maman et papa

Simon Lecoeur

chapitre 6

Un jour arriva où papa regroupa l’ensemble de ses affaires, qu’il rangea avec soin dans des valises, ses sacs, des cartons… De mon côté, je cherchai à conserver un souvenir bien à lui. Bien-sûr il y avait les jouets qu'il nous offrait à Noël, aux anniversaires, mais je souhaitais un objet pour le représenter. Un livre, non, un vêtement, non plus. Je pris son paquet de cigarettes laissé sur la commode dans la chambre des parents qui allait devenir la chambre de maman toute seule ; un paquet de cigarettes américaines que je dissimulais au fond de mon coffre à jouets, la trace d'un être partant en fumée. Au cours de cette même semaine, un soir en rentrant de l’école, je me mis à appeler "papa". Je fus moi-même surpris par ma propre voix qui traversa l'appartement. Un lourd silence me fut renvoyé en écho. A mon appel spontané répondit la violence de l'absence. Je me sentis honteux et fautif devant maman. Ma parole fut soudainement brisée. "Papa, maman" réunis ensemble dans un même appel venait de perdre son sens. Avec cette séparation, "papa maman" ne devait plus jamais venir à ma bouche. J'avais obligation de les dissocier. Une barrière s’installait dans ma bouche. Je n'appelais plus "papa" dans l'appartement maternel, je n'appelais plus "maman" dans le lieu d'habitation paternel. C’était comme une langue étrangère.

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