaudan
La Bête appartient à la famille des canidés, selon la description de sa dentition. Elle est agressive, ne craint pas l'homme. Elle attaque de jour, à proximité des maisons. Les proies faciles -femmes, enfants-, pas les animaux.
Elle les étrangle en sautant à la gorge. Elle les dévore, en commençant par le sein des femmes et le bas-ventre.
Si elle est repoussée, elle s'éloigne et attaque de nouveau.
La Bête a été blessée plusieurs fois (par arme blanche ou arme à feu). Portait-elle une protection, une peau de sanglier marquée d'une raie noire sur le dos ? Obéissait-elle à un maître ?
Une quinzaine de victimes semblent avoir été décapitées, corps aux étranges postures. Des crimes, sur le compte de la Bête ?
Les scientifiques de l'époque (Buffon, ...) n'ont pas examiné les restes de la Bête. A l'époque, furent évoqués des animaux sauvages, hyène, loup-cervier, lynx,
le charnaigre -de l'occitan "charnego", "bâtard"-, chien de chasse aujourd'hui disparu, jadis présent en Languedoc, Provence et Roussillon,
voire d'hypothétiques descendants du "loup sinistre" ("canis dirus", espèce qui a vécu au pléistocène, éteinte il y a environ 10 000 ans).
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Après la guerre de Sept Ans, la presse est au plus bas. Elle bénéficie d'une liberté quasi totale. L'histoire de la Bête tombe à pic.
Les récits sont diffusés partout en France et en Europe. Les Anglais se gaussent de l'inefficacité des Français pour abattre un simple loup.
Les archives gardent trace de plus de mille attaques d'animaux, en France. Mais seule l'histoire de la Bête du Gévaudan s'est profondément imprimée dans l'imaginaire collectif.
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1819
Le Jura - La Bête de la Gargaille dans la région d'Alièze, Dompierre et Marnézia. Un lynx ?
1809 - 1817
La Bête des Cévennes (du Vivarais ou du Gard) en Ardèche, Gard et Lozère. Elle aurait fait une quarantaine de morts, majoritairement des enfants. Les informations manquent. Plusieurs loups carnassiers ? Au XVIIe siècle, des attaques ont eu lieu dans la région du mont Lozère.
1766
Le Périgord - la Bête de Sarlat - une quinzaine de victimes - un loup enragé fut abattu.
1764 - 1767
La Bête du Gévaudan.
1763
Le Dauphiné - une série d'attaques. Les descriptions ont des points communs avec la Bête du Gévaudan. Le même animal ?
Été 1754 - fin 1756
Le Lyonnais - vers Vienne (Isère), Meyzieu puis Savigny (Rhône). Une trentaine de victimes, principalement des enfants et adolescents.
1731 - 1734
L'Yonne - Bête de l'Auxerrois ou Bête de Turcy-sur-Yonne (sud d'Auxerre). Parmi les victimes, autant d'hommes que de femmes. Multiples attaques pendant trois ans.
1698
La Creuse, récoltes médiocres (faible quantité de fruits, de blé, et comble de malheur, peu de châtaignes, dont la farine permet de fabriquer le pain des pauvres) - une centaine de victimes autour de Saint-Vaury.
1693
Le Val-de-Loire - Bête de Benais. Entre Vendôme et Blois - animal redoutable, très comparable à la Bête du Gévaudan en apparence et en comportement. En douze ans, elle a tué 147 personnes -principalement des femmes et des enfants-, soit plus que la Bête du Gévaudan.
1632
La Normandie. Bête de Cinglais, Bête d'Évreux ou Bête de Caen. En une année, une trentaine de victimes. Un loup ?
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Gévaudan
Château de Besque-Chambelève, près de Charraix, 6 km au nord de Sauges (aujourd'hui disparu) - Le 19 juin 1767, à la suite de plusieurs attaques, le jeune marquis Jean-Joseph d'Apcher (1748-1798) -dix-neuf ans- décide de mener une battue sur le mont Mouchet, dans le bois de la Ténazeyre. Vaste espace, des bois, des montagnes, un animal peut facilement se dissimuler, fuir.
Le marquis est accompagné par des volontaires voisins, dont Jean Chastel (1708-1790), soixante ans, excellent chasseur. Hameau de Darnes, paroisse de la Besseyre-Saint-Mary. Cabaretier, brassier, cultivateur. Il sait lire et écrire (rare à cette époque).
Jean Chastel abat un animal de grande taille, ressemblant à un loup, près d'un marécage, au lieu-dit "la Sogne d'Auvers".
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